Bretonne, mais de langue française
La Littérature bretonne de langue française, ouvrage collectif sous la direction de Pascal Rannou (472 pages, Editions Yoran Embanner, Fouesnant, 2020), n’est pas un simple dictionnaire des écrivains bretons, mais une étude d’ensemble de la littérature bretonne de langue française. Il comporte cinquante-deux articles, rédigés par des spécialistes et consacrés non seulement aux auteurs d’origine bretonne, mais aussi aux écrivains non bretons ayant évoqué la Bretagne, aux principaux thèmes, lieux et personnages de la littérature bretonne, aux revues littéraires publiées en Bretagne, aux grands moments de l’histoire littéraire bretonne, ainsi qu’aux différents genres et courants de la littérature bretonne. À ce titre, il comble un manque important, car il existait surtout des dictionnaires d’écrivains, des anthologies de poètes ou de prosateurs, des géographies littéraires ou des travaux sur la littérature bretonnante ; mais hormis le Panorama de la littérature bretonne d’Yves-Marie Rudel, datant de 1950, les ouvrages traitant de la littérature bretonne de langue française n’abordaient guère que des aspects précis ou des périodes restreintes de cette littérature. Une vaste synthèse s’imposait donc.
Dans l’avant-propos et le premier article, Pascal Rannou analyse la notion paradoxale de « littérature bretonne de langue française ». Après la Seconde Guerre mondiale, la dévalorisation du breton par rapport au français explique que « beaucoup d’écrivains bretons ont […] eu le français pour langue maternelle » (p. 9). Pascal Rannou parle à cet égard d’« ethnocide » (p. 9), tout en rappelant que, dès le Moyen Âge, « la littérature bretonne s’est écrite en français avant de s’écrire en breton » (p. 10). Dès lors, on ne saurait retenir le critère de l’origine géographique d’un écrivain pour le considérer comme appartenant à la littérature bretonne, puisqu’un auteur breton peut n’avoir jamais évoqué la Bretagne dans son œuvre, tandis que des écrivains non originaires de Bretagne, comme Saint-Pol-Roux ou Georges Perros, en ont fait leur patrie de cœur : « Est Breton qui veut l’être » (p. 25). Pascal Rannou ne conserve donc que le critère thématique et le critère linguistique pour définir un écrivain breton de langue française : « Il faut au moins parler de la Bretagne dans son œuvre, ou utiliser des bretonnismes, ce qui ne se fait guère si le contenu n’évoque pas aussi la péninsule » (p. 10).
L’organisation des articles est chronologique. L’ouvrage commence par d’utiles rappels sur la matière de Bretagne et l’instrumentalisation idéologique des romans arthuriens, puis il présente trois études fort intéressantes de Philippe Walter sur le mythe de Brocéliande, l’ancrage breton du Roman de Tristan et Iseut et le personnage de Kaherdin, double et rival de Tristan. Après un bond de plusieurs siècles, il passe directement au xixe siècle et au romantisme, qui marque la véritable naissance de la littérature bretonne en français moderne, grâce à la figure tutélaire de Chateaubriand. Un excellent article d’Eugène Bérest, paru en 1987 et utilement réédité dans ce volume, rappelle l’influence cruciale de la Bretagne sur le caractère et l’œuvre de Chateaubriand, et par conséquent sur une large partie du romantisme français ; il soutient également la thèse selon laquelle les contradictions politiques de Chateaubriand, qui se définissait comme « royaliste par raison, bourboniste par honneur et républicain par goût », auraient pour origine les propres contradictions de la noblesse bretonne.
Dans son article sur « La Bretagne et le romantisme », Yannick Pelletier souligne lui aussi comment des écrivains bretons comme Chateaubriand, Lamennais ou Renan ont contribué à développer, au sein du romantisme français, un esprit d’indépendance pouvant aller jusqu’à la rébellion. À propos de Renan, Jean Balcou montre avec brio comment l’auteur de La Poésie des races celtiquesdonne à la Bretagne un nouveau visage : à la terre catholique, fidèle aux traditions de l’Église, se substitue « la Bretagne celtique des héros de l’impossible, des saints indépendants, des navigateurs de l’idéal » (p. 126). Dans son article sur « La littérature régionaliste bretonne », Thierry Glon indique comment les romans bretons de la fin du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle mêlent différentes visions de la Bretagne : la Bretagne élégiaque, la Bretagne noire, la Bretagne des légendes, la Bretagne goguenarde et la Bretagne réaliste. Signalons encore les remarquables synthèses sur Tristan Corbière et Saint-Pol-Roux dues à Pascal Rannou, auteur de près de la moitié des articles du volume.
