de Pierre Assouline

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La République des livres
Le moment Apostrophes

Le moment Apostrophes

Etrange cette impression d’être considérés comme des dinosaures par des plus jeunes lorsque nous leur parlons d’Apostrophes, exactement comme nous tenions pour des diplodocus ceux qui nous vantaient le charme de Lectures pour tous quand nous étions plus jeunes. Il est vrai que l’émission de Bernard Pivot est née il y a quarante ans, déjà. Une émission purement littéraire, entendez par là qu’elle était exclusivement consacrée aux livres, fussent-ils parfois bien peu littéraires.

Durant les quinze années de son existence sur la deuxième chaine, de 1975 à 1990, elle joua un rôle essentiel dans la vie culturelle en France ; elle participa de plein droit au débat d’idées quand elle ne l’initia pas ; des querelles y ont été vidées publiquement ; des réputations s’y sont faites et d’autres s’y sont défaites ; des penseurs exigeants y ont gagné un public qu’ils n’auraient jamais espéré atteindre ; des romanciers populaires y ont perdu tout crédit ; des poètes s’y sont fait entendre. Souvent le destin d’un livre s’y est joué en quinze minutes, pour le meilleur et pour le pire. Durant toutes ces années, Bernard Pivot y fut l’ « interprète de la curiosité publique » selon le mot de Pierre Nora, lequel n’ira pas, pour autant, jusqu’à faire du studio d’Apostrophes un lieu de mémoire.

La liste des apostrophés est impressionnante, non par leur nombre mais par leur trempe. Lorsqu’on visionne ces émissions sur  le site de l’INA, on est frappé par deux phénomènes : d’abord la qualité et la variété des auteurs, surtout chez les historiens, les philosophes, les sociologues, les essayistes, auxquels on aurait du mal aujourd’hui à trouver des héritiers de la même envergure et pas seulement chez les Français (où sont les Dumézil, les Braudel, les Lévi-Strauss ?) ; ensuite l’exceptionnelle liberté de ton qui régnait sur ce plateau, la vivacité de la dispute, parfois la violence des échanges, dans un grand mélange des genres, toutes choses qui doivent aussi aux aléas du direct, et qui contrastent si fort avec l’autocensure et la frilosité de notre époque rongée par le principe de LES VENDREDIS D'APOSTROPHESprécaution. Apostrophes faisait l’événement, chaque vendredi soir dans la lucarne et le lendemain dans les librairies, en un temps de démocratisation de la culture au lendemain des Trente Glorieuses où la télévision ne comptait que trois chaines. Depuis, il y en a des centaines à la disposition du téléspectateur, la télécommande a encouragé l’impatience, la notion de direct a été abolie, le podcast a bouleversé les notions de temps et de programme.

Bureau d’esprit ou salon de conversation, dans la manière de faire société sous l’Ancien régime, Apostrophes renouait parfois avec le rituel de la visite au grand écrivain mais sans rechercher d’adoubement comme c’était le cas sous la IIIème République. On y conversait ; désormais, à la télévision, on échange ; le plus souvent, les invités s’empressent d’aligner quelques phrases avant que leur voix ne soit zappée par la frénésie de l’animateur ou étouffée par la vulgarité des applaudissements.

Qui se penche sur ce moment de l’histoire la télévision sera tenté de faire le procès de ce qu’elle est devenue. Foin de la nostalgie, tout a changé à commencer par le monde, excusez du peu. N’empêche : qui voudra écrire notre histoire culturelle vers la fin de l’autre siècle ne pourra faire l’économie d’un examen attentif des archives d’Apostrophes. Au-delà d’un reflet de la production éditoriale, et donc de la sensibilité, de l’intelligence, de l’esprit français dans ces années-là, il y trouvera un miroir sans pareil de la France des « années Apostrophes » tant nombre de Français s’y sont retrouvés. De toute la France et non d’une certaine France.

P.S. : Ce vendredi 6 novembre à 22h35, France 2 diffusera « Le vendredis d’Apostrophes », florilège des meilleurs moments de l’émission commentés par son animateur même, et réalisé par mézigue.

(« Image extraite des Vendredis d’Apostrophes » photo D.R. ; « Burgess, Moravia, Grass à Apostrophes » photo D.R.)

