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Un SMS pour lettre d’@dieu

Un SMS pour lettre d’@dieu

Par Bernard Morlino

AVT_Bernard-Morlino_9521On avait quitté Pierre-Louis Basse quand il jouait à l’écrivain fantôme auprès de François Hollande (Le flâneur de l’Elysée, Stock 2017). On le retrouve avec Je t’ai oubliée en chemin, (Cherche Midi, 125 p., 17 €) en proie à une peine de cœur qu’il a transcendée dans un récit sur la corde raide. Une mise à nu. Un  livre confession qui se lit comme un roman puisque les lecteurs ne connaissent ni l’auteur ni les autres protagonistes. Un texte aussi personnel ne se trouve pas au coin d’une rue même si Pierre-Louis Basse aime les sillonner en long en large, notamment celles aux portes de Paris où il note qu’il n’y a que des gens bizarres, c’est-à-dire ni dans ni hors la ville, d’où leur malaise. Pierre-Louis Basse a les mots pour exprimer ce qu’il veut dire et même un peu plus, comme le permet le mélange de grammaire et de sentiments, dès lors qu’on ne triche pas avec la solitude. La sienne est à couper au couteau, hors mis la présence de sa fille, le diamant de sa vie.

L’enfance en bandoulière, il est l’orphelin inconsolable qui ne se remet pas de ne plus pouvoir avaler son petit déjeuner sur la table en formica sous le regard de ses parents. Deux morts qui meurent un peu plus chaque jour. Un fait inadmissible pour le fils. Inadmissible et intolérable. Parfois, il arrive à se blottir dans les bras d’une femme mais il a toujours la terrible impression d’aimer plus qu’on ne l’aime. Aucune femme n’est jamais parvenue à lui faire oublier toutes les autres. Dans son nouveau livre- où il a l’honnêteté de ne pas mentionner roman- le narrateur, qui ne porte pas d’identité spéciale (et pour cause !), relate sa dernière mésaventure sentimentale : au bout d’une liaison de 7 ans- 7 comme les grands ailiers du football (PLB fut une grande voix du ballon rond sur Europe 1), ces «enfants perdus» selon Montherlant  – il se fait larguer par sa dernière maitresse en date qui rompt par SMS.

Cette façon de déguerpir déclenche chez l’éconduit une réflexion sur le monde moderne, entre autres la brutalité de sa technologie qui contamine les relations amoureuses.  Il a l’horrible sensation  d’être jeté comme on fait glisser un fichier de notre ordinateur dans la poubelle. Tout se fait par écran interposé, même plus besoin d’affronter le réel. Et si l’amour qu’il avait vécu  ne fut qu’une fiction ? A force de tapoter sur nos claviers tout devient virtuel. Cependant quand on remplit la poubelle, il faut encore la vider. Pierre-Louis Basse s’en charge. Remonter le passé récent à contre-courant va lui permettre un salutaire examen de conscience.

machenLe but ? Ne pas perdre le goût de vivre. Au terme d’«Avec le temps», Léo Ferré écrit que l’on n’aime plus. «Plus» dans le sens plus jamais, plus du tout ou ce «plus»signifie-t-il encore davantage ? L’écorché vif a la fâcheuse tendance d’être toujours touché en plein cœur, au point d’aller jusqu’à la crise cardiaque. Dans la peau d’un écrivain, il est obligé d’écrire pour enfin donner corps  à la femme enfuie qu’il a serrée dans ses bras. Son caractère l’incite à vivre le présent comme si c’était déjà un souvenir. Au fond de lui il sait qu’il a quatre femmes dans sa vie : sa mère, sa fille et ses sœurs. Une certitude : il est sûr qu’elles ne le laisseront pas tomber. Même disparue, sa mère lui parle. Douce illusion. Question de feeling avec les forces de l’esprit.  Les absents n’ont pas toujours tort. Le fils unique est devenu le patriarche depuis la perte de son père. Désormais, un petit-fils est tombé du ciel. Le plus beau cadeau de sa fille. Les prochaines conquêtes de l’écrivain devront en avoir sous le capot ! A vrai dire, il n’est pas conquérant. Plutôt conquis. Casanova part toujours le premier mais Don Juan, lui, reste sur le carreau.

Le narrateur aime le début des rencontres qui laisse planer tant de beaux moments à éclore. Sorte de parent proche du Charles Denner de L’homme qui aimait les femmes de François Truffaut, il  est certain qu’à cette époque de découverte l’autodestruction n’accomplit pas encore ses ravages. Persuadé que tous les bonheurs sont provisoires, il est hanté par la rupture. Toutes ses petites morts qu’il a collectionnées transforment son parcours en herbier amoureux. Le présent file tellement à un train d’enfer qu’il n’y a de paradis que les paradis perdus. On n’entre pas sans risque dans la solitude des autres. Au fil des pages, la femme qui a pris la poudre d’escampette apparaît sous les traits d’une comédienne qui joue dans la vie les rôles qu’aucun metteur en scène  ne lui offre. Elle serait prête à tout plaquer la veille de son mariage si un nouveau Patrice Chéreau la dirigeait dans une pièce de Tchekhov.

La mort rode dans Je t’ai oubliée en chemin. La mort et l’amour sont liés à vie. Il nous arrive de penser que l’amour est un microbe qui nous atteint quand nous avons le moral au plus bas. Cela brouille notre jugement au point de trouver intéressantes des personnes qui sont en fait d’une banalité consternante. Une fulgurance de Baudelaire épouse la dimension spirituelle du nouveau livre de Pierre-Louis Basse :

«L’amour est un crime où l’on ne peut pas se passer de complice».

Au détour d’une proses ans clichés à la mode, Je t’ai oublié en chemin comporte des scènes érotiques plus proches d’Apollinaire que de Marc Dorcel. La littérature a le pouvoir de transformer des échecs en succès. On est presque tenté de féliciter l’amour en fuite.

BERNARD MORLINO

(« Bernard Morlino » photo D.R. ; « Solitude dans la ville » photo Machen)

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Littérature de langue française.

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commentaires

2 Réponses pour Un SMS pour lettre d’@dieu

christiane dit: à

Magnifique billet de Bernard Morlino qui donne envie d’ouvrir ce livre de Pierre-Louis Basse. les ruptures…

Soleil vert dit: à

Beau billet en effet.

Le Cherche Midi commence enfin à s’intéresser à la littérature.

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