Parmi les nombreux articles consacrés au xxe et au xxie siècle, il faut lire le passionnant article de Thierry Glon sur le renouveau littéraire breton des années 1960-1980, qui condense sa thèse de 1993, ainsi que sa très belle évocation de la vie et de l’œuvre de Xavier Grall, ce « Rimbaud breton » (p. 327), oscillant entre le désespoir et la foi, au point d’apparaître comme « un tombeau qui rêvait de lumière » (p. 329). On y ajoutera l’article dans lequel Erwan Chartier-Le Floc’h et Maël Rannou retracent de façon captivante l’histoire de la bande dessinée en Bretagne, depuis Bécassine en 1905 jusqu’aux auteurs contemporains, en passant par Astérix en 1959, Hugo Pratt et Enki Bilal dans les années 1970, sans oublier Inès Léraud et Pierre Van Hove, qui ont dénoncé en 2019 le scandale des algues vertes. Une belle étude de Pascal Rannou sur la « Présence de la mer dans les littératures de Bretagne » conclut l’ouvrage, complété utilement par une bibliographie et un index. Bref, de quoi satisfaire tous les amoureux de la Bretagne, cette « province de l’âme », comme l’appelait Julien Gracq.
(« Yann Mortelette », « Xavier Grall » photos D.R.)
34 Réponses pour Bretonne, mais de langue française
Un grand air frais venu de là où finit la terre, face au large… Guillevic bien sûr.
Eugène Guillevic (1907 – 1997) : Herbier de Bretagne
Herbier de bretagne
Partout les plantes
Poussent parmi les morts,
Enfoncent leurs racines
Dans les cadavres
De tous les règnes.
*
Est-ce que les herbes
Des cimetières
Sont autres
Que celles des parcs,
Quand on les voit
Sans les situer?
*
En fait, la Bretagne
N’est pas plus cimetière
Que n’importe
Quel coin de la terre.
*
Mais en Bretagne, il est vrai
Que quelque chose finit,
Qu’on est là au bord
D’un espace où vivre
Serait différent.
*
Ailleurs les plantes
Ont à vouloir emplir
La verticalité.
Ici, le ciel
Est un voisin
Qui s’intéresse.
*
A hauteur d’homme,
Le ciel.
A hauteur d’homme
Qui rêve.
Ici, l’espace
Est un rez-de-chaussée.
*
Ici, les plantes
Paraissent plus grandes.
Régissent l’espace
Autant que les maisons.
La lande
Touche le ciel.
*
Ici, les plantes sont loin
D’avoir réglé leurs comptes.
Les prêles autant
Que les genêts et les ajoncs.
Le vent
Doit y être pour quelque chose.
*
Un vent qui connaît la mer,
Qui en vient
Ou qui lui retourne
Et qui jamais
N’oublie leurs noces.
*
Alors, bien sûr
Que l’herbe ici
Ne peut être la même
Qu’ailleurs,
A supposer qu’elle porte
Les mêmes noms.
*
Ici, l’herbe n’est pas
Le même repos qu’ailleurs.
Elle aussi
Est un appel.
Elle aussi, elle dit :
Sois plus grand.
*
Elle dit :
Fais comme moi,
Pars et reste.
Sache les lointains
Pour mieux savoir l’ici.
*
Moi, dit l’herbe,
Le vent
M’a beaucoup
Raconté l’ailleurs.
De quoi pouvoir
Le nourrir d’ici.
*
Je sais que le vent
Me porte.
Même quand il vient de loin,
Il a goût de moi.
Je suis sûre d’être en lui,
Dans son capital.
*
Les fougères
Sont plus modestes.
Elles se referment
Sur leurs secrets,
Les plus vieux
De la vieille terre.
Ne regardent pas
Vers l’horizon.
*
Oui,
De l’eau.
L’eau
Toujours présente.
Même que c’est contre la pluie
Que les ajoncs sortent leurs pointes.
*
Du soleil, aussi.
Nulle part, le soleil
N’est comme ici,
Pendant tout le jour,
Celui du matin.
Et c’est pourquoi les plantes,
Même les fougères,
Racontent l’origine du vent
Et restent jeunes.
*
La Bretagne
Porte ses morts
Vers l’avenir.
