1914, année Péguy
« Où est votre semaine ? Quelle sera votre fête ? Quel est votre anniversaire ? Quel jour sera le jour de votre commémoration ? Quel jour les petits arrivistes ultérieurs célèbreront-ils, organiseront-ils votre glorieux cinquantenaire, votre centenaire, votre bi-, votre cinq-centenaire. Il faut tout cela pour l’histoire « [1].
Tels sont les mots que Péguy prête à Clio, la muse de l’histoire, dans A nos amis, à nos abonnés, texte de juin 1909 qui ressasse l’échec du dreyfusisme dont le gérant des Cahiers de la Quinzaine fait une tragédie personnelle et nationale. En commémorant le centenaire de sa mort, en dédiant à Péguy non pas une semaine, mais toute une année, cette année 2014 au long de laquelle se succèderont des manifestations diverses, L’Amitié Charles Péguy espère bien ne pas être de ces « petits arrivistes ultérieurs » que fustige par avance Clio. C’est un hommage à une œuvre vibrante encore de la passion qui l’anima, à une pensée « actuelle » que nous voulons rendre, nous, lecteurs de Péguy, nous, ses amis, qui lui sommes redevables de nos engagements, de nos lucidités, de nos émois poétiques et spirituels.
Péguy, toujours dans A nos amis, à nos abonnés, déplorait la faillite politique de sa génération, lui refusant toute inscription dans l’histoire :
« nous serons petits, nous serons ordinaires, nous serons moyens, ou plutôt nous ne serons pas du tout. On ne s’occupera pas de nous. […] Nous ne serons jamais grands ; nous ne serons jamais connus ; nous ne serons jamais inscrits. Nous ne serons jamais grands[2] ».
Aujourd’hui, nous pouvons faire mentir cette prédiction, mais pas en n’importe quel sens. La grandeur que nous reconnaissons à Péguy est celle de son génie, et certes nous sommes petits devant lui, que nous trouvons notre joie à servir, car même en ce monde qui ne croit à rien, en ce monde « qui fait le malin », il y a peu d’occupation aussi belle, bonne et gratifiante que de servir une œuvre qui nous dépasse, par l’étude, l’enseignement et le partage. On s’occupe de Péguy en 2014, du mieux qu’on peut ; on lui dédie son travail, son temps libre, et je veux ici saluer le dévouement de tous les membres de l’Amitié Charles Péguy qui consacrent leurs talents divers à connaître et faire connaître l’homme et l’œuvre, en lien étroit avec sa famille et le Centre Charles-Péguy d’Orléans.
Péguy a perdu la vie, avec des centaines de milliers de Français, dans une guerre dont il avait compris l’imminence, sans deviner le tour qu’elle prendrait. « Guerre démocratique moderne » telle que Bernanos la fit durant quatre ans et la décrivit au fil de ses œuvres, guerre de masse où la technologie des armes nouvelles devait balayer les idéaux et les représentations d’un juste combat qui animaient Péguy et ses semblables. En cette année 2014, leur mémoire collective est célébrée, la France va s’occuper d’eux, leur dédiant manifestations officielles, commémorations et missions.
En marge de ce grand mouvement national, nous voulons pour notre part fêter un homme qui nous émeut par sa vie passionnée autant qu’il nous impressionne par sa fin héroïque. Cent ans après sa mort prématurée, cette mort dont on dit qu’il la rechercha, rappelons comme il en repoussait le spectre, dans l’urgence de la création : « il ne faut pas que je meure ! » déclarait-il en septembre 1913 à Joseph Lotte[3], conscient qu’il était d’avoir une œuvre à poursuivre. C’est la singularité de Péguy, penseur, poète, qui nous intéresse, et le retentissement de son œuvre en notre époque, plus que son effigie en soldat tombé au milieu de ses hommes pour la Patrie. Les hommes de Péguy, c’est nous, qui vivons aujourd’hui, et le sollicitons pour comprendre ce que nous vivons.
CLAIRE DAUDIN
[1] Charles Péguy, A nos amis, à nos abonnés, Œuvres en prose complètes, tome II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 1287.
[2] Ibid., p. 1282.
(3) Entretien avec Joseph Lotte du 27 septembre 1913, L’Amitié Charles Péguy n° 103, juillet-septembre 2003, p. 292.
8 Réponses pour 1914, année Péguy
Strict minimum. le lyrique est oublié, le contexte peu ébauché. tout cela n’apprend strictement rien, ou pire, ne donne aucune envie d’apporofondir? Devoir de vacances?
MC
N’hésitez pas à consulter le nouveau volume de poésie de Péguy dans la Pléiade (édité par C. Daudin) pour plus sur le lyrique et le contexte…
Mais vous avez la berlue ! des conférences par dizaines, 8 à 10 livres pour l’ occasion, des interviews d’auteurs sur toutes les grandes chaines radio, des pages pleines sur les grands journaux (on attend le Monde et Libé, d’accord), un oratorio donné 8 fois, une commémoration vibrante et nullement cocardière à Villeroy (là ou il est tombé en 14) un timbre avec son portrait par Egon Schiele- (vous connaissez Egon Schiele ?) , des controverses passionnantes au sujet d’un personnage qui s’y prêtait si bien, et même un chemin de rando de 100 bornes pour ceux qui aiment la poésie de Péguy en marchant….qu’est ce qu(il vous faut de plus pour atteindre au lyrisme : cette commémoration est inouïe, vous ne semblez pas avoir prêté suffisamment l’oreille: reprenez-vous, et bien du plaisir ! ?
MC, merci de vous donner la peine de jeter un oeil, voire deux, sur le site dédié à Charles Péguy (www.charlespeguy.fr).
Vous y découvrirez dans le détail, tout ce que Mme Daudin évoque.
Et vous réaliserez alors combien 2014 est effectivement l’année Péguy !
François, je donne mon avis sur le texte lui-même. PAS SUR LES CELEBRATIONS. Et ce texte est d’une platitude de trottoir.
MC
Péguy, Bernanos, d’accord, d’accord. Chacun ses goûts.
Car aussi et surtout Henri Barbusse, Maurice Genevoix, Gabriel Chevalier, Wilfried Owen, Siegfried Sassoon, Erich Maria Remarque, Ernest Hemingway, George Orwell, André Malraux, Vercors, René Char, Roger Stéphane et tout et tout…
A chacun ses goûts.
Bien d’accord, Bloom.
Pour moi, 14-18, c’est les années Apollinaire. Le très beau livre de Laurence Campa, « Guillaume Apollinaire », qui nous fait partager avec une sensibilité rare le monde intérieur de ce géant des lettres, homme exquis aussi.
« La guerre ,c’est Obus-roi »….
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