Louable nostalgie de la République des Lettres
Parfois, plusieurs jours s’écoulent entre deux billets de la « République des livres. Il arrive que l’on me le reproche. Pourvu que ça dure… N’y voyez aucune négligence de ma part. C’est juste que le livre en question est si riche, il est une telle fête pour l’esprit et la curiosité, que je m’accorde ce luxe d’un autre temps : prendre le temps de le savourer page après page, en y revenant au besoin avant même d’en avoir achevé la lecture. Ce qui est précisément le cas de La République des Lettres (480 pages, 25 euros, Gallimard) de Marc Fumaroli.
Si le mot « savant » a une acception pertinente dans le domaine si peu scientifique de l’histoire culturelle, ce recueil de textes, articles et conférences d’une parfaite homogénéité en est une bonne illustration (il est dédié à la mémoire du grand spécialiste du connoissorship et de la collection, Krysztof Pomian). Professeur au Collège de France où il occupe la chaire « Rhétorique et société au XVIIème siècle » (son étude des traités théoriques de conversation est sans égale), l’auteur est un vrai savant, un érudit à l’ancienne qui rend un hommage étincelant aux humanistes érudits. On connaît déjà ses travaux sur la conversation, les salons, les correspondances, les institutions littéraires, les Académies, l’écriture des vies et de la biographie.
Cette fois, il a conjugué tous les réseaux de son savoir afin de traquer les origines, l’évolution et la nature de l’expression « République des Lettres » qui, bien qu’elle perdure depuis quatre siècles, a laissé à peu près indifférents les chercheurs en sociologie culturelle. Comme si la chose était a priori trop mondaine pour eux et qu’ils s’arrêtaient à ce qu’elle est devenue, désignant le plus souvent d’un ton péjoratif le petit milieu littéraire germanopratin. Faut-il le préciser, la patte de ce livre est légère, précise, rigoureuse et pleine de grâce, préférant toujours « l’art épistolaire » d’autrefois à « l’épistolarité » de nos actuelles précieuses universitaires (mais je leur préfère encore « l’épistolat » ironique et souriant de Max Jacob)
Va pour Marsile Ficin, Erasme et le président de Brosses ! Mais entre nous, qui connaît Nicolas Claude Fabri de Peiresc, John Barclay, Fortin de la Hoguette, Justin Lipse, Seroux d’Agincourt ? Et parmi les rares qui les ont lus, combien les ont suffisamment pratiqués pour en tirer ce que réussit à en tirer Marc Fumaroli à l’issue de ses lectures entrecroisées ? C’est peu dire qu’il s’épanouit en leur compagnie. Lui-même reconnaît dès l’entame de son recueil qu’il mène une double vie : extérieurement avec ses contemporains qui n’ont que mépris pour la République des Lettres, intérieurement avec les sociétaires de la République des Lettres des premiers temps ; son projet consiste à comprendre rien moins que le paradoxe selon lequel ces savants lettrés et solidaires ont échangé en toute liberté à des époques et sous des régimes que l’on qualifie aujourd’hui de despotiques. Sous les monarchies, la République des Lettres se voulait une démocratie de pairs sinon d’égaux, pratiquant le magistère critique et les libres débats. Fumaroli nous encourage à vivre comme lui sur deux étages du temps : l’un hors du temps, qui avait réglé sa boussole sur l’Antiquité gréco-romaine, l’autre déboussolé depuis qu’il a renoncé aux humanités.
C’est peu dire que l’auteur est nostalgique, non du monde d’avant mais de celui d’avant encore, lequel était déjà nostalgique d’un monde très ancien. Celui-ci nous apparaît comme une Atlantide engloutie, un temps où le Grand Tour menait non seulement en Grèce et en Italie mais, dans une peregrinatio academica que l’on a à peine à imaginer, en Hollande et jusqu’en Asie mineure. La curiosité voyageuse de ces lettrés-là aurait pu élever une statue à la famille des Thurn und Taxis, laquelle organisait les communications dans l’Europe d’alors, et avait donc la haute main sur les systèmes de Postes, de courriers et de transports en commun dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime.
