Un premier roman éclairé « a Giono »
Pourquoi le dissimuler ? Je suis tombé sur ce premier roman d’un inconnu du nom d’Olivier Mak-Bouchard dans les derniers temps du confinement, l’éditeur ayant eu la bonne idée de l’envoyer assez tôt. La couverture m’avait intrigué : une illustration signée Phileas Dog. On y distingue un chat entre des arbustes se détachant sur un fond aussi flamboyant que montagneux, la vivacité des couleurs et contrastes ajoutant à l’énigme du titre : Le Dit du mistral (348 pages, 19 euros, Le Tripode). Il a été inspiré à l’éditeur par le Dit du Genji, fameux classique japonais du XIème siècle. Mais à la place de la Cour impériale de Heian, c’est du Luberon d’aujourd’hui qu’il s’agit entre Apt et Fontaine-de-Vaucluse en passant par le portail Saint-Jean, la falaise de la Madeleine, le pré des sorcières, le rocher des Druides, avec des échappées du côté du plateau des Claparèdes et du Vallon de l’Aiguebrun -au-delà de la carte postale des champs de Lavande, cela va sans dire.
Toujours risqué de se placer sous les auspices de classiques. Encore plus risqué lorsqu’on emploie le beau mot de « transmission », si facilement et si stupidement taxé de réactionnaire. Dès lors qu’il y a transmission, qu’est-ce qu’on garde et qu’est-ce qu’on jette ? Et plus encore lorsqu’on gratte la terre clandestinement sur un chantier archéologique en Provence. Ou comment la vie de deux hommes est chamboulée le jour où la violence d’un orage évente le secret d’un mur de pierres sèches. Des éclats de poterie, ce n’est rien, des tessons qui ont la patine de l’antique, c’est mieux et que dire alors du visage énigmatique d’une femme-calcaire- mais le robinet qui fuyait dans une rue de Venise dès les premières pages du Danube de Magris, ce n’était pas grand-chose non plus et cela suffit à susciter une œuvre. Si on s’y laisse prendre, on jurerait avoir vu, de ses yeux vu, un mistouflon en se promenant dans le vallon de l’Enrageade- et tant pis si le Dahu du Luberon relève de la mythologie. Il est vrai qu’il a tant d’histoires dans cette histoire.
Fable et légende autour du mythe provençal de la chèvre d’or (une institution dans la région), conte de fées parti d’un état de lieux, c’est un vibrant hymne à la vie et à la nature, un éloge chaleureux du calcaire sec même quand il réfléchit le soleil à le rendre insupportable. Montagnes, vents, sources : un moment hors du temps, une parenthèse enchantée à laquelle la force des origines donne une touche cosmique. Toutes les vérités de ce pays sont vitrifiées pour raconter une histoire dédiée « aux mercredis chlorés » par les paroles d’un narrateur sans ostentation ; un éloge de la lenteur, la sagesse populaire vue comme une forme de savoir, la mystique de la terre qui s’en dégage mais sans en faire des tonnes, sans la ramener. Sans idéaliser non plus : on apprend à s’y méfier de cette saloperie de cabrian, énorme frelon jaune et noir dont la piqure peut être mortelle et à pester contre ces sangliers qui, la nuit venue, retournent vignes et lavande
On n’est pas près d’en oublier les personnages, ces deux archéologues amateurs qui oeuvrent dans leur coin à la sauvage sans en toucher au maire, sans oublier le chat dit « le Hussard », le Maître-Vent et la femme-calcaire, et Monsieur Gardiol aussi, tant ils sont attachants -et qu’importe si, face à ce mistral gagnant, et la belle solidarité qui s’en dégage, il se trouvera toujours des cyniques pour n’y voir que naïveté localière et ingénuité régionaliste. Ah, monsieur Sécaillat, le fameux voisin d’à côté, ce vieux paysan que l’on disait si bourru et peu disant… Il a bien fait de pousser la porte ce soir-là malgré l’orage. En passage, on apprend même les mots du crû car innombrables sont les expressions et dictons populaires en VO (sous-titré).
