Raciste et sexiste ? M’enfin !…
Comme un air de déjà vu, cette « affaire Dany ». Bref rappel des faits : un an après l’avoir publié, Dupuis décide soudainement de retirer de la vente Spirou et la Gorgone bleue dessinée par Daniel Henrotin dit Dany et écrite par Yann. Ainsi, un grand éditeur de bande dessinée, filiale du groupe Media Participations, assume-t-il d’autocensurer la diffusion de l’œuvre d’un grand auteur de bande dessinée sous la pression des réseaux sociaux au motif que certaines planches seraient y jugées « racistes et sexistes » (qu’on en juge ici par les planches reproduites chez ActuaBD). L’album en question ayant été effectivement retiré de la vente, l’éditeur s’en est justifié dans un communiqué :
« Nous sommes profondément désolés si cet album a pu choquer et blesser. Cet album s’inscrit dans un style de représentation caricatural hérité d’une autre époque.
Plus que jamais conscients de notre devoir moral et de l’importance que représente la bande dessinée en tant qu’éditeur et plus largement le livre dans l’évolution des sociétés, nous prenons en ce jour la pleine responsabilité de cette erreur d’appréciation »
Il leur aura donc fallu un an pour s’en rendre compte et pour s’apercevoir que la BD est un art fondé notamment sur la caricature et la satire. On dira que c’est l’air du temps, cette façon de se coucher à la moindre indignation collective des réseaux portée par la pression de groupes et de communautés. L’auteur, âgé de 81 ans, avait quant à lui anticipé ces réactions. Lors de la réalisation même de son album, il avait montré planches et esquisses à son éditeur, lequel lui demanda de redessiner les femmes noires en raison de l’épaisseur de leurs lèvres. Le dessinateur s’y résigna, d’autant que pour le reste, il ne reçut que des félicitations de Dupuis. Quant aux accusations de sexisme, il les rejette en bloc au motif que, bien au contraire, les femmes y sont le moteur de l’action :
« Dans cette période de wokisme et de féminisme exacerbé, comme dans tous les mouvements, les extrémistes sont dangereux. Même chez Dupuis, il y a eu des réflexions un peu idiotes sur le fait que dessiner un homme entouré de nanas dans une piscine symbolisait la réussite. Mais cette séquence est une parodie de la vie de Donald Trump ! Cela dit, une piscine avec des jolies filles dedans, moi, ça ne me dérange pas du tout »
Et Dany d’ajouter, tant à propos des réactions à son Spirou et la Gorgone bleue qu’à celles suscitées par l’œuvre controversée du dessinateur Bastien Vivès :
« Le problème actuel, c’est qu’il y a toujours une minorité qui trouve quelque chose à redire face à tout geste artistique. Et les réseaux sociaux n’ont plus qu’à amplifier le mouvement, en démolissant un truc que ces gens ne connaissent même pas. »
Dans une critique de l’album incriminé, Didier Pasamonik avait déjà dressé l’inventaire de tout ce qui pouvait y être jugé provocateur par le politiquement correct édicté par la police de la pensée et susciter la controverse. Mais de là à l’annuler, les sensitive readers ayant désormais remplacé les bons pères de la presse catholique qui censuraient autrefois l’immoralité dans les cases et les bulles !
Le génial Franquin était le maître absolu de Dany. Ils eurent des relations amicales, bien que celui-ci appartint à la seconde génération des collaborateurs du Journal de Tintin alors que son maitre en était déjà parti. Il était paralysé par l’admiration qu’il portait au père de Gaston Lagaffe et du Marsupilami, de Modeste et Pompon et de Spirou et Fantasio, le créateur des Idées noires, véritable chronique sociale et politique. A qui ignorerait encore la singularité du génie de ce maitre revendiqué par tant d’auteurs de BD, on ne saurait trop recommander la lecture d’un ouvrage important qui parait ces jours-ci, une somme sur le sujet : Franquin et moi (236 pages, 32,50 euros, Glénat), un album richement illustré dans lequel Christelle Pissavy-Yvernault a rassemblé ses entretiens avec Numa Sadoul.
