La confrontation Malraux-Picasso
Un livre vient de paraître en Suisse aux éditions Infolio. Il traite pourtant de deux grandes figures de la scène littéraire et artistique française du XXe siècle : André Malraux et Pablo Picasso. Son auteur est Raphaël Aubert et son titre Malraux et Picasso : une relation manquée. Voilà un titre qui peut surprendre si l’on songe que Malraux avait consacré tout un livre à Picasso en 1974 sous ce titre : La Tête d’obsidienne. Mais il suffit de lire le texte de M. Aubert pour comprendre le sens de ce titre. En effet, il démontre, en s’appuyant, entre autres, sur L’homme de l’art D. H. Kahnweiler (1884-1979) de Pierre Assouline, Le siècle de Picasso de Pierre Cabane et André Malraux ministre de l’irrationnel de Charles-Louis Foulon, que les relations entre Malraux et Picasso sont marquées voire polluées par une série de malentendus.
Dans une première partie biographique, très documentée d’ailleurs, M. Aubert relate la rencontre entre ces deux personnages autour de Max Jacob et de Kahnweiler. L’apprenti écrivain et le peintre font ainsi connaissance dans les milieux avant-gardistes de Montmartre. Leurs rapports deviendront plus étroits au moment de la guerre d’Espagne grâce à la fois à leur engagement en faveur des Républicains espagnols et à leur oeuvre littéraire et artistique. C’est l’époque où Malraux écrit L’espoir et où Picasso peint Guernica. Mais l’adhésion de Picasso au parti communiste français et l’engagement aux côtés du général de Gaulle conduiront sinon à une hostilité larvée du moins à un éloignement presque définitif. Ce qui conduira à un échange de lettres peu amènes entre les deux hommes au moment de l’ « Hommage à Pablo Picasso » au Grand Palais en 1966. Ils semblent désormais que le ministre et le peintre n’aient plus rien à se dire sinon un : « Croyez-vous que je sois peintre ? » de Picasso auquel répondra un : « Croyez-vous que je sois ministre ? » de Malraux.
Pourtant, la visite par Malraux de l’exposition des dernières oeuvres de Picasso au Palais des Papes en 1973 et de l’atelier du peintre à Mougins quelques semaines après la mort de Picasso d’une part et l’écriture de La Tête d’obsidienne d’autre part scellent la réconciliation entre les deux personnages. Aussi, dans la seconde et dernière partie de son livre, Raphaël Aubert interroge-t-il La Tête d’obsidienne pour mettre en lumière les points communs entre l’oeuvre littéraire de Malraux et l’oeuvre d’art de Picasso. C’est ainsi qu’il souligne qu’il existe une parenté voire une proximité entre la notion de « Musée imaginaire » inventée par Malraux et célébrée par la Fondation Maeght en 1973 et le travail de confrontation intertextuelle auquel se livre Picasso avec ses prédécesseurs.
Toutefois, le livre de M. Aubert réserve davantage de place aux renseignements biographiques qu’à l’analyse des oeuvres de Malraux et de Picasso. On peut, par exemple, regretter, que Raphaël Aubert n’ait pas mis en rapport le fait que cette ‘tête d’obsidienne’ n’existe pas et la présence du farfelu dans les écrits sur l’art et dans les autres volumes du Miroir des limbes tels que Hôtes de passage. On songe à la scène de voyance à laquelle assistent Malraux et George Salles chez Madame Khodari Pacha au sujet d’une étoffe rappelant Alexandre le Grand. Cette relation entre l’art et l’irrationnel mériterait un plus ample développement.
Par ailleurs, il n’existe aucune comparaison entre les méthodes d’écriture et de peinture de Malraux et de Picasso ni aucune analyse comparée de leurs oeuvres. Or il me semble qu’on pourrait valablement mettre en rapport le concept d’intemporel dont Malraux fait la caractéristique principale de l’art moderne et le travail de déconstruction artistique auquel se livre Picasso. Un réflexion sur l’art comme absolu, chez ces deux artistes, aurait été souhaitable dans cet ouvrage qui n’en reste pas moins un beau livre.