« Leis biou se prenum per leis bano, e leis ome per la lengo/ On prend les boeufs par les cornes, et les hommes par la langue.
Per amoussa lou fue ie jites pas de pailho/ Pour éteindre un feu, on ne jette pas de la paille dessus
C’est très riche, presque trop, animé d’une vraie générosité. Celle d’un jeune auteur, qui a grandi dans le Luberon et vit actuellement à San Francisco. Il avait envoyé son manuscrit par la poste à un éditeur qu’il ne connaissait pas mais dont il appréciait les livres. Olivier Mak-Bouchard s’est mis en retrait pour dire la beauté de son pays. On s’en doute, il a lu et aimé Henri Bosco et Frédéric Mistral, forcément. Mais pas qu’eux. L’ocre est sa couleur mais si j’osais, je dirais que tout le roman est éclairé A Giono… En tout cas, cela donne envie d’aller chercher, à la suite de tant de Provençaux depuis des siècles, la fameuse grotte de la Cabro d’or, sur le versant nord du mont Ventoux, avant Malaucène.
L’achevé d’imprimer, les trois lignes rituelles dans tous les autres livres, prend ici la forme d’une page aussi fantaisiste que le roman qu’elle clôt, une déclaration d’amour aux fabricants : les imprimeurs et les autres. Mais n’allez pas croire que livre est made in Cavaillon, tout de même : mis sous presse à Condé-sur-Noireau, il a été édité en Normandie. Et comme il est dit, in fine de l’excipit :
« …franchement, on ne leur en avait même pas voulu : fatche, le caganis était si beau ! »
Pas sûr qu’il y en ait d’autres de cette encre et de cette originalité dans la rentrée littéraire 2020, parmi les 65 premiers romans annoncés…
844 Réponses pour Un premier roman éclairé « a Giono »
Mireille est un opéra en cinq actes, composé par Charles Gounod sur un livret de Michel Carré1 d’après Mirèio, poème épique en provençal de Frédéric Mistral, créé le 19 mars 1864 au Théâtre Lyrique1.
https://www.youtube.com/watch?v=FpDigVii7To
PARCE QUE J’ai connu une mireille Bouchard (et son frère Robert) de marseille , famille amie dans mon adolescence:
Une magnanarelle est une femme employée dans les magnaneries de Provence (lieu d’exploitation de sériciculture, élevage du ver à soie).
On trouve aussi la forme magnarelle.
Des magnanarelles apparaissent dès l’acte I de l’opéra Mireille, opéra de Charles Gounod de 1864, d’après l’œuvre de Frédéric Mistral.
Il existe un « Lycée des Magnanarelles », un lycée technique agricole situé aux Arcs
magnanerie:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Magnanerie#/media/Fichier:Magnanerie_Mirabeau.jpg
J’ai connu plusieurs Mireille célèbres : Delmas-Marty ; Balestrazzi ; Mathieu ; Darc ; aucune d’entre elles n’avait choisi le dur métier de magnanarelle. L’une était universitaire, l’autre commissaire de police, la troisième chanteuse, la quatrième comédienne. Une seule d’entre elles n’est plus de ce monde. Je les embrasse ainsi que toutes les autres Mireille inconnues de la jet set, bien que toutes aient été ou soient aussi ensoleillées.
le monde:
, la lauréate du prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch a été convoquée pour mercredi par les enquêteurs, en tant que membre du conseil de coordination formé par l’opposition et qui fait l’objet de pressions et poursuites en justice pour « menace à la sécurité nationale »., la lauréate du prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch a été convoquée pour mercredi par les enquêteurs, en tant que membre du conseil de coordination formé par l’opposition et qui fait l’objet de pressions et poursuites en justice pour « menace à la sécurité nationale ».