« Je me souviens de Georges Perros/Je ne fus pas de ses intimes/C’était entre nous les rimes/De deux poètes dingues/De rencontres et de frairies/Humains trop humains/Il nous suffisait de l’être/Nous avions rompu avec Paris/Les mêmes rives nous étaient familières/Nous étions de ces frères pudiques/Qui ne sont graves/Que dans les lettres et cartes postales »
X. Grall
Il y a un long article sur Guillevic, qui figure en couverture, et il est souvent mentionné. Un poète essentiel, pénétrant, d’une force tellurique.
Merci Monsieur Rannou de lui avoir donné bien sûr, sa place.
Oui, j’avais vu ici:
https://www.coop-breizh.fr/9804-la-litterature-bretonne-de-langue-francaise-9782367850344.html
Et très sensible à cette question
« Mais à quoi reconnaîtra-t-on une littérature de langue bretonne en français, un écrivain breton de langue française ? »
J’y entrevois, pour Guillevic, une réponse dans un indissociable entre la géographie physique et intérieure, qui est perceptible à qui ressent une certaine force des éléments.
« Entre la mer et la terre
Cultivée, arrangée,
La lande fait la transition
Et plaide pour ne pas choisir «
Certainement! J’ai écrit jadis la boutade suivante: « En naissant à Carnac, Guillevic savait très bien ce qu’il faisait! » Cela l’avait fait rire, mais il était d’accord!
Merci, Monsieur Rannou, mon petit complément a disparu dans les abers du net, le barde P. Assouline le fera réapparaître, peut-être.
Eugène Guilvinec ?
Non, il ne le fera pas.
Oui, le lien sur une présentation, laquelle me fait commander avec un peu de délai le livre de M. Rannou, entre autre pour les ports sombres de Coatmeur…
s’est perdu, en voilà le début :
« La Littérature bretonne de langue française, volume dirigé par Pascal Rannou
Spécialiste de la question et auteur d’ouvrages appréciés sur Guillevic, Tristan Corbière ou P.-J. Hélias, Pascal Rannou livre ici le bilan d’une quarantaine d’années de réflexion sur la littérature bretonne de langue française. Auteur de la moitié des articles de ce véritable Lagarde et Michard de la littérature bretonne francophone, il a également sollicité d’autres éminents spécialistes.
Le médiéviste Philippe Walter donne trois contributions sur Tristan et Yseult et Brocéliande. Il montre bien que le mythe de Brocéliande tient plus d’une construction de la littérature que d’une réalité géographique, ce qui n’ôte rien à l’enchantement qu’il continue de provoquer chez les promeneurs du site et les passionnés de la légende. Ph. Walter confronte les points de vue des chercheurs qui, avant lui, ont évoqué Brocéliande, parfois de manière fantaisiste, et appuie ses réflexions sur de solides arguments philologiques et historiques.
Le second contributeur par le nombre d’articles est François Labbé. Sa polyvalence est remarquable, puisqu’il évoque avec autant d’érudition et de clarté la quête du Graal, Paul Féval et le roman d’aventure ainsi que les figures oubliées aujourd’hui mais jadis célèbres de Brizeux et Souvestre. François Labbé a aussi écrit un long et superbe article sur Jules Verne. Certes, sa bretonnité est problématique. Mais Verne a toujours revendiqué son origine bretonne. De plus, nombre de ses héros sont Ecossais, Irlandais ou Gallois : cousins Celtes, donc. Ses romans épousent par ailleurs souvent une
structure narative comparable à celle de la quête du Graal. C’est notamment le cas dans Voyage au centre de la Terre, que F. Labbé analyse avec minutie.
Thierry Glon livre quatre études lumineuses. Il désigne Xavier Grall comme « un tombeau qui rêvait de lumière » : on ne saurait mieux évoquer l’être torturé que fut Grall, partagé entre quête mystique et déchirement identitaire. Th. Glon analyse aussi avec acuité la littérature régionaliste (Le Braz, Le Goffic, Marc Elder, Jeanne Nabert…), les écrivains et l’éveil breton des années 60-80 (Glenmor, Stivell, Morvan Lebesque, Keineg…) et le succès ambigu du Cheval d’orgueil.
Hervé Carn aborde en connaisseur Georges Perros et Julien Gracq, qu’il a tous deux bien connus. La Bretagne et sa matière ont innervé l’oeuvre de l’ermite de St-Florent-le-Vieil, comme le montrent aussi P. Rannou et F. Labbé.
Autrice d’une thèse qui fait autorité sur le Parnasse breton, Jakeza Le Lay en donne un résumé fort utile. Si la poésie de Louis Tiercelin et de ses collaborateurs a beaucoup vieilli, il n’en demeure pas moins que leur mouvement a son importance dans l’histoire littéraire de la Bretagne.
Jean Balcou évoque avec allant Renan, dont il est le spécialiste, et Pierre Loti.Son souvenir hante encore les rivages d’où partaient les pêcheurs d’Islande dont il a célébré le sacrifice. P. Rannou republie l’essai fondamental d’Eugène Bérest : « Chateaubriand l’enchanteur », paru jadis dans L’Histoire culturelle et littéraire de la Bretagne, et introuvable depuis, même sur la toile.
Erwan Chartier et Maël Rannou offrent un stimulant article à quatre mains sur la BD bretonne, de Bécassine à l’album que Van Hove et Inès Léraud ont consacré au scandale des algues vertes.
C’est avec affection que Yannick Pelletier et Alain-Gabriel Monot brossent les portrait des auteurs qui leur sont chers, et à qui ils ont consacré des essais qui font autorité : Louis Guilloux et Max Jacob, pour l’un ; Jean Guéhenno pour
l’autre.
A.-G. Monot évoque également les grandes figures du roman policier breton de langue française : Jean-François Coatmeur, Jean Failler, Hervé Jaouen, Gérard Alle, Martial Caroff… sans omettre les « pointures » plus récentes du genre : Ronan Gouézec et Isabelle Amonou. Jean Bescond présente ce génie inclassable que fut Armand Robin, dont
il analyse l’oeuvre complexe, dont il est le spécialiste, avec pédagogie. »
La suite sur le site f.a.b.u.l.a.org
17 août 2023
Et je précisais que je partage avec Guillevic, la paroi.
Selon l’universitaire Claude Millet la littérature bretonne même francophone n’est vraiment française… https://montblanc.hypotheses.org/7325
Ah si l’on s’enfonce dans les premières collectes, avec La Villemarque héritier du Dictionnaire de Le Gonidec, et de sa conception d’un breton refait, unifié, on comprend qu’une Francoise Morvan ait pu écrire « Le Monde comme si. « Il demeure cependant une illusion de Celticisme, qui réunit dans le même berceau Marie Sasseur et Pascal Rannou….Apprécions! MC
27 sept
Si M. Rannou revient dans les parages
Je vous remercie, avec tous les contributeurs, de cette somme conséquente, la littérature bretonne de langue française.
(Ne vous formalisez pas de cette grossièreté du dénommé mc, qui défend son Morvan, lequel milite par ailleurs sur la rdl et sur YouTube pour un diocèse tradi.)
Votre ouvrage restera de référence pour qui aime la Bretagne, et chacun selon ses goûts, y trouvera ceux qui , pas tous , la leur représentent le mieux.
Un petit ajout très personnel sur ce qui a motivé mon intervention sur cette chronique, et partant un attachement de l’enfance à cette région, terre de légendes par excellence.
En lisant le chapitre la Bretagne et la mer, le vôtre, j’ai compris comment les habitants de l’Argoat pouvaient avoir eu les mêmes sensations que ceux de contrées bien plus lointaines, en arrivant sur des rivages sauvages de l’Armor.
La première fois que j’ai vu la mer.
Merci
J’en profite pour saluer Ramiel.