(« Malraux inaugurant l’exposition Picasso de 1966 à Paris » document INA)
Raphaël Aubert
Malraux & Picasso, une relation manquée
9 euros
Editions InFolio
23 Réponses pour La confrontation Malraux-Picasso
merci pour cet article sur un livre qui serait probablement resté discret, hors des feux de la rampe, et qui éclaire les biographies de l’un et de l’autre.
en complément, sur le site malraux.org, à propos de la tête d’obsidienne :
http://www.malraux.org/index.php/motsclefs/682-crane.html
bonjour. C’est toujours un plaisir de vous lire .Cela dit,Malraux et l’Irrationnel, c’est comme Hugo et les Tables Tournantes.Il faut attendre un bon siècle…
A noter d’ailleurs que cet « Irrationnel » n’a pas sa place dans la kiryelle des titres Skira.
Si l’on encroit « La Tete », Picasso vaut essentiellement comme figure récapitulative de l’Histoire de l’Art, ce qui rend peut etre possible son dialogue avec le dernière grande Figure récapitulative de l’Ecriture française, le Malraux des dernières années, tel qu’il se voit.
D’ou cette impression étrange, mais scripturairement pas si ratée, d’un livre qui parle de tout sauf du Picasso historique.Ce n’est qu’une hypothèse, mais dans la série des Chènes qu’on abat, Picasso est le Chene artistique à qui tout remonte. Vélasquez, les Tarots,(Tiens, là aussi, pour l’irrationnel…) « le Petit Bonhomme des Cyclades » et, je cite, « Tout ce qu’il a ressuscité ». Gardien du « Musée Imaginaire »,certainement. figure récapitulative de l’Art dialoguant avec celle de l’écriture, celle de l’homme qui « fait concurreence à Chateaubriand et à Proust », surement, mais aussi figure-pont entre deux mondes, l’artistique et le littéraire, transcendés tous deux par la Parole de l’ecrivain.Que tout ceci soit peu historique, mais profondément Malrucien, comment s’en étonner?
Bien à vous.
MCourt
Je vous remercie, Monsieur Court et Madame Blau, pour vos commentaires. Comme vous le dites Madame, j’en ai parlé parce que ce livre risquait de passer inaperçu dans le flot de livres publiés chez Gallimard ou Grasset. Bravo, Monsieur Court, pour vos commentaires sur Malraux, Picasso, l’art, l’Irrationnel et Le Miroir des limbes. Oui, c’est très peu historique mais c’est du Malraux. Qui pourrait reprocher à Chateaubriand de mêler un peu de fiction à ses Mémoires d’outre-tombe ? Vous connaissez le mot de Joubert sur Chateaubriand : c’est, disait-il, dans une de ses lettres à Pauline de Beaumont, un enchanteur. Eh ! bien, Malraux aussi.
Oui, je crois que sitot rentré à Paris, je vais me remettre dans la Métamorphose. C’est aussi peu historique que la Tete, mais quel flair!
Il y a là un autre point commun avec Hugo, celui de William Shakespeare. Dans les deux cas, on à affaire à une préface qui a dérivé, et à l’arrivée, à un catalogue de génies porte-flambeaux; Je suis tenté de penser que cela n’a pas échappé à Malraux, fut-ce a posteriori. »L’Homme Précaire et la Littérature » suppose intégrée cette pensée (« les génies de la secte ») quitte à les détacher, via l’interrogation sur la finitude de la Culture, de l’optimisme hugolien. En un sens, c’est WS à l’envers,le nescio répondant au credo hugolien, mais avec dans les deux cas l’auteur au centre. D’ou lyrisme, d’où méfiance encore aujourd’hui dans les institutions spécialisées vis-à-vis de ces « contemplations »
Merci de m’apprendre que la formule est de Joubert.Je l’aurais plutôt prétée à Pauline…
Bien à vous.
MCourt
Merci pour ces nouveaux commentaires sur Hugo, Shakespeare et Malraux. Il y a certainement une parenté entre Hugo et Malraux autour de cette question du lyrisme et de l’histoire-fiction, même si Choses vues démontre qu’Hugo avait un sens du récit historique. Cette question du génie me paraît plus complexe que ce que vous en dites. Il faudrait pouvoir confronter les différentes manières dont Hugo (William Shakespeare) et Diderot l’envisagent (Le Neveu de Rameau). Quant à Shakespeare, Malraux lui consacre quelques réflexions dans ses Carnets du Front populaire. Mais je ne vous apprends rien. Je ne suis pas absolument sûr que cette idée des ‘génies de la secte’, comme vous dites, ait présidée à l’écriture de L’Homme précaire et la littérature. Ce qui me paraît décisif dans l’écriture de ce texte, c’est plutôt cette question du devenir de la littérature face à ce que Malraux appelle ‘l’aléatoire’. Quelle place faut-il accorder à la littérature dans une civilisation où, après Nietzsche et Valéry, l’absolu fait défaut ? C’est cela, me semble-t-il, la question centrale de ce livre, en dehors de celle de l’intertextualité et de ce que vous appelez des ‘génies-flambeaux’.
