La chute d’un corps par la voix de Jean Echenoz
Non, ca n’a rien à voir avec les états d’âme d’une carte de visite (encore qu’il serait capable d’en faire une héroïne de roman). Ni avec un palace parisien et encore moins avec une ville du sud-ouest de l’Angleterre qui s’enorgueillit d’avoir vu naitre Cary Grant et Massive Attack (idem). En fait, Bristol (204 pages, 19 euros, éditions de Minuit) a partie liée avec un écrivain né en 1947 dans le Vaucluse, auteur depuis 1979 d’une vingtaine de livres maintes fois laurés et célébrés, du nom de Jean Echenoz. Le héros de son nouveau roman s’appelle, vous l’aurez deviné Robert Bristol.
Dès les premières lignes, on comprend à qui on a affaire. Car enfin, vous et moi, lorsqu’on sort de l’immeuble où l’on vit et qu’un type tombe du cinquième étage pour s’écraser juste devant nous, on s’arrête et on regarde, d’autant qu’il est nu. Pas Robert Bristol qui poursuit son chemin par la rue des Eaux comme si de rien n’était avant d’emprunter le pont Bir-Hakeim et de rejoindre la rive gauche de la Seine. D’emblée on y est, à Paris bien sûr mais surtout dans un roman de Jean Echenoz. C’est ça, le grand art, le Graal d’un écrivain : être reconnu, identifié à la sonorité qui se dégage de la première page, sa propre voix, d’autant que plusieurs de ces livres ont déjà eu pour théâtre les artères propres, sages, cossues et agréablement haussmanniennes comprises entre Passy et le Trocadéro.
La voix d’Echenoz ? Faussement désinvolte, un brin nonchalante, qui ne sent jamais l’effort alors qu’on le sait à l’affût du bruit de chacune de ses phrases, une narration ponctuée d’apartés ironiques qui se permet d’interpeller régulièrement le lecteur afin de mieux le rendre complice sinon acteur de l’histoire dont il n’est en réalité que le spectateur, un humour léger qui doit au polar si français du regretté Jean-Patrick Manchette, un souci onomastique qui se plait à faire sonner les patronymes et s’autorise même un clins d’œil au commandant Parker (salut, Elvis ! bien que le sien fut colonel ). Bristol aurait désespéré Gérard Genette : pas le moindre paratexte, nul citation, épigraphe, épitre dédicatoire, bibliographie, remerciements, rien. Un roman tout nu comme le type tombé de là-haut et aplati en bas bras et jambes en croix.
C’est l’histoire (car il y a une vraie intrigue même si… passons) d’un réalisateur du nom de Robert Bristol, mais ça vous l’auriez deviné, obsédé par son film. Une adaptation d’un bestseller intitulé Nos cœurs au purgatoire, chère à produire mais la romancière Marjorie des Marais ( !) finance à condition d’imposer l’actrice. De quoi voyager à travers la France et même en Afrique Australe ce que la minceur de l’ouvrage n’annonçait pas. Pourquoi ce type est-il tombé du haut de l’immeuble ? Au fond, on s’en fout car on sent très vite que son créateur lui-même n’en a rien à faire. Amateurs de whodunit, changez de trottoir. Ce qui compte ici, c’est l’atmosphère, l’ambiance, la couleur. Echenoz donne l’impression d’avoir une vision du monde assez flottante dans laquelle tout se balade dans un univers imprécis, insolite, distancié. Le lecteur aussi finalement et ça lui est bien agréable.
Souvent qualifié de romancier cinégénique en raison de ses techniques (ellipses, travelings, plans-séquences, gros-plans etc) que son style emprunte au septième art, il est le romancier du pas de côté. Ce virtuose du détachement réussit à nous rendre son héros attachant car il a le charme du daté, de l’inactuel, du décalé qui s’est trompé d’époque. Un vintage fait homme. Il n’y a que lui pour faire remarquer que les voyageurs du TGV qui aiment tant regarder par la fenêtre pour observer le passage de la ville à la campagne, eh bien ils ont de plus en plus de mal car la banlieue et ses excroissances ont fichu en l’air ce bel agencement. Lorsqu’il veut changer de décor et de chapitre, selon un procédé éprouvé depuis le premier âge de la BD, il écrit simplement : « Partons maintenant à la gare » là où Proust aurait consacré à deux pages à le faire ressentir.
