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Malaise dans l’orthographe

Malaise dans l’orthographe

Par Françoise Siri

siri-150x150La réforme de l’orthographe, qui a fait beaucoup de bruit, n’est pas si grave quand on examine son contenu ; ce qui est plus grave, ce sont les questions de fond qu’elle soulève.

Prenons les deux exemples surmédiatisés de la réforme, qui concernent le changement d’orthographe de « nénuphar » au profit de « nénufar » et d’ « oignon » pouvant s’écrire désormais « ognon ». Vérification faite dans le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, « nénuphar » est un emprunt du persan, où le mot s’écrit avec un « f » ; il a même pu s’écrire, au XIIIe siècle, « neufar » et neuenfar ». Quant à « l’oignon », il n’avait pas de « i » en 1275. Certes, on ne voit pas en quoi c’est une « simplification » de revenir à l’orthographe du XIIIe siècle… Mais enfin, on devine bien le raisonnement à l’œuvre chez les réformateurs : puisque les élèves n’entendent pas, à l’oreille, le « i », ils l’oublient quand ils écrivent le mot ; simplifions donc l’orthographe en validant l’écriture « ognon » (ce qui, d’ailleurs, ne résout pas nécessairement le problème : il n’est pas sûr que l’ensemble des élèves connaissent les règles de prononciation du « gn »).

Quand une faute se répand à une très grande vitesse, elle devient la norme : c’est ainsi, en grande partie, qu’évolue la langue française. Mais l’Académie légifère peut-être un peu trop vite en validant un usage de la langue dont elle est pourtant impuissante à prédire l’avenir ! La preuve en est que cette réforme est déjà obsolète. Les fautes répandues changent. Par exemple, aujourd’hui, les lycéens écrivent « language » au lieu de « langage » : l’Académie va-t-elle officialiser ce nouvel usage ? Et que faire quand les fautes deviennent trop nombreuses ? Quand les adolescents écrivent « it » au participe passé des verbes en –IR (« il a finit » au lieu de « il a fini »)…

D’où cette question sous-jacente : comment mieux mémoriser l’orthographe, la grammaire et la syntaxe ? Le secret absolu pour apprendre sans même s’en rendre compte, c’est la lecture. C’est là que le bât blesse. Comme le dit le poète et romancier Jacques Roubaud, « moins on lit, moins on lit, et ce que, par hasard, on tente alors de lire semble impénétrable ». La capacité de lecture se développe en lisant. Comment former les jeunes lecteurs ? Pourquoi une bonne partie des élèves ne lit plus ? D’abord parce que Image 3l’enseignement du français s’est réduit. C’est du bon sens : pour apprendre, il faut du temps. Par exemple, dans les filières générales, les classes de première, qui préparent les épreuves du baccalauréat de français, n’ont que 4 heures par semaine. C’est tellement insuffisant que certains proviseurs de lycées privés ont rajouté une heure d’office !

Le second problème, c’est que notre gouvernement a supprimé les redoublements. Un élève qui n’a pas acquis les bases de l’école primaire passe en 6ème, puis en 5ème, etc. en traînant avec lui ses lacunes jamais comblées. Dans bon nombre d’établissements scolaires, les professeurs, impuissants, enseignent le programme de français de 3ème à des classes dont ils savent bien que seul un quart des élèves a le niveau requis pour suivre le cours. Comment ces professeurs pourraient-ils, dans ces conditions, faire lire un livre ? Il sera ipso facto rejeté par des élèves qui ne pourront ni le lire ni le comprendre : la lecture deviendra insupportable et c’est normal puisque le livre sera devenu inaccessible. Et je ne parle pas ici d’autres problèmes nombreux –le cas extrême étant, dans certains établissements, une attitude de la part des élèves de défiance et de refus de tout apprentissage.

Deux facteurs au moins se cumulent : un affaiblissement général de l’éducation et de la culture d’une part, et d’autre part, l’utilisation massive des nouvelles technologies qui induisent un nouvel usage de la langue. A quoi va-t-on aboutir ? Si l’on est pessimiste, on peut constater qu’une partie de plus en plus grande des jeunes a, en gros, un vocabulaire de 800 mots –et donc que les mots sont « écrasés » : là où il y avait trois mots pour trois nuances, il n’y en a plus qu’un– et que les expressions imagées deviennent incompréhensibles et inusitées. On arrive alors à la question essentielle : l’évolution de l’usage, à laquelle on assiste, permettra-t-elle de garder la relation à l’autre, la compréhension entre les uns et les autres, et les trésors de l’écriture ?

Dans cette époque de bouleversement de la langue française dont personne ne peut prédire l’avenir, est-ce vraiment une réforme de l’orthographe qu’il faut proposer ?