Passons sur le diocèse intégriste pour lequel je suis, à en croire Marie Sasseur, suppose travailler! Mais Il doit bien il y avoir un nom, cet infortuné
critique » cité dans Millet! Quant à évoquer le Barzaz Breiz, autant reconnaître une portée folklorique aux œuvres de Walter Scott.! Ce n’est pas sérieux. Incidemment on signalera que Lz Villemarque et Le Braz n’appartiennent pas à la même génération. MC
Bonjour, merci Marie: j’ai dû m’absenter quelque temps, mon très vieux père, 94 ans, dernier survivant du maquis de Kerliou, en Saint-Herbot, ayant fait un malaise il y a trois semaines… Début août 44, une colonne de la Wehrmacht a investi son village, voulant savoir où le maquis planquait des armes et un déserteur malgré-nous… La vingtaine d’habitants a été plaquée mains contre un un mur. Une tante a eu la présence d’esprit de planquer un revolver qui traînait sur une table dans le landau d’un bébé, sous son dos! Le pauvre criait, car ça lui faisait mal… Le colonel a sorti mon grand-père Jean du groupe, l’a déshabillé jusqu’à la ceinture et, s’emparant d’un poteau de barrière, l’a frappé une trentaine de fois: ses cris s’entendaient à 1 km! Mon oncle Dédé, 5 ans et myope comme une taupe, donnait des coups de pieds dans le vide, face à un jeune soldat allemand qui ne savait pas trop comment réagir… Puis Dédé a fourré un index dans le canon du fusil de ce jeune mobilisé! Excédé, le colonel a abandonné mon grand-père et a balancé d’un coup de pied Dédé dans le fumier… Le jeune soldat, gêné,a nettoyé le gamin avec la veste de ce dernier! Les cris du bébé, dans le landau, ont exaspéré le colonel, qui a fini par déguerpir, après que leur médecin eut ausculté mon grand-père sanguinolent… Cette colonne a ensuite jonché sa retraite vers Brest de pendus dont certains avaient 17 ans, avant de se rendre aux Américains, heureusement pour les Allemands… Ce colonel a notamment peint un de leurs camions aux couleurs de la Croix-Rouge, ce qui a attiré de jeunes résistants qui se sont fait mitrailler. Une femme qui avait été hébergée à Kerliou, car menacée par les résistants de Brest, vu ses activités horizontales en compagnie de soldats allemands, s’est fait passer bien plus tard pour résistante et s’es fait remettre la Légion d’honneur en 2017, à Châteaulin… Or, c’était elle qui avait ordonné l’assassinat du maire de Lannédern, Alain Le Seac’h, blessé de la guerre 14 (amputé d’un bras) et décoré, révoqué par Vichy, et de sa famille (sa femme et son fils), en 44. Ils ont été abattus par des »résistants » de droite, dont deux séminaristes. Aucun n’a eu de compte à rendre! Jean Rannou n’a jamais demandé de médaille, il a repris son travail à la ferme, et les cicatrices se voyaient sur son dos longtemps après… Avec mon père, c’est un pan de la mémoire qui disparaîtra. Merci, Ramiel, pour ce très riche article: vous parlez d’auteurs que je ne connais pas, sauf Ramuz. Je ne revendique aucun « celticisme » (sens?), simplement un amour de la littérature qui grandit et la Bretagne et la langue française… Et je prépare avec des collègues de Rennes un volume sur la littérature en breton, cette fois! Kenavo, P
3 octobre
Ce témoignage est très fort, Monsieur Rannou. Il y a des personnes qui portent en elles plus de densité et d’histoire. Je vous souhaite de pouvoir encore accompagner cette mémoire vivante ; que votre père puisse encore l’incarner un peu. Et puis le maquis, ça cause aux âmes bien nées…
Grâce à votre témoignage et google mon ami, j’en ai appris un peu sur le Kommando Landernau, mais plus encore sur le « profil » assez caractéristique de ceux qui lui ont prêté main forte.
Il y a un motif idéologique, avec le parti nationaliste breton, qui sauf erreur est assez atypique, si on compare aux miliciens qui ont sévi par ailleurs, sur le territoire français.
Enfin, je vous renouvelle ma gratitude pour cet ouvrage, un travail conséquent.
Beaucoup de découvertes, d’auteurs, poètes d’ailleurs, ou écrivains détonants, que je ne connais pas.
J’ai vraiment apprécié les pages qui essaient de définir la littérature française de langue bretonne.
En quelque sorte, comment ne pas la réduire à un simple régionalisme, ni à l’inverse la rendre complètement hors sol, ou l’artificialiser avec quelques toponymes ou quelques idiomes non traduits.
Vous avez bien délimité l’écueil : débarrassée de son ancrage culturel, géographique, historique, et linguistique, la littérature bretonne n’a plus qu’à faire dans le minimum des universaux : la nature humaine, ses aliénations, sa folie.
Et pourtant comme les auteurs que vous avez choisis ( sauf un , selon moi qui n’y a pas sa place, sauf pour sa renommée parisienne) pour leur consacrer un chapitre chacun, ceux qui ont pris « l’abers road » ( copyright Gaetan Roussel) savent bien que c’est pas comme ailleurs. D’ailleurs quand on va en Bretagne, c’est jamais « en passant ».
Il suffit de prendre une vieille carte ferroviaire pour voir qu’il y a des vrais terminus, que vous preniez par le nord, ou par le sud en venant de Rennes, -et plus loin, ça part en étoile, à partir de Carhaix-, c’est clair, il y a des fins, tout le monde descend.
Depuis la première fois que j’ai vu la mer, j’y suis allée plusieurs fois. Dont une fois pour le grand tour, faire toute la côte et revenir par la forêt.