Antoine Blondin disait que passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues, mais il parlait du quartier des Invalides. Robert Bristol, lui, s’il ne s’étonne pas de la chute d’un corps dans le 16ème arrondissement et le 19 ème livre de cet auteur, arrive à se passionner plusieurs pages durant pour la course d’une mouche de l’espèce Drosophila impudica (rassurez-vous passent aussi un éléphant, une tortue géante et tout un tas de gens mais rapidement, Echenoz ne s’attarde jamais sur eux).
A distance de ses fictions biographiques sur Ravel, Zatopek et Tesla, avec le Paris de Bristol, on est à nouveau dans la veine géographique de Jean Echenoz. Ah, l’ancien Kinopanorama qui avait succédé au Splendid de l’avenue de la Motte-Picquet et de la rue de Pondichéry… S’il la connait, Patrick Modiano doit adorer la rue des Eaux d’autant qu’elle se termine apparemment comme une impasse alors qu’un long escalier à demi-caché permet d’accéder à la rue Raynouard et la maison de Balzac. On retrouve le quartier que Bernardo Bertolucci avait filmé en majesté, les immeubles de l’avenue du président Kennedy, le square de l’Alboni, le métro aérien ainsi que le viaduc soutenu par des colonnes métalliques sous lequel déambulait le couple du vénéneux Dernier tango à Paris, des lieux qu’on ne peut plus voir sans entendre monter la musique entêtante de Gato Barbieri. C’était un temps où toute automobile bien née possédait un cendrier ; il parait que ce n’est plus le cas dans les voitures d’aujourd’hui d’après ce que j’ai compris mais allez savoir avec Echenoz et ses ellipses. Qu’il se méfie, à ce train-là ses prochains livres feront 52 pages ! mais sans jamais être secs. Ne pas oublier que si Jean Echenoz a porté son premier texte Le Méridien de Greenwich à Jérôme Lindon, c’est parce que Minuit était l’éditeur de Beckett.
On peut y voir une méditation sur l’art du roman mais c’est le cas de tant de fictions dont on ne sait pas quoi dire d’autre. On (Echenoz adore ça, le « on », il en met partout) y a vraiment pris un grand plaisir, on a passé un excellent moment, c’est devenu si rare de lire d’un bout à l’autre un roman le sourire aux lèvres, mais c’est tout. Ceux qui l’aiment prendront ce train, épatés une fois de plus par sa maitrise de son propre art de la fiction. Ceux qui attendent d’un roman qu’il dise aussi autre chose que ce qu’il raconte resteront à quai.
(« Jean Echenoz », Photo Roland Allard ; « L’escalier de la rue des Eaux et le viaduc du pont Bir-Hakeim », photos D.R.)
30 Réponses pour La chute d’un corps par la voix de Jean Echenoz
Comme certains artisans exposent d’adorables maquettes de voiliers auxquels il ne manque aucun hublot, ou comme certains architectes proposent des maquettes de quartier avec passants minuscules et faux arbres, Echenoz ,artisan délicat, méticuleux, propose depuis longtemps des maquettes, une maquette de Ravel fignolée ou une maquette Zatopek avec glacis Guerre Froide d’époque, ou une maquette d’un faux film d’espionnage . C’est réussi, limé,poli,vernis, mis sous cloche, raffiné,mais bon ça laisser perplexe.
Brillant prix Médicis 1983 « Cherokee »,son premier roman, avec ses phrases syncopées étincelantes, ouvertes sur un imaginaire foisonnant proposait une déambulation dans un Paris sorti d’un faux film genre « touchez pas au Grisbi » avec un peu de « zazie dans le métro ».Cette originalité ne laissait pas augurer une évolution vers un art de sertisseur minimaliste.