, la lauréate du prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch a été convoquée pour mercredi par les enquêteurs, en tant que membre du conseil de coordination formé par l’opposition et qui fait l’objet de pressions et poursuites en justice pour « menace à la sécurité nationale »., la lauréate du prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch a été convoquée pour mercredi par les enquêteurs, en tant que membre du conseil de coordination formé par l’opposition et qui fait l’objet de pressions et poursuites en justice pour « menace à la sécurité nationale ».
Pourquoi le répétez-vous deux fois ? Vous êtes sourde ou quoi ? Cessez de harceler l’Herdélie !
ver à soie:
Un souvenir d’enfance de Jacques Derrida : le ver à soie s’auto-affecte jusqu’au moment de « véraison » unique, imprévisible, où se perce l’écorce
» Il se termine par un souvenir d’enfance : le garçon qui, âgé d’environ 12 ans, élevait des vers à soie dans les quatre coins d’une boîte à chaussure. Quel rapport cet élevage a-t-il avec le talith? Certes le ver fabrique du fil, et le talith est un objet textile. Mais l’essentiel n’est pas là : c’est que le talith est fait d’un fil d’origine animale (la laine), et la soie aussi est d’origine animale (le ver). Cette animalité, Jacques Derrida la désigne comme vivante. Ce qui est vivant s’auto-affecte. »
https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0911101048.html
Essai sur la typographie d’Apta Julia qui est sur la voie domitienne.
https://www.persee.fr/doc/ran_0557-7705_1968_num_1_1_885
encore une « mireille »:
Scènes des différences
Où la philosophie et la poétique, indissociables, font événement d’écriture
Jacques Derrida, Mireille Calle-Gruber
https://www.cairn.info/revue-litt%C3%A9rature-2006-2-page-16.htm
Et aussi le pont Julien au nord de Bonnieux qui franchit aussi le Calavon et fait partie de la voie domitienne.
le pont Julien
https://www.provenceguide.com/patrimoines-culturels/luberon/pont-julien/provence-853549-1.html
Le nom jas désigne une bergerie en provençal. Bouffan peut se traduire par « vent ». Il pourrait venir du provençal boufa, « souffler3 ». Ce nom évoque sans doute la situation venteuse et surélevée d’un jas qui a donné son nom à tout le quartier.
bastide (comme françois régis)
Au XVIIIe siècle en Provence, la bastide est une habitation secondaire destinée à la bourgeoisie et à la noblesse. Aujourd’hui très prisées, ces constructions provençales conservent bien souvent ce rôle de résidence secondaire. Définition, situation géographique et caractéristiques architecturales des bastides provençales sont à découvrir dans cet article.
j’habitais au dessis de latelier de Cézanne excuses de ce souvenir :
Le Jas de Bouffan est le nom d’un jas du xviiie siècle9 acheté le 15 septembre 18599 par Louis-Auguste Cézanne, père du peintre Paul Cézanne, à Gabriel-Fernand Joursin10. Elle possède un domaine agricole et viticole de 15 hectares9. Ce n’est que vers 1870 que toute la famille Cézanne s’installe dans la Bastide du Jas de Bouffan10, même si Paul s’y rend régulièrement pour peindre. Le peintre y a installé son atelier et y a commencé sa carrière. Il y a fait l’une de ses plus « grandes » œuvres (travail mural de 1859 à 1899 : « Les Quatre saisons »), ainsi que Le Jas de Bouffan (vers 1876) conservé au musée de l’Ermitage.
Le 23 octobre 1886, Louis-Auguste Cézanne y meurt10. Les murs voient en 1888 la présence d’Auguste Renoir, qui n’y reste pourtant pas longtemps, en raison de « l’avarice noire qui règne dans la maison10 ».