3 octobre, toujours
Alors pour les contemporains, ou récents contemporains, j’en reviens à Guillevic, me réservant de lire les autres ( sauf un, survolé, qui me conforte dans mon impression d’erreur de casting) chapitres d’auteurs plus ou moins, -souvent moins- connus ( sauf Gracq ici en « voisin », Perros bien sûr) à mon rythme.
J’en reviens à Guillevic car selon moi, il a réussi cette prouesse de dire la Bretagne sans les détails, car il l’a comme éprouvée, physiquement éprouvée, effectivement « sa poésie s’en est nourrie », dense, faisant sens, dans une économie de mots absolument taillée à la perfection.
J’ai particulièrement bien apprécié que vous donniez de larges extraits de ses poèmes pour illustrer vos propos.
Et votre qualification de son œuvre en trois grands ensembles est bien intelligible. Les poèmes programmatiques, les poèmes sans hommes, ou « sans l’humain » selon votre expression plus juste, et ceux avec traces de vie humaine, ou qui retracent une expérience humaine.
Je ne savais véritablement rien de ce qua été sa vie, comme vous en donnez des pistes de réflexion.
Et en particulier celle-ci : « dépouillée à l’extrême, elle élimine l’accessoire , pour tendre à une linéarité quasi-conceptuelle ».
Si on veut bien , à l’extrême, considérer que ses poèmes du recueil « Eucidiennes » et « Paroi » en sont la quintessence, de cette recherche d’un symbolisme du réel.
Vous m’avez donné l’envie de lire de ses poèmes encore inconnus.
La question joker , Monsieur Rannou : comment Guillevic a-t-il appris l’ukrainien ?
Vous avez encore du travail a faire si je comprends bien. Et en VO. Oui , il faut le dire, les langues dites minoritaires enrichissent la langue de l’académie.
Mais vous avez de la chance d’être né dedans.
Cela me fait penser que dans la région où j’ai à passer un peu de temps encore, on m’a fait cadeau d’un petit livre, pour comprendre mes semblables immédiats et intitulé « le parler marseillais ».
J’ai bien vite compris, que parfois, à force de ne plus le parler, ils en viennent aux mains…
Euclidiennes, pardon.
Un dernier pour la route.
À défaut d’être cercle
On pourrait se faire angle
Et, sinon vivre au calme.
Attaquer l’entourage,
Se reposer ensuite
En rêvant de fermer
L’autre côté toujours
Ouvert sur l’étranger.
Fatigue, lire l’inverse
J’ai vraiment apprécié les pages qui essaient de définir la littérature bretonne de langue française.
Et puis corriger: Kommando de Landerneau
Bonjour Marie, merci pour vos propos si fins. Je ne sais pas quel est l’auteur que vous n’appréciez pas, mais ce volume devait être à l’origine un tome d’une Encyclopédie de la Bretagne, lancée en 2020 par un Corse visionnaire, Tony Sabiani, qui avait dirigé une Encyclopédie de son île. Il avait contacté environ 200 spécialistes de tous les domaines. Hélas, les 5 premiers tomes ne se sont pas vendus, et il a jeté l’éponge en 2018, année où « mon » volume devait sortir. Une dizaine de tomes ont donc disparu… C’est triste, car c’est trop tard désormais, les connaissances ayant évolué depuis 2010 et certaines matières étant liées à l’actualité. J’ai donc dressé avec Tony la liste des auteurs bretons les plus connus, dont ceux qui ont publiés quantité de livres dans des maisons d’édition prestigieuse, et qu’on ne pouvait pas laisser de côté.
J’ai eu un mal de chien à trouver un éditeur, car on ne tient pas à reprendre une entreprise qui a échoué… J’ai eu raison d’insister, même si je me suis fait agresser dans des salons par des auteurs publiés à compte d’auteur ou auto-édités, offusqués que je ne parle pas d’eux ou d’elle. Le volume sur le littérature en breton est aussi un tome de la défunte encyclopédie… Et j’espère « sauver » aussi celui sur les langues de Bretagne.
Guillevic ne connaissait pas l’ukrainien. Il travaillait avec des locuteurs qui donnaient une version littérale des poètes, avant que lui ne leur donne une tournure plus poétique… Il a ainsi « traduit » des poètes hongrois comme Ady. Son épouse Lucie Albertini a aussi co-traduit des poètes finlandais (Poésies de Finlande, co-édition Le Temps parallèle / Les Écrits des Forges, 1990). C’est une méthode originale, et j’ignore)si elle est pratiquée beaucoup. En tout cas, on devrait faire figurer le nom du traducteur initial avec celui qui donne la version finale. Guillevic était par contre un excellent germaniste, et il a traduit seul Trakl, et son ami Nathan Katz. Salutations des Monts d’Arrée, baignés d’un soleil (hélas?) méditerranéen!