La République des Lettres, comme l’on nomme le république littéraire du XVIIème siècle, vient de Respublica Litteraria. L’expression, qui remonte à 1417, est du vénitien Francesco Barbaro, inspirateur d’une « spiritualité laïque de la bibliothèque ». C’est une société contemplative au sein d’une société active, une société des esprits à l’intérieur d’une société politique. La langue grecque y est prééminente sur le latin considéré comme une langue de culture générale. Chaque pays y mettra sa patte. L’Italie : la politesse, l’affabilité entre lettrés, l’art de converser – que les autres pays adapteront.
Avec la figure de Pétrarque, l’échange entre savants passe de la disputatio au dialogue de type rhétorique (là encore dans une acception non péjorative, contemporaine et galvaudée du terme). Cela dit, jamais l’auteur ne perd de vue l’origine de l’origine : respublica litteraria vient de la respublica christiana de la Cité de Dieu de saint Augustin. Ce qui laisse des traces car, loin de l’effacer, elle le double d’un étage littéraire. Elle en a hérité et conservé « l’idée d’Eglise et de corps mystique , c’est à dire d’ordre, mais d’un ordre non monastique, transcendant les frontières et les générations et reposant sur un libre constat implicite ».
Sous la double tutelle de Pétrarque, soucieux de restaurer le latin classique, et de Boccace, le diffuseur de sa pensée, elle établissait un corps idéal dans un cadre universitaire agissant tel un concile universel. Une sorte de concile des lettrés élargissant l’échange à la conversation avec les absents, que ce soit par la relation épistolaire ou par la présence des morts. Ainsi la République des Lettres entend-elle l’entretien à plusieurs en respectant la nuance de sociabilité de chaque société de conversation, la convivialité humaniste étant inséparable du triptyque concert/conversation/souper.
Dans tout l’éclat du règne de sa langue sur l’Europe lettrée, le XVIIème siècle français permet à la République des Lettres de vivre ce moment nouveau où l’hiatus entre la langue écrite savante et la langue parlée vulgaire s’estompe dans la langue de Vaugelas et Malebranche. On assiste alors au « changement de gravité des choses de l’esprit. L’origine et l’objet du savoir cessent d’être situés hors du temps, dans le ciel des fixes de l’ancienne cosmologie, ou dans une Antiquité détentrice de deux révélations, la « naturelle » et la « surnaturelle » ». Devenues des nouvelles, elles sont discutées en français dans un esprit critique qui encourage la querelle d’idées par des savants, des demi-savants, des amateurs mondains. La langue étant désormais commune aux lettrés et au public, le phénomène favorise l’émergence d’une opinion publique.
La conversation française, dans tout ce qu’elle a désormais d’encyclopédique et de cosmopolite, se développe dans les salons. Sous Louis XIV, l’aristocratie convertit son loisir et une partie de sa paresseuse vanité en active curiosité, ainsi que Montaigne l’avait pressenti. Toutes choses sont dès lors soumises au trébuchet de l’esprit. Marc Fumaroli y insiste, tout son livre tendant à ancrer dans le programme de nos chercheurs en histoire des idées que non, décidément, les salons du XVIIIème ne relèvent pas de l’histoire anodine ou anecdotique : ils sont « le véritable Parlement de la nouvelle République des Lettres », un lieu où l’on parlait de Lettres mais aussi de philosophie morale, d’art, de science, de diplomatie. Des salons comme autant de sociétés d’amis et d’égaux, de compagnies et bureaux d’esprit d’autant plus stratégiques dans des logiques de pouvoir que les plus fréquentés et les plus réputés (Tencin, Lambert, Geoffrin) s’articulaient aux Académies royales.
Mais que l’on ne s’y trompe pas. Tout « Ancien Régime » qu’il paraisse, Marc Fumaroli inscrit dans le temps présent son exploration de l’esprit européen aux XVIIème et XVIIIème siècles. On en veut pour preuve ces quelques lignes :
« Faire l’histoire de cette institution singulière et métamorphique, c’est non seulement envisager l’Europe sous un jour inhabituel, ni économique ni militaire, c’est aussi se convaincre qu’une telle instance critique transnationale est encore plus souhaitable au siècle de Facebook qu’elle le fut au siècle de l’invention du livre ».
