Qui est Joseph Castorp ?
En 2012 paraissait au Portugal O teu rosto será o último qui consacre l’entrée en littérature de João Ricardo Pedro. Le roman connaît aussitôt un immense succès critique et public. Il y est question de l’agonie de la dictature salazariste, des ravages de la guerre coloniale, de la transmission et de l’inscription dans l’histoire. On y découvre la fresque de la famille Mendes sur trois générations : le grand-père Augusto, médecin de campagne dans un village « au nom de mammifère », son fils António traumatisé par la guerre coloniale en Angola, son petit-fils Duarte pianiste virtuose. Je voudrais partager ici le cheminement qui a guidé la traduction de ce livre en abordant certains motifs qui, dans leur singularité, m’ont paru déterminants.
Ce qui frappe d’entrée de jeu, c’est la construction du roman. Chaque chapitre est conçu comme une nouvelle autonome. Mises bout à bout, elles dessinent une mosaïque qui révèlent un fragment de la vie de Duarte et c’est au lecteur qu’il revient de recomposer un récit dont la vérité se dérobe sans cesse. Le rythme tour à tour rapide, effréné, lent, ralenti a ainsi été l’un des enjeux majeurs de la traduction. On pense bien sûr à la musique qui occupe une place centrale et plus précisément, à la structure de la sonate. Aux phrases très longues et très amples de certains chapitres résonnent ailleurs des phrases lapidaires, réduites parfois à quelques mots et à leur répétition jusqu’à épuisement.
Ainsi dès la première phrase :
« Uma coisa parecia certa : no dia vinte e cinco de abril de mil novecentos e setenta e quatro, faltaria ainda um bom bocado para as sete da manhã, Celestino apertou a cartucheira à cintura, enfiou a Browning a tiracolo, verificou o tabaco e as mortalhas, esqueceu-se do relógio pendurado num prego que também segurava um calendário e saiu porta fora. »
Cette phrase ne semble pas poser de difficultés particulières, mais à y regarder de plus près faltaria ainda um bom bocado para as sete da manhã » (mot à mot : il manquerait un bon bout de temps avant sept heures du matin), si l’on s’en tient à la lettre risque de ralentir la marche de Celestino, J’ai préféré ici l’ellipse afin de concentrer l’attention sur ce personnage mystérieux. Cela devient en français :
« Une chose semblait certaine : le vingt-cinq avril mille neuf cent soixante-quatorze, bien avant sept heures du matin, Celestino attacha sa cartouchière à sa taille, mit son Browning en bandoulière, vérifia son tabac et le papier à cigarettes, oublia sa montre accrochée au clou qui retenait également un calendrier, et sortit. «
L’ellipse m’a permis de souligner le contraste et de marquer l’ampleur de ce qui va suivre :
« Aux environs de onze heures du matin, ceux qui vivaient au rythme de la cruelle arithmétique des boisseaux, clisses, moissons, lunaisons, du paludisme, des marées et des gelées n’avaient encore ressenti aucun vent de changement. Dans les champs, hommes et mules déchiraient la terre en d’irrépréhensibles géométries, pendant que dans la pénombre des étables, bercées par des litanies que tissaient seules leurs lèvres, les femmes remplissaient les mangeoires des porcs, des chèvres, de leurs enfants. Et si quelqu’un avait eu le culot d’interrompre leurs pénibles besognes pour leur annoncer qu’en ce moment précis, le président du Conseil des ministres du Portugal se trouvait retranché dans une caserne de Lisbonne, encerclé par des soldats qui exigeaient sa reddition, il aurait sûrement obtenu, en guise de réponse, un regard d’une indifférence absolue. »