FRANCOISE SIRI

Journaliste et auteur du Panorama des poètes (Lemieux éditeur)

(Dessin de Zina Modiano extrait de Les voyages de ma pantoufle, Gallimard-Jeunesse)

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF.

14

commentaires

14 Réponses pour Malaise dans l’orthographe

Widergänger dit: à

La situation est parfois pire.

C’est aussi le fait que la norme orthographique s’efface, l’anarchie s’installe, comme dans les textes du Moyen-Âge où à deux lignes d’intervalle le même mot s’écrit de deux manière différentes.

Régression de la civilisation ! Décadence !

Jibé dit: à

« Régression de la civilisation ! Décadence ! »

Tout de suite les grands mots (maux) pour un simple retour à la source !

Lucy dit: à

est-ce vraiment une réforme de l’orthographe qu’il faut proposer ?

Bien sûr que non, les « anciens » continueront à employer l’ancienne orthographe et la majorité des jeunes ne se soucient absolument pas de l’orthographe qu’elle soit réformée ou pas. Les sms s’en passent parfaitement bien. Pour le reste, les correcteurs d’orthographe ne marchent pas trop mal.

Widergänger dit: à

Retour à la source : n’importe quoi !

Widergänger dit: à

Il n’empêche que les lettres de motivation bourrées de fautes d’orthographe peut aboutir à un refus du candidat.

Widergänger dit: à

peuvent…

Jibe dit: à

Retour à la source pour nénufar et ognon…

renato dit: à

Lettre d’information du concepteur et éditeur du correcteur Cordial:

La réforme de l’orthographe,
pourquoi en parler ?
Cette réforme a plus de vingt-cinq ans, pourtant elle n’a jamais vraiment été appliquée en France.
En effet, les tentatives de changement dans la langue par la loi ont toujours été inefficaces. La seule méthode qui a fonctionné a été de l’imposer par l’éducation dès la petite enfance. Par exemple, à partir de 1881, les enfants qui parlaient occitan à l’école ont été punis conformément aux recommandations du ministre Jules Ferry. Cela a conduit à une dévalorisation de la langue occitane appelée la vergonha (la honte). C’est ce que tente de faire le gouvernement français cette année en l’imposant dans les manuels scolaires. Cela a déjà marché, principalement parce que les changements étaient perçus à l’oral, forçant ainsi les parents à apprendre au contact de leurs enfants.
Alors cette réforme, qui ne touche que l’écrit, sera-t-elle un échec ?
C’est l’usage qui nous le dira ! Il est indispensable d’observer l’évolution de la langue pour savoir quels mots vont être utilisés. C’est aux francophones qu’il appartient de choisir d’appliquer ou pas cette réforme et de déterminer si elle leur simplifie la vie et surtout l’écrit. Car la langue française appartient à ceux qui l’utilisent et ce sont eux qui auront le fin mot de l’histoire. Peu importe qui est pour ou contre et pourquoi.
En fait, la principale difficulté ne se pose pas lors de l’écriture. La loi impose en effet de tolérer les deux orthographes , classique et nouvelle. Si l’on est contre, rien n’oblige à l’employer, ce qui semble échapper à bon nombre de commentateurs de cette réforme.
Seule l’identification des erreurs sera plus compliquée. Ainsi, les tweets les plus populaires sur cette réforme se moquent de la disparition de l’accent sur « chômage », « impôts » ou « jeûne ». Pourtant, aucun de ces mots n’est touché par la réforme, contrairement au verbe « jeuner », qui perd son accent circonflexe. Une seule difficulté demeure : comment signaler à son collègue, à son enfant, à un élève ou un étudiant, qu’il a fait une faute si l’on ne maitrise pas l’ensemble des orthographes alternatives ?
Si vous n’utilisez pas la nouvelle orthographe, vous devrez par contre apprendre à la tolérer dans les écrits des autres.

