Le paradoxe de l’interviewer
Le problème avec les interviews d’écrivains, ce n’est pas tant la réponse que la question. Le phénomène est flagrant lorsque paraît un bouquet de ces entretiens, le genre de fleurs idéal à offrir à celles et ceux qui aiment la littérature et qui ont parfois envie de se reposer en allant fureter dans les arrière-cuisines- même si l’on sait d’expérience que l’on n’a plus tellement envie de goûter les plats quand on a vu comment ils étaient préparés. On ne se lasse pas de (re)lire l’anthologie d’interviews d’écrivains sur « l’art de la fiction » paru sous le titre Paris Review. Les entretiens (Paris Review Interview Anthology, traduit de l’anglais par Anne Wicke, 553 et 580 pages, 23 et 24 euros, Christian Bourgois). Deux volumes parce qu’il y a du monde et du beau : James Baldwin, William Burroughs, Susan Sontag, Jim Harrison, Jack Kerouac, John Le Carré, William Faulkner, J.L. Borges, Vladimir Nabokov, Thomas McGuane, Marguerite Yourcenar, Mary McCarthy, Truman Capote, Beryl Bainbridge, Martin Amis et d’autres encore (et on y a même glissé un peu de Billy Wilder sur l’art du scénario).
Leur point commun est d’avoir été un jour choisis (on a failli écrire « »élus » ») par la rédaction de la légendaire Paris Review fondée à Paris en 1953 par Harold L. Humes, Peter Matthiessen et George Plimpton, ce dernier assurant dans la durée la notoriété internationale de la revue bien au-delà du premier cercle d’amateurs. On entre dans ces deux volumes enchanteurs comme dans un moulin (mais qui nous racontera jamais comment au juste on entrait dans un moulin ?). En picorant, on (ré)apprend et on (re)découvre un tas de choses sur des romans qui nous sont familières et dont on croyait avoir épuisé le mystère. Sur ce plan là, rien à redire. Mais là où le bât blesse, c’est dans la question. Plus exactement la grille de questions. Car quel que soit le journaliste, on a le sentiment que la Paris Review’s touch a imposé tacitement au fil des années un questionnaire type autour d’une certaine curiosité sur le fameux « processus créatif ».
La rencontre se veut une conversation, mais on n’y est pas vraiment; d’ailleurs, le code typographique et la mise en page, où les questions sont si isolées qu’elles empêchent tout liant, le montrent bien (c’est le cas dans le livre comme dans la revue, dont le site est particulièrement généreux; c’est vérifiable ici sur de récentes interviews ou encore là sur de plus anciennes). Jugez-en sur ce florilège de questions piquées dans ces pages, en sachant qu’elles ne varient guère quel que soit l’interlocuteur de 1965 à la fin du siècle. On dira que c’et très américain dans la démarche ; mais à l’examen, celle-ci ne varie guère d’un pays à l’autre. Il y a bien sûr des variantes relatives au nouveau roman de l’interviewé et à ses dernières prises de position publiques ; ou d’autres qui concernent soit une situation particulière (Pourquoi avez-vous choisi la France ?) ou portent l’empreinte de l’air du temps (Etes-vous d’accord avec Alberto Moravia lorsqu’il dit qu’on ne devrait écrire qu’à la première personne, parce que la troisième personne projette un point de vue bourgeois ?) ; mais généralement, les mêmes reviennent.