Les répétitions ponctuent tout le roman, elles donnent le ton pour ainsi dire et font partie intégrante du rythme et de la composition. Or le français n’est guère censé tolérer les répétitions. Examinons les de plus près et considérons leur nature différente. Première répétition, celle qui consiste en l’exposition d’un motif développé par la suite et que l’on retrouve à la fin du chapitre tel un point ou plutôt pour adoucir la violence de ce qui a pu être dit, la réduire au silence ou l’inscrire dans la banalité du quotidien. Tel est le cas du chapitre deux Le poids des mains un samedi pluvieux à Queluz : « Sept jours s’étaient écoulés depuis qu’il avait commencé à pleuvoir […] Au septième jour, c’était un samedi… » Duarte confectionne un gâteau avec sa mère, son père lui raconte un souvenir d’enfance et le chapitre se termine par : « Dehors la pluie tombait […] C’était le septième jour. C’était samedi. »
Puis au cours de ce samedi pluvieux, à l’évocation du souvenir d’enfance, on rencontre pas moins de quinze fois dans un paragraphe le mot chaussure qui, on l’aura compris, joue un rôle clé dans la scène. Là, j’ai dû me rendre à l’évidence qu’il fallait en remiser certaines au placard, au risque d’assommer littéralement le lecteur. Dans la cinquième partie, dans le chapitre intitulé Sa mère et la fin de l’Union soviétique, on trouve :
» Sous l’eau : le silence. Parfois un battement. Son cœur. Puis, à nouveau le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence. Le silence ».
La répétition litanique du même mot conserve intacte toute sa pertinence, qui plus est s’agissant du silence et du lieu qu’il occupe dans le roman, comme s’il en peuplait les énigmes. Le cadeau de Noël : une embûche de taille et je n’en suis qu’au chapitre trois. Sur une vingtaine de lignes, les dialogues sont indiqués de la sorte la grand-mère dit : «…», avec renvoi à la ligne le grand-père dit : «…», nouveau renvoi à la ligne la mère dit : «…». Ce dispositif sert bien sûr à souligner une distance clinique. Je traduis donc à la lettre mais cela ne fonctionne pas du tout ou peut-être trop bien car la distance est telle que le lecteur est immédiatement projeté hors du texte pour se retrouver comme au théâtre. Comment restituer l’intensité de cette scène où chaque membre de la famille s’acharne à tour de rôle sur Duarte enfant par des remarques jusqu’à ce que leurs voix ne soient plus qu’un bourdonnement, que la distance clinique devienne celle de Duarte qui finit par quitter la pièce sans que nul ne s’en aperçoive. J’ai donc pris le parti d’inverser l’ordre des dialogues afin de mettre l’accent sur les paroles de chacun, de supprimer la mention de celui qui parle et d’y revenir en toute fin. Cela donne :
« Jusqu’à ce que ce silence, cet inoffensif silence, s’emparât finalement des nerfs de tout le monde.
– Le petit est possédé par quelque chose de mauvais, dit sa grand-mère.
– Arrête tes âneries, répliqua son grand-père.
– Duarte, joue avec autre chose maintenant », dit sa mère.
– Maudite soit l’heure où tu lui as acheté ça, ajouta sa grand-mère.
– Pourquoi maudite soit l’heure, dit son grand-père.
– Duarte, viens ici voir ce puzzle, dit sa mère.
– L’homme aurait dû me prévenir qu’il n’y avait pas de piles.
– Viens aider maman, allez.
– Le petit est tout pâle, depuis qu’il ne lâche plus son gramophone.
– Appelle un médecin, c’est sûrement de l’anémie.
– S’il y en avait un bon, dans cet endroit maudit.
– Il n’y a pas de bon médecin, mais il y aura un bon pianiste, regarde ça, quelle merveille. On dirait même que je l’entends.
– Je ne sais pas qui du petit-fils ou du grand-père est le plus fou, dit sa grand-mère.
– António », dit sa mère.
– Qu’est-ce que tu veux ?
– Va à Fundão acheter des piles, par pitié.
