de Pierre Assouline

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La République des livres
Pour saluer Patrick Kéchichian

Pour saluer Patrick Kéchichian

Par PATRICK KECHICHIAN

(L’écrivain, poète et critique littéraire Patrick Kéchichian, qui longtemps collabora au « Monde des livres », vient de nous quitter subitement à l’âge de 71 ans. En hommage, la République des livres republie cette puissante réflexion sur le métier parue ici-même en 2013)

Le critique en crise d’identité

« Je ne saurai trop recommander la vieillesse à tous les critiques littéraires. » (Jean Paulhan)

 

Patrick Kéchichian à Paris, en 2010.

A la question « Qu’est-ce que la critique ? », on peut répondre longuement, savamment, paradoxalement. Il arrive qu’on exagère son importance ou qu’on affirme avec force qu’elle n’est rien. Et même moins que rien. Il arrive aussi que l’on réconcilie ces contraires – selon l’intérêt du moment. Parfois, conformément à une vieille tradition, on soutient que la critique, la pauvrette, ne peut avoir qu’une ambition : celle d’arriver, au mieux, à la cheville de la littérature ; en fait, si l’on en croit Pierre Jourde, son unique vocation est d’être son « parasite » ! On comprend aisément que cette position subalterne et humiliante la rende jalouse, atrabilaire, haineuse. « Je conçois cette haine, persiflait Théophile Gautier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin. Il est douloureux de voir un autre s’asseoir au banquet où l’on n’est pas invité, et coucher avec la femme qui n’a pas voulu de vous. Je plains de tout mon cœur le pauvre eunuque obligé d’assister aux ébats du Grand Seigneur ». Un peu plus tôt, selon cette même rhétorique qui fit naître tant de vains discours, Diderot définissait ainsi la « sotte occupation » du critique : « nous empêcher sans cesse de prendre du plaisir, ou (…) nous faire rougir de celui que nous avons pris » (Pensées détachées sur la peinture, la sculpture et la poésie). Par ce « nous », un territoire est strictement défini, une jouissance désignée, desquels le critique est exclu.

Ces pétitions de principe qui font du critique un personnage éminemment négligeable (1) ne protégèrent pas d’innocents écrivains plein de promesses contre les assauts de la jalousie féroce des critiques : on en vit censurés par des jugements iniques, réduits à l’impuissance, acculés au désespoir. D’autres reçurent sans sourciller des tombereaux d’éloges, ne doutèrent pas de leur pertinence et, magnanimes, invitèrent le critique à partager leur plaisir – dans l’ombre de leur génie enfin reconnu. Des couples se formèrent, le maître s’attachant l’obligé, l’obligé éperdu de reconnaissance, prêt à faire rempart de son corps, de son âme, pour protéger le maître – des critiques justement. Là, le « pauvre eunuque » était payé de sa peine et pouvait chanter, livre après livre, les louanges du « Grand Seigneur » en faveur duquel, il avait renoncé à tout sens critique – à tout sens commun.Plus sérieusement, des théoriciens se sont prononcés sur la « physiologie » de la critique (Albert Thibaudet) et même sur son « anatomie » (Northrop Frye). Ils ont créé des écoles, imaginé des catégories, fixé des méthodes, des rôles, des lieux d’exercice : les salons, l’université avec ses maîtres, les journaux – avec des maîtres aussi, mais plus petits –, aujourd’hui l’immense champ d’anarchie et de solitude d’internet. Pour tenter de mieux cerner la question, on traça des frontières, des lignes de démarcation. On éleva des murs. Avec, toujours, cette tentation de retomber dans l’ancienne rhétorique, remodelée selon les besoins du moment.

Ainsi, la romancière Marie Darrieussecq découvrit un jour, « déroutée », que « le même mot de “critique” s’appliquait à deux activités radicalement différentes, l’une, pour aller vite, intelligente, honnête, ambitieuse et systémique (du côté de Roland Barthes), l’autre idiote, malhonnête, cynique et brouillonne (du côté des journalistes) ». Tout était remis en ordre : en haut, les professeurs intègres, en bas, dans le caniveau, les gazetiers, les échotiers, les publicistes. Puis, l’auteur de Truismes ponctua son propos avec cette sentence :

« La critique journalistique n’a jamais rien appris à un écrivain, pour la bonne raison qu’elle ne s’adresse pas à lui » (2).

Un peu sommaire, la remarque a le mérite de soulever une vraie question : celle de l’adresse… Mais est-il si évident, comme le suggère Darrieussecq, que la critique dût œuvrer d’abord en direction de l’écrivain ? Et pourquoi pas à son service ? Même si l’on ne peut contester que c’est « l’auditoire qui motive la critique » journalistique (3), n’est-ce pas établir le critique dans un périmètre d’action bien restreint, exilé loin de l’artiste et de son art ? Son métier n’est-il pas justement de faire sans cesse – en toute indépendance s’il se peut – le va-et-vient entre l’écrivain et le public ? Présenter le critique, parce qu’il n’est que journaliste, comme étranger à l’écrivain et à son œuvre, c’est à nouveau le réduire à peu de chose : au rôle dérisoire et infâmant de prescripteur par exemple. Rôle auquel, par fébrilité et empressement en sa propre faveur, l’écrivain rêve parfois d’assigner le critique. Rôle que le critique accepte en échange de quelque prébende symbolique. De ce prestige dérisoire, avec son nom attaché à quelques placards publicitaire, il se contente.