Critique, essayiste, comédien, interlocuteur privilégié de Hergé, Gotlib, Giraud/Moebius, Uderzo, metteur en scène de théâtre et d’opéra (mais il se présente plus volontiers comme « transmetteur » ce qui est la meilleure synthèse de ses activités), auteur notamment de Et Franquin créa la gaffe (1986), celui-ci avait entretenu un commerce permanent avec lui. Dans ce Franquin et moi, ses souvenirs sur « un certain âge d’or de la BD franco-belge » saison 2 ou 3 ou 4 (laissons cela aux historiens de la BD) rend nostalgique de la poésie de Spirou et du mordant de Gaston. Mais c’est bien la personnalité attachante, nerveuse, angoissée, cyclothymique de Franquin qui prend toute la place et c’est heureux, son agoraphobie, ses dépressions dont seul son personnage-exutoire de Gaston Lagaffe arrivait à le sortir, ses autocritiques permanentes à défaut d’une véritable critique bédéiste, sa conscience de n’être pas un grand coloriste, son souci de plausibilité pour le moindre de ses gags, sa sensibilité d’écorché, l’esprit juvénile de Spirou par rapport à celui révolutionnaire de Pilote, sa panne de Gaston à la suite de la perte du rythme peu avant sa mort, son hantise de la perspective d’être un jour incapable de dessiner… Sans oublier, au gré de ces « conversations avec un conversationniste », car c’est bien d’une double monographie qu’il s’agit, tout ce que l’on y apprend sur Numa Sadoul lui-même, les coulisses de ses rencontres avec les grandes signatures de la BD, les refus des éditeurs et les échecs (il espérait arriver au millième gag pour Gaston), la difficulté à une époque de s’imposer autrement que par le prisme de la pesante critique universitaire, son tempérament d’archiviste-bibliographe (une quête sans fin…). Quand on pense que Franquin dût lui-même subir des accusations de « sexisme » au motif que dans Le Nid des marsupilamis, sa journaliste Seccotine conduisait sa Vespa de manière désastreuse (nonobstant le que dans d’autres albums, des garçons conduisaient leur voiture tout aussi mal !)
Voilà qui me fait perdre le fil de mon billet et cet « air de déjà vu » évoqué en liminaire. Après la guerre, quand il entreprendra un travail de refonte (mise au format, mise en couleurs) avec Edgar Jacobs, Hergé transformera sensiblement le voyage d’un Belge au Congo en séjour d’un Européen en Afrique afin de lui donner une dimension plus universelle. Dans le même élan, non seulement il le dénationalisera mais il le laïcisera : Tintin cessera de recommander son âme à Dieu. Il n’en demeure pas moins que dans les années 60, Tintin au Congo de même qu’Au pays des Soviets, étaient introuvables en librairie alors que 800 000 exemplaires du Congo avaient été écoulés. Casterman ne les rééditait pas, moins par peur des Africains eux-mêmes que par crainte d’une campagne d’opinion de l’intelligentsia tiers-mondiste. Dans une lettre du 26 juin 1963, Hergé implorait son éditeur de ressortir Tintin au Congo au moins en Europe. Pour lui, la cause était entendue : ses personnages étaient « »des noirs de fantaisie » », caricaturaux comme tous les personnages de son oeuvre. Il en voulait pour preuve les lettres admiratives de ses jeunes lecteurs africains et un article laudateur paru dans le No 73 de la revue Zaïre (2.12.1969) :
» Si certaines images caricaturales du peuple congolais données par Tintin au Congo font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc qui les voyait comme cela« .
Au moment où cet article paraissait, Hergé n’en demandait pas moins à Casterman de remplacer « nègre » par « noir » à la case 8 de la page 31… » Affaire classée ? Pas vraiment. Car il y a quelques années encore, en France, en Belgique, aux Etats-Unis, il y eut des lecteurs pour exiger en vain devant les tribunaux le retrait pur et simple des librairies et des bibliothèques de Tintin au Congo. A l’occasion, le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), constitué d’éminents intellectuels, publia le communiqué suivant à la suite de l’arrêt déboutant le plaignant : « Tout d’abord, il convient de juger les actes, et non pas les intentions. Le problème n’est pas de sonder le coeur et les reins d’un homme qui est mort depuis longtemps, le problème est de savoir si Tintin au Congo diffuse oui ou non un message raciste, encore aujourd’hui en 2012, ce qui est difficilement contestable. Que Hergé ait eu une «intention» discriminatoire n’est pas la question. Qu’il ait un effet raciste, voilà le problème. Par ailleurs, l’argument du contexte paraît tout à fait inquiétant. Désormais, à partir de ce jugement, n’importe qui pourra affirmer qu’il n’est pas raciste, antisémite, sexiste ou homophobe, en se cachant derrière le petit doigt de son «contexte». »