Et le père y alla. »
À ce point de mon travail sur la traduction, je voudrais remercier l’auteur de sa générosité et de la confiance qu’il m’a témoignée pour donner à lire ce texte en français. João Ricardo Pedro m’a octroyé une grande liberté dans les choix de traduction, considérant en effet que par la traduction même le texte devenait autre et que d’une certaine manière il ne lui appartenait plus totalement.
J’ai usé de cet espace de liberté, de ce lieu du texte où les mots sont entre deux langues, en devenir français, pour tenter de faire rejaillir ce qui pour moi est au cœur de ce texte, à savoir l’émotion. L’émotion d’un père qui au retour de la guerre coloniale ne reconnaît plus son fils, l’émotion suscitée tour à tour par la musique et la peinture, l’émotion de celui ou celle qui interroge les souvenirs du passé pour les ressusciter dans le présent. La description minutieuse et le souci du détail sont l’un des traits marquants de ce roman. Ils mettent le traducteur au défi de trouver le mot juste en circonvenant les scènes au plus près.
Dans le chapitre, Sa mère et la fin de l’Union soviétique, après avoir fait les courses avec la mère de Duarte et traduit une liste de courses interminable, légèrement essoufflée, j’en arrive à la retransmission télévisée du match Hollande Union soviétique : finale de la coupe d’Europe de 1988. Etant donné mes connaissances quasi nulles en football, me voilà plongée dans une grande perplexité. Comment traduire avec précision le but qui a permis la victoire de la Hollande et qui, renseignements pris, est resté célèbre dans l’histoire du football. Dans ce cas, les dictionnaires ne sont d’aucune utilité, je me retrouve donc à visionner sur internet une bonne vingtaine de fois le but en question, de l’étudier sous tous les angles afin d’en donner une vision la plus juste possible.
Un peu plus tard dans le chapitre intitulé, Le professeur de piano et la peintre mystérieuse, je suis projetée à Vienne où un homme nous livre sa vision fascinée d’une femme unijambiste reproduisant un tableau de Bruegel décrit avec force de détails par João Ricardo Pedro (ce qui n’est pas rien s’agissant de Bruegel). Une fois la traduction de la description achevée, je m’aperçois qu’on n’y voit rien. Le bon sens voudrait que je me procure une reproduction du tableau, ce que j’entreprends de ce pas. Il y a en effet quelques années, je m’étais rendue à Vienne au Kunsthistorisches Museum, je feuillette fébrilement le catalogue, trouve rapidement La lutte entre carnaval et carême 1559 et reprends ainsi ma traduction en passant à la loupe chaque détail.
Si l’auteur évoque la grande admiration qu’il a pour Herberto Helder ou Marcel Proust, c’est bien Camões, l’auteur des Lusiades, qui occupe une place de choix dans le roman. La présence de Camões est autant physique (« seul un pays misérable peut avoir un poète bigleux pour héros national » (Camões était borgne) ) que morale dans le personnage du docteur Augusto Mendes qui renvoie au personnage du vieux (O velho do restelo) dans le chant IV des Lusiades, ou poétique (des vers sont cités tout au long du roman).
Enfin, tandis que la question du titre se pose toujours en moi – irrésolue – surgit le personnage de Joseph Castorp (je savais depuis le début que je ne garderai pas Ton visage sera le dernier, trop plat en français). Le nom de Joseph Castorp sonne aussitôt comme un démenti cinglant face aux bribes de réponses entrevues tout au long du roman. Difficile de ne pas penser immédiatement au personnage de Hans Castorp dans la Montagne magique de Thomas Mann. Pourquoi n’introduirais-je pas une fausse piste supplémentaire en l’intitulant La main de Joseph Castorp ?
ELISABETH MONTEIRO RODRIGUES
(« Elisabeth Monteiro Rodrigues et Joao Ricardo Pedro » photos D.R.)
João Ricardo Pedro
La main de Joseph Castorp
traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues
228 pages, 19 euros
Viviane Hamy
42 Réponses pour Qui est Joseph Castorp ?
Merci pour ce partage, très concret, d’expérience.
