de Pierre Assouline

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La République des livres
Pour saluer Edmonde Charles-Roux

Pour saluer Edmonde Charles-Roux

« Ah, Edmonde, quelle « bio » si tu voulais bien !… ». S’ensuivait généralement un long soupir, le mien car elle se contentait de sourire. On savait que ce serait non. Pas question. La réponse muette était aussi rituelle que la question depuis des années, lors des déjeuners mensuels des Goncourt chez Drouant, le plus souvent après qu’elle eut raconté sans effort de mémoire mais avec une précision étonnante, un franc-parler réjouissant tout juste bridé par le souci de discrétion vis à vis des morts comme des vivants, et un talent inentamé de portraitiste, quelque anecdote sur un événement auquel le destin l’avait mêlée. Et il y en eut, tant historiques, politiques, artistiques que littéraires. Ils se bousculent dans la mémoire au moment où l’on apprend sa disparition à 95 ans chez elle à Marseille.

Sa vie, c’était son œuvre même si, contrairement à Oscar Wilde, elle ne songea pas à répartir consciemment talent et génie entre l’une ou l’autre. Elle avait bien une œuvre comme il sied en principe à un écrivain, marquée par quelques balises : un grand roman sicilien sur fond de drogue et de mafia tiré d’un fait divers auquel elle avait assisté dans sa jeunesse (un petit vendeur de jasmin assassiné par jalousie par un notable américain fils d’immigrés sisciliens, candidat à la mairie de New York) qui lui valut le Goncourt 1966 (Oublier Palerme), une ambitieuse biographie dans laquelle se nichait en creux son propre reflet (Isabelle Eberhardt), un portrait casse-gueule d’une grande dame pas facile (L’irrégulière, Coco Chanel documentée par Paul Morand), une poignée d’autres. Tout en leur rendant justice, une biographie d’Edmonde Charles-Roux les aurait intégrés à un parcours hors-pair dans le siècle. Regrets éternels, les miens. Car si ses archives sont bien quelque part, son témoignage, sa voix, sa présence rayonnante manqueront pour rassembler les morceaux du puzzle.

Indépendante, curieuse, irrévérencieuse, sobre, empathique, raffinée, ardente, insoumise, courageuse, frémissante, cosmopolite, la conviction faite femme, élégante en toutes choses, cette méditerranéenne témoignait de ce qu’une grande bourgeoise, élevée sous les lambris des chancelleries à Saint-Pétersbourg, Istanbul, Le Caire, Prague, Londres, Rome, éduquée par les meilleurs maîtres, pouvait s’accomplir en aventurière sans rien renier de ses origines ni de sa personnalité. Ce qui ne l’empêcha pas de rompre avec son milieu, son frère ayant épousé l’autel et le trône, et sa soeur le chef de cabinet du comte Ciano, ministre des affaires étrangères de Mussolini.

Imaginez l’adolescence dans le cadre majestueux du palais Farnese à Rome où son père est ambassadeur de France. Puis la guerre. Etre une femme de ce milieu-là, avoir 20 ans en 1940 et s’engager dans la Légion étrangère comme infirmière ambulancière au 11ème régiment étranger d’infanterie, être blessée en secourant un blessé, continuer après l’armistice en entrant dans la Résistance au réseau Brutus regroupant des socialistes des Bouches-du-Rhône, retrouver la Légion à la Libération au moment du débarquement en Provence en août 1944, être attachée à l’état-major du général de Lattre de Tassigny, être à nouveau blessée lors de la campagne d’Autriche, recevoir la Croix de guerre et la Légion d’honneur à titre militaire, se battre encore mais dans le civil cette fois au début des années 50, après avoir fait ses premières armes à Elle, en prenant la rédaction en chef du magazine de mode Vogue qu’elle révolutionne par les signatures littéraires et artistiques qu’elle y fait entrer, par ses idées graphiques, par ses audaces surtout, la dernière lui valant d’en être exclue par les propriétaires américains en 1966 : elle avait osé imposer un mannequin noire en couverture, ce que la direction du magazine finira par accepter… vingt ans après ! Edmonde était convaincue qu’on avait également voulu lui faire payer sa fidélité aux communistes Aragon et Triolet. La femme de lettres prend alors le relais de la journaliste. Des livres, une élection à l’Académie Goncourt dont elle deviendra la présidente, toutes choses qui en font tant un personnage qu’une personnalité de la vie littéraire, et pas seulement l’épouse du maire de Marseille, ayant convolé avec Gaston Defferre en 1973.

On lui prêtait nombre de conquêtes tant auprès d’hommes que de femmes, du peintre Derain dont elle fut un modèle au jeune colonel Kadhafi en passant par la comtesse Pastré, Orson Welles, Maurice Druon dont elle fut l’un des nègres pour l’écriture de sa saga romanesque Les Rois maudits, et… Il est vrai que son charme étant irrésistible bien qu’elle fut recrue d’années, on imaginait sans peine ce qu’avait été son pouvoir de séduction. On comprend qu’elle ait toujours refusé d’écrire ses mémoires. Quand il y a trop à dire sur trop de monde, il vaut mieux se taire, surtout quand on n’a jamais pratiqué la langue de bois et que les zones d’ombre subsistent. Edmonde, c’était un style, une allure, un goût, un ton. Une femme, quoi. Mais quelle ! Ce que son père lui avait reproché :« Tu vis comme un homme ! » Il est vrai qu’elle était caporal d’honneur de la Légion étrangère.

 

 

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commentaires

609 Réponses pour Pour saluer Edmonde Charles-Roux

le garçon qu'on appelait monsieur dit: à

et Trump est candidat rédacteur en chef…

la vie dans les bois dit: à

@23 h 01 min

Je ne sais pas. Vous me semblez n’avoir pas tous vos moyens, sauf ceux de pianoter.
Quoi qu’il en soit, voyez le vieux pédé scato de 23h01 s’il est d’accord pour qu’on l’appelle bas rosis. Entre vieilles folles, vous devriez pouvoir vous entendre.

MC dit: à

Une chose est de vouloir s’inspirer de Milton, une autre est d’en avoir la puissance, De Nota…

JC..... dit: à

Il y a une bonne raison à s’injurier en se traitant de « vieux pédé » quand le nombre d’hétéro est supérieur à celui des invertis.

En milieu majoritairement destiné aux feux et aux flammes de l’enfer, s’injurie t on en se traitant de « vieil hétéro » ?

Quels mystères nous entourent de leur voiles crasseux …. !

renato dit: à

Le diable n’est qu’une invention morale assez stupide… tout compte fait…

JC..... dit: à

…invention aussi stupide que celle du bon dieu ….

renato dit: à

Puisque sans le premier le deuxième ne serait pas une figure rassurante et vice versa…

JC..... dit: à

…nous sommes d’accord…. et bon Purgatoire pour ECRD !

Chaloux dit: à

A propos de Satan, n’oublions pas le Petit Duc.

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