On pourrait encore discuter longuement sur les territoires et les rôles, sur les droits et les devoirs, sur les limites de la critique. Quoi qu’on fasse, la question devient de plus en plus lourde et dense, datée, obscure, malaisée, multiple, fuyante, polémique, alimentée par des rancœurs muettes, recuites, lancinantes. Et la réponse toujours plus provisoire. En fait, la part secrète, irrationnelle et subjective, de l’exercice critique vient constamment parasiter le débat : on ne sait plus qui parle, pourquoi, selon quel motif, en vue de quels intérêts ou fantasmes… Une autre part, sociologique celle-là, finit de compliquer les choses : elle touche aux ressorts et à l’administration du milieu littéraire, aux conflits d’intérêt, symboliques et économiques, qui y ont cours. L’argent étant rare, c’est l’irrationnel (et en lui toutes les vanités frémissantes), qui dicte sa loi. Face à ce qui se dérobe, aucune maîtrise n’est décidément possible. D’où la nécessité de ne pas céder au vertige, de revenir sur un terrain plus ferme. Une nouvelle interrogation peut alors se former. Marginale et prosaïque, elle a le mérite de perturber l’insaisissable sujet du débat :

QUI EST LE CRITIQUE ?

Bien sûr, on fera d’abord semblant de ne pas comprendre une telle question, et même de la juger saugrenue, déplacée, indiscrète… Classiquement, sous le soleil de l’œuvre, le critique passe, on l’a assez entendu, pour l’homme de l’ombre, des coulisses. Son identité n’intéresse que lui. Et encore.

Aux jugements fébriles, passionnels, de certains écrivains sur la critique – ou sur le critique dès que les choses s’enveniment – cette dernière question a pourtant le mérite de substituer un autre ordre de réflexion. Et même de méditation, aucune hargne ou velléité revendicative ne devant venir la perturber. Le rapport de force, la volonté d’élever la voix pour faire taire les autres voix, étant pratiques courantes, il faut obstinément prendre, conquérir, ce recul. Est-il exagéré de considérer que le critique y joue son existence ? Ou qu’au moins, il se donne la possibilité de l’interroger ? Et comment concevoir ce que Georges Poulet nomme la « conscience critique » hors de la conscience, ou de l’inconscience, du critique ? Certes, le professionnel affairé peut décider de ne pas s’arrêter sur un tel ordre de pensée. Il est libre de se dire, notamment quand il est journaliste, que d’autres impératifs le sollicitent. Après tout, ne travaille-t-il pas dans l’urgence, dans « l’au jour-le jour de la production littéraire » (Thibaudet), dans la précipitation et l’accumulation des livres produits, dans la concurrence et les prix ? N’est-il pas dans son milieu ? N’est-il pas un partenaire des autres instances qui constituent ce milieu auquel un engagement tacite de bonne conduite le lie ? Comment peut-il, sans risquer la faute professionnelle, s’accorder le luxe d’un recul, d’une pause ?

Mais il n’est pas non plus interdit de considérer l’urgence intériorisée par le journaliste avec une certaine ironie – surtout lorsqu’on a la chance de ne pas y être soumis. Il peut même être utile, généreux, d’appeler ce même journaliste au calme, à la maturité et surtout au détachement par rapport, précisément, à son milieu. De l’appeler à ne point considérer cette appartenance comme naturelle, allant de soi. Utile aussi de lui enseigner qu’il est bon, parfois, de se retrouver dans la peau de ce critique qui examine sa conscience, ses motifs, ses raisons, ses impasses, son inquiétude. Qui va même jusqu’à interroger son existence. Un critique, en somme, qui applique à lui-même et à sa pratique la vigilance qu’il est censé exercer à l’égard des œuvres d’autrui.

Cette méditation n’ouvre pas forcément sur une aube radieuse…

« Ne sommes-nous pas du mauvais côté : du côté de l’intelligence affaiblissante, et non du côté de la vie ? Il nous arrive d’avoir envie de disparaître, conscient de notre inutilité », constatait Gaëtan Picon, avec une amertume discrète. Peut-être pour se rassurer, il ajoutait aussitôt : « Mais, vous le savez, les affres de la mauvaise conscience sont nécessaires pour fonder la bonne conscience à laquelle nous avons bien droit » (4). Sainte-Beuve, patron de la corporation, avait déjà ce ton désenchanté lorsqu’il voyait le critique, comme une « sorte de Bohémien vagabond et presque Juif errant, en proie à des diversités de spectacles et à des contrastes continuels » (5). Une conclusion s’impose : elles ne sont pas prêtes de se dissiper, les ombres de la mauvaise conscience, ou du moins de la conscience troublée, malade d’elle-même !

Pour soigner sa dépression endémique, le critique a la solution de passer à l’offensive et, par exemple, de se targuer de ce qu’on l’invite à déplorer. A l’endroit même où l’on met son existence en péril, en crise, il peut surenchérir et s’inventer une gloire négative, revendiquer la plénitude invisible de son non-être. Par exemple en affirmant lui-même : le critique n’est personne, et d’ailleurs il doit disparaître (6). Sur ce point précis, des esprits aussi éloignés l’un de l’autre que Maurice Blanchot et Philippe Sollers se retrouvent (7), mais en suivant des voies, des logiques, évidemment opposées. A la fin cependant, en dernière extrémité, au bout de chacune de ces voies, c’est bien une sorte d’absence qui est mise en avant, qui parle. Ce que Jean Paulhan confirme à sa manière en soulignant que « le véritable critique n’a pas à soi de doctrine ni de traits, ou mieux (c’est la même chose) les a tous » (8).