(Les indications sur la langue de départ, ici le portugais, pourraient être plus fournies)
« je savais depuis le début que je ne garderai pas Ton visage sera le dernier »
Et pourquoi donc ?
Chère Elisabeth, ne tenez aucun compte du commentaire du 14 décembre à 10 h 44, il est l’œuvre d’un farceur, comme l’indique la lettre « u » minuscule, signature d’un troll devenu proverbial sur ce blog.
« Ton visage sera le dernier, trop plat en français) »
excusez-moi, mais c’est le titre français qui est plat!
João Ricardo Pedro m’a octroyé une grande liberté dans les choix de traduction, considérant en effet que par la traduction même le texte devenait autre et que d’une certaine manière il ne lui appartenait plus totalement.
Le malheureux ! Il ne sait pas quels risques il prend. Rien que le changement de titre, déjà, ça promet.Comme c’est beau, la confiance. Depuis le temps que je voulais me mettre au portugais, cette fois, c’est décidé.
Vu l’accord entre Pedro et sa traductrice, je ne vois pas trop où est le problème.
Le titre original est toujours donné avec le copyright.
C’est une situation extrêmement banale.
Vu l’accord entre Pedro et sa traductrice, je ne vois pas trop où est le problème. (u.)
Y a pas de problème. Pedro est à peu près d’accord pour tout. Vu comme c’est parti, elle peut bien lui ré-écrire son roman à l’envers, il lui tressera des couronnes. Sacré Pedro ! Il me plaît, celui-là. Dans le genre ravi de la crèche, on fait pas mieux. On sent que Noël approche.
» Y a pas de souci « , on entend ça partout aujourd’hui.
Dialogue entre un jeune auteur et sa traductrice :
Jeune auteur – Vous savez, c’est mon premier roman. Je ne me sens pas trop sûr de moi. Y a probablement, ici ou là, des faiblesses, des maladresses…
Traductrice – Y a pas de souci. On va vous le refaire.
D. dit: 14 décembre 2013 à 17 h 12 min
Marquez ces passages d’une pierre blanche!
« D. » a parfaitement raison.
C’est un esprit réfléchi et instruit, très respecté sur ce blog.
» Y a pas de souci « , on entend ça partout aujourd’hui.
Cette expression est atroce.
En quelle année est-on ainsi passé de l’énoncé d’une situation objective (« Patron, il y a un problème ») à la simple expression d’un sentiment stupidement subjectif (« Il y a un souci »)?
De telles pollutions me rendent partisan de la peine de mort.
Heureusement, ça dure 15 à 20 secondes.
» Y a pas de souci « , on entend ça partout aujourd’hui.
Cette expression est atroce.
ça mange pas d’pain
Juin 1988, c’était la finale du Championnat d’Europe de football, les « coupes », sur ce continent, sont réservés au clubs (Ligue des champions, Europa cup, etc.), en revanche on parle bien de « Coupe du monde », comme on le sait tous. C’est purement de la casuistique protocolaire pour départager les pontes de l’UEFA de ceux de la FIFA, bref rien d’important.