Paul, Tout à fait cela mais « Le méridien de Greenwich », prix Fénéon, était son premier roman.
Quelle merveille que ce billet. Echenoz y est présent, Paris aussi, et Jérôme Lindon… mais surtout l’écriture. Quel envoûtement que cette écriture. Son rythme surtout. Comme un rêveur éveillé qui choisit le réel à contrecœur. Alors il vacille puis fonce sur sa proie : les mots. Ah, le beau livre qui s’annonce mais avant, Le voyage de Christophe Colomb tenté par Claudel. J’ai eu peur de la musique de Darius Milhaud trop grande, trop complexe.
Merci Passou pour ce retour à Echenoz.
Passou a oublié de vous dire que la rue des Eaux est celle qui permet d’accéder directement au Musée du Vin, situé 5, square Charles-Dickens dans le 16e arrondissement de Paris !
« Musée du Vin
5, square Charles Dickens
Tél. : 01 45 25 70 89
Métro : Passy
http://www.museeduvinparis.com
Dans une partie d’anciennes carrières de calcaire, exploitées depuis le XIIIe siècle, les Frères de l’Ordre des Minimes du couvent de Passy, créé à la fin du XVe siècle par saint François de Paule, entreposaient le fruit de leurs récoltes.
La colline de Chaillot était alors plantée essentiellement de vignes dont les rues Vineuse et des Vignes voisines conservent encore la mémoire.
C’est sous ces voutes hautement historiques, que le musée du Vin a été aménagé en 1984 par le Conseil des échansons de France, une confrérie bachique regroupant des amateurs de vin dont l’objectif est de défendre et promouvoir les meilleurs vins d’appellation d’origine contrôlée (AOC).
Ici, une collection de plus de 2 000 outils liés à la culture de la vigne, à la vinification et à la conservation du vin, mais aussi à sa dégustation, datant du début de notre ère jusqu’au XIXe siècle, initient le visiteur à l’art du vin, dans toutes ses formes.
Celui-ci pourra même joindre la pratique à la théorie !
Car, outre sa collection permanente, le musée du Vin de Paris propose également au public un large éventail d’animations œnologiques et de cours de formation et de dégustation.
De plus, son restaurant Les Echansons permet aux amateurs de cuisine française de goûter à des plats renouvelés selon les produits de saison et pouvant être accompagnés d’un nectar choisi parmi les 200 bouteilles figurant sur la carte des vins. »
(extrait de mon guide des musées de Paris)
Echenoz, un romancier amusant.
What else ?
on s’arrête:enfin, moi, j’ai tout de suite eu peur; et la suite du billet m’a tentée , mais je ne suis pas rassurée;tant mieux, parce que même si mes mains tremblaient en ouvrant le livre au souvenir, que je passe ici, je serais embarquée, déjà convaincue par le billet;
merci!
« Maison de Balzac
47, rue Raynouard
Tél. 01 55 74 41 80
Métro : Passy ou La Muette
Niché au-dessus de la Seine, à la lisière des villages de Passy et d’Auteuil, ce pavillon champêtre est l’unique domicile parisien du romancier qui ait été conservé dans son jus.
Devenu l’un des musées de la Ville de Paris, il a ouvert ses portes au public en 1949.
C’est dans cette modeste maison de campagne qu’Honoré de Balzac vint se réfugier, sous un nom d’emprunt, de 1840 à 1847, afin d’échapper à ses créanciers. La demeure présentant l’avantage de jouir d’une deuxième entrée, encore plus discrète, au n°24 de la rue Berton.
Là, dans le calme de son cabinet de travail, il put corriger l’ensemble des épreuves de La Comédie humaine et rédiger Une ténébreuse affaire, La Rabouilleuse, Splendeur et misères des courtisanes, La Cousine Bette et Le Cousin Pons.
