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Ezra Pound, une « refondation » poétique

Ezra Pound, une « refondation » poétique

Par YVES DI MANNO

L’entreprise un peu démesurée d’Ezra Pound – que les Cantos résument, certes, mais auxquels elle ne saurait se réduire – est l’une de celles qui auront le plus contribué à modifier la conception et l’exercice même de l’écriture poétique, au cours du siècle dernier: aux Etats-Unis tout d’abord, cela va sans dire, mais aussi dans nombre d’autres pays (elle est désormais très sérieusement considérée en Chine, par exemple). Son irruption en France au milieu des années 1960, grâce aux efforts conjoints de Denis Roche et de Dominique de Roux, ne devait d’ailleurs pas rester sans conséquences, tout en suscitant quelques malentendus persistants : l’œuvre de Pound reste peut-être trop étroitement associée chez nous à l’histoire des avant-gardes et à la grande révolution moderne, sans qu’on ait pleinement mesuré que son projet consistait d’abord à réinscrire la poésie dans la vie de la Cité et à jeter les bases d’une nouvelle « Renaissance » culturelle, d’obédience américaine cette fois-ci. D’où le choix de l’épopée comme axe privilégié de cette « refondation » – et le double modèle de l’Odyssée homérique et de la Commedia dantesque pour ce très long poème, entrepris dès la fin des années 1910 et finalement abandonné au seuil des années 1960, après le retour de Pound en Europe (et douze années d’internement).

L’insertion de ce livre étrange dans notre paysage littéraire s’est faite en plusieurs étapes. Les Cantos pisans, qui marquent l’un de ses tournants majeurs (mais ne le résument pas) paraissent en 1965, en même temps que l’A.B.C de la lecture et les deux « Cahiers de l’Herne » consacrés à Pound qui le révèlent aux lecteurs français. D’autres fragments du poème, des Cantos isolés paraîtront ensuite au fil des années, au hasard des revues : ces traductions partielles – et parcellaires – ne permettaient évidemment pas d’appréhender la logique d’ensemble de l’ouvrage. Bernard Noël – qui dirigeait alors la collection « Textes » chez Flammarion – décida donc vers 1980 d’en publier enfin la version intégrale, qu’il confia à cinq traducteurs. Pour diverses raisons, le choix d’un traducteur unique s’avérait impossible à l’époque, ce qui est sans doute regrettable, le poème perdant parfois en unité ce qu’il a gagné sur un autre plan à la diversité de ces approches. Or, l’un des grands défis de Pound aura été sinon d’unifier, du moins d’orchestrer de part en part, pour ainsi dire d’un seul tenant, la polyphonie des voix immédiates ou lointaines, familières ou étrangères, qui traversent ses chants.

Les Cantos ne verront finalement le jour qu’en 1986, dans une présentation peu satisfaisante (« Textes » n’existait plus, Bernard Noël avait quitté Flammarion). Assez vite épuisée, cette première traduction intégrale restera inaccessible en librairie une décennie durant, jusqu’à ce qu’on me confie la charge d’en établir une nouvelle version pour la collection « Mille & une pages ». Paru en 2002, ce volume aura permis de combler certaines lacunes, de réviser de nombreux passages et surtout de présenter le texte d’une manière plus conforme à sa prosodie visuelle originale, qui reste l’un de ses apports majeurs. Deux cents pages d’annexes en éclairaient en outre la lecture et en diversifiaient les perspectives.

La troisième édition qui voit aujourd’hui le jour reconduit pour l’essentiel la logique de la précédente. Deux nouveautés viennent toutefois l’enrichir : d’une part, une nouvelle traduction de Trônes, la dernière section achevée des Cantos, dont la première version n’était pas entièrement satisfaisante ; d’autre part, l’insertion dans les Annexes d’une soixantaine de pages de lettres de Pound inédites en français, destinées à illustrer quelques moments majeurs de sa trajectoire poétique : autour de la naissance du mouvement imagiste en 1913, de son dialogue avec William Carlos Williams en 1920, de sa lecture du Waste Land de T.S. Eliot l’année suivante, de son implication enfin dans l’émergence des poètes « objectivistes » américains, autour de 1930.