J’aime bien le rythme de la langue du roman portugais, vous faites, en tant que traductrice, un bel et noble effort en le rendant dans notre langue, même si le parti-pris du titre français semble très risqué, comme on le voit dans les commentaires. On pense aux mains d’Orlac (comme Duarte, c’est un pianiste), l’allusion au grand Mann fait un peu « pensée magique », et finalement la montagne (et aussi le ‘montage’ du « cabeçalho ») accouche peut-être d’une souris ; on y a gagné des mains mais perdu un visage. Dans une certaine limite votre choix de titre m’évoquerait presque un autre tableau, celui du Dali des « Six apparitions de Lénine sur un piano », cela me permet même de visualiser la grosse faute d’inattention du gardien russe Dasayev (pourtant précédé à l’époque d’une réputation d’excellence, on alla jusqu’à le comparer au légendaire Lev Yachine, excusez du peu) devant le tir de Van Basten en 1988 (un but très moderne, aujourd’hui un Ibrahimovic en met deux par semaines du même calibre), les ballons hollandais de ce jour de juin étaient très volants et particulièrement flottants, à peine entrevus ils disparaissaient à l’intérieur des filets (« Ton shoot sera le dernier »). Bref, bref, bref, bref, que de visions répétitivement cinématographiques. La révolution des oeillets fut donc fort pluvieuse, un peu comme dans « Seven », sept jours de pluie, les « cravos » étaient très humides, madame M. De Medeiros confirme. On disait (pas seulement les gens de la gauche radicale), à l’époque de Salazar, que le foot était l’opium du peuple (c’est bien plus complexe que ça, au Portugal), les jeunes du pays doivent en sourire de nos jours.
Mais encore une fois, saluons le style de João Ricardo Pedro, très proustien en effet lorsque vous traduisez son premier chapitre commençant, du moins en un sous-texte relativement explicite, par : « Longtemps en avril je me suis levé de bonne heure avant sept heures. Parfois à peine mon Browning enfoncé dans son holster, mes yeux s’ouvraient si vite sur la situation paysanne que je n’avais pas le temps de me dire : « Je vais faire la révolution. » »
Un petit tour dans les faubourgs de la Freguesia de Queluz ne se refuse pas en outre (ou par tout autre moyen de locomotion.)
» Y a pas de souci « , on entend ça partout aujourd’hui.
Cette expression est atroce. (u.)
Pas du tout. C’est cool, comme on dit aussi. C’est la formule qui rend idéalement l’hyper-coolitude contemporaine :
Cancéreux en phase terminale – Docteur, je ne me sens plus du tout.
Oncologue – Y a pas de souci. Le remède miracle arrive.
Citoyen français (inquiet) – Mon Président, et cette intervention au Balibalou ?
Président – Y a pas de souci. Nos boys s’en occupent.
Citoyen japonais (très inquiet) – M’sieur le Premier, et la centrale ?
Premier – Y a pas de souci. Au prochain tsunami, elle coule.
xlew.m, ça se confirme et, pour une fois, u. avait raison : vous êtes complètement frappadingue.
u. dit: 14 décembre 2013 à 18 h 08 min
je ne vois pas trop où est le problème.
Evidemment, vous ne voyez jamais où sont les problèmes, on commence à le savoir.
xlew.m dit: 14 décembre 2013 à 18 h 48 min
…la grosse faute d’inattention…
S’il y a grosse faute d’inattention, ça signifie qu’il y a grosse attention, que le gardien russe était très attentif.
S’il n’avait pas été attentif, alors c’est son attention qui eût été en faute. Bref, il y aurait eu faute d’attention.
De même, lorsque l’orthographe est en faute, il y a faute d’orthographe. Une faute d’inorthographe serait une bonne orthographe.
En un mot comme en cent, comme le dit Nalier, seul un frappadingue incohérent peut écrire « faute d’inattention » en pensant le contraire, à savoir « faute d’attention ».
Hervé V. dit: 14 décembre 2013 à 19 h 31 min
Evidemment, vous ne voyez jamais où sont les problèmes, on commence à le savoir.
Aidez-moi, RVV.
Ce RVV me plaît bien, mais on m’interdit de dire pourquoi.
Bon, sur le fond, que dire?
Brown a raison de pousser un coup de gueule, mais Elisabeth est très bien et Pedro est cool, alors je m’octrois le luxe de la partialité.
Je ne cèderai pas.
Pour le reste, xlew est le meilleur jazzman de ce blog, et faire un boeuf en sa compagnie, ça se mérite.
Ugh.