Maurice Blanchot, sombrement hanté par « l’absence d’œuvre » au titre de sa double et inséparable identité d’écrivain et de critique, professe que la critique « est en elle-même presque sans réalité ». Quant au critique, c’est un « personnage fort suspect », un « homme bizarre », une « présence toujours prête à s’évanouir » (9). Ni la sympathie, ni le commerce ancien entre l’œuvre et son lecteur n’ont le pouvoir de s’opposer à cet évanouissement programmé, destinal. Lecteur et pourtant écrivant, le critique reconnaît, partage la « solitude essentielle » de l’écrivain. Et même identifiable et reconnu, revêtu des oripeaux du prestige ou des haillons de l’opprobre, même craint ou moqué, courtisé, imploré ou méprisé, il « est lui-même toujours foncièrement anonyme, il est n’importe quel lecteur, unique, mais transparent. N’ajoutant pas son nom au livre (comme le faisaient jadis nos pères), en effaçant plutôt tout nom, par sa présence sans nom, par ce regard modeste, passif, interchangeable, insignifiant, sous la pression légère duquel le livre apparaît écrit, à l’écart de tout et de tous » (10)

Sur ce thème de la disparition du critique et sur celui, préalable, de son rabaissement, Blanchot insista souvent, en toute connaissance de cause, reprenant d’abord à son compte la réflexion de Paulhan. Il parla avec force du « mépris » que « s’attire la critique qui n’est pas contestation d’elle-même, mais exercice tranquille d’un pouvoir outrecuidant et vain » (11). Par la suite, il développa : « La parole critique a ceci de singulier : plus elle se réalise, se développe et s’affirme, plus elle doit s’effacer ; à la fin, elle se brise. Non seulement elle ne s’impose pas, attentive à ne pas remplacer ce dont elle parle, mais ne s’achève et ne s’accomplit que lorsqu’elle disparaît. Et ce mouvement de disparition n’est pas la simple discrétion du serviteur qui, après avoir joué son rôle et mis la maison en ordre, s’éclipse : c’est le sens même de son accomplissement qui fait qu’en se réalisant elle disparaît. » (12). Il ne se lassait pas de tenter de fixer les traits fuyants de ce « personnage bizarre, illégitime, encombrant, superflu et toujours malveillant (fût-ce par l’excès de sa bienveillance, sa “compréhension”), qu’est le critique » (13).

Quant à Philippe Sollers, il dégage lui aussi le champ littéraire, fait le vide, mais pas du tout au titre d’une vision crépusculaire comme celle de Blanchot. Ici, l’astre, le seul astre qui peut nous éclairer, c’est celui,  non des écrivains, mais de l’Ecrivain, entité quasi mythique auquel l’histoire ou l’actualité littéraire donne le nom qu’elle mérite (14). La littérature, si l’on suit Sollers, est un cénacle hiérarchisé de grands et beaux esprits qui enjambent les périodes historiques pour se retrouver. Esprits assurément condamnés, par leur supériorité même, lorsqu’ils descendent au niveau du public, à l’incompréhension, à la censure, à la vulgarité. Opinion que l’intéressé répète à satiété depuis bien des années sans jamais se lasser. Et pour cause : le système argumentatif simple, presque simpliste, se renforce de tout mouvement d’humeur, objection ou velléité de contestation qu’on voudrait lui opposer. Une formule résume cette dialectique : plus vous me critiquez, plus vous luttez en ma faveur sans le savoir, plus vous me confirmez et m’élevez dans mon être. Sollers avait jadis prévenu : la seule « attitude critique » exigible, c’est celle que les écrivains ont « vis-à-vis d’eux-mêmes » (15).

Dès lors, toute manifestation du critique, comme séparé de l’écrivain, libre et autonome à son égard, soumettant les œuvres à son propre tribunal, élaborant par addition et confrontation, une conception (une idée) de la littérature, n’a pas lieu d’être, n’a lieu que de na pas être. Gaëtan Picon avait analysé cette secrète et insistante aspiration :

« Ce que l’artiste désire, il semble que ce soit un regard muet, une contemplation tacite, une adhésion sans voix. L’œuvre se veut comparable à un soleil : souhaitant d’être vue, sans doute, mais dans un éblouissement qui interdise de la dévisager. Vécue, contemplée, certes : non point critiquée, commentée, jugée » (16).

Lorsqu’elle s’avise de sortir du rôle – subalterne et suffisant – qui lui est imparti dans le circuit public et promotionnel de l’édition, la critique révèle sa vraie nature : grossière, pinailleuse, sourde au génie, jalouse (forcément) de l’intrinsèque intelligence de la littérature telle que l’incarne l’Ecrivain. Retour à la vieille rhétorique. C’est en surplomb au-dessus de cette vulgarité, que Sollers, assidument, depuis des décennies, écrit sur l’un ou l’autre de ses pairs de tous les temps et contrées. Bien évidemment, dans cette tâche de lecture assidue et empathique, il ne fait pas exercice critique. Il prolonge, exalte et amplifie par son dire l’œuvre littéraire qu’il prend sous sa protection. Il met ainsi en lumière tel génie singulier, non en s’effaçant devant ou derrière lui, mais en s’y associant étroitement, en témoignant, dans le commerce heureux des grands esprits, d’une intime connaissance. Bon sang ne saurait mentir. En revanche, toute pensée de retrait, d’humilité, de secondarité est rigoureusement bannie. La conscience critique séparée, inquiète d’elle-même, dès qu’elle prétend exister, programme sa propre abolition –  au profit de la conscience, forcément bonne, omniprésente et omnisciente, solaire, triomphante, de l’Ecrivain.