Sophie MULLER – Chef de produit Cordial

raymond prunier dit: à

Ah comme c’est étrange: on n’a jamais autant écrit que maintenant. ECRIT. C’est le lire qui manque le plus. Chacun y va de sa subjectivité à la va comme je te pousse, le langage n’est plus un allié mais un obstacle dirait-on. L’orthographe dans ce tohu bohu des « moi » est un rappel à l’ordre dont tout le monde se contrefiche: tu ne vas pas m’empêcher de parler! Les règles orthographiques sont d’intolérables atteintes à la liberté! Donc on parle à l’écrit comme jamais dans notre passé- en quantité – et l’orthographe, colonne vertébrale du langage, est mise en miettes. Cette invraisemblable nuée d’écriture draine forcément de l’erreur orthographique. Est-ce vraiment cela l’anarchie dont nous parlons? On assiste sans doute à un glissement spectaculaire de l’écrit au dit, de l’écriture à la parole. L’écriture est un pis aller; on a l’impression que si on pouvait s’en passer on le ferait sans barguigner. En attendant de s’en passer vraiment – le son de la parole remplacera le mot écrit? – on néglige ardemment les règles de l’écriture telles qu’elles étaient élaborées pour la communication papier. Les sms défectueux anticipent le jour où techniquement nous pourrons communiquer autrement que par écrit. Il existe une confusion entre écriture littéraire ou philosophique (ou journalistique) et écriture du tout venant de la prose bavarde…. elles tendent à ne plus coïncider. C’est ce qui nous donne une impression de débâcle, à nous qui adorons livres et textes. Mais c’est un pur problème d’usage, cela ne durera pas. La communication va techniquement vers l’oral complet. Bientôt l’écrit redeviendra ce qu’il a toujours été : le lieu des clercs et on peut gager que l’orthographe a de beaux jours devant elle.

Chaloux dit: à

Widergänger dit: 1 avril 2016 à 14 h 39 min
Il n’empêche que les lettres de motivation bourrées de fautes d’orthographe peut aboutir à un refus du candidat.

Heureusement pour lui, Alba qui n’en rate pas une, est casé jusqu’à la retraite.

sse ? dit: à

Quand j’étais adolescent, pas de télévision, pas d’ordinateur, pas de jeux vidéos, pas de portable. La radio n’opposait pas vraiment une concurrence sérieuse à la lecture, qui restait — au moins pour ceux d’entre nous qui avaient la chance de vivre dans des milieux relativement cultivés et de fréquenter les « bons » collèges et lycées — de loin le principal moyen de culture et d’évasion. Le problème (sans solution ?) est : comment ramener à la lecture des jeunes qui s’en sont détournés en masse ? Je ne pense pas que les remèdes puissent être trouvés à l’école, sinon de façon marginale. Il faut nous y faire : la galaxie Gutenberg s’éloigne inexorablement de notre planète.

Claude-Marie Chienelain dit: à

C’est la première fois que je lis que l’Académie française va « trop vite » !
Parmi les inexactitudes de l’article : il n’y a pas de f en persan, pour la bonne raison que cette langue indo-européenne ne s’écrit pas avec l’alphabet latin, vous confondez avec sa translittération en français ; l’Académie suit un usage ancré depuis suffisamment longtemps, et conserve une dimension normative (« bon usage », « bel usage ») ; la réforme de l’orthographe ne remplace pas, du point de vue de l’Académie, les anciennes graphies (si vous consultez la 9e édition du Dictionnaire, vous verrez que les nouvelles graphies, quand elles sont indiquées, ne le sont qu’entre parenthèses).

lola dit: à

Une réflexion, en passant.Lorsqu’un enfant apprend à lire, il n’a aucune référence.Il n’est pas plus difficile de lui apprendre à lire et à écrire ‘oignon’ou ‘ognon’,nénuphar’ ou ‘nénufar’.Le mot s’inscrit dans sa mémoire, vierge. Sur un bloc intéressant qui a trait à l’école, un professeur faisait remarquer que de jeunes ados, élèves de 6° ou de 5° retenaient avec facilité des mots –difficiles à orthographier et dont le sens était complexe; ex: épilepsie, catachrèse…les injures de Haddock ne présentent pour eux aucune difficulté ! Un jour où je me promenais dans un château avec une amie et ses jeunes enfants,le guide s’arrête devant un tableau et commente;il pose à un moment la question: » vous ne savez pas, sûrement, comment on appelle ça ? »Et l’un des enfants (5,6 ans) répond : c’est un phylactère. Cris divers dans le groupe de touristes,et du guide ! Ce n’était pas un enfant surdoué! le long ruban qui s’envolait de la bouche de l’un des personnages sur le tableau, était le même que celui qu’il voyait dans ses BD; et sa mère lui avait appris le mot; assez simple. Tous les parents -à défaut d’apprendre le mot phylactère à leurs bambins- peuvent lire avec eux tous les soirs et les familiariser avec les mots. Combien le font ?Lire est pourtant « le grand secret » qui fait progresser, car les enfants posent des questions, l’échange est capital. Je ne dis pas qu’il est facile d’apprendre à lire et à écrire à des enfants; mais c’est peut-être plus simple qu’on le croit.Et très loin des querelles de l’Académie ou des linguistes. Sofa ou sopha ? châle ou…le plus simple, capitaine ..

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