De fait je viens de parcourir l’anthologie des poètes finlandais établie par Lucie Albertini: elle y indique en effet le nom de ses co-traducteurs.
7 octobre,
Monsieur Rannou, bonjour.
L’écrivain que j’écarte dans votre recension figure en pages 125 à 129, où on cherche encore quelque trace de Bretagne à part le clocher… quel calvaire… Inutile d’aller plus avant dans le sujet, ni d’en faire état, au risque de réveiller des adeptes d’une scholastique mortifère pour l’intelligence.
Oui, vous avez eu raison d’insister, pour faire éditer ce que qu’il reste de ce projet d’encyclopédie.
C’est une mine de références et de pistes de réflexion, et puis on respire… le large.
Votre évocation d’un travail à venir, au sujet de littérature de langue bretonne, et les langues de Bretagne, mettra certainement le level un peu plus haut dans la réflexion de ce qui en fait une spécificité.
Au-delà de tout ce qui peut caractériser la vie quotidienne, dans une unité de lieu, historique, culturel et qui n’en fait cependant pas un patois, -et je reste attachée au patois !, pour sa théâtralité- il y a comme vous l’avez indiqué des équivalents en breton de mots français scientifiques et/ou techniques, etc .
J’aurais tendance à pousser un peu plus loin, comme en grec, où un mot est souvent une idée, au sens philo, se peut-il que le breton, la langue, ait ses propres mots « concept », comme ceux qui pourrait régir , en vrac : un système législatif, un courant de pensée philosophique.
Je vous dis cela car j’ai repensé à un – très court- entretien que j’ai eu avec un prof de philo, et qui a essayé de penser dans une langue native d’Afrique de l’Ouest, avec des mots propres à cette langue.
Cela m’a beaucoup plu cette idée, ça me faisait l’effet d’un changement de logiciel, avec un langage inconnu, qui permet de penser autrement.
Merci beaucoup encore de ces précisions sur Guillevic, traducteur, et son épouse.
La traduction poétique est à mon sens celle que l’IA ne pourra jamais automatiser. Car elle reste de la création qui fait appel à tous les sens humains, et par ailleurs ce travail « artisanal » est peu propice à fournir des données de masse.
Yves Bonnefoy, qui avec Guillevic est celui qui a la meilleure place dans ma petite bibli des poètes, a eu des considérations remarquables sur le sujet de la traduction poétique.
Ma question au sujet de Guillevic est venue en repensant que nous en sommes au 20eme mois de guerre en Ukraine, alors que jusqu’à son intégrité linguistique était si ce n’est niée, du moins était-elle contestée. Il était apparu nécessaire, urgent, de mentionner des écrivains, des poètes ukrainiens.
C’est là que le nom de Taras Chevtchenko est sorti de la boite…et celui de Guillevic aussi.
Je viens de voir que du coup, il y a une réédition récente des poèmes de Chevtchenko non traduit mais donc co-traduit, par Guillevic.
A qui je laisse le mot de la fin :
Ecrire le poème
C’est d’ici se donner un ailleurs
Plus ici qu’auparavant
( in « Art poétique »)
J’aurai aussi voulu vous causer de Philippe Le Guillou et son « le dernier veilleur de Bretagne », mais j’ai vu que vous aviez aussi plus que de la légitimité à signer le chapitre.
Monsieur Rannou, merci !
Bonjour Marie, ah, c’est Renan! On ne le lit plus guère… La première partie des « Souvenirs d’enfance et de jeunesse » a quelques belles pages (sur la « folie » bretonne, le « bonhomme système »…), même si l’écriture est un peu datée. La « prière sur l’Acropole » est très emphatique!
Certains linguistes ont créé des mots chimiques pour le vocabulaire philosophique ou médical en breton mais ces mots ne sont pas utilisés. Les mots abstraits se créent en général à partir des racines gréco-latines. « Philosophie » peut se dire, en breton « filosofiezh », ou « prederouriezh », selon un mot forgé mais qui n’est pas du jargon, « preder » signifiant « réflexion ». Mais seul un pouvoir politique peut imposer de tels néologismes, comme ce fut le cas avec l’islandais ou l’hébreu.