Ces ajouts sont bien sûr destinés à faciliter l’accès d’une œuvre que d’aucuns jugent « difficile », ou encombrée d’une trop lourde érudition – mais que le lecteur peut aborder plus simplement, en acceptant de se laisser entraîner dans ce grand fleuve de langage et dériver au rythme de ses méandres, de ses brusques rapides, de ses trouées de lumière… Car les Cantos ne se résument pas à l’exécution d’un « programme », idéologique ou littéraire, et se trouvent périodiquement traversés d’un souffle plus mystérieux, dont le « sens » littéral du texte ne rend pas compte à lui seul. Les traducteurs le savent, qui ont pu percevoir la musique invisible, aérienne ou heurtée, qui sous-tend ce vaste chant brassant l’histoire désordonnée des hommes, et qui ont tenté d’en restituer dans notre langue les inflexions et les accords majeurs.

En espérant que cela serve, aussi, à imaginer un autre avenir à la poésie d’ici.

YVES DI MANNO

 

 

 

Ezra Pound

Les Cantos

Traduit de l’anglais par Yves di Manno,

992 pages, 30 euros,

Flammarion

Cette entrée a été publiée dans Poésie, traducteur.

30

commentaires

30 Réponses pour Ezra Pound, une « refondation » poétique

Bloom dit: à

Est-il bien sage d’isoler la production poétique de Pound, majeure, de sa production de textes antisémites, tout aussi importante.
A quand une traduction de ses délires sur la radio mussolinienne? Usurrry! Usurrry!
A quand des oeuvres complètes du grand poète et antisémite majeur Pound?

xlew.m dit: à

Vous savez, sa charge frontale contre l’usure (CONTRA NATURAM par excellence pour lui — je n’hésite pas à l’écrire en lettres capitales puisque le traducteur des Cantos dit qu’il a choisi de respecter les graphies de l’édition originale, on verra donc les beaux sinogrammes du chant 53 et les neumes noirs charbon du chant 81) n’est pour moi qu’un commentaire du programme économique des Médicis, dont il voit peut-être l’ombre s’allonger au vingtième siècle avec notamment les entreprises financiaro-industrielles des Krupp et Schneider qui sont nommément cités dans le grand poème. Yves di Manno le dit très bien dans le dernier paragraphe de son article, les Cantos sont tout sauf une exposition idéologique mise en avant par l’auteur et qu’il chérirait comme la prunelle de ses yeux (de toute façon, sa théorie anticapitaliste n’a pas forcément les moyens de tenir la route intellectuellement comme il le reconnaîtra à la fin de sa vie), c’est une immense réflexion sur la rencontre de la lumière avec l’obscurité, sur les caresses que se font ou les coups que s’échangent la blancheur et la noirceur, sur la recherche de la « candeur » humaine (celle qui mériterait une « ré-appréciation », presqu’au sens monétaire du terme pourquoi pas, de ses lettres de noblesse), sur la fluidité de la composition du poème (les mots ‘liquide’, ‘liquidité’ reviennent souvent sous sa plume, là encore est-ce un hasard ?), sur l’apparition de la lumière (a rush of light) au printemps, sur sa disparition à l’automne (c’est très « indien » dans l’âme, Bloom, cela devrait vous plaire, je noterais d’ailleurs que Ginsberg, dans ce registre poétique précis, n’a rien inventé). Très modestement je me permettrais de féliciter Y. di Manno pour ce travail de traduction qui dut être énorme et lui dire que j’aime beaucoup ce qu’il dit du rythme musical des chants. Dans le canto quatre-vingt-un, Pound cite trois musiciens ou facteurs d’instruments européens très célèbres en leur temps, Lawes, Jenkins et Dolmetsch. On remarque en passant qu’en allemand « Dolmetscher » rend aussi l’idée de « traducteur ». Pound visiblement mettait un signe égal entre la poésie et la musique (porte ouverte sur la lagune de Venise, mais je le dis quand même) et faisait un signe amical de la main à tous les fabricants, les metteurs au point de traductions, du passé et du futur. (C’est tout de même un grand plaisir de le lire en v.o, surtout pour un lecteur français.)
« Que vos vers expriment vos intentions et que la musique conforme. » (Pound scripsit, en français dans le texte.)

admin dit: à

Bloom, Oui c’est sage de publier Les Cantos en ne parlant que des Cantos. Le reste est aussi à publier. Pas de tabou. Mais pas de mélange sinon dans un recueil d’oeuvres complètes et bien complètes. Vous jugeriez le « Voyage au bout de la nuit » à l’aune de « Bagatelles pour un massacre » ?

passou dit: à

« Admin » c’est moi Passou…

La mauvaise langue dit: à

Les Cantos m’ont toujours fait royalement chier. En revanche, je relis souvent les écrits théoriques de Pound sur la poésie et son livre sur les troubadours. Je ne suis pas sûr que les Cantos soient vraiment un chef-d’œuvre. Disons une tentative intéressante, ou plutôt une tentation…

Je suis d’accord avec Passou, Ne mélangeons pas tout. Preuve est faite qu’on peut être un grand esprit d’un côté et un sinistre salopard d’antisémite de l’autre. Arrêtons de croire à l’unité de l’être humain. Les hommes sont tordus, faut s’y faire.