Enfin, la famille Cézanne vend son bien le 18 septembre 1899 à Louis Granel, ingénieur agronome de Carcassonne. La maison reste dans la famille Granel, puis, par alliance, dans la famille Corsy, jusqu’en 1994, date à laquelle le docteur Corsy la vend à la mairie10.
La construction du quartier du Jas-de-Bouffan est pour l’essentiel à mettre au crédit du maire Félix Ciccolini (1967-1978)7. C’est lui qui, en avril 1969, prend la décision de construire sur ce quartier en devenir « 5 075 logements moyens, des écoles, des commerces, un collège, un stade et un centre omnisports sur 169 hectares de terrain7 » pour permettre le logement de nombreuses familles de rapatriés d’Algérie. Il dit en 1973 que le quartier du Jas-de-Bouffan, en pleine expansion, « symbolise notre ville tout entière qui, depuis quelques années, subit une des plus fortes mutations de son histoire7. » La partie ouest de la ville d’Aix-en-Provence est alors considérée comme la seule possibilité d’extension urbaine8.
wiki
Bien vu ce retour a Aix; enfin, à Cézanne.
D’ailleurs, trois jours, ça vous tente ?
Moi, oui, beaucoup. J’y reviendra quand j’en aurai fini avec Me Sureau. Ou peut-être avant, d’ailleurs, car ce livre est petit en taille :
« L’œil chafouin, le poil hirsute, Paul Cézanne crapahute par les collines, suant sous son melon, le dos courbé sous le poids du chevalet. Apparaît la bottine d’une femme gisant sur un talus, et c’est le drame.
Trois jours dans la vie de Paul Cézanne suffisent à Mika Biermann pour faire sauter les écailles de peinture, gratter la trame, ajourer jusqu’à l’os le portraitiste de la Sainte-Victoire.
Un vilain fait divers transformé en une odyssée de garrigue sur une mer de peinture, dans le sillage du peintre bourru, vaniteux et obsédé par des chimères grotesques qui n’engendrent pas la mélancolie.
On en termine la lecture l’œil fringant et les doigts maculés de couleurs fauves. »
http://www.editions-anacharsis.com/Trois-jours-dans-la-vie-de-Paul-Cezanne
25 août 2020, 15h55, je préfère l’indiquer.
C’est une erreur. Cela arrive. On a beau préférer Zola à Cézanne, peintre Paul ne méritait pas ce traitement d’ « humeurs » de la part de Mika Biermann. Quelle soupe aux choux, les amis.
De la merde ce bouquin, comme ce mot qui apparaît toutes les trois lignes dans son bouquin.
L’influence du Dr Gachet, certainement.
Bref, à Aix, ce soir, le soleil se couche en douceur.
20h08.
@Jibé
Je reprends la lecture du roman d’Olivier Max-Bouchard Le Dit du Mistrall.
Je vous écrivais : « J’aime ce récit quand il n’est pas trop envahi de légendes. Peut-être a-t-il voulu faire mémoire aussi aux contes de Provence. pourquoi pas ? »
Alors , j’ai relu attentivement ces chapitres délaissés, au cœur du livre, que j’avais isolés du roman. Ils sont très beaux. Des rêves provoqués par l’immersion du narrateur dans le bassin de la source de la femme-calcaire.
Ils sont annoncés par une phrase discrète en bas de page : « Les yeux fermés, entre deux eaux, un rêve vint toquer aux volets de mes paupières. » Suivent alors ces métamorphoses permettant au narrateur de revivre ces légendes.
Venu tout droit du conte d’Alphone Daudet, loup contre chèvre, un détournement inattendu mettra le lecteur face à la Chèvre d’or (Le cabro d’or). Puis, autre légendaire présence : Hannibal et ses éléphants « voulant prendre Rome à revers en faisant tout le tour de la Méditerranée, en trouvant un passage par les Alpes. »
Et voilà le Mistral fou « qui souffle comme un furieux ». Les éléphants n’avancent plus. Mémoire alors du Maître-vent et de la file des bergers qui entament l’ascension du mount Ventour pour calmer le vent fou. Et l’on comprend alors que ces tessons trouvés au début du roman étaient des morceaux de la toutouro,, la trompe en terre des bergers, celle avec laquelle ils ont joué toute la nuit pour calmer le vent et qui doit être brisée au matin comme une offrande au Maître-Vent. Ainsi fera Hannibal.
Et ces légendes seront saisies par le romancier pour expliquer la désolation de la dernière partie.
On pense à Manon des sources et à la source qu’elle bouche avec des pierres et de la terre…
L’ensemble des deux parties y trouve sa cohérence.
Merci de cette reprise de commentaire, Christiane. J’aime beaucoup la profondeur mythique qui caractérise certains romans, le fonds archaïque, à condition d’éviter les écueils du ruralisme et du folklorisme. On a, par exemple, chez un poète comme Appolinaire, un constant dialogue entre l’acier et la pierre, la guerre mécanique et les références épiques -la comparaison s’arrête là. Ce que je veux dire c’est qu’ il faut que ça coule de source (sans jeu de mots sur Manon). Ces deux archéologues voient le passé remonter et résonner, les forces naturelles (le vent, le calcaire) être personnages du roman… Il faut un sacré talent pour que ça sonne juste.
Merci encore de partager.
Oui, Jibé,
c’est ma façon de lire. Là je laisse reposer. On a trop parlé du livre. Il faut qu’il se patine avant d’être ouvert à nouveau. Je crois que je vais me lancer dans la lecture de Camille de Toledo (L’inquiétude d’être au monde ou Vies potentielles). Chantal m’en a donné envie.
Merci pour la chèvre d’or de P. Arène . Vaut le détour.
La chèvre d’or de Paul Arène
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91281f/f1.image.texteImage
J’ai dit merci( à Et Al) et déjà donné le lien où lire ce chef-d’oeuvre.
Pas de quoi.
Il a peu été évoqué le père de l’âne-culotte, recit fabuleux !
« Dans un texte d’une étonnante richesse, L’exemple de Cézanne, C.-F. Ramuz oppose à la Provence de carte postale chère aux amateurs de galoubet et de farandoles, la Provence dépouillée, universelle du peintre de la Sainte-Victoire. Cette Provence, sans couleur locale, cette contrée réduite à sa pure essence de vent, de rocs et de soleil, « c’est tellement la Provence que ce n’est plus elle, et c’est uniquement en ce sens que l’on peut appeler Henri Bosco un écrivain provençal ». »
C’est M.Court, qui, sur ce blog a évoqué le premier, et admirablement, le texte de C.F. Ramuz Paul Cézanne (éd. Polychrome – Bibliothèque des Arts, Lausanne) alors que j’évoquais le livre de Jacques Teboul (pour moi inégalé) Les Victoires de Cézanne (éd. Adam Biro)1988 et deux ouvrages plus récents Cézannz de Joachim Gasquet (éd. encre marine – 2012 – réimpression de celui de 1921) et « le » Jean Colrat Cézanne – joindre les mains errantes de la nature (éd.Pups / Paris-Sorbonne- 2013 – 515 pages).
Texte magnifique de Ramuz que j’ai commandé peu de temps après son intervention.
Les premières et dernières lignes du texte (75 pages) :
« Le vrai précurseur doit être plus humble, plus maladroit, plus inégal, plus empêché – plus à l’écart aussi, à l’écart, mais non en dehors, en plein dedans de son siècle, au contraire, mais sans qu’on s’en doute, à l’écart matériellement ; les chemins mêmes de sa vie seront difficiles et obscurs. J’ai nommé Cézanne.
[…]
D’autres ont des bustes, des statues : sa grandeur à lui est dans le silence qui n’a cessé de l’entourer ; sa grandeur à lui est de n’avoir ni buste, ni statue, ayant taillé le pays tout entier à sa ressemblance, dressé qu’il était contre ses collines, comme on voit le sculpteur, son maillet d’une main et son ciseau de l’autre, faire tomber le marbre à larges pans. »
Quant à s’écrier d’un lien déjà donné, je ne suis pas montée sur mes grands chevaux quand vous en avez remis un que j’avais donné sur la même page avant vous… Ce sont des choses qui arrivent car on n’ouvre pas tous les liens et on ne lit pas tous les commentaires…
Vous lisant, je pense souvent au personnage tumultueux, hâbleur, caboteur, pugnace et arrogant de César interprété par Yves Montand dans le film de Sautet « César et Rosalie »…
je ne lis que ce qui est susceptible de m’interesser, pour une cause ou une autre.
Par exemple, ce bouquin de Mija Biermann avait tout pour le plaire, forcement.
En plus, coïncidence, lecture d’été conseillée par l’académie Goncourt.
Je l’attendais à une lecture amusante comme A. Camilleri et ses peintres ( Le Caravage, ou Renoir)
Mais non. Une sombre merde.
De l’art un peu comme ce neo kitsch événementiel, un peu porn-scato, que les parisiens » culturels » adorent.
Mika Biermann.
Je plussoie, Christiane, quant au texte magnifique de Ramuz, dont je suis heureux de trouver un extrait grâce à vous
Des pépites dans ces échanges.
Cela seul importe.
Ah ben moi lisant juste le nom en-tête du commentaire de la foldingo, je pense au pangolin. C’est kom ça. Je zappe.
Jibé dit: « Je plussoie, Christiane, quant au texte magnifique de Ramuz, dont je suis heureux de trouver un extrait grâce à vous
Des pépites dans ces échanges. »
Oui, Jibé, « cela seul importe ».
Ce que vous avez écrit sur l’autre fil (billet suivant) à propos de Màc m’a émue. Je suis heureuse de découvrir votre amitié. La nôtre était très belle aussi avant sa disparition en Provence et quand il est revenu il était très malade, allait vers cette opération qui n’a rien arrangé et vivait reclus chez une amie. Je ne l’ai alors pas revu.. Et puis un ou deux messages signés Bergenzinc sur le blog, un fabuleux poème et l’annonce de sa mort. C’est dur de penser qu’il a été incinéré, qu’il n’ait pas de tombe et qu’il n’y a pas eu de kaddish récité…
Pour en revenir à ce beau texte de Ramuz je vous ai choisi un autre extrait, très rare. C’est le seul qui interroge sa maladresse :
« Qu’importent alors les tâtonnements, les maladresses, les gaucheries ? ne sont-elles pas comme une garantie de plus, et en ce sens une Beauté de plus ? A quoi on assiste, c’est au lent débrouillement d’un esprit sans brillant, sans éclat, sans facilités, qui ne distingue que peu à peu les principes d’architecture qui sont en lui-même, mais qui tend incessamment, opiniâtrement, à les imposer à son art. Ce qui fait la grandeur et en même temps l’infirmité d’un Cézanne, c’est son incapacité à se souvenir de ce qui a été fait avant lui. […] la sensation chez lui a trop de violence pour leur permettre de s’y substituer. »
Quand j’ai lu ces lignes, je suis revenue en arrière loin des Sainte-Victoire éblouissantes, lumineuses, tremblantes de chaleur, merveilleusement construites (toiles) et colorées (aquarelles), avec cette fuite des contours, une nouvelle conception de l’espace ouvrant la forme. La sensation opèrant une synthèse. Éblouissement du blanc…
J’ai revu les erreurs de perspective, les tables bancales, les pommes cabossées, les premirs portraits… son acharnement dans les séries. Le moins doué des grands maîtres si on regarde les toiles du début !
C’est un vrai travail d’accomplissement fait justement de victoires sur ses difficultés.