João Ricardo Pedro m’a octroyé une grande liberté dans les choix de traduction, considérant en effet que par la traduction même le texte devenait autre et que d’une certaine manière il ne lui appartenait plus totalement.
En tout cas, entre « The Taming of the shrew » traduit par « le dressage de la rebelle », « Vom Schlafen und Verschwinden » rendu par « Le Vol du héron », le roman de ce monsieur Pedro rebaptisé « La main de Joseph Castorp », les libertés accordées par le même romancier à sa traductrice, moi, ce que je vois venir, c’est une nouvelle époque de l’art de la traduction où l’exigence traditionnellement considérée comme primordiale, celle de fidélité la plus rigoureuse au texte original, tendra de plus en plus à être reléguée au placard à balais, et ceci pour diverses raisons, pas toujours très avouables, notamment de rentabilité, de mode, de goût du public, etc. Je reste tout de même sidéré que tout ce que Pierre Assouline, rendant compte du livre de Katharina Hagena, trouve à dire pour justifier le choix par la traductrice du titre « Le Vol du héron », trouve à dire, c’est un piètre : » Il faut adapter et s’adapter ». Cela revient à confondre deux pratiques radicalement distinctes : la traduction et l’adaptation. On me dira que toute traduction est forcément une adaptation; c’est là jouer sur les mots. Nous avons suffisamment pâti, en France, de n’avoir accès à de grandes oeuvres de la littérature étrangère que par l’intermédiaire de traductions médiocres, erronées, voire bâclées, pour exiger des traducteurs le respect d’une éthique minimale.
En rebaptisant le roman qu’elles étaient chargées de traduire, Corinna Gepner et Elisabeth Monteiro Rodrigues ont considéré, en somme, que le titre initialement choisi par l’auteur ne l’avait pas été pour de bonnes raisons, que ces raisons n’étaient pas suffisamment fortes pour interdire de lui en substituer un autre, de leur cru. Elles ne se sont apparemment pas dit que ce titre, l’auteur l’avait retenu après mûre réflexion, et parce qu’il le trouvait particulièrement riche de sens, particulièrement fort et propre à retenir l’attention du lecteur. En somme, elles n’ont pas pris au sérieux ce moment du travail de l’auteur. Dommage pour elles car, si ça commence comme ça, le lecteur, quant à lui, constatant la piètre opinion qu’elles se font du travail de l’écrivain, n’a plus aucune raison de prendre au sérieux le reste de leur travail de traduction.
« En somme, elles n’ont pas pris au sérieux ce moment du travail de l’auteur. »
Rien ne dit que l’auteur prend ce moment au sérieux.
Il semble témoigner d’une enviable décontraction.
« Juin 1988 […] en revanche on parle bien de « Coupe du monde », comme on le sait tous. C’est purement de la casuistique protocolaire pour départager les pontes de l’UEFA de ceux de la FIFA, bref rien d’important. »
Là, je vous croix sur parole, mais est-ce qu’il y avait des Amarene avec ?
Rien ne dit que l’auteur prend ce moment au sérieux.
Il semble témoigner d’une enviable décontraction. (u.)
C’est vrai que nos jeunes auteurs sont merveilleusement cool. Cela ouvre à leurs traducteurs des perspectives tout-à-fait inédites. Tiens, moi, par exemple, je suis en train de traduire du vieux slavon, « Vits de Zob » d’un jeune auteur ukrainien qui monte qui monte, Piotr Assoulinovitch. J’ai changé le titre, pas assez signifiant, par « Peau de Zébi ». J’ai amélioré le texte, encore un peu balbutiant, par une série d’injections à base de Tolstoï, Soljénitsyne, Tourguéniev et mézigue. J’ai détourné sur Poutine un éloge de Mandela. » Continuez, vous m’intéressez, m’a bigophoné Piotr Assoulinovitch. Je suis pour l’adaptation tous azimuts, et puis, de toute façon, votre traduction sera un monde complémentaire au mien. De toute façon, je cause pas le français, alors vous pouvez y aller franco ».