Ce n’était pas « mieux avant ». C’était autre chose, différemment avec d’autres gens dans un autre contexte. Mais c’est en rappelant comment c’était avant que l’on prend la mesure du chemin parcouru et de l’ampleur des dégâts. Et l’on comprend que certains esprits aiment à s’isoler dans des recherches qui les abritent de ce qu’est devenue la rumeur du monde. Même si l’atterrissage est rude. Regrets éternels ?
(Lemonnier, Lecture de la tragédie de « l’orphelin de la Chine » de Voltaire dans le salon de madame Geoffrin, Musée national du château de Malmaison ; Jean Huber, Un dîner de philosophes, 1772 ou 1773,Voltaire Foundation, Oxford )
Read more: http://www.site-magister.com/philosophis.htm#ixzz3R92E7cRF
231 Réponses pour Louable nostalgie de la République des Lettres
Evidemment pour un suicidaire qui vit sur une île de 12km², pendu H24 aux infos, qui dématérialise son ça, son moi, son surmoi, il ne saurait être question de Société Savantes, de leur savoir bénévole, patrimonial, historique, et scientifique.
this is not 7 watt again.
« En 1256, une commission, issue de la cour du roi est mentionnée dans une ordonnance de Saint-Louis, qui prescrit aux « mayeurs et prud’hommes » (maires) de Haute-Normandie d’établir chaque année des comptes à lui adresser. »
Et en 2015 ? Les lettrés savent compter.
https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2015
le fantôme de JC….. dit: 11 février 2015 à 6 h 30 min
Aux Nostalgiques de la République des Lettres …. quelques chiffres.
1740 Espérance de vie : 25 ans
1810 Espérance de vie : 30 ans
1900 Espérance de vie : 45 ans
2012 Espérance de vie : 81,7 ans
Viendra un temps où tous les hommes naîtrons vieux ; quel soulagement ce sera pour les statisticiens de la sécurité routière … (Fontenelle vécu presque centenaire ; il devait bénéficier des soins d’un bon prothésiste dentaire)
Fumaroli ? Il a été maçon à Marseilles ?
Fontenelle vécut et Fumaroli écrit …
L’oiseau de Minerve, a écrit Hegel, se lève à la tombée de la nuit. Disons, plus modestement, que la fin de la croyance en un progrès linéaire et irrésistible nous rend plus indulgents pour des états du savoir et pour des formes de sagesse que l’histoire positiviste avait cru définitivement « dépassés ».
Pour notre part, nous continuerons de diriger ce journal et d’animer cette rédaction dans le respect des valeurs rappelées dans la Charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde, signée en 2010 par les actionnaires du groupe. Les déclarations publiques d’un de nos actionnaires ne sauraient remettre en cause l’indépendance éditoriale de la rédaction, que nous continuerons de faire respecter scrupuleusement.
Signé : Gilles van Kote, Jérôme Fenoglio, Françoise Tovo, Luc Bronner, Marie-Pierre Lannelongue, Arnaud Leparmentier et Cécile Prieur »
> Gilles van Kote, Jérôme Fenoglio, Françoise Tovo, Luc Bronner, Marie-Pierre Lannelongue, Arnaud Leparmentier et Cécile Prieur
bravo et merci.
Un voeu pieux eut ete que tous les journalistes du monde respectent la meme charte et éthique ce qui n’est pas, las, le cas.
Sachez-le les lecteurs vous suivent vous et en aucun cas Pierre Bergé.
République des Lettres …. quelques chiffres.
1740 Espérance de vie : 25 ans
Ce ne fut pas vrai pour François Marie Arouet qui nous as quitté aux alentours de ses quatre-vingt trois ans.
C’est une moyenne collective.
Il nous a quittés…
Je voudrais faire une petite mise au point :
Beaucoup d’hommes croient être beau en arborant une barbe taillée. Ils se trompent totalement. Ces derniers jours j’ai recueilli les avis de 46 femmes âgées de 15 à 78 ans. Toutes ont été unanimes : si barbe il doit y avoir, elle doit être sauvage, ou à la limite coupée de deux ou trois coups de ciseaux.