Maire D'Azov dit: à

Vous jugeriez le « Voyage au bout de la nuit » à l’aune de « Bagatelles pour un massacre » ?

Non. Mais je parlerai de l’un quand je parle de l’autre et inversement. J’essaierai de donner la possiblité au lecteur de prendre la mesure de l’homme et du créateur en son entier, pas compartimenté,la main gauche ignorant ce que fait la droite et vice versa. Par simple souci d’honnêteté intellectuelle et pour faire taire les villains procès d’intention. Pas facile avec la censure de la danseuse sur les pamphlets en libre accès sur le net, certes, mais l’approche me semble la seule tenable.
Vous le savez, les Cantos pisans ont été composés au crayon dans une cage ouverte à tousz les vents et les soleil où le propagandiste de Rappallo avait été enfermé par les autorités militaires américaines pour intelligence avec l’ennemi.
Une pièce diffusée il y a quelques années par la BBC était consacrée à ces 3 semaines que Pound passa encagé avant de craquer. Très instructif.
Vous savez aussi que Pound a accueilli à Rapallo Allen Ginsberg venu lui rendre visite et qu’il a fait amende honorable en déclarant que son antisémitisme pathologique (oxymore) était son défaut tragique, une énorme erreur.
Je n’ai pas encore eu l’occasion de jeter un oeil à votre ouvrage car je vis loin de la France, mais je suppose que vous parlez de tout cela. Les conditions de production des Cantos pisans sont au coeur de l’engagement fasciste-antisémite de Pound.

versubtil dit: à

On a jugé Pound à l’aune de sa réputation de poète selon Tytell:

 » Pendant les sept premières semaines qu’il passa à St. Elizabeths, Pound fut examiné par un certain nombre de psychiatres. Certains d’entre eux étaient conscients que le cas Pound était le plus complexe et le plus intéres­sant qu’ils auraient peut-être l’occasion d’étudier pendant leur carrière. Pour Pound, c’était le début d’un jeu de finesse joué contre un grand nombre d’ad­versaires, une sorte de jeu d’échecs entre un grand maître et une foule d’ex­perts changeant après chaque mouvement. Pound n’avait pas oublié qu’à Pisé, selon la rumeur qui circulait dans le camp, on l’avait trouvé plus « malin » que les psychiatres. A St. Elizabeths, il tenta de renouveler cet exploit à plus grande échelle, sans se rendre compte au départ que la partie pourrait durer plus longtemps qu’à Pisé… Pound avait trouvé là une arène tragique où sa vie dépendait de son intelligence, de son esprit, de sa capacité à projeter un rôle et à manipuler un public — en réalité, une tâche de poète, qui « pousse » image et son sur la page afin de créer un lieu de son propre choix. Malheureusement, la compétition l’opposait maintenant aux nou­veaux prêtres séculiers, aux agents de la science de l’esprit au service de l’État tout-puissant. Or Pound avait commis l’hérésie ultime : défier l’État en temps de guerre. Encagé et brisé psychiquement dans sa cage, il refusait obstinément de se rétracter, d’admettre la moindre faiblesse. Sa confiance avait-elle déformé les choses au point de lui faire croire en une omnipotence illusoire ? Était-il convaincu d’être invulnérable et d’arriver toujours à être plus « malin » que ceux qui le tourmentaient ? Huit psychiatres consignèrent leurs impressions dans son dossier médical. Mais tous les huit savaient qu’Overholser l’avait déclaré paranoïde, qu’Overholser possédait énormément de pouvoir dans la corporation et que le même Overholser devait leur remettre une lettre de recommandation lorsqu’ils quitteraient St. Elizabeths… En outre, ils pensaient pour la plupart qu’Overholser avait pris le bon parti en considérant que Pound était un cas spécial parce que c’était un grand poète. »

