de Pierre Assouline

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La République des livres
Une onde faite femme

Une onde faite femme

On reconnaît un écrivain à sa voix. Il n’est que de le lire pour l’identifier. Un livre d’où elle ne se dégage pas, quand bien même d’autres l’appelleraient style, ton ou petite musique, n’est pas d’un écrivain mais d’un auteur. Une page, un paragraphe parfois même une seule phrase suffisent à mettre un nom sur un texte, dès lors que l’on prête l’oreille au son qu’il émet. S’il est d’un inconnu qui signe là son premier roman, la voix suffit à flairer un nouvel écrivain. Ou pas.

Elle permet de savoir à qui on a affaire, et qu’un tri s’opère. Qu’il s’agisse de Modiano, de Proust ou de Duras, la voix qui émane du livre ne trompe pas. Avec les étrangers, c’est plus délicat car la voix peut varier selon le traducteur, celui-ci superposant la sienne propre au romancier qu’il interprète en français. Mais des écrivains que l’on a eu le privilège de côtoyer et d’aimer, on retient au fond davantage la voix de la personne que celle de ses écrits, lesquels sont avant tout le reflet de son travail.

Des disparus dont l’absence nous dévaste, nous conservons des images si ténues, des odeurs si fugaces, des écrits si durables, mais leur voix ? Nous pouvons pourtant en rêver tout autant. La présence des morts passe souvent par elle ; de leur vivant, on ne l’écoute pas tant elle fait corps avec eux ; après, elle revient nous hanter si fort qu’elle peut faire corps à nouveau mais avec nous. La voix est la seule partie du corps qu’on ne peut enterrer. Les cordes vocales on peut, pas la voix. A la tristesse née de la disparition s’ajoute la prise de conscience que jamais plus nous n’entendrons le timbre familier de l’être cher, ses silences aussi. Les photos ne sont que des traces, quand la voix est aussi un prolongement du corps.

Poétesse et traductrice, Ryoko Sekiguchi est une japonaise de Paris qui écrit en français depuis 2003. La Voix sombre (112 pages, 9 euros, POL), petit livre car bref et compact, est porté par une lumière intérieure que n’annonce pas son titre. De sa méditation sur la vraie voix de nos semblables éclipsés à jamais émerge une singulière voix d’écrivain. Sa double culture, qui lui fait naturellement comparer les mœurs japonaises et françaises, l’a poussée à confronter l’absence de culture de la voix enregistrée dans son pays d’origine avec l’abondance de voix enregistrées dans son pays d’adoption.

Ce constat lui est venu à l’écoute, régulière, passionnée et à toute heure, de France Culture, exceptionnel conservatoire de voix. La radio étant par excellence un support fantomatique, Ryoko Sekiguchi s’est laissée caresser par des fantômes de voix au fil de ses réflexions nouées en fragments. C’est aussi que ce media s’adresse publiquement à chacun de nous personnellement ; il nous parle à l’oreille, parfois même en chuchotant.  Mais si riche qu’il soit, il ne nous fera jamais entendre les voix d’autrefois. Il manquera toujours au biographe d’un écrivain d’avoir une idée, même fugace, de ce à quoi pouvait ressembler la voix de son héros, quand bien même tenterait-on de reconstituer la sonorité de Stendhal ou de Voltaire par les témoignages ou l’étude des correspondances.

Le souvenir de la voix de son grand-père qu’elle n’a pas enregistrée hante ses pensées. N’en demeure que sa voix mentale. Car une exilée a encore plus de mal à croire à la mort de l’être cher, il est encore plus long à mourir ; elle l’a apprise par un coup de fil du Japon, par une voix lui annonçant qu’elle n’entendrait plus jamais « sa » voix. Elle évoque le grain de la voix avec la sensualité généralement réservée à célébrer le grain de beauté. Ce qu’elle dit du timbre de ceux qui sentent leur mort proche bouleverse par l’éclat de sa vérité poétique,

« leur voix en quelque sorte habillée pour l’au-delà (…) qui prévient qu’elle ne se suivra plus, qu’elle atteint à son terme, comme une bande magnétique qui se termine donne des signes que la fin approche, par un grésillement ou de petites coupures ».

Avec une légèreté et une délicatesse mêlées de gravité, Ryoko Sekiguchi nous enjoint d’ enregistrer la voix des êtres chers, notre temporalité dut-elle en être troublée à jamais par ce « présent pour toujours » (on peut feuilleter le livre ici). Elle réussit à effleurer l’universel sans jamais cesser d’être intime. Au terme de cet éloge de l’ombre de la voix, elle n’est plus qu’une onde faite femme. On en sort grandis, et comme lavés de la bêtise des jours.

(« Ryoko Sekiguchi » photo de Felipe Robin illustrant la lettre de la poétesse à Madame Butterfly)

Cette entrée a été publiée dans Littérature de langue française.

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commentaires

609 Réponses pour Une onde faite femme

bérénice dit: à

..françois ?..delpla je veux dire

Bougue humblement j’avoue une mémoire n’ouvrant pas à la diffusion de toutes les pièces d’une anthologie cinématographique puisque vous faites référence à « l’histoire », celle du cinéma par exemple, le film en question y trouverait une place, je n’ai pas vu son scarface ni son les hommes préfèrent les blondes, je regrette . Immense plaisir pour son impossible m b .

bérénice dit: à

D, l’éventail de cèdre( livré sans secret d’usinage), c’est pas un peu lourd comme instrument?

bérénice dit: à

Ne vous pressez pas de répondre, je visionne une série criminelle qui pourrait le transformer en hallucinant un peu en objet contendant.

bérénice dit: à

20h41 faut-il considérer les acouphènes comme des hallucinations, il y en a qui entendent des essaims d’abeilles, des sifflements stridents, des souffles et je ne sais quoi. Un homme en slip une fois m’avait confié en être atteint et très rapidement en un réflexeje me suis réfugiée sous le canapé.

la vie dans les bois dit: à

« faut-il considérer les acouphènes comme des hallucinations ? »
non

bérénice dit: à

Bien .

D. dit: à

Je suis d’accord avec LVDB.

D. dit: à

Naufrages de migrants : encore des scènes insoutenables et culpabilisant l’occident : zodiac en train de couler, bébé qui se noit.

Deux ans après le début de l’intensification exponentielle de ce phénomène On attend toujours les images-chocs d’arrestation des passeurs, leur procès, leur vie en prison à perpétuité.

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