De toute façon, je cause pas le français, alors vous pouvez y aller franco ». (mézigue)
Non, là, je confonds avec Pedro Assoulinares, dont je suis en train d’adapter « La Vida del Zobi » sous le titre, autrement porteur » Aussaresses sur le Manzanares « .
renato dit: 15 décembre 2013 à 6 h 44 min
Là, je vous croix sur parole, mais est-ce qu’il y avait des Amarene avec ?
Ma che dici, renato, che cosa ti succede ?
@ ueda, t’en souvient-il, ô ami de blog, un matin de mai nous surfions en silence les pieds nus sur le fil tendu par une autre traductrice lusophone, spécialiste de littérature brésilienne, Paula de son prénom. Comme Lùis de Camões tu t’étais noyé le regard dans l’écume blonde de ses cheveux pétris de soleil par poignées entières… Tu t’en étais vivant sorti de justesse, l’onde érugineuse du golfe du Siam, et ses longs filaments, ne te rejetant sur la plage des simples mortels et le plancher des varechs sacrés, qu’à regret tant ton désir, onctueux comme un champ d’algues japonaises caressé par les Amas, semblait s’accorder à merveille avec les vagues de l’abondante kératine et les voluptueux phanères de sa pilosité généreuse. Souvenirs…
L’occasion de se remémorer aussi la traduction que donna Roger Bismut des Lusiades, chez Bouquins, il y a une bonne quinzaine d’années. Une dame dans la rue s’était moquée (« Ouh, Tête-sans-yeux ! ») du neuil borne du grand homme, celui-ci lui avait répondu (un peu comme Robert Browning, le poète, pas le revolver, qui lui également avait un sens de la répartie très développé dans ses poèmes – lorsqu’on attaquait sa femme par exemple), un peu plus tard, par ces quelques vers : « Sans yeux j’ai vu clairement le mal, Que font les yeux, Car « tête-sans-yeux » a vu, Des yeux qui lui coûtent cher… », c’est d’ailleurs un peu comme dans le roman traduit ici, le visage n’est plus dans le titre, mais les mains « voient » à sa place, c’est peut-être une bonne idée.
A todos vós aqui, desejo um bom domingo.
le doute n’est plus possible : xlew.m est totalement dingue.
Voilà bientôt quarante ans que je suis traductrice, et je suis consternée par ce que je lis.
John Brown
Toutafê! si on traduit par exemple en norvégien, un conte andalou, rien de plus « normal que remplacer des trucs comme « longue chevelure d’ébène » par « casque d’or », ça fait plus adapté, sinon le lecteur pigerait pas (et l’auteur serait d’accord pour dire que c’est mieux si c’est plus rentable
(je savais depuis le début que je ne garderai pas Ton visage sera le dernier, trop plat en français)
Bref, vous faites du rewriting et non de la traduction.
« Ma che dici, renato, che cosa ti succede ? »
Mai assaggiato il gelato al fior di latte con qualche amarena Fabbri .
« du rewriting et non de la traduction. »
c’est une des erreurs des traducteurs débutants
Il est regrettable que le blog de Pierre Assouline — qui a tant fait pour les traducteurs par ses prises de position réfléchies et son rapport pour le CNL — serve ici non pas à faire avancer la réflexion sur le traduire, mais à reconduire les idées reçues les plus éculées dans ce domaine.
Personne d’autre que le traducteur n’a une connaissance intime de l’œuvre traduite. La relation de confiance entre un auteur et son traducteur se fonde sur le fait que l’auteur délègue au traducteur la tâche de faire passer, dans une langue que le traducteur maîtrise, d’infinies subtilités sémantiques, syntaxiques et rythmiques. La confiance est une condition souhaitable à l’établissement d’une bonne traduction. C’est aussi une très belle chose en soi, qui ne regarde que les deux personnes concernées par ce lien. Je déplore qu’elle soit ici galvaudée par des remarques aussi arbitraires que stupides. La description que fait Elisabeth Monteiro de son travail de traduction méritait des remerciements pour la précision avec laquelle elle nous fait partager son expérience.
Les détracteurs ont-ils seulement lu ce roman dans l’édition française? J’en doute…
12 h 35 min
l’auteur peut se faire berner quand il ne connaît pas la langue dans laquelle il est traduit
et que le titre cité en français est une trahison: scandaleux
Il est regrettable que le commentaire de Fabienne Durand-Bogaert vienne affadir cet espace avec le prêchi-prêcha corporatiste de l’ATLF.
u. dit: 14 décembre 2013 à 19 h 51 min
xlew est le meilleur jazzman de ce blog
quel flagorneur, cet u.
Personne d’autre que le traducteur n’a une connaissance intime de l’œuvre traduite. (Fabienne Durand-Bogaert)
Mais voyez la suffisance…
John Brown 12 h 51 min
cf celle des traducteurs entre eux (à moins de copinage)
Bon, on cause, on cause, mais on ne sait toujours pas qui est Joseph Castorp.
la main dans le pot à confiote, ç’aurait été pas mal non plus, pertinent quoi
Intéressant et magnifiquement écrit.
Chaloux être grand traducteur et fin connaisseur du portugais …
Je viens de terminer la lecture du faux Castorp. Si je devais attribuer une note à ce monticule de désinvoltures diverses, ce serait de une étoile sur les cinq dont il est question dans le texte ( quelle culture ,la qualité supérieure mérite cinq étoiles, le même nombre d’étoiles que des conseillers en réclame concèdent aux gourbis de luxe; encore un effort et on dirait : nickel!).
Le roman, en premier (peut-on appeler cela un roman, quand c’est un simple amas de pensées les unes derrière les autres, censées faire susciter chez le lecteur l’impression de culture de l’auteur),le roman est, d’un point de vue de la technique, d’une pauvreté navrante – on dirait que cela est fait pour passer l’examen de la fin des études primaires – tout est prévu pour coller au fur et à mesure , c’est
un simili-roman autour de la chambre avec vue imprenable sur wikipedia, mais les pistes ouvertes sont perdues, oubliées, euthanasiées (les pochettes avec des sigles, à la trappe, et ce n’est qu’un cas).De tout cet amas de Grands Projets qui ne sont que des poncifs primaires, il ne reste plus rien à la fin de 200 pages, et il faut encore injecter la main
coupée d’un pauvre type, il s’en est fallu de peu pour que l’on ne la trouvât dans un sac plastique rangé dans un congélateur, à côté des trois bébés franco-coréens, pour que ce produit éditorial affiche la bonne conscience de tomber, avec cette main providentielle et ex-machinale, sur ,évidemment,ses pieds .
Passons, c’est médiocre: savoir que cela a gagné le prix de l’industrie libraire, déprimant.
La traduction, alors, est impertinente, libre, osée. Dommage que le livre ait été écrit, la traductrice toute seule le ferait à sa guise. Ce n’est pas de sa faute, j’admets. Quand le berger laisse les animaux aller brouter n’importe où, il ne fait pas se plaindre. Après tant de péripéties tirées par les cheveux par l’auteur, pourquoi ne pas changer, améliorer, embellir ? On a été servi au -delà de toute prévision: les notes de bas de page sont à elles seules un roman dans le roman, il est difficile de concentrer tant d’inepties créatives et récréatives en si peu de tissu commercial.
Que la traduction libertaire de cette œuvre médiocre ait été payé par le peuple portugais ( via ses administrateurs légaux de faillite )explique en partie (petite, reconnaissons-le) la situation catastrophique des finances publiques portugaises. Elémentaire, le Portugal ,ce n’est qu’un PIG !
Ce double livre ( original et version franche ) est symbolique du Portugal : tout (pratiquement ) est à refaire !
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