John Tytell Ezra Pound Le volcan solitaire Seghers 1990 page 354.

ueda dit: à

Un café

Relire Cathay (1915) est une expérience étrange.
Certains commentateurs y ont vu aussi, entre beaucoup d’autres choses, une poésie qui participe de la grande guerre, quand bien même elle serait à distance de l’expérience vécue de poètes comme Sassoon, qui étaient au front. Pour d’autres, cette relation entre le massacre et le dandysme de Pound semble peu convaincante.
Il y a pourtant cette lettre de son ami Henri Gaudier-Brzeska, qui était dans les tranchées et devait y mourir: “I keep the book in my pocket. Indeed, I use [the poems] to put courage in my fellows. I speak now of the ‘Bowmen’ (Les archers de Shu, d’après Kutsugen = Qu Yuan) and the ‘North Gate’ [i.e. ‘Lament of the Frontier Guard’] (de Li Bai) which are so appropriate to our case” (cité dans le livre de Hugh Kenner sur The Pound Era).

Mais ce texte, où les noms propres chinois sont transcrits en japonais puisque les textes réécrits par Pound viennent des notes de Fenollosa, m’évoque aussi la deuxième guerre: celle que les officiers japonais cultivés faisaient en Chine en gardant dans leur poche les poèmes de Li Bai, qu’ils appelaient Rihaku. C’est une impression étrange de voir un poète des Tang dire, dans le texte de Pound:
« Ko-jin goes west from Ko-kaku-ro »…

Ces Japonais n’avaient pas l’impression de lire une poésie étrangère, puisque ces classiques chinois, qu’il lisaient à la japonaise (kundoku), faisaient parti depuis l’école de leur propre patrimoine.
Certains massacreurs pouvaient penser en savoir plus sur la culture de ceux là même qu’ils massacraient.

Mélange de violence et de sentimentalité. Certains enka (chansons populaires depuis l’après-guerre) ont oublié la violence et en rajoutent sur la sentimentalité. C’est, du reste, souvent irrésistible…

versubtil dit: à

« En espérant que cela serve, aussi, à imaginer un autre avenir à la poésie d’ici. »

YVES DI MANNO

Il serait intéressant de connaître ici et maintenant ce qu’ en pense Yves Di Manno!

in memoriam,
Un positionnement (1978) de Denis Roche, préfacier de Pound:

« Je suis navré de n’arriver en rien — mais alors, là, vraiment en rien! — de ne même pas pouvoir y émettre la moindre pensée, le moindre doute, de n’y rien trouver à contrer, en réponse à la question trop historiquement célèbre de Hôlderlin : « Wert Dichter in dùrftiger Zeit?»
J’ai tourné et retourné en moi, en même temps que cette question, vos proposi­tions elles-mêmes, me demandant, par exemple, ce qu’en aurait pensé le poète frioulau Pasolini, ou le Burroughs de Rio escondido, ou le Pound du « Kiao-hoang da Roma » ou le Neruda de l’Isla negra, ou ou ou… d’autres en d’autres lieux, en somme.
Je crois, au contraire de ce que vous affirmez, que cette question n’est pas « ouverte », mais bien plutôt fermée. Refermée. Que nous sommes, nous, écrivain d’aujourd’hui, des gens d’après la fermeture. Hébétés par la rouille qui marque déjà les volets de fer et tache notre écriture. Mais quand même — et tant pis ! — en affaire avec ce qui nous anime. On peut très bien vivre et écrire au-delà de ce que l’histoire une fois pour toutes, nous a claqué au nez. »

Denis Roche
in des poètes en temps de manque? ouvrage collectif Le soleil noir 1978.

Bloom dit: à

Pisé?
Allons bon…
Que Pound soit un grand poète ne fait pas de doute. Il ne s’agit pas de ‘juger’, mais de présenter un portrait aussi proche de la vérité et complet que possible.
Pound n’en menait pas large à Pise dans sa cage, il a a supplié qu’on l’en sorte. A cet égard, l’introduction et les notes de la dernière édition américaine des Cantos Pisans (New Directions Publishing Corporation, 2003) due à Richard Sieburth est moins spéculative que cette mauvaise traduction du célèbre critique juif américain. Elle est certes admirative du poète mais subtilement intraitable avec le propagandiste, lequel, une fois sorti de son HP et rentré en grâce, se fendit tout de même d’un salut fasciste en majesté à son retour en Italie. Old habits die hard…

ueda dit: à

Second café

Le mot de T.S. Eliot sur Pound est devenu célèbre.
« Pound is the inventor of Chinese poetry for our time ».