L’audience n’en fut pas moins édifiante, les demandeurs ayant fait valoir que « les Africains se ressemblent tous et ressemblent tous à des singes : les bouches des Noirs sont énormes, et prennent même parfois la moitié du visage ». A quoi Me Alain Berenboom, pour les éditions Casterman et la société Moulinsart, rétorqua que le grand rire nègre, les superstitions, le masque simiesque étaient des marqueurs de la présentation caricaturale du Noir, véhiculée par l’imagerie publicitaire et artistique de l’époque. Nombre d’images furent d’ailleurs produites à l’audience afin de rappeler le « bain colonial » dans lequel évoluait Hergé. Il fut donc question du langage petit nègre, de la tonalité colonialiste et raciste de certains dialogues, de la réputation de paresse dont l’album accablait les Noirs, de la manière néfaste de les présenter comme craintifs etc On invoqua donc en défense Montesquieu, Mark Twain, Chateaubriand, Balzac, Simenon, Voltaire, Flaubert, Hugo, le métisse Dumas, avant de convoquer à la barre des personnages aussi éminents Spirou, Fantasio, Tiger Joe, Tif et Tondu, Blondin et Cirage et de conclure :
« En France, la jurisprudence considère généralement que la fiction exclut le délit et reconnaît l’autonomie de la liberté de créer. »
A bon entendeur…, serait-on tenté d’ajouter. Hélas les temps changent. La tyrannie des réseaux sociaux, quoique souvent anonyme, est telle que les créateurs ont tendance à se réfugier dans l’autocensure. O tempora o mores !
(« Extrait de l’album incriminé et Ex-libris offert avec Spirou et la Gorgone bleue »)
613 Réponses pour Raciste et sexiste ? M’enfin !…
(Trump avait dénoncé durant la campagne “l’arnaque” des voitures électriques : “elles ne vont pas assez loin” … Observation digne de l’antenne d’Europe 1)
Fouille archéologique du Déjeuner sous l’herbe de Daniel Spoerri à Jouy-en-Josas
Dossier multimedia
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Ce dossier multimédia paraît dans le cadre de l’exposition « Il était une fois… la bande à Niki » qui s’est tenue du 13 mars 2014 au 5 janvier 2015, au musée en Herbe, à Paris. Cette exposition présente une soixantaine d’œuvres des Nouveaux Réalistes, dont le Déjeuner sous l’herbe mis au jour par des archéologues de l’Inrap en 2010.
https://journees-archeologie.eu/c-2024/Archeorama/fiche-archeorama/228/Fouille-archeologique-du-Dejeuner-sous-l-herbe-de-Daniel-Spoerri-a-Jouy-en-Josas
Ce que peu d’Européens comprennent, c’est que les Démocrates ont été beaucoup plus anti-démocratiques que le parti adverse, avec deux coups d’Etats successifs et des moeurs dignes de l’Empire Romain. Le « peuple » s’est rebellé.
Rions un peu
Dites donc dear Langoncet, à part passer le barde millionnaire Dylan sur votre tourndisc voilé, vous prévoyez de concurrencer space x ?
« Hatred has won. »
Outrancière et décomplexée.
Mais ce n’est pas forcément nouveau hein…
Marie Sasseur dit: à
De l’air
Très bonne émission chez Augustin ce soir, dans sa grande librairie, Americaine, pour l’occasion, avec des échanges très apaisés, mais unanimes devant ce seisme culturel, civilisationnel, que constitue cette élection avec une conclusion sans appel et très forte de l’épouse de Paul Auster. Hatred has won.
Je ne sais pas si Siri Hustvedt est « Outrancière et décomplexée. », mais poupon ne comprend toujours pas ce qu’il recopie bêtement.
je parlais de la haine
(et je sais très bien ce qu’est la haine outrancière et décomplexée pour l’avoir vue d’assez près)
bonne nuit et bonnes lectures…
Poupou, le haineux malcomprenant, se fera traduire ce texte inédit de Siri Hustvedt, lu droit dans les yeux, et se prendra la claque finale, par Siri herself.
vous êtes d’une mauvaise foi crasse en faisant mine de ne m’avoir pas compris, mais bon, rien de nouveau là non plus…
(et je conchie la mauvaise foi, encore plus que la haine)
non mais quelle manie, c’est pathologique !
Poupon ne semble toujours pas comprendre ce qu’il déforme. Mais ce commentarium est peuplé de débiles ou de camés, on ne sait plus trop à ce niveau…
Le replay de la grande librairie est disponible.
Et Siri Hustvedt est à écouter voir en conclusion, dont j’ai donné les derniers mots.
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