Guillevic détestait Bonnefoy! Il l’ avait un jour présenté je ne sais plus où en le désignant comme « Claude Bonnefoy », ce qui avait offusqué le maître! « Ça n’apporte rien »: tels était les mots par lesquels il sanctionnait l’œuvre de Bonnefoy, mais aussi de Gracq… Dissensions humaines, surtout… Comment vous souhaiter uen bonne journée, vu les événements tragiques en cours?
Guillevic détestait Bonnefoy, qu’à cela ne tienne, je les ai réconciliés sur l’étagère…
La journée internationale du sourire, c’était hier, juste avant de le perdre.
Mais il faut en garder l’envie.
Bon dimanche !
La vieille rancune contre Renan perdure chez MS. On peut se demander pourquoi , s’agissant d’un auteur athée ayant marqué son temps, mais on a sa petite idée là dessus. MC
Une petite idée alors, et beaucoup d’insinuationd, comme d’habitude.
Je me réjouis de la réponse de M. Rannou, qui n’appelait aucun commentaire de ma part.
Sinon, en France, ils ont dissout le groupuscule civitas, c’est aussi une excellente initiative.
Ils ont dissous, pardon.
Et alors? Je n’en fais partie que dans la caricature que vous faites de ma personnalité, laquelle n’est ni démente, ni dévote, ni je ne sais quoi encore. MC
Je mets fin à mon intervention sur cette chronique, remerciant M. Rannou pour cet échange, bien malheureusement pollué par un intervenant dont les pratiques delictueuses de harcèlement syr internet font par ailleurs l’objet d’un signalement.
« J’aurais voulu vous causer de Philippe Le Guillou ». Là, on l’a échappé belle!
J’ai oublié le plus important.
C’est un billet sur » la tondue de Chartres » qui me permet d’y revenir
Dans cette mini encyclopédie, de M. Rannou, belle part est faite à Saint-Pol Roux.
Et il n’y a pas de hasard, cher Monsieur Rannou.
« Jean Moulin quitte Alberville le 26 janvier 1930 pour rejoindre Chateaulin dans le Finistère. Dans sa vieille Amilcar rouge, à laquelle il a fait mettre une capote en prévision du temps breton, il lui faut 4 à 5 jours de voyage pour rejoindre son nouveau poste. Il arrive à Quimper le 1er février puis à Chateaulin le 2. Dans cette modeste sous-préfecture, il trouve un jeune secrétaire, Jean-Baptiste Lucas, avec lequel il liera une solide amitié. « Ici j’ai un jeune secrétaire, mais qui a l’air très bien. D’ailleurs mon prédécesseur m’en a dit beaucoup de bien. » écrit-il à sa sœur.
Dans une lettre du 6 mars 1930, il déplore le manque d’activités culturelles : « Châteaulin n’offre pas beaucoup, je dirais même pas du tout, de ressources, aussi je ne sors guère sinon pour aller matin et soir au restaurant où l’on nous sert une tambouille pas très soignée. »
Mais il s’adapte peu à peu à la vie bretonne : « Le climat dont on m’avait dit tant de mal, n’est pas désagréable et nous avons eu de bien belles journées au mois de mars. »
Dès mars, il rencontre le poète Saint-Pol Roux, originaire de Marseille : « La semaine dernière, j’ai fait toute la presqu’île de Crozon qui est très belle. J’ai déjeuné à Camaret, grand port langoustier et ancien port de guerre fortifié. L’après-midi, je suis allé voir la pointe des Pois et le poète Saint-Pol Roux (dit le Magnifique…) qui m’a reçu très aimablement. Bien qu’il soit depuis des années retiré sur un rocher de Bretagne, il est originaire de Marseille, et c’est en provençal que notre conversation s’est terminée… ».
Bon, Marie, je ne vais pas le mêler à vos désaccords, mais on pourra continuer à échanger: pascalrannou858@gmail.com
A bientôt, si seulement le livre pouvait être un rempart contre la cruauté…
C’est très aimable de votre part, et je vous en suis reconnaissante.
Je ne fais pas profession de lettres, simple lectrice je vais simplement rester votre débitrice, pour ce qu’apporte cet ouvrage de référence et ce que vous en avez complété ici.
Vous saluer en précisant que j’ai attache dans un département où Jean Moulin a fait ses premières armes, il a durablement imprégné toute une histoire locale, avant de devenir un symbole de la dignite et de la liberté.
Oui, deux futurs martyrs de la guerre se sont rencontrés, ignorant ce que serait leur destin tragique… Et avant-hier, un prof de lettres passionné de Char et Julien Gracq tombe, lui aussi, sous les assauts de la bêtise barbare, qui prospère sans fin…
34
commentaires