 

 

 

 

Cette entrée a été publiée dans Histoire Littéraire.

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commentaires

1 010 Réponses pour Le moment Apostrophes

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…christiane, à…9 h 29 min,…

…le développement au  » baroque « , c’est au sujet de ma première réponse,!…

…qui vient du,…Giovanni,…8 novembre 2015 à 18 h 08,…

…y mettre Mondrian dans la soupe, d’un état d’esprit facile, pour conclure  » vite « , à la collabos du capitalisme-fascisme,!…

…une approche  » baroque « , de Mondrian,…qui touche à divers  » violons  » de ses paysages impressionnistes avec la lumière,!…et qui va se coucher,!…pour faire facile, en laissant une peau en cadre-vide,!…faisant fonction de repos de penser,!…
…une certaine  » lâcheté « , d’abandonner la matière picturale à la Van Gogh,…et repartir avec des  » plats « , et lignes  » abrégés « ,!…un profit du temps de travail, à ne plus faire que du management à deux sous sur toiles,!…
…l’économie en partage des sens à vibrer, distanciations pour chacun à ses limites, non plus divulgués,!…
…donc, non plus en peintre, mais en partis-pris,…suivis,!…par certains collabos de la simplicité – humaine à gérer,!…
… » le pêcheur-peintre entraver dans ses filets intellos-collabos, pour survivre « ,!…

…donner vous de la peine, pourquoi faire, façon collabos,!…etc,!…la vision baroque de Mondrian,!…la fuite à la montgolfière Doxa,!…en pantoufles,!…
…etc,!…

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…l’art aussi, un enchevêtrement chimique de la globalisation,…et vous faite partis de quelle fonctions résultantes,!…
…résultats de quoi, pour qui, que, donc ou,!…etc,!…
…je suis partis,!…

christiane dit: à

@Giovanni Sant’Angelo – 10 novembre 2015 à 12 h 56
Un vrai tigre ! Que de coups de griffes ! mais sous cette rage une tendresse pour sa création d’avant. Merci. C’est sympa de vous lire car vous êtes vrai.

Résumons..... dit: à

La France a fait un mauvais choix pour ce département français en rébellion. Socialistes en tête …

Les crapules qui gouvernent l’Algérie indépendante aujourd’hui démontrent que nos frères algériens, nos compatriotes français ont fait le mauvais choix à l’époque, de Dunkerque à Tamanrasset ….

L’homme est un animal nuisible.

masud al-bukhari dit: à

Boutef’ est à présent le Katechon (2 Thessaloniciens) de l’Algérie.

Celui qui précipite la catastrophe ou celui qui la diffère?

La communauté franco-algérienne est un rêve colonial qui trouvera sa réalisation paradoxale dans l’ancienne métropole.

Passionnant!

masud al-bukhari dit: à

Glucksmann, quel drôle de zigotto, sympathique malgré tout.

Il publie jeune « Le discours de la guerre » sur Clausewitz.
On ne lit plus ça, mais on lit le chef d’oeuvre en deux volumes de son maître Aron sur le même sujet.

C’est comme si on pouvait prédit à l’avance, dans la conjoncture du temps, ce que son radicalisme devait lui dicter dans sa lecture du Prussien: l’absolutisation de la guerre, contre-sens développé dans une proximité avec Hegel, à l’ombre du grand Chinois (grand par les dégâts).

Le titre était déjà poilant.
Le « discours » de.
Cette notion n’avait aucune consistance, elle n’était que l’effet de la fascination exercée sur les esprits par la rhétorique flamboyante de Foucault.
A l’université de Vincennes les psy présentaient leur enseignement comme un « discours de l’inconscient »…

À cette époque un livre sur la gastronomie aurait pu se vendre sous le titre: Le discours des saveurs.
Si j’en crois mes souvenirs de lycéen, le mot « discours » avait un effet érotisant et favorisait la drague en café.
Dix ans plus tard, c’était fini.

masud al-bukhari dit: à

masud al-bukhari dit: 10 novembre 2015 à 20 h 48 min
Si j’en crois mes souvenirs de lycéen > d’étudiant
Hem hem

Gégé dit: à

Ah, quelle émission formidable que j’ai rarement « loupée » en son temps c’est pleins de souvenirs qui ressurgissent à travers cette émission,merci Pierre…

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