Quatre gros volumes (17) attestent, au cours de ces dernières décennies, de l’énorme, et souvent remarquable, travail de lecture de Sollers – avec une large place accordée à la citation dont l’auteur maîtrise hautement l’art. Travail accompli le plus souvent en qualité d’invité de marque des journaux et des magazines, mais ne se donnant jamais explicitement pour de la critique, se donnant même toujours, implicitement, pour de la non-critique. Dans les milliers de pages des volumes cités, pas de réflexion, cela va sans dire, sur la critique, pas de préface méthodologique. En revanche, un plan concerté mais invisible, un dessein grandiose mais tu. L’établissement de la bibliothèque (et de la librairie) comme espaces d’appropriation et d’orchestration, sont des moments essentiels de ce que Sollers nomme lui-même une « stratégie » dans le bref « Avertissement » d’Eloge de l’infini :

« Il ne s’agit pas ici d’un recueil mais d’un véritable inédit, chaque texte ayant toujours été prévu pour jouer avec d’autres dans un ensemble ouvert ultérieur. Dans un tel projet, encyclopédique et stratégique, les circonstances doivent se plier aux principes. »

Ainsi, sans nier les « circonstances » (l’actualité éditoriale), l’écrivain les « plie » et les range au service des « principes » littéraires qui le guident. D’ailleurs, à l’hommage rendu aux grandes œuvres du passé, se mêlent, dans chacun des volumes, des textes divers, interventions, entretiens ou réponses à des enquêtes qui se rapportent, avec le même élan d’admiration et de (re)connaissance, à l’œuvre propre… de Sollers qui, de plein droit, participe de « l’ensemble ouvert » en construction. Les adjectifs « encyclopédique » et « stratégique » s’en trouvent alors pleinement justifiés.

Dans le paragraphe suivant du même « Avertissement », Sollers précise à qui il s’adresse : aux « musiciens de la vie » (sic). Il établit ensuite la liste, sans doute non-exhaustive, de ceux à qui il tourne le dos, séparant ainsi le monde entre bons et mauvais, forts et faibles, supérieurs et inférieurs, lecteurs avisés et lecteurs manipulés, seigneurs et ilotes. L’énumération prend la forme d’une cascade rimée. Notons quelques-unes de ces catégories méprisables : « employés d’édition véreux », « journalistes mafieux », « clergé intellectuel haineux », « universitaires fumeux », « médiatiques pressés graveleux », « moralistes rancuneux »… Et aussi : « déprimés », « fanatiques de l’autodestruction programmée » (18). Le critique n’est pas nommé, mais il se reconnaîtra. Avant de fuir cette lumière trop forte pour lui, cette musique trop belle, cette vie trop large, honteux, couvert de cendres…

Deux ordonnances d’anéantissement donc. La première qui entraîne la littérature elle-même dans son sillage. La seconde qui vise la critique dans son exercice ordinaire et sa (supposée) prétention, pour mieux sauver la littérature et s’exalter en elle. Face à de tels ukases, il est temps de rebrousser chemin. Non pour élever des protestations ridiculement corporatistes, mais pour prendre acte qu’une tâche, un effort, une obstination, une liberté, ne sont pas reconnus. Là, dans l’écart, on peut avancer une définition qui, avec un sourire aimablement provocateur, répond à la question posée plus haut :

 LE CRITIQUE EST UN ECRIVAIN COMME LES AUTRES

C’est Roland Barthes qui écrivait : « Le livre est un monde. Le critique éprouve devant le livre les mêmes conditions de parole que l’écrivain devant le monde » (19). Et un peu un plus tôt, avec un accent presque blanchotien :

« Même si par fonction il parle du langage des autres au point de vouloir apparemment (et parfois abusivement) le conclure, le critique, pas plus que l’écrivain, n’a jamais le dernier mot. Bien plus, ce mutisme final qui forme leur condition commune, c’est lui qui dévoile l’identité véritable du critique : le critique est un écrivain. C’est là une prétention d’être, non de valeur ; le critique ne demande pas qu’on lui concède une “vision” ou un “style”, mais seulement qu’on lui reconnaisse le droit à une certaine parole, qui est la parole indirecte » (20).  Je souligne : « … les mêmes conditions de parole », « … une prétention d’être, non de valeur ».

Se faire gloire de n’avoir « jamais le dernier mot »… Quel calme, quelle paix soudain ! Comme par enchantement, l’incendie est éteint, les incendiaires renvoyés à leurs préjugés. Et la crise d’identité sur laquelle j’avais imprudemment prévu de me prononcer trouve une forme d’apaisement. Toujours mélancolique, le critique regagne alors  un peu du terrain perdu. Il ne s’installe pas en conquérant, mais vaque à ses occupations, en promeneur, en amateur, presque en dilettante. Lui manquent et lui manqueront toujours la science exacte et l’autorité infaillible ironiquement attachées à sa fonction par ceux qui veulent la moquer, la nier. A nouveau, il a confiance, non en lui même mais dans les œuvres – et non dans les écrivains baignant dans le chaudron de leurs vanités –, ces œuvres passées, présentes et à venir, qui s’offrent à lui gratuitement, qui ne lui demandent rien, ni la louange ni l’insulte. Tout juste l’attention. Allons, se dit-il, je ne travaille pas tout à fait en vain, ma tâche n’est pas, comme on me le serine, lettre morte… Mais je dois rester lucide, ne pas me raconter d’histoire… Car si je ne suis pas un artiste, un romancier, je n’ai pas non plus vocation à devenir personnage de roman, héros de fable. Au fond, c’est d’une forme d’ascèse qu’il s’agit. Je ne cherche pas à me faire un nom, à l’astiquer comme un vieux cuivre… juste à ne pas perdre tout à fait le mien.