Quand on lit le texte (l’introduction qu’Eliot donne aux Selected Poems de EP en 1928), on perçoit l’ambiguité (et la pertinence) de l’éloge.
Les textes de Pound: non des traductions mais « a magnificent specimen of XXth century poetry ».
« This is not to say that there is a Chisese poetry-in-itself waiting for an ideal tranlator who shall be only translator; but that Pound has enriched modern english poetry as Fitzgerald has enriched it (avec Khayyâm, donc). Each generation must translate for itself… »

A vrai dire, personne ne prend plus les poèmes de Pound pour des « traductions » proprement dites, mais la meilleure manière de faire sentir ce point est de le comparer aux vraies traductions de son quasi-contemporain Arthur Waley (qui doit à Pound d’avoir pu publier ses premières traductions du chinois).

(Ce qui n’empêche pas que certains textes de Waley, qui était aussi écrivain) aient pu être publiés dans des anthologies de la poésie anglaise, notamment en Penguin).

ueda dit: à

« This is not to say that there is a Chisese poetry-in-itself waiting for an ideal tranlator who shall be only translator… »

Il faut citer la fin: « …not the matter an sich, which is unknowable, but the matter as we know it ».

Marrante, cette phraséologie idéaliste-allemande chez TSE.

ueda dit: à

Waley (qui a adopté le nom de sa mère en raison de la guerre contre l’Allemagne) n’a pas commenté, à ma connaissance, l’antisémitisme de Pound, mais à l’époque où il le fréquentait c’était un climat qu’il ne connaissait que trop bien. Lui-même comme appartenant à l’Anglo-jew elite, restait discret sur ce sujet.

John de Gruchy, qui s’intéresse aux rapport entre Waley et le Japon, est allé aussi loin qu’il était possible pour voir dans les traductions de Waley une forme d’autobiographie indirecte (très loin mais pas trop loin). L’apparence de son livre fait craindre le pire, avec tous les clichés propres aux usines de cultural studies (« Orienting Waley: Japonism, Orientalism and the Creation of Japanese Literature in English ») mais est convaincant, dans l’analyse du rôle joué dans l’attraction de Waley pour le Japon par son experience personnelle (judéité, sexualité ambiguë et « socialisme » fabien). Mais non, peu importe ces baudruches conceptuelles, le livre est bon.

Les papiers personnels de Waley ont disparu (dommage pour les rapports avec Pound).

Le livre de De Gruchy s’ajoute à d’autres, qui ont montré le rôle particulier joué dans les Anglo-Jews dans la construction de l’empire britannique. Parfois utilisé par les gouvernements pour leur capacité présumée à servir d’ « intermédiaire » entre l’Angleterre et les « Orientaux », parfois aussi les meilleurs critiques de cet empire.

Le jeune Waley était un membre du cercle de Bloomsbury.
Sur la forme très spécifique d’antisémitisme de la société anglaise d’avant WW1, on peut se rappeler un essai de jeunesse de Keynes sur « The Differences between East and West » qui évoque chez les Juifs les « deep-rooted instinct that are antagonistic and therefore repulsive to the Europeans », etc.
On trouve dans le « The Road to Wigan Pier » d’Orwell ou le « Two Cheers for Democracy » de Forster une analyse très subtile de cet état de chose.
Du reste, l’expérience de Leonard Wolff lui-même est suffisamment éclairante.

Puisque j’y suis, sur T.S. Eliot, dont la relation avec Pound est si importante, on trouve un chapitre entier dans le livre de Christopher Ricks, « TS Eliot and Prejudice » qui est une étude extrêmement précise de son attitude à ce sujet, et qui évite les idées simples.

ueda dit: à

Buona giornata!

ueda dit: à

« Arrêtons de croire à l’unité de l’être humain. Les hommes sont tordus, faut s’y faire. »

J’avais raté votre passage, chère Mauvaise Langue!

Ben oui…
Tout à fait comme vous.

Une philosophie de l’histoire extravagante (qui vous dicte des positions fanatiques sur un pays où vous ne résidez pas, voir ce que vous avez osé dire sur les directeurs du Shin Beth), mais en même temps des jugements très sensibles en matière de littérature.

Et pourtant, c’est la même personne.
Il faut discuter de certains de vos commentaires et ignorer les autres (c’est inutile).

Bloom dit: à

Il n’y a pas d’unité, c’est évident, mais des identités multiples, d’où l’obligation de rendre compte du multiple, « warts and all ».
Pound, suite à spn arrestation et avant son transfert à Pise, Pound ne rate pas une occasion de ‘se tirer une balle dans le pied’, comme le dit Sieburth. Interviewé par deux journalistes du Philadelphia Record et du Chicago Sun, il déclare qu’à l’instar de Jeanne d’Arc, « Hitler est un un saint » et que comme « beaucoup de martyrs, il profess des opinions extrêmes ». A un peu plus tard pour son encagement au DTC de l’armée américaine (centre disciplinaire)

ueda dit: à

Café

« Pound is the inventor of Chinese poetry for our time ».

Une interprétation possible serait évidement que Pound aurait transformé suffisamment la langue anglaise pour qu’elle devienne un medium propre à accueillir dans l’avenir la poésie chinoise.

Ce n’est vrai que de manière infinitésimale, puisque son imagisme (associé au mythe linguistique de l’idéographie) le fait passer à côté d’élément essentiels.

En France?
Les Stèles de Ségalen?

J’admire l’homme mais ces poésies m’ont tpujours laissé froid.
Cette idée de l’écriture gravée dans la pierre, et en préservant une sorte d’éternité minérale.

Je me souviens de ma surprise la première fois que j’ai entendu un vieux lettré psalmodier de la poésie classique.
Contrairement aux diverses versions de la fascination européenne sur l’Ecriture, les poèmes ont toujours été fait pour être chanté ou psalmodié.
Avec la révolution littéraire (ou qui se voulait être telle) et après les bouleversements politiques au 20ème siècle, cet art s’est presque perdu (le modèle était la poésie moderne ou révolutionnaire venue de l’Europe).

Il est malgré tout aujourd’hui préservé et étudié, Dieu merci.

Particulièrement émouvant de l’écouter dans le Sud, où des langues comme le cantonais conservent certains aspects de la langue ancienne des Tang (consonnes finales, tons, rimes).
En mandarin, ça ne donne pas grand chose…

Est-ce qu’on peut reconnaître un rêve similaire dans la période chinoise du Sollers de Tel Quel?

ueda dit: à

(Il restait une goutte dans la tasse)

L’anglais est infiniment plus propre à traduire cette poésie que le français.

Bloom dit: à

Canto 84
(…)
« Under white clouds, cielo di Pisa
out of all this beauty something must come »
(…)
et le lecteur d’espérer l’épiphanie, sinon la contrition . Or quelques lignes plus bas

« Pierre, Vidkun,
Henriot »

Merdum, encore raté!

ueda dit: à

Ohayô, Bloom

Je ne connaissais pas Sieburth, et j’ai trouvé son article sur le rapport entre poétique et « économie » chez Pound (malgré un langage un peu contourné, mais c’est l’époque de la French Theory) très éclairant.

A hard nut to crack for Monsieur Régniez, though.

http://nyumodernworkinggroup.files.wordpress.com/2011/02/1343576.pdf

Bloom dit: à

Vous l’avez dit, ueda, avec Sieburth, « we ‘re in an altogether different league », loin des réductions propagandistes.
Si vous avez l’occasion, procurez-vous l’édition New Directions des Pisan Cantos, l’introduction et les notes du traducteur d’Holderlin, Benjamin, Scholem et Leris sont remarquablement bien tournées.
Wan an

Bloom dit: à

Leiris, bien sûr…

Timothée dit: à

existe-t-il une édition bilingue des cantos ?

Bloom dit: à

Les Cantos sont déjà au moins quadrilingues, anglais, chinois, grec, italien…
Allez, je blague, je pense qu’avec ce Pound-là on atteint aux limites de la traductabilité, un peu comme pour Finnegans Wake,qui vient pourtant d’être ‘traduit’ (une partie seulement) pour la première fois en chinois. (Très chic d’arpenter le Bund:waitan avec une copie sous le bras)
Pound est une excellente occasion de se remettre à l’anglais. Pour le sens manifeste, les notes des éditions américaines sont indispensables, pour le sens manifeste, le sens poétique de chacun y pourvoit.
La traduction de M. Di Manno peut certainement aider à la compréhension.

Bloom dit: à

pour le sens latent, le sens poétique….

Rival dit: à

Jugeriez-vous « Voyage au Bout de la Nuit » à l’aune de « Bagatelles pour un massacre » ?
Mais l’intéressant dans les Cantos, justement, c’est qu’ils comportent leur propre moment de pure propagande fasciste (plutôt d’ailleurs sous la forme d’un conte de fées) avec deux cantos à la gloire du régime, écrits après la 1ère chute de Mussolini, en 1944, dont l’un raconte la gest »e héroïque d’une jeune « camerata » conduisant un régiment de soldats canadiens, forcément ignares et incultes, sur un champ de mines pour les faire tous sauter en offrant le sacrifice de sa vie…
Les Cantos 71 et 72, dits « cantos fascistes » ecriste en italien et longtemps mis de côté dans les éditions américaines des Cantos avaient, du vivant d’Ezra Pound, leur place pour ainsi dire « réservée » dans « l’oeuvre complète » puisque, dans ces éditions, l’on passait du Cantos 70 au 73, sans solution, pour ainsi dire, de continuité.
Ils sont désormais inclus dans les éditions récentes des Cantos et ce serait intéressant de savoir s’ils ont été traduits et publiés dans la récente édition en français dont nous parle Monsieur Di Manno. Au passage, je me permets de lui poser la question, avant d’aller y voir moi-même…
De même les références antisémites abondent dans les Cantos pour qui connait le « langage codé » des racistes américains (et pas si codé que ça) avec des épithètes comme « Kike » et la présentation dans pas mal de Cantos, y compris les fameux « pisans », d’un certain nombre de personnages historiques clairement identifiés comme Juifs soi-disant responsables du déclenchement de toutes les guerres, mondiales ou pas, causées selon Pound par « le règne de l’usure ».
En fait, contrairement au cauteleux Céline, Pound a assumé avec une certaine flamboyance ses inclinaisons fascistes (et aussi hitlériennes si l’on s’en réfère aux textes des émissions de radio) et cela, même après la seconde guerre mondiale, car – le souvenir s’en est perpétué grâce à une photo de presse – le premier geste qu’il fit en descendant du bateau qui le ramenait en Italie, sur le port de Naples, le 9 juillet 1958, ce fut le salut fasciste avec la déclaration bien connue : « Toute l’Amérique est un asile de fous » qui devait le rendre si populaire dans certains milieux alternatifs (qui n’avaient rien compris).
Non, l’oeuvre d’Ezra Pound n’est pas indépendante de ses opinions totalitaires, celles-ci sont consubstantielles à son projet, dont le résultat final se dresse aujourd’hui, aussi désolé que les ruines de Dresde après le bombardement…

La mauvaise langue dit: à

Quelqu’un a le culot de se réclamer d’une supposée « honnêteté intellectuelle » qui consisterait à mettre sur un pied d’égalité Le Voyage de Céline et ses pamphlets, alors que les pamphlets n’étaient pas écrit quand le Voyage fut publié, que je sache !

Dès lors, je vois au contraire une profonde malhonnêteté justement à vouloir lire un roman à l’aune de textes publiés des années après sa publication !

Les raisonnements simplistes…!

Bloom dit: à

ML, personne ne « juge » le Voyage en rapport avec ce qui suit. Mais vous n’arriverez pas à faire oublier le reste. C’est vrai que pour vous, qui êtes un juif imaginaire, le fait juif se limite à Israel. Le Voyage au bout de la nuit des juifs d’Europe, dont de bonnes âmes comme l’infâme Destouche voulaient la disparition de la société française, a pu être en partie scellé par des écrits comme ceux qui suivent Mort à crédit. Vous n’arriverez pas à faire oublier que c’est le même homme falot qui produit les pamphlets et le reste.

14341 dit: à

Now, the revelations about Krafft’s repugnant personal opinions have cast his work in a new light, and brought up knotty questions about how an artist’s intent should influence our evaluation of his work. We have precedents for heinous personal beliefs coinciding with creative brilliance (Ezra Pound, Richard Wagner), and bigotry embodied in works of great formal achievement (“The Birth of a Nation,” “Triumph of the Will”), but this is an unusual case of an artist’s ideological extremism so suddenly exposed, and so plainly relevant to his art.

Read more: http://www.newyorker.com/online/blogs/culture/2013/03/charles-krafft-and-the-conundrum-of-nazi-art.html#ixzz2Ob4efWhU

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