Ce n’est pas sans une certaine mélancolie, ni sans un certain humour, que le visiteur retrouvera ici, à travers ses meubles, ses peintures, ses livres, ses manuscrits et ses objets personnels (notamment la cafetière qui lui permettait d’accomplir jour et nuit sa besogne de « galérien de la plume ») les traces de l’auteur de La Comédie humaine ainsi que celles de ses innombrables personnages !
Outre son fonds permanent dont la visite est gratuite, le musée propose également des expositions temporaires, organisées autour de Balzac, et des animations diverses : parcours-découvertes spécialement conçus pour les enfants ou lectures de textes littéraires par des comédiens pour tout public. »
(op. cité)
Rue Vineuse…ou Brigitte Bardot à placé le siège de sa fondation. « Elle réussit à obtenir les trois millions de francs nécessaires en grande partie grâce à la vente du diamant que lui avait offert Gunter Sachs, « l’immense diamant qu’il m’avait donné, qui a été une grande part de l’argent que j’ai récupéré. C’est lui qui l’a racheté. Il me l’a pas redonné parce qu’il se serait dit elle va encore le revendre pour les animaux. Mais enfin, il l’a racheté et m’envoie de temps en temps de belles sommes pour la fondation. » Cette dernière, dont l’action prend de plus en plus d’ampleur, s’installe d’abord au 45, rue Vineuse à Paris, puis au 28 de la même rue. » Wikipédia
« cet auteur, arrive à se passionner plusieurs pages durant pour la course d’une mouche de l’espèce Drosophila impudica »
Qui a dit que Jean Echenoz était un enculeur de mouches !
…il y a une intrigue, à cette anatomie d’une chute ; ouf, c’est déjà ça .
Merciii, pour la carte de Bristol.
My favourite :
Roland Allard, grandiose photographe d’écrivains. Sa série sur Julien Gracq est magnifique.
Sur la photo de Roland Allard, Echenoz est beau comme Delon dans un film de Jean-Pierre Melville !
Vintage, forcément vintage…
Une lettre sans destinataire de Jean Echenoz.
« Je n’ai pas connu Georges Perec, je l’ai juste aperçu un jour sur un trottoir de la rue Linné, depuis unzutobus où je me trouvais. C’était vers la fin des années soixante-dix, je lisais ses livres et j’essayais fen écrire un. Il avait l’air d’attendre lui-même un autobus, peut-être desservant la même ligne que le mien mais circulant dans l’autre sens, je ne l’ai plus jamais revu.
Quinze ans plus tard, dix ans après sa mort, j’ai découvert un texte de Perec paru en 1980 et intitulé « Fragments de déserts et de culture ». Apparenté à la technique du cut-up, il consistait en un montage décrits divers parmi lesquels j’ai reconnu, distribué en huit lignes éparses, un extrait de mon premier roman, »Le Méridien de Greenwich ».
Ce livre avait rencontré peu de lecteurs à sa parution en 1979, ce dont je ne m’étais pas vraiment formalisé : encore heureux, déjà, qu’il ait pu être publié. Si j’avais su qu’alors Georges Perec l’avait lu, retenant assez son attention pour qu’il en utilise un fragment, peut-être me serais-je permis de lui adresser un signe de reconnaissance, mais le sien m’est parvenu dix ans trop tard. »
J.E.
un autobus – d’en écrire un
» partons maintenant à la gare »
C’est une bonne idée.
Les Echansons
autant prévenir, il n’y a pas d’atelier d’interprétations des rêves
cut up :
on en connait,de BURROUGHS, la technique
» Burroughs y voit l’aboutissement du langage comme virus et l’écriture comme un lâcher prise de la conscience (il proclame : « language is a virus »).
Une autre lettre , savoureuse, figure en quatrième de couverture de l’édition de poche de « Cherokee ». Elle est de Jean -Patricj Manchette.