PATRICK KECHICHIAN

(Ce texte est paru une première fois dans Les Temps modernes, N°672, janvier mars 2013, « Critiques de la critique », dossier dirigé par Jean-Pierre Martin)

(« Patrick Kéchichian », photo Stéphane Ouzounoff  : « Dans le jardin de Gallimard. De gauche à droite : Benjamin Crémieux, Jacques Audiberti, Jean Schlumberger, Ramon Fernandez, André Malraux, Jean Paulhan, Marcel Arland (années 1930), collection Dominique Fernandez ; « Jean Paulhan » photo D.R.)

 

(1) Philippe Sollers à qui l’on demandait de se prononcer sur « l’événement littéraire le plus négligeable du XXe siècle » avait répondu : « Toute la critique littéraire » (Lire, n° 257, été 1997).

(2) « La critique : la lire, l’écrire, la subir ou en profiter ? », in La Critique, le critique, actes d’un colloque qui s’est tenu en mars 2004 à Paris, sous la direction d’Emilienne Baneth-Nouailhetas, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 22-23.

(3) Frédérique Toudoire-Surlapierre, Que fait la critique ? Paris, Klincksieck, 2008, p. 47. Ouvrage à la fois synthétique et analytique auquel j’ai eu plusieurs fois recours pour la présente réflexion.

(4) Situation de la critique, actes du premier colloque international de la critique littéraire, Paris, 4-8 juin 1962, publication du Syndicat de la critique littéraire, p.7-9.

(5) Critiques et portraits littéraire, II, Paris, 1836, « Pensées diverses », p. 489.

(6) Sur ce point, je me permets de renvoyer au texte d’une intervention que j’ai faite au colloque de Paris VII, « Les Facultés de juger II : critique et violence » (Paris, 5 et 6 avril 2012). Le titre de ma contribution était : « Quand le critique fait défaut : Fénéon, Paulhan, Blanchot ». A paraître dans la revue Textuel.

(7) Sollers parle d’un « coup de foudre d’antipathie mutuelle » à propos d’une lointaine rencontre avec Blanchot, probablement au milieu des années soixante (Le Débat, N°171, septembre/octobre 2012, p.120).

(8) F.F. ou le Critique, Paris, 1943, Ed. Claire Paulhan, 1998, p. 83.

(9) Lautréamont et Sade, Paris, Minuit, 1949 ; préface (p. 9-14) de la réédition (1963) et début du chapitre « L’expérience de Lautréamont », p.55-58.

(10) L’Espace littéraire, Paris Gallimard, 1955, « L’œuvre et la communication », Folio/Gallimard, p.254-255.

(11) « Le Mystère de la critique », à propos de F.F. ou le Critique, de Paulhan, Journal des Débats, 6 janvier 1944. Repris dans Chroniques littéraires du Journal des Débats 1941-1944, éd. C. Bident, Paris, Gallimard, 2007, p. 533-536.

(12) Lautréamont…, op.cit., p.10.

(13) L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 465-466.

(14) Une citation de Proust (sans indication de source, mais tirée du Contre Sainte-Beuve, § « Sainte-Beuve et Balzac ») dans la préface de La Guerre du goût, justifie et chante le triomphe du singulier : « Tous les grands écrivains se rejoignent sur certains points, et sont comme les différents moments, contradictoires parfois, d’un seul homme de génie qui vivrait autant que l’humanité. »

(15) Logiques, Paris, Seuil, 1968, « Le roman et l’expérience des limites », p. 233.

(16) L’Ecrivain et son ombre, Paris, 1953, Gallimard, « Tel », 1996, « L’œuvre comme énigme », p.12.

(17) La Guerre du goût (1994) ; Eloge de l’infini (2001) ; Discours parfait (2010) ; Fugues (2012), Paris, Gallimard.

(18) Eloge…, op.cit., p. 9.

(19) Critique et vérité, Paris, 1966. Œuvres complètes, de Roland Barthes, t.II, Paris, Seuil, 2002, p. 793

(20) Essais critiques, Paris, 1964, Œuvres, op.cit., préface de l’ouvrage, p. 273.

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF.

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commentaires

16 Réponses pour Pour saluer Patrick Kéchichian

alive dit: à

puisque vous avez été presque le premier à dire ce qui était attendu en ces moments critiques ..

Sant'Angelo Giovanni dit: à


…la critique pour moi,…doit tout être à la fois,…
…une chose quelconque insignifiante,…et son contraire,…
… un bijou précieux,…une source de réflexions et de projets,…un nuage de leurres et d’espoirs,…
…des convictions de revivre pour les lecteurs égarés,…
…un Aspro ou le blog à Pierre Assouline,…il faut choisir,…etc,…

versubtil dit: à

Passionnant article qui nous parle d’un instant de la critique par un observateur « du dedans ».
Étrange cependant qu’il ne soit aucunement fait allusion au colloque de Cerisy de 1966 édité en 10/18 en 1968 et intitulé : » Les chemins actuels de la critique ».

Pourtant, de Genette à Dominique Noguez avec son « choix bibliographique » commenté, il y a matière à affiner le débat outre le rapport Blanchot/Sollers, fort intéressant au demeurant.
Ce que vous dites, Patrick Kéchichian, à propos de la statégie Sollers serait à vérifier avec l’ exemple de son célèbre entretien avec Francis ponge et comment ce dernier le renvoya plus tard « dans les roses »!
On a bien évidemment l’envie de se procurer au plus vite le numéro des Temps Modernes d’où votre article est extrait.
Bien à vous.

La mauvaise langue dit: à

Beaucoup de verbiage pour une réflexion somme toute assez mince. Confusion entre critique qui juge et critique qui analyse. Le critique, si intelligent soit-il, ne sera jamais l’équivalent d’un écrivain, l’alchimiste qui transforme la boue en or. Barthes se ment à lui-même, il n’est jamais parvenu à écrire un roman !

Toutes formes de critique sont nécessaires et utiles, des commentaires de blog en passant par des articles de la grande presse, plus ou moins pertinent, plus ou moins haineux ou louangeurs, jusqu’aux revues plus ou moins savantes et aux ouvrages universitaires. Même si des journalistes se trompent lors de la sortie d’un ouvrage, leur erreur forme du sens, elles disent des normes conscientes ou inconscientes de l’institution littéraire et il peut être intéressant de les remarquer après coup pour mieux comprendre l’œuvre, son originalité, les changements de normes, de sensibilité, de vision qu’elle instaure peut-être.

Toute lecture est bonne à partir du moment où elle s’efforce sincèrement de lire avec intelligence et la compétence qui est la sienne. Les grands esprits ne sont pas forcément faits pour se comprendre les uns les autres. Voltaire par exemple ne comprend rien à Pascal, rien à Rousseau. On pourrait citer tant d’exemples. Il est bon que le critique ne soit rien, ou qu’il sache du moins s’effacer devant l’œuvre pour pouvoir porter sur elle un regard qui soit lavé de ses obsessions qui en déformeront le sens. Beckett lisant Proust en dit plus sur Beckett que sur Proust, Charles Dobsinski lisant Corneille en dit plus sur Charles Dobsinski que sur Corneille, etc. Les lire n’est pas inintéressant mais il faut savoir ce qu’on lit.

Un critique peut-il juger une œuvre ? On ne voit pas pourquoi il ne le pourrait pas, à ses risques et périls, je dirais. Il le peut mais il engage alors autant sa sensibilité que l’objectivité de l’œuvre. On peut trouver Montherlant insupportable tout en lui reconnaissant une certaine grandeur ; on peut trouver la foi chrétienne de Mauriac bien bourgeoise et lui préférer les tourments dostoïevskien à la Bernanos, on peut juger le premier inférieur au second pour cette raison. Mais tout est en définitive une question tellement subjective ! Néanmoins, il est clair que chaque lecteur a son panthéon intérieur qu’il est prêt à défendre bec et ongle à la première occasion.

La mauvaise langue dit: à

L’intelligence d’un écrivain ou plus exactement le type d’intelligence qu’il utilise pour écrire n’est pas du même ordre que l’intelligence analytique du critique. Le critique peut avoir du talent pour écrire, mais ce type de talent n’a pas de rapport avec celui que met en œuvre un écrivain pour écrire. Un critique qui a du talent comme Barthes n’est que celui qui poétise le monde tandis qu’un écrivain est celui qui le recrée comme Dieu à partir de la boue. Ce n’est pas du même ordre.

Court, dit: à

Charles Dobsinsky? Ce ne serait pas plutot Serge Doubrovsky? Belles pages ouje n’atendais pas le passionné d’Ernest Hello. Sur la question de l’adresse, l’inadéquation peut etre dramatique. il me souvient d’un feuilleton de Pontmartin sur la Sorcière de Michelet etd’autres du meme sur Flaubert, qui ne sontpas mal dans le genre.
MCourt

Paul Edel dit: à

assez bin article sur la critique,mais on sent quand même que Kechichian n’a pas digéré la place que prenait Sollers dans le même journal que lui. La » guerre du gout » de Solelrs est un vrai combat contre la médiocrité d’une partie de la critique littéraire des années 80- 2OOO. et ses articles étaient pétulants, gais, agréables à lire et pleins de bonne citations. autre chose que la grisaille des eric chevillard ou christine rousseau.

vous avez dit critique? dit: à

Critique.