Le reste relève du mauvais goût le plus total, surtout agrémenté de la coiffure gomina mèche en arrière.
Personnellement je ne porte pas de barbe, mais je n’ai rien contre non plus.
la vie dans les bois dit: 10 février 2015 à 20 h 38 min
elle s’applique à « les mots pour ne pas dire ». Je pense bien que c’est une prétérition. Je ne dirai pas que, et toc, je le dis. C’est une formule de rhétorique qui permet de dire tout en disant que je ne dis pas.
Mais je préfère encore le sophisme chinois le cheval blanc n’est pas un cheval.
Mais je suis hors du sujet, pardon.
Chaloux, je ne peux que vous donner raison.
Ce qui fait finalement plaisir dans tous ces chiffres, c’est que c’est pas demain la veille qu’on reverra un homard géant dans le château du roi Soleil.
Je ne prétends pas tout savoir. Qu’est-ce donc que le C.U.M. ?
Je privilégie désormais les posts qui font sens; c’est comme ça.
Je crois que M. Fumaroli s’est exprimé à ce sujet.
Je veux bien être la quarante septième, si vous m’y autorisez : la barbe est belle chez un charmant jeune homme, au haard, pa^tre grec ou au pis facteur.
Sinon, elle ne sied qu’aux hommes grecs eux aussi de l’antiquité représentés dans la statuaire antique.
Horreur de la barbe mal rasée à la Gainsbourg qui fait négligé. Le négligé étant de soie par excellence.
Voilà.
Vous pouvez me mettre hors de votre enquête. Cela me permettrait de retrouver le sommeil.
au hasard pâtre grec
Monsieur Fumaroli par ci, M. Fumaroli par là.
Je ne doute pas qu’il soit un érudit pertinent, mais est-ce qu’il mérite autant d’éloges après-tout ?
Ne salue-t-on pas aussi sa notoriété ?
Je ne vous ai pas demandé votre avis, Rose.
Pour qui vous prenez-vous ?
Et quel âge avez-vous, d’abord ?
Ce qui est clair c’est je ne me prends pas pour vous.
la vie dans les bois dit: 11 février 2015 à 20 h 33 min
« Je privilégie désormais les posts qui font sens; c’est comme ça. »
Y en a ???!???
Elle est interessante cette réflexion de M. Fumaroli,- pour mémoire celle d’Aristote est diponible sur la toile- à propos de la rhétorique
(elle) a disparu de l’enseignement en 1880, pour migrer vers les dissertations de philo (1860) et la récitation de textes, » on ne rivalise plus, on analyse ».
Burntoast, quelques uns. Mais de moins en moins.
Bloom dit:
« Ceux-là même dont les idées firent la Révolution qui permit la progression de l’espérance de vie. »
(Surtout pour les 2 millions de morts de l’Empire – pure conséquence de la révolution-, hein Bloomy, qui auraient pu mourir sans attendre qu’on les tue!).
Attendons avec impatience le deuxième livre de Bloomy :
Maximes et sentences d’un vieux Caniche.
– Une autre fois, essaie tout de même de voir un peu plus loin que ta truffe…Bloomy…
Expérience, efficience, audience : pas de pot ?
La prochaine fois, évitez d’écoper : faites Science Po.
l’Empire – pure conséquence de la révolution
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Plus téléologique que ça, tu meurs (suggestion).
En 2015, en plus d’ EI & de Boko Haram, il y a ceux, qui en sont toujours à l’air des ténèbres historiques, comme Chaloux, qui instrumentalise ici les morts de l’Empire, là autre chose, bref tout ce qui lui sert à faire son rata de bon petit troupier de la médiocrité, en parfait accord avec l’air du temps.
renato venture, un vrai mec, presque lino…
à sussucre pour vieux cabots cinéphiles de salon,
J’apprécie, bien que dépenser de l’énergie pour un faux évident pour un faux évident me semble vain…
bien que dépenser de l’énergie pour un faux évident pour un faux évident me semble vain…
oh ça, elle est tellement renouvelable que résilier l’abonnement serait cruellement manquer de double résilience…
cessez-le-feu Ukraine Russie
Daft Punk – Instant Crush ft. Julian Casablancas
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