« Le vrai mystère de ce bouquin, c’est qu’il tient debout et qu’il est passionnant et drôle. On ne sait pas pourquoi. Car enfin ce ‘est qu’un ramas de déchets, comme sont tous les romans contemporains ; et « Cherokee » est un ramas de déchets spécialement hétéroclites et qui devraient se détruire les uns les autres. »
Eh oui, ça tient !
« D’une manière antiphysique : comme un château de cartes qui serait une brique. », ajoute Manchette.
Oui, un terrain mouvant…
autobus:
Queneau:Extraits du livre de Raymond Queneau: Exercices de Style
hésitations:
« e ne sais pas très bien où ça se passait … dans une église, une poubelle, un charnier? Un autobus peut-être? Il y avait là … mais qu’est-ce qu’il y avait donc là? Des oeufs, des tapis, des radis? Des squelettes? Oui, mais avec encore leur chair autour, et vivants. Je crois bien que c’est ça. Des gens dans un autobus. Mais il y en avait un (ou deux?) qui se faisait remarquer, je ne sais plus très bien par quoi. Par sa mégalomanie? Par son adiposité? Par sa mélancolie? Mieux … plus exactement … par sa jeunesse ornée d’un long … nez? menton? pouce? non: cou, et d’un chapeau étrange, étrange, étrange. Il se prit de querelle, oui c’est ça, avec sans doute un autre voyageur (homme ou femme? enfant ou vieillard?) Cela se termina, cela finit bien par se terminer d’une façon quelconque, probablement par la fuite de l’un des deux adversaires. Je crois bien que c’est le même personnage que je rencontrai, mais où? Devant une église? devant un charnier? devant une poubelle? Avec un camarade qui devait lui parler de quelque chose, mais de quoi? de quoi? de quoi?
https://www.lirmm.fr/~mountaz/Ens/Ihm/Tp/MiseEnPage/src/tp1-1.html
Ses villages sous la neige
https://images.app.goo.gl/i8hsx9RZgXBbbtpV7
Oui, je cuide, l’autobus, sa plate-forme arrière, la gare Saint Lazare, dans Exercices de style de Queneau,
L’autobus de Queneau. Parfait.
Ceux qu’il choisit échappent à leur biographie. Des personnages fuyants. Un auteur distrait. Des trous, des trous encore des trous. Comme dans nos vies….
Oui, des personnages ballottés par l’écriture de jean Echenoz. Cat devient très flou comme si l’auteur en passait par le sommeil pour les retrouver presque effacés.
La neige choisie par Rose, va bien à son écriture car ces phrases s’enfoncent dans un silence comme nos pas dans la neige.
car ces phrases s’enfoncent dans un silence comme nos pas dans la neige.
Il s’agit finalement de savoir si la neige est épaisse, fine, collante ou poudreuse. Ainsi nos pas ne seront jamais les mêmes selon la personne.
Ces phrases, donc, sont « escabotables », escamotables, agissantes sur la pointe des pieds ou à la force du talon, au pas du canard ou au pas de l’ oie..
J’écoute la série des six cédéroms enregistrés récemment des partitions pour piano de Maurice Ravel : The complete works with piano par François-Xavier Poizat.
Que de belles découvertes!
Je vais relire le Ravel d’ Echenoz.
Bonne journée.
La neige choisie par Rose, va bien à son écriture car ces phrases s’enfoncent dans un silence comme nos pas dans la neige.
–
J’allais le dire.
Une autre rencontre, mais là, Pierre Michon se rebelle !
« Contrairement à ce que dit la version qui circule, je n’ai pas rencontré Jean Echenoz à la gare de Poitiers, dans la salle d’attente, à la fin des années 1980 ; je n’étais pas assis à quelques fauteuils de lui ; il ne s’est pas levé pour me saluer. Dans cette version enjolivée sans doute par Echenoz lui-même, et à laquelle je le suspecte d’avoir fini par croire, tout n’est pas faux : Poitiers est juste, la fin des années 1980 aussi. La gare est fausse – une falsification grossièrement romanesque ; les sièges décalés ne sont pas parfaitement faux ; seulement ce ne sont pas des strapontins de salle d’attente : ce sont des chaînes de brasserie. Il suffit en effet de remplacer la gare par une brasserie du centre-ville, je dirais vers la place d’Armes, et on est tout près de la vérité.