« Au cas où je ne l’aurais pas déjà écrit ailleurs (et quand bien même), je me suis souvent demandé pourquoi l’on qualifiait de « nouvelle » celle qui fit tant de bruit, et pour certains tant de scandale, au début des années soixante. Nouvelle, elle l’était sans doute par rapport à l’histoire littéraire dont se nourrissait la « vieille Sorbonne » (qui avait été au temps de Péguy la « Sorbonne moderne »), mais rien d’essentiel, à mon sens, ne la distingue de la critique extra-universitaire de l’entre-deux-guerres, elle-même héritière, au tournant de l’entre-deux-siècles, des révoltes d’un Proust contre Sainte-Beuve ou d’un Péguy contre Lanson. Comme tous les labels de cette sorte, celui-ci eut une certaine vertu médiatique : dans les années soixante, cette pratique était reconnue pour un genre littéraire à part entière, et le moindre recueil d’essais critiques avait droit au « rez-de-chaussée » du Monde. Mais je le trouve en l’occurrence un peu abusif; inutile­ment abusif, au reste, car la nouveauté n’est jamais un mérite en soi. Le « chemin » de la critique littéraire est sans interruption notable depuis un bon siècle, et je pense que l’on aurait dû plus souvent rendre justice à ces maîtres qu’étaient, selon les détours propres à chacun, Valéry, Charles du Bos, Albert Thibaudet ou Jean Prévost. Au reste, Georges Poulet, Jean-Pierre Richard ou Jean Starobinski n’y ont pas manqué, mais c’est à la critique jour­nalistique que cette mémoire faisait défaut, d’où le qualificatif abusif. Je me souviens aussi de ma lecture, à la fin des années qua­rante, du Racine de Thierry Maulnier, du Plaisir à Corneille de Schlumberger, du Rousseau de Groethuysen, des Cinq tentations de La Fontaine de Giraudoux, des Morales du grand siècle de Bénichou, et surtout peut-être d’un recueil d’essais brefs et très libres publié chez Gallimard sous le titre Tableau de la littérature française de Corneille à Chénier- où je découvris, avec des hauts et des bas, ce que pouvait être la critique pratiquée comme un des beaux-arts.
Mais dire que la « nouvelle » remonte en fait au début du XXe siècle, c’est peut-être encore ne pas lancer le bouchon assez loin en arrière. Poulet allait nous annoncer, à Cerisy, que Proust avait fondé la « critique thématique » ; je ne suis pas sûr qu’il ne faille pas chercher plus tôt les prémices de la critique moderne : en France, du moins, on peut bien remonter à Baudelaire, à l’ensemble de ces

études que l’on a réunies après sa mort sous les titres de L’Art romantique et de Curiosités esthétiques. Je ne veux pas développer ce rappel superflu, mais juste insister sur ce détail, qui n’en est pas un : l’œuvre critique de Baudelaire ne porte pas seulement sur la littérature (Hugo, Balzac), mais aussi et d’abord sur la peinture (Delacroix, Constantin Guys et autres) et sur la musique (celle de Wagner). Cette nouveauté-là n’a pas vieilli, bien au contraire. »
Gérard Genette Bardadrac collection Fiction & Cie Seuil

alive dit: à

l me semble que Sollers,dont j’ai aimé beaucoup les critiques aussi, se plaignait que le critique en lui avait fait de l’ombre à l’écrivain qu’il est aux yeux de tous les publics les lettrés et les nouveaux venus

Court, dit: à

J’ai beau chercher, je ne vois pas qui Genette à en tete lorsqu’il parle d’une critique héritière du combat de Péguy contre Lanson, d’autant qu’institutionnellement, c’est le lansonisme académique qui est vainqueur avec le médiocre Mornet.
J’avoue d’ailleurs une grande sympathie pour Gustave Lanson, dont l’esquisse d’une breve histoire de la Tragédie reste un livre fort.

MCourt

Paul Edel dit: à

Alive.
je vois souvent Sollers au café. Chance. et je peux vous dire qu’il ne m’a jamais dit que le critique qu’il est avait « fait de l’ombre » à l’écrivain qu’il est. Il l’a peut-être dit ailleurs. Possible .
ce qui me frappe, au contraire, c’est son combat intelligent et urgent pour que la lecture, la mémoire littéraire,n la liberté litérauire, -de sade à breton, de Lautreamont à Ezra Pound…. continue
la continuité littéraire française, c’est capital. Comme celle, allemande, qui va de Hölderlin à Gadamer et pour les autrichiens, de Broch à Thomas Bernhard…..que ces longues lignées de grands écrivains nous protègent.. soient au centre du dispositif ; de Voltaire (antisémite) à Proust qui serait stupéfait des manifs contre le mariage pour tous.. On peut trainer de trainer au tribunal de Sade (Simone de Beauvoir, déjà..) à Zola et Balzac (pages antisémites..) de Baudelaire conchiant les socialistes.. De Bernanos (qui fut maurassien..) à Gide( le pédophile au maroc….) à Giono l’écolo pacifiste intransigeant en 1939..donc prison…. sans oublier Sartre si pro stalinien pendant quelques années après avoir fait jouer ses pièces sous Pétain. Arrêtons le massacre moraline.. Pus grave :
la critique actuelle est bien obligée par ses rédactions en chef de « coller » au gout du grand public..Musso, Levy, Nothomb, etc..Jean Teulé..Philippe Besson.. ces malheureux critiques, pour vivre, finissent par « vendre » des proses qui n’ont rien de littéraire. Ils le savent bien. mais pour gagner sa vie et une « pige » sont bien obligés d’en passer par là.Pour gagner une pige de 1OO ou 2OO euros.. il faut se plier aux gouts du « grande » public.. Suivez l’économique..et là on comprend tout.. parlez nous de la vie de Musso, ,de celle d’amelie, des « ‘portraits » de ces « auteurs » couvrent des pages de la presse féminine ou des hebdos parce que c’est ce qui se vend.. le polar,la bd et le thriller à l’américaine couvrent maintenant presque l’ensemble du « champ littéraire » des journaux.., du récit au kilomètre. pourquoi pas. et aucune réflexion conscience de ce qu’est la littérature. C’est là que les blogs oeuvent, dsdorlmais intervenir, P. Assouline le fait en parlant de Jaccottet ou de Quignard
Sollers continue seul sa « guerre du gout », de Bussy Rabutin à Stendhal l’italien insolent aujourd’hui avec sa frénésie de bonheur et d’amours ratées.. et à Artaud le momo. Sollers nous rappelle qu’il les voit comme des « actuels » à relire de toute urgence. C’est notre Diderot pour le style.sa
gaie lecture

