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Dans la grande course du temps

Dans la grande course du temps

Par Jean-Claude Lamy

Depuis Love, etc., prix Femina étranger 1992, et surtout Le Perroquet de Flaubert, prix Médicis essai en 1996, Julian Barnes, qui vit à Londres, fait partie du paysage littéraire français. Comme le newyorkais Paul Auster, régulièrement célébré par ses lecteurs de l’Hexagone. Ce sont deux auteurs incontournables de la vie littéraire de notre pays où ils se sentent chez eux. La rentrée de janvier s’est enrichie d’un nouveau roman de Julian Barnes, Une fille, qui danse, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin. Son éditeur annonce qu’il a reçu le prestigieux Man Booker Prize, le Goncourt d’outre-Manche. C’est une bonne raison de le lire mais quand on connaît l’œuvre de cet écrivain hanté par la course du temps, nous pouvons avoir confiance en son talent singulier.

« Mes années de lycée ne m’intéressent guère, et ne m’inspirent aucune nostalgie ». Pour le narrateur Tony Webster, c’est pourtant dans ce lycée du centre de Londres qu’a eu lieu le tournant de sa vie. Au petit clan qu’il formait avec ses camarades Alex et Colin, s’est joint Adrian Finn, un étrange et brillant garçon, capable de tenir tête à ses professeurs. Elevé par son père –l’expression « famille monoparentale » n’existait pas encore- il représente une énigme en soi.

Son destin tragique est-il déjà inscrit dans l’annonce par le proviseur du décès prématuré d’une élève de la Terminale scientifique ? Après le suicide de Robson, le jeune Tony qui admire particulièrement Adrian sera impressionné par sa réaction dite d’un ton froid et détaché. Citant Camus –« Le suicide est la seule véritable question philosophique »- il a aussi parlé de Eros et de Thanatos en précisant que « Thanatos gagne encore ».

Les chemins des « mousquetaires » du lycée se sont séparés. Adrian Finn a obtenu une bourse pour Cambridge. A l’université de Bristol, Tony Webster fait la connaissance d’une étudiante, Veronica, qui va se rapprocher d’Adrian et se retrouvera au cœur d’une tragédie. Fatalité des évènements ? De retour des Etats-Unis où il a bourlingué pendant six mois, Tony apprend qu’Adrian s’est tué. Nouvelle victoire de Thanatos.

Pris dans l’engrenage du temps et des souvenirs, marié avec Margaret puis divorcé, père de Susie, Tony Webster, paisible retraité, sera brusquement rattrapé par son passé. Les morts de Robson et d’Adrian le renvoient à la question de la responsabilité. Quarante ans après, il aura conscience d’avoir commis une faute impardonnable. Julian Barnes a manœuvré comme dans le meilleur des polars, même si son suspense métaphysique le met hors-série (noire).

JEAN-CLAUDE LAMY

(Jean-Claude Lamy et Julian Barnes », Photos D.R.)

Sur la question de l’énigmatique virgule dans le titre du roman, voir l’entretien de Julian Barnes avec Jérôme Garcin)

 

 

Julian Barnes,

Une fille, qui danse

Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin

193 pages

19 euros

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Littérature étrangères.

8

commentaires

8 Réponses pour Dans la grande course du temps

John Brown dit: à

Citant Camus –« Le suicide est la seule véritable question philosophique »

Camus dit exactement (au début du « Mythe de Sisyphe » ) :  » Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est celui du suicide ».

L’autre jour, Assouline évoquait un entretien de Duras avec une journaliste italienne retraduit de l’italien à partir des notes de la journaliste. Cette fois, c’est Camus qui, apparemment est retraduit de l’anglais. C’est rigolo. A moins que Camus n’ait dit la même chose ailleurs sous une autre forme, ce qui est possible.² Comme, de toute façon, la fiction, c’est vraiment n’importe quoi (avec plus ou moins de talent bien entendu), on s’en fiche pas mal que Barnes cite exactement, adapte à sa façon,à moins qu’il ne soit infidèlement rendu par son traducteur.

ueda dit: à

« Ce sont deux auteurs incontournables de la vie littéraire »

Je n’ai jamais vraiment compris cette expression.

Pour moi, un incontournable c’est un gros cul immobile au milieu d’un escalator, alors que je dois prendre un train ou un avion.

alec dit: à

dans son essai (que Martin Amis n’arrive toujours pas à finir) sur le volatile de compagnie favori de Flaubert, Barnes explique qu’il existe en fait « deux corps du perroquet » (sur le modèle de celui du roi) ; l’empaillé (le résultat momifié d’une vie animale, à la causerie
devenue muette, au sifflet coupé) et l’empaillant (celui qui nous fourre, comme si nous étions une vulgaire galette géante, d’une grande quantité de souvenirs, pas toujours flatteurs, que la mémoire frotte à plaisir, aux fétus de paille, sur le cuir tanné de notre amour
propre, digne de celui d’un cheval, dans l’idée, haute ou moyenne, que nous nous faisons de nous-même). et qu’il est difficile de placer idéalement la virgule qui livrerait le secret d’une accorte séparation entre les deux.
dans son nouveau livre, Barnes continue peut-être la réflexion de Flaubert sur les effets de la bêtise de basse intensité qui, comme le disait Descartes, est la chose la mieux distribuée ; qu’est-ce qui sépare un Adrian d’un Tony, la puissance du choix, et son intelligence, est-elle le discriminant suprême qui va décider d’une vie pleine ou médiocre ? la virgule (en elle-même d’essence toute britannique) que vola Philby et qu’il emporta avec lui à Moscou, ponctua-t-elle vraiment une vie qui valut la peine d’être vécue ? quel est le mystère, de nature virgulatoire, qui hante de façon si forte les couloirs des public schools d’Angleterre, ces serres topicales de la circulation des idées neuves et de l’élaboration des futures réputation ? un Anthony Blunt était-il concevable hors des frontières de ce pays ?
Julian Barnes a le don de faire intellectuellement danser ses lecteurs (et les Français, nourris au point-virgule et au menuet, en redemandent) ; c’est à eux pourtant de prendre garde à ne pas marcher sur la petite tête de joubarbe de la virgule faiblement apparente, et de trébucher de tout leur long sur le tapis textuel, à l’invisible antiphon(ie) diacritique, que se sont amusés à piéger E.E. Cummings et B. Djuna. Julian Barnes, en bon trappeur de la langue, a tenu à conserver ces pièges. cela devient presque un jeu littéraire. on y joue peut-être sa peau et ses plumes de lecteur barnésien téméraire.
« The Sense of an Ending préside souvent au Beginning de quelque chose », comme nous offraient à le penser Flaubert et Churchill.

C.P. dit: à

Chouettes et rares remarques sous ces articles « réservés ».

Honneur et gloire à Barnes, -et à mon vrai copain Paul Auster, à Brooklyn ET quinze ou vingt jours par an en France. Mais incontournables, pourquoi ? ueda a raison, et alec contourne les « mystères », ou les étend et les rêve en espion planant. Or, Julie et Chloé connaissent mieux que moi Barnes, qu’elles ont lu en public, et elles vous saluent.

La mauvaise langue dit: à

J’ai fait et je fait des efforts pour comprendre alec. Je me rends compte que je suis limité. Je n’y comprends rien.

tilt dit: à

un livre de Barnes ! dès les premières critiques, j’ai pensé : quelle chance !
à la page de garcin, j’ai aussitôt associé stupidement le terme souvenir-écran , comme si un livre de Barnes ne l’emportait pas sur tous les souvenirs !
Mis non, Mauvaise Langue,ce n’est pas vous qui êtes en cause : Alec arriverait à mettre en fureur un perroquet…. empaillé est-ce qu’il cherche, à part lui, bien sûr ?
Merci au traducteur de Barnes !

alec dit: à

mauvaise langue, je ne comprends pas forcément beaucoup plus, ce n’est pas si grave comme dit souvent notre ami C.P. prenez mon post pour la pochade qu’il est. je prie d’ailleurs les lecteurs sérieux de cette section du blog de m’excuser. je veillerai à ce que cela ne se reproduise pas. si j’avais vraiment le souci de ma petite défense je répondrais volontiers qu’il faut se souvenir de toute la réception critique du « Perroquet ». dans un entretien en anglais Barnes (grand flaubertien impénitent devant l’éternel, presqu’autant que vous) avait révélé comment il s’était mis sur la trace de ce fameux perroquet, comment il l’avait découvert à Rouen. cela l’avait plongé dans une rêverie projetant quantité de reflets qui provenaient de plus d’un miroir. les plumes du perroquet (qu’il voyait de nature double, avec un duvet chatoyant depuis l’extérieur et l’intérieur, la doublure, du manteau d’une narration qu’il bâtissait dans sa tête au fur et à mesure de sa contemplation captive) le subjuguaient.
les conditions de la découverte furent celles d’un vrai polar, comme celles qui présidèrent à la rédaction de son nouveau livre. un livre que j’ai lu, Adrian et Tony sont des personnages du roman, relisez le papier de Jean-Claude Lamy. Barnes est l’un des auteurs de chevet de celle avec laquelle je vis, je suis un peu obligé de m’intéresser à lui (c’est l’un des mystères et des charmes de la conjugalité, la façon dont les deux membres d’un couple arrivent à échanger des éléments de conversation au sujet de passions qu’ils ne partagent que lointainement). Barnes souvent me fait ressentir une espèce, non pas d’état comateux, mais de langueur, proche du sommeil. je ne suis pas très sensible aux commas de ses harmonies d’écrivain (mais suivant l’exemple que j’observe à la maison, je saisis très bien le plaisir de lecture de Céline et Julie, auxquelles je souhaite une excellente et riche année théâtrale, cinématographique, et littéraire.)
le titre français (et sa virgule apparente comme une poutre porteuse dans un mas provençal) me repousse, malgré moi, dans la « comma », britannique cette fois.
me revoilà un peu dormeur du val, sur la berge d’une rivière détournée par Julian Barnes, où dansent les virgules, comme du bois de ponctuation flotté..
mais, est-ce si grave ?

tilt dit: à

« je prie d’ailleurs les lecteurs sérieux »
alec, j’ai cru comprendre qu’il ne fallait pas prendre les lecteurs sérieux du blog pour des lecteurs vraiment sérieux .
je ne vous prie pas de m’étiqueter dans les catégories et genres que vous dites connaître, et reconnaître, d’un clic authentique

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