Poitiers donc, en 1988. C’est l’hiver, un temps gris. La ville, ou l’université, a organisé une de ces journées littéraires ouy tout le monde flotte éberlué entre deux eaux, écrivains, étudiants, public égaré. Le repas de midi est pris en commun dans cette brasserie, où la ville a retenu une dizaine de tables pour nourrir les amuseurs. (…) Je m’assieds, je mange. Je relève la tête : à deux ou trois tables de moi je reconnais, pour l’avoir vu en photo, Jean Echenoz. Je le vois de profil, entouré d’étudiantes, un peu voûté sur son assiette comme quand il ne veut pas parler et affiche complet. Il est bien habillé, il voudrait être ailleurs. Il a mis les oeillères. A ja fin du repas, je demande à Salgas de me le présenter, ce qu’il fait : je suis debout, Echenoz se lève et me tend la main. Il sourit gentiment, il est enchanté, il est vraiment bien habillé, il voudrait vraiment être ailleurs. Aussitôt nous repartons l’un et l’autre vers nos tables rondes respectives de l’après-midi. Voilà.(…) » Puis Michon raconte diverses choses et reprend la rencontre plus tard.
« A la gare de Poitiers, Echenoz se lève, il se plante devant moi, il dit : Pierre Michon ? Jean Echenoz.
Oui, on va garder ça comme ça. »
Michon se demande s’il n’a pas rêvé cette histoire de brasserie….
Ces écrivains, quand même ! Pas un pour rattraper l’autre…
Ce « Cahier de L’Herne » construit autour de Jean Echenoz, sous la direction de Johan Faerber est un régal !
L’avant-dernier roman d’Echenoz ne restera pas vraiment en mémoire ni dans le rayon Minuit de la bibliothèque, d’ailleurs Gérard Fulmard n’y est plus ; reste Ravel, Courir, l’equipée malaise, et « je m’en vais ».
Echenoz encore actuellement avec Ravey, et Toussaint, sont un peu les représentants d’un style-Minuit, la marque-signature, style qui ressort peut-être d’une légende urbaine, mais paradoxalement faisait sens en une époque faste pour le roman minimaliste et décalé, et manifestement révolue.
Autant Ravey réussit encore à nous surprendre, et ses deux derniers » Taormine » et » Que du vent » restent des chefs d’oeuvre, où le pire que l’on n’attend pas est toujours certain, autant c’est moins sûr pour Echenoz. Partir pour un tournage en Afrique ou rester à quai, c’est pas décidé.
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait qu’un roman doive » aussi » (?) signifier autre chose que ce qui y est écrit. D’autant que c’est pas le style de la maison. Ni de ses occupants.
http://leseditionsdeminuit.fr/imprimer_livre-3457.html
Pour la formule de la chute d’un corps *par la fenêtre, un romancier s’était risqué à en donner l’expression littérale dans l’un de ses romans. Ce faisant il a perdu tout le Paris littéraite, triste, triste à mourir, tous arrondissements confondus, du coup.
Me suis contenté, si j’ose dire, de lire le Ravel d’Echenoz. Une (mauvaise) nouvelle en gros caractères. Pour moi, un écrivain d’almanach. Julien Gracq a eu le mot juste, dans le carnet qu’il avait offert à sa femme de ménage. « Tellement gratuit »! Il y a tant beaux livres à lire et à relire. On se passera de celui- là.
Jeter un pont.
Une attraction de Bristol est le pont suspendu de Clifton.
A visiter aussi, le navire Great Britain, a quai, définitivement…
Ville extraordinairement dynamique forte de sa population étudiante et puis Banksy… de l’autre côté de l’embouchure il y a un petit port, « port at the head of the river », mondialement connu, mais pas à cause de la mer.
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