Jean Marie dit: à

Quant à Philippe Sollers, il dégage lui aussi le champ littéraire, fait le vide, mais pas du tout au titre d’une vision crépusculaire comme celle de Blanchot. Ici, l’astre, le seul astre qui peut nous éclairer, c’est celui, non des écrivains, mais de l’Ecrivain, entité quasi mythique auquel l’histoire ou l’actualité littéraire donne le nom qu’elle mérite (14). La littérature, si l’on suit Sollers, est un cénacle hiérarchisé de grands et beaux esprits qui enjambent les périodes historiques pour se retrouver. Esprits assurément condamnés, par leur supériorité même, lorsqu’ils descendent au niveau du public, à l’incompréhension, à la censure, à la vulgarité. Opinion que l’intéressé répète à satiété depuis bien des années sans jamais se lasser. Et pour cause : le système argumentatif simple, presque simpliste, se renforce de tout mouvement d’humeur, objection ou velléité de contestation qu’on voudrait lui opposer. Une formule résume cette dialectique : plus vous me critiquez, plus vous luttez en ma faveur sans le savoir, plus vous me confirmez et m’élevez dans mon être. Sollers avait jadis prévenu : la seule « attitude critique » exigible, c’est celle que les écrivains ont « vis-à-vis d’eux-mêmes »

Cela est fort bien observé avec la formation du cénacle Haenel, Meyronnis et compagnie, qui nous resservent des concepts philosophico-littéraires mal digérés.
Cette stratégie S. a tellement bien pris que l’ex prestigieux journal du soir a organisé ses critiques avec l’aide essentiellement d’écrivains. De Chevillard à Nothomb et j’en passe…
Il existe bel et bien le milieu « grandécrivains » en France alors que par ailleurs la littérature ne s’est jamais autant ouverte par la traduction aux autres langues du monde.
Sollers fait très province, bordelaise plutôt.

Paul Edel dit: à

Jean- Marie, j’aime à la fois la critique universitaire, de Lanson à Poulet, de Genette à Lejeune ou Steiner , que cette critique quelle soit psy,marxiste ou sociologique, mais je trouve que la critique rédigée par les écrivains est fascinante :souvenez vous de Baudelaire sur Flaubert, Barbey d’Aurevilly le magnifique sur ses contemporains ou ses longs papiers sur Shakespeare.., paul Valery sur Stendhal ou Voltaire, Mauriac sur Racine, Giraudoux sur la fontaine, Gide sur Montaigne, ou Kundera sur Kafka et Broch
et Blanchot, sacrée balise.. et le Gracq méditant sur le romantisme francais ou allemand ou sur le Naturalisme..grandes pages..
Sartre, c’’est étrange et plein d’œillères e de partis bizarres (Faulkner ou le Nouveau Roman) Il ne faut pas bien sur opposer la critique universitaire (Beatrice Didier ou Crouzet sur Stendhal.) à celle des écrivains- journalistes enfoncés dans le papier au jour le jour ,comme Pierre Assouline . Je pense à François Nourissier sur la génération finissante d’ aragon, mais aussi à ce qu’il a écrit sur annie Ernaux ou Duras au moment mêle où les romans sortaient, comme j’aime les journalistes tres récents : Lebrun, ou Kechichian.
Oui, Sollers fait allusion aux « happy few » de Stendhal. C’est sa conception aristocratique. Elle est combattante gaie. Et il palide pour un art francais voltairien. pourquoi pas si ses « papiers » sont intéressants à lire et donnent envie d’y aller voir ?… Il en a écrit d’excellents sur la Sévigné , Breton, Sade, Celine.et sa bonne humeur -qui n’est pas souvent dans les gênes de la critique littéraire- ne fait pas de mal.. enfin il y a le cas Roland Barthes, qui a changé le centre de gravité de la critique universitaire. Il a aussi bien écrit sur le Nouveau Roman aussi bien que sur Balzac ou Marivaux, Brecht ou Michelet
Perso j’aime bien le philosophe Deleuze sur Proust. Ou l’italien Citati sur les romanciers du XIX et les romancières, de Jane Austen à I. Bachmann.

Jean Marie dit: à

Je vous entend bien Paul Edel, j’ai moi-même lu dernièrement avec un grand intérêt Délit de fiction, la littérature,pourquoi de Luc Lang ( folio essais-inédit Gallimard ) alors que je n’ai paradoxalement jamais parcouru l’un de ses romans!

Jean Marie dit: à

« Oui, Sollers fait allusion aux « happy few » de Stendhal. C’est sa conception aristocratique. »

Je vous citerais bien l’intitulé d’un chapitre extrait de l’essai de Miguel Egana,Bête comme un peintre, Fage éditeur, cher Paul Edel.
Ce qu’il nomme : « l’aristocrate des pissotières »,en référence à Duchamp et à l’aristocratisme de son ready made que l’auteur marque dans la filiation conceptuelle de Whistler et de Mallarmé..et Baudelaire.
( Un excellent sujet pour votre blog, ce rapport Whistler/Baudelaire/Mallarmé!)

et alii dit: à

Même si l’on ne peut contester que c’est « l’auditoire qui motive la critique » journalistique (3), n’est-ce pas établir le critique dans un périmètre d’action bien restreint, exilé loin de l’artiste et de son art ? Son métier n’est-il pas justement de faire sans cesse – en toute indépendance s’il se peut – le va-et-vient entre l’écrivain et le public ? Présenter le critique, parce qu’il n’est que journaliste, comme étranger à l’écrivain et à son œuvre, c’est à nouveau le réduire à peu de chose : au rôle dérisoire et infâmant de prescripteur par exemple
RDL

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