Oui, la « secte » renvoyant d’ailleurs à l’université,la liste n’est peut etre pas acceptée sans arrières-pensées, mais elle a le mérite d’exister.On la prend comme un fait de culture.
Je crois me souvenir de quelques concordances avec la liste hugolienne. Il faudrait voir texte en main, et je ne puis ici que me fier à ma mémoire.
Pour le reste, nous sommes d’accord.Le livre roule sur la perception d’une crise de l’Absolu, et à probablement été mis en chantier pour signifier cette béance et cette inquiétude sur le devenir de la Littérature.
Cela dit,pouvez-vous m’éclairer sur le role accordé au Neveu de Rameau, qui ne figure pas sauf erreur dans les inventaires de la Bibliothèque d’Exil d’Hugo, et dont l’originale reste très tardive -Fin XIXeme, in Nouvelle Bibliothèque Elzévirienne!-
Bien à vous;
MC
Oui, Le Neveu de Rameau a été publié tardivement, comme beaucoup de textes posthumes de Diderot. Diderot s’y attendait d’ailleurs (voir sa correspondance avec Falconnet sur la postérité). Non, je pensais à la comparaison à faire entre la conception du génie chez Diderot (conception présente dans à la fois la différence entre l’oncle Rameau et son neveu et dans un autre petit texte de Diderot sur le génie) et la conception du génie (ou des génies de la même famille) dans le William Shakespeare de Hugo (à noter d’ailleurs cette présence de Shakespeare chez Hugo et Stendhal, alors que Barbey dépréciera Shakespeare au profit de Balzac). Le génie, chez Diderot, est lié à sa théorie matérialiste (biologique même) de l’homme, théorie qui considère que le génie échappe aux déterminismes sociaux (comme le croyait Helvétius) et obéit à l’hérédité. Cette hérédité qu’on retrouvera, comme vous le savez, chez le Zola des Rougon-Macquart. Je comprends que Le Neveau de Rameau ne fasse pas partie de la bibliothèque d’exil d’Hugo car je ne pense pas que les romantiques l’aient beaucoup apprécié. Vous vous souvenez sans doute des mots très durs (sur les circonstances de la mort de Diderot et sur la publication des textes de cet athée au XIXe siècle) de Barbey d’Aurevilly sur Diderot dans Les Oeuvres et les hommes. En outre, croyez-vous que la méfiance de Malraux à l’égard de l’université (voir sa lettre à Romain Rolland au sujet du Tableau de la littérature française en 1939) lui est propre dans le contexte de l’entre-deux-guerres ? Que dites-vous de la NRF ?
Sur Hugo et le Dix-Huitième siècle, Voltaire est épargné « Je viens de relire les Tragédies de Voltaire. C’est très courageux » dit-il en Exil dans le Journal d’Adèle, mais le matérialisme pose effectivement problème. « La Révolution, quoique grande, était athée » s’entend asséner Vacquerie.Il n’y a pas de sérieuse connaissance des penseurs. On le verra dans l’Ane et ailleurs au sujet de Kant. Le Dix-huitième siècle parait se borner à Faublas, Mirabeau, Voltaire. Chénier après l’édition Latouche….
Assez curieusement, le tir hugolien se concentre sur le XVIIeme siècle, et je ne vous apprendrai rien en disant que Bossuet et Racine y sont des plus malmenés. il y a bien une phrase visuelle sur le Rococo expirant dans le boudoir de la Pompadour, mais c’est tout. Hugo est ici victime comme bien d’autres de l’éclectisme à la Cousin et de ses propres œillères artistiques qui sont celles de sa génération…
Oui, cette théorie biologique avec un génie indépendant du déterminisme reparait chez Zola, spécialement avec le cas Claude Lantier.
« hérédité d’une névrose se tournant en génie », dit l’Arbre Généalogique, et je ne serais pas étonné qu’il y ait des livres du Dix-Huitième Siècle derrière cela.
Pