de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 71 Location et louange d’Isabelle Huppert et de ses attributs

N° 71 Location et louange d’Isabelle Huppert et de ses attributs

Par Jacques Drillon

Prière d’insérer des Contes du chat perché, de Marcel Aymé :
« Ces contes ont été écrits pour les enfants âgés de quatre à soixante-quinze ans. Il va sans dire que par cet avis, je ne songe pas à décourager les lecteurs qui se flatteraient d’avoir un peu de plomb dans la tête. Au contraire, tout le monde est invité. Je ne veux que prévenir et émousser, dans la mesure du possible, les reproches que pourraient m’adresser, touchant les règles de la vraisemblance, certaines personnes raisonnables et bilieuses. À ce propos, un critique distingué a déjà fait observer, avec merveilleusement d’esprit, que si les animaux parlaient ils ne le feraient pas du tout comme ils le font dans les Contes du chat perché. Il avait bien raison. Rien n’interdit de croire en effet que si les bêtes parlaient, elle parlerait de politique ou de l’avenir de la science dans les îles Aléoutiennes. Peut-être même qu’elles feraient de la critique littéraire avec distinction. Je ne peux rien opposer à de semblables hypothèses. J’avertis donc mon lecteur que ces contes sont de pures fables, ne visant pas sérieusement à donner l’illusion de la réalité. Pour toutes les fautes de logique et de grammaire animales que j’ai pu commettre, je me recommande à la bienveillance des critiques qui, à l’instar de leur savant confrère, se seraient spécialisés dans ces régions-là.
Je ne vois rien d’autre à prier qu’on insère
M. A. »

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Personne ne sait
Pourquoi la première crêpe est toujours ratée.

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Endroit/envers. Avers/revers. Dévers/dévers.

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Les gens bien élevés, qui, arrivant chez vous, savent de quoi ils peuvent s’étonner, ou s’émerveiller, et devinent ce qu’ils doivent feindre de ne pas avoir vu – qui les étonne, peut-être, les éblouit ou les dégoûte, mais dont vous n’avez pas envie de parler.
De même, ils éviteront de vous faire commenter ce que vous avez déjà expliqué cent fois, à tous les visiteurs qui les ont précédés : habitudes étranges, objets insolites, disposition des lieux tout à fait bizarre… S’ils constatent que vous avez manifestement coutume d’enfiler un passe-montagne pour passer à table, ils se garderont bien de vous en demander la raison.

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Le nombre de peaux de vache qu’Isabelle Huppert aura jouées dans sa vie !

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(Suite)
Les verbes d’état (être, paraître, sembler, devenir, etc.), qui commandent un attribut : Elles paraissent troublées. « Jouer » est un drôle de verbe. Il est évidemment transitif (jouer la finale, jouer son argent), intransitif (jouer dans la cour), admet des prépositions (jouer avec, à, sur, de), se fait pronominal au besoin (se jouer des difficultés) ; mais « jouer un personnage » a quelque chose d’un verbe d’état – d’ailleurs on dit aussi bien « elle est Phèdre dans le spectacle » qu’« elle joue Phèdre ».  « Les peaux de vache qu’Isabelle Huppert a jouées » paraît fautif. On préférerait presque ne pas accorder, comme si « peaux de vache » n’était pas complément d’objet : Les peaux de vache qu’Isabelle Huppert a joué. Et comme si Isabelle Huppert était une peau de vache… Ce qu’elle est sans doute, par ailleurs.

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Les grands loueurs de voitures, qui ne possèdent même pas les voitures qu’ils vous louent. Ils les louent.

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Non pas « d’ici jeudi », mais « d’ici à jeudi ». On va d’un point à un autre.

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Personne ne sait
Pourquoi un jour on a cessé de parler de la Terre, mais de la Planète.

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Le consentement.
Mme de Mortsauf, qui écrit à Félix de Vandenesse (Honoré de Balzac, Le lys dans la vallée) : « Ah ! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serais morte de bonheur. J’ai parfois désiré de vous quelque violence. »

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Jean-Loup Dabadie, qui disait : « Truffaut, Rouffio, Pinoteau, Rappeneau, tous les metteurs en scène en o m’ont demandé d’écrire pour eux, sauf malheureusement Fellino. »

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Personne ne sait
Ce que Dieu entendait exactement quand Il a dit au serpent qui avait tenté Ève : « Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre : tu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie. » On comprend bien qu’Il n’est pas content, mais le serpent n’était-il pas serpent, avant ? Il ne rampait pas ? Ou il rampait sur le dos ?

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Personne ne sait
Pourquoi on dit « un Perrier » et « une Badoit ».

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Les joies de la campagne.
Maintenant, pour porter ses déchets à la déchetterie (nommée « déchèterie »), il faut un badge, qui donne droit à un nombre fixe de dépôts (18 m3 par an, effectués par le titulaire ou deux autres personnes nommément désignées).
Il faut prendre rendez-vous. En ligne.
Pour prendre un rendez-vous (qu’on ne peut pas obtenir pour le jour même), il faut se connecter, donner toutes ses coordonnées, dire ce qu’on apporte comme déchets (déchets dangereux, incinérables, mobiliers, électroniques…), donner son numéro de badge, ouvrir un compte avec adresse mel, et mot de passe de 8 caractères minimum. Le jour du rendez-vous, il faut se présenter avec l’attestation de prise de rendez-vous, une pièce d’identité, un justificatif de domicile de moins d’un an, et sa carte d’accès en déchetterie. Il faut trier au préalable ses déchets par catégorie.
Tout jeter dans la forêt devient éminemment tentant.

*

Non pas une biographie sur Napoléon, mais une biographie de Napoléon.

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(Dernière minute)
M. Darmanin, ministre de l’Intérieur, qui vient de créer un « service d’aide aux policiers victimes de violences ».

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(Dernière minute)
Les matchs de fouteballe sans public (coronavirus), diffusés désormais à la télévision avec des ambiances de foules enregistrées : sifflets, hurlements soudains, huées, délires de joie, tout cela lancé à la volée par un type payé pour ça, et chargé d’imaginer en temps réel la réaction d’une foule moyenne.
Mais les joueurs sur le terrain n’entendent pas ces bruits, réservés aux téléspectateurs. L’arbitre qui n’a même pas donné de carton jaune au salopiot qui en méritait un rouge ne sait pas qu’il est sifflé par 80000 personnes.
(On peut imaginer la généralisation de ce procédé : les Césars, avec de fausses Adèle Haenel criant « La honte ! la honte ! » quand le palmarès ne convient pas aux néo-tricoteuses, des messes sans fidèles, mais avec des « Amen » enregistrés, etc.) On n’a plus besoin des hommes, et même ils gênent le spectacle, ils ne réagissent pas comme on veut. Hannah Arendt disait que le totalitarisme est un « système où les hommes sont de trop« .

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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