» L’écriture a-t-elle été une sorte de salut ? Y a-t-il eu un moment où vous avez su que vous alliez écrire, que vous alliez être écrivain, plutôt qu’autre chose ? Vous avez un lecteur en tête lorsque vous écrivez ? Y avait-il quelqu’un pour vous guider ? Quel a été le processus qui vous a rendu capable d’écrire ? Etes-vous ou demeurez-vous très proche de vos personnages ? Y a-t-il un grand changement de braquet entre l’écriture de fiction et l’écriture de textes non-romanesques ? (Admirez au passage l’audace de la métaphore cycliste !) Combien de pages écrivez-vous par jour ? A quoi ressemblent les premières moutures de vos textes ? Serait-il possible que votre mère se tienne derrière vous lorsque vous écrivez ; est-il possible qu’elle se trouve derrière nombre de vos personnages ? Avez-vous fait une analyse ? Pouvez-vous discerner le talent chez les autres ? Vous ne vous occupez pas du tout de la critique ? Vous découvrez vos personnages en cours de route ? Vous préparez-vous pour un livre avant de l’écrire – ou plongez-vous directement ? Que faites-vous quand vous ne pouvez pas écrire ? La période de gestation est-elle un processus conscient ? Y a-t-il des critiques universitaires dont vous admirez le style ? Avez-vous un public en tête lorsque vous vous mettez à écrire ? Vous arrive-t-il d’écrire sous l’empire de la colère ou d’une autre émotion ? Vous arrive-t-il de relire vos œuvres ? Qu’y a-t-il chez les écrivains qui les pousse à se tenir en dehors du courant de la vie ? Que peut-on enseigner de l’écriture ? La voix de l’écrivain, c’est son style ? Quelle est la part, dans votre fiction, qui vient du réel ? Vous avez quelqu’un pour vous aider dans vos recherches ? Votre renommée a-t-elle des inconvénients ? Quel est votre grand regret dans votre carrière ? Si vous deviez choisir le seul, l’unique livre par lequel vous aimeriez que l’on se souvienne de vous ? etc. » »
Toujours les mêmes questions… A tous les écrivains qui ont la faiblesse d’ouvrir leur porte à un interviewer (oublions ceux qui les réclament, les Truman Capote, Gore Vidal -dont la vie va être bientôt portée à l’cran avec Kevin Spacey dans le rôle-titre, et consorts), on a envie de crier : fermez-là ! Dès la première interview du recueil, celle de James Baldwin dans les années soixante, le questionnaire, implicite et inconscient, est déjà en place et ne bougera guère au cours du demi-siècle qui suivra. Le pire étant l’interviewer qui commence par : « Permettez-moi de vous poser une quarantaine de questions ». On entend ça et on a envie de fuir. Nabokov est resté. N’empêche : on lit ce florilège et on n’a plus envie de poser la moindre question à un écrivain. Non que les réponses ne nous intéressent pas, au contraire, et la lecture passionnée de ce double recueil publié chez Bourgois en témoigne. Sur la drogue et la technique du cut up, Burroughs est hallucinant ; de même, Ginsberg touche à l’essentiel lorsqu’il expose ce que sa poésie doit à Cézanne et à la reconstitution des petites sensations ; ou encore Borges lorsqu’il s’étend sur sa manière de nommer des personnages ; pour ne rien dire d’Imre Kertesz dont la seule consultation de l’index donne un aperçu de la richesse des archives de la revue.
Mais lorsqu’on est du bâtiment, que l’on sait à peu près ce qui gouverne l’invention d’un roman, la somme de doutes, d’angoisses, de difficultés et de joies qui y préside, que l’on est déjà passé par là, qu’en art la question de la technique est si secondaire qu’elle peut se liquider en trois phrases, que l’on sait en vérité qu’on n’en sait rien car tout cette affaire n’est qu’instinct, incertitude et intranquillité, qu’on maudit le journaliste qui nous force à formuler l’informulable et qui doit le rester, on est confronté à ce paradoxe : malgré notre curiosité de savoir comment ils font, de quelle manière ils s’y sont pris, dans quelles circonstances et avec quels instruments, on a juste envie de leur poser une question qui d’ailleurs n’en est pas une, se réduit à deux mots empruntés à l’une des plus belles chansons de Billie Holiday, et devrait être de nature à clore aussitôt tout entretien avant même qu’il n’ait commencé : Don’t explain…
(« Joan Didion, Lawrence Durrell, Eudora Welty, William Burroughs » photos D.R.)
830 Réponses pour Le paradoxe de l’interviewer
mais ma toute PREMIÈRE CLAQUE / « Le partage de midi » de Paul Claudel avec Pierre Brasseur, Edwige Feuillère, Jacques Dacqmine et Jean-louis Barrault en 1948 à Marigny (texte et interprétations) puis PIERRE BRASSEUR dans « Le diable et le bon dieu » de JP Sartre
Rassurez-moi, Jacques, vous n’avez quand même pas vue la jambe de bois de Sarah Bernhardt !