J’ai lu Henri Bosco, au Lycée. De mémoire, c’était en seconde, et pas conseillée classe. Je garde un profond attachement à l’âne- culotte, car ce conte fantastique m’avait hantée pendant longtemps.
Je ne pense pas y retrouver un plaisir de lecture des dizaines d’années plus tard.
Sur le mont Ventoux, il est dommage de ne pas avoir évoqué Petrarque ( et sa belle)et aussi Jacques Henri Fabre .
Ah oui, que de souvenirs…
et une lecture pas conseillée en classe.
Merci de ces vos paroles sur MàC.
Très ému.
Oui, Cézanne commet des maladresses parce qu’il est un homme, un artiste plein de passion, un obsessionnel qui laisse tomber ce qui est hors de son obsession.
Des maladresses, il y en a chez Le Greco, par exemple. L’Enterrement du comte d’Orgaz se moque de la perspective parce que le vrai sens est ailleurs. Il y aurait mille exemples.
La « gaucherie » est une preuve de plus, c’est très justement apprécié. l’artiste qui lèche son ouvrage au point de n’y laisser aucune scorie aurait un côté écolier appliqué, bon, très bon, mais sans talent. Parce que le talent, c’est ce qui dérange, quand la petite ombre fait sortir la lumière, quand le pied fuyant et « mal peint » ne nuit pas au tableau. En fait, quand le talent est là, la maladresse, on s’en fout. On sait même qu’elle aurait pu être évité, mais…et alors?
« mais…et alors? » dîtes-vous, Jibé.
Bien, il faut regarder longtemps, sans bouger jusqu’à ce que ce soit la toile qui vienne à nous, dans notre regard. Les pommes par exemple. On plane sur la toile, on les voit d’en haut puis de face puis d’en bas. Et la couleur ? La pomme se reflète sur la tasse , sur le pichet, sur la pomme d’à côté. Tous ces fruits, textiles et poteries se font amitié, se prêtent leurs couleurs, se parlent en couleurs. Pareil pour l’air et la roche, la roche et les arbustes. L’un pèse sur l’autre et les couleurs divaguent. Et ce pied de table tout de traviole et cette nappe dont le pli est de guingois. Et alors ? Je les prends comme on épelle un alphabet. Chacun sa note, chacun son mouvement dans l’espace du regard. Ça donne le tournis et pourtant on n’a pas bougé. Et peu à peu ses sensations deviennent les nôtres. Pour un peu on prendrait le pinceau, la palette.
Et alors ? Je pense au bonhomme, austère, solitaire, douloureux, moqué mais qui continue, entêté parce que quand il peint, quand son regard vif bondit de la chose regardée à la toile, de la toile à la palette, il est là dans ce geste de peindre porté par la sensation et le monde alentour est là aussi, confondu, lui et la palette, lui et la montagne.
Ramuz écrit « et voilà qu’aussitôt il semble qu’il se vide de tout ce qu’il pouvait savoir, de toutes les recettes apprises, de tous les moyens employés avant lui : plus que l’affrontement, le face à face, d’un pauvre homme dépourvu de tout prestige d’emprunt et de l’objet extérieur. […] l’objet tout neuf, l’objet vu comme pour la première fois. Et tout se passe, alors,entre la sensation qu’on en a, et les moyens de la rendre, qu’à l’occasion on s’invente à soi-même. »
C’est comme de penser à Dieu. Oublier ce que l’on a appris, se vider jusqu’à être si vide, si pauvre que ça fait nid.
J’ai vu MàC, un jour devant un Rouault, (à la Pinacothèque je crois, en 2009 ?) devant une tête de Christ, une petite toile carrée. Deux coulures de bleu de Cobalt, un fond vert foncé, puis des couleurs éclatantes et ce visage encadré d’un cerne blanc, des traits noirs sûrs pour tracer le visage, le nez droit et long les yeux qui nous regardent, une lèvre rouge. Souffrance et paix. Un visage déchirant. Il est resté longtemps devant la toile et répétait : « Tu vois ça… tu vois ça… ». Il balbutiait parce qu’il ne trouvait pas les mots.
Si les mots pouvaient causer pas sûr qu’ils soient d’accord avec les délires ici et là.
Lapsus clavier amusant.
Si les morts , etc.
Y’en a un qui doit se retourner dans sa tombe, enfin, il n’y a pas de tombe.
Je vois bien ce que vous voulez dire et que vous dites fort bien, Christiane, ce « et alors? » était aussi la traduction de ce que vous racontez de la réaction de MàC, bouche bée devant le tableau. Et devant Cézanne, maladresses comprises et nécessaires, parties intégrantes des œuvres.
On regarde, « ça donne le tournis », je me souviens de cette sensation devant un Cranach à Munich, devant un van Eyck à Gand. Merci.
Christiane, sur le fil suivant, JJJ a eu la gentillesse de me donner en lien l’hommage rendu à MàC
je suis terriblement touché
c’est très étrange car je ne le connaissais pas
juste ici, autrefois
Il m’a beaucoup appris, beaucoup engueulé, parfois soutenu
J’aurais dit « que la terre lui soit légère », ce qu’on dit dans ma famille, à l’époque
mais, « même pas un kaddich » avez vous écrit.
Là aussi, je suis sans mot
Merci, Jibé, pour votre compréhension. Vous avez bien saisi la réaction de Màc devant le tableau de Rouault qui le laissait bouche bée.
Pour Cézanne, il m’a fallu du temps pour ressentir dans ses toiles et aquarelles la construction qu’il cherchait. Il a réinventé ce qu’il voyait, ressentait en touches colorées. Lourd dans son corps, bourru, pugnace et tellement aérien dans ses dernières aquarelles et impartial dans ses toiles.
Gasquet l’a vu peindre. Il écrit : « Il travailla. C’est le mot de toute sa vie, et qui la résume. Il peignait. Son existence tient toute là. Il travailla, comme lui seul et Flaubert le firent, jusqu’à l’extase, jusqu’à la douleur. […] Il maçonne en pleine pâte les racines rocheuses de cet univers qu’il découvre. […] Il atteignait, en spiritualisant des pommes et du vin, tant il les dégageait de tout ce qui n’était pas joie de la couleur pure, la substance même de son émotion. […]
Il faut l’avoir vu peindre, dans une tension douloureuse […] Tout son être tremblait. Il hésitait, le front congestionné et comme gonflé de sa pensée visible et les mains frémissantes jusqu’au moment où, solides, volontaires, tendres, elles posaient la touche, sûres, et t toujours de droite à gauche. Il se reculait un peu alors, jugeait, et ses yeux de nouveau se reportaient sur les objets ; lentement ils en faisaient le tour, les conjuguaient entre eux, les pénétraient, s’en emparaient. Ils se fixaient sur un point, terribles. » (p. 87/117 – Cézanne Joachim Gasquet – éd. Encre marine)
Christiane, vous dites « il a réinventé ce qu’il voyait »
et je pense à Rimbaud, pour qui le poète est « voyant »
On peut en dire autant des grands peintres, ceux qui sont touchés par la corne du taureau, ils « voient » et nous donnent à voir.
Très éclairant témoignage de Gasquet sur cette sorte de transe qui tenait Cézanne au travail. Le peintre, comme le poète est magicien (dans le sens que Rimbaud donne à ce mot, toujours).
Oui, Jibé, ce qu’il peint c’est l’acte de regarder.
Enfin comme dit Pierre Magnan, il aura fallu qu’il y regarde à quarante fois, Cezanne, pour finir par ne rien voir, de la Sainte Victoire.
Sur laquelle ce soir encore, le soleil vient mourir.
Ach que c’est bô, didon. Je plains ceux qui en bâvent de jalousie.
844
commentaires