Le plus glaçant souvenir : Le cardinal d’Espagne à la Madeleine, avec Jean Desailly qui n’était pas du tout le personnage (Cisneros est tout de sécheresse), toujours escorté par deux moinillons dont l’un, probablement plus habitués des bars gay que des bancs du conservatoire, était affligé d’un fou-rire qui confinait à l’idiotie. Et la pauvre Simone Valère, se débattant, à plus de soixante-dix ans, dans les fureurs ut_érines de Jeanne La Folle qui n’en a pas quarante. Avec ma compagne de l’époque, nous étions sortis à demi sonnés du théâtre aux trois-quarts vide.
(On imagine sans peine de quelle manière Montherlant eût entrepris de punir ce moinillon).
… et pour terminer « En attendant Godot » avec ROGER BLIN, 3 jours après la première et le bordel qui s’ensuivit…
J’aurais aimé voir Roger Blin.
Lui aussi je suis allé le voir après le spectacle et j’ai été étonné : il était bègue !
Très ancien souvenir, le sublime spectacle sur Les peines de cœur d’une chatte anglaise, sans doute à Saint-Denis. Il doit y avoir quarante ans tout juste.
« il était bègue ! »
On l’entend dans ses passionnants entretiens à France Culture.
« la jambe de bois de Sarah Bernhardt ! »
-La voila!
c’était en 1953, France Culture n’existait pas encore
J’aurais bien aimé être à l’Odéon avec Genet et ses parfums de l’Île de France !
Je vous signale à tout hasard que Passou a envoyé un nouveau billet !
« c’était en 1953 »
Les entretiens auxquels je fais allusion étaient plus récents. Il me semble du moins.
@Chaloux dit: 27 juillet 2017 à 19 h 56 min
Sauf quand il jouait. Un grand mystère. Un homme extraordinaire.
…
…tiens, mon 18 h 32 min, à disparu,!…
…
…même sans modérations,!…Ah,!Ah,!…
…
…à la guerre, comme à la guerre, donc,…
…
« …tiens, mon 18 h 32 min, à disparu,!… »
Tu m’étonnes !…
jazzi
je vous ai répondu à 19h33 ; c’est modéré
chaloux
vous avez vu beaucoup de choses, jeune ; ai vu Knock avec Lucchini, très beau souvenir. Ce doit être ce que dit jacques chesnel, un artiste habité.
christiane dit: 27 juillet 2017 à 19 h 16 min
n’ai pas lu chaloux, alors.
ne savais pas le lien entre la calligraphie et le tao.
savais le très long apprentissage qui peut prendre toute une vie
art noble en Chine
nous en avons parlé avec un billet sur françois cheng, qui pratique cet art, croyé-je bien.
http://www.ina.fr/video/1842847001
je vous remercie
il est des êtres d’ancre, est’il dit.
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…tu m’étonne,…18 h 32 min,…
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…c’est trop facile,…de discourir, pour accepter,…les démocraties d’états répulsifs, aux peuples a disposés d’eux-mêmes,!…
…les responsabilités sous susjacentes,…
…etc,…
Les juifs et les homos ils t’enc.ulent, GSA !
…
…c’est toujours bon à prendre, pour les murs aux lamentations,!…
…suivants,…
Merci Rose pour la carte de Chine et pour ce document passionnant, Olivier Barrot présente bien le livre de François Cheng « Et le souffle devient signe ». (Livre que je ne connais pas. vous me donnez envie…)
Dans un de ses livres « Œil ouvert et cœur battant », il pose une étrange question et tente d’y répondre (j’aime y lire l’approche du… tao.):
« … nous sommes sensibles à la beauté, mais l’univers, lui, reste apparemment indifférent, comment expliquer ce paradoxe ? Nous tombons en extase devant tel paysage, tel arbre, telle fleur, alors qu’eux-mêmes s’ignorent et nous ignorent. (…) Il y a peut-être une autre compréhension possible. Pour la cerner, il me faudrait faire un détour par la peinture chinoise. (…) On y admire de grands rouleaux représentant d’immenses paysages, dans lesquels toujours figurent un ou plusieurs petits personnages. Pour un œil occidental habitué à la peinture classique où les personnages sont campés au premier plan et le paysage relégué à l’arrière-fond, le petit personnage dans le tableau chinois paraît complètement perdu, noyé dans la brume du Grand Tout. Mais si, avec un peu de patience et d’abandon, l’on consent à contempler ce paysage mû par le souffle de l’infini, jusqu’à pénétrer en sa profondeur, on finit par prêter attention à ce petit personnage, à s’identifier à cet être sensible qui, placé à un point privilégié, est en train de jouir du paysage. On s’aperçoit qu’il en est le point névralgique, qu’il est l’œil éveillé et le cœur battant d’un grand corps. Il est pour ainsi dire le pivot autour duquel se déploie le paysage, de sorte que celui-ci peu à peu devient son paysage intérieur. (…) il n’est plus cet être déraciné, éternel solitaire qui dévisage l’univers d’un lieu à part. Si nous pouvons penser l’univers, c’est que l’univers pense en nous. Peut-être notre destin fait-il partie d’un destin plus grand que nous. »
Bel échange entre Jacques Chesnel et Chaloux sur le théâtre. Si C.P et ses filles étaient là, ils seraient absolument ravis.
…. arsenic et vieilles dentelles ! on a échappé au pire !…. mais que de belles ruines ….
« Comme si la Nation n’était pas une étape obligatoire … »
La Nation n’est qu’une étape, justement. Une étape avec son lot de cadavres en uniforme et non, connus et Inconnus ; mais maintenant que l’échec des Nations est évident (déjà seulement en Europe, deux guerres stupides pour des velléités sans queue ni tête au cours de la première moitié du siècle dernier), il faudrait une nouvelle étape, donner à d’autres configurations l’opportunité de régler les contingents de population, ainsi que le développement culturel et économique, tant pour voir s’ils arrivent à faire mieux — relever le défi de la compréhension du présent, élaborer des nouveaux choix méthodologiques et des nouvelles solutions du problème de la représentation, etc. —. Bon, il y a évidemment la grande question de l’attachement aux formes connues des vieux et des jeunes schnoques et des nostalgiques de droite, du centre, de gauche, de nulle part et de toutes volées ; les difficultés qu’ils rencontrent chaque fois qu’une forme inconnue apparaît à l’horizon. Savent-ils résister aux chocs ou nous avons, plus simplement, affaire à des lavettes ? Ont-ils « cessé de savoir » ? Est-ce que vivre dans une dystopie serait leur idéal, ou plus banalement ils ne cherchent qu’une security blanket ? Le récalibrage des structures sous-jacentes aux relations entre humains ne devrait pas présenter les difficultés que l’on connaît chez les défenseurs de la forme Nation. D’accord, la perception et la réaction cognitive lorsque une certaine condition ou d’un événement apparaissent n’implique pas nécessairement la compréhension de la condition ou de l’événement donné ; il me semble néanmoins que si les critères d’une action dans et sur le présent échappent à la compréhension, il vaut mieux mettre en jeu un brin d’effort intellectuel plutôt que crier d’indignation. Il est vrai que certains donnent l’impression de ne pas comprendre que « une régularité décrite par une loi universelle diffère de l’explication que l’on peut donner d’un événement singulier » (Popper, Misère de l’historicisme), mais on à toujours fait avec. Naturellement chacun expose son point de vue ; après, il faudra voir quelle est la meilleure approximation ainsi que ce qui est vraiment utile. Bon, maintenant reprendre la lecture de The Big Brass Ring et imaginer ce que Orson Welles aurait fait de son manuscrit — la Fallaci comme modèle pour la journaliste c’est très bien vu.
« Les juifs et les homos ils t’enc.ulent, GSA ! »(JiBé, l’homme soumis au péché)
Gianni, pas de panique : ils sont moins nombreux, et puissants, qu’on le dit …. uhuhu !
Gianni, en cas de danger, tu composes le n° de SOS HETEROS !
Quand un soir j’ai vu Garrick dans Hamlet, je me suis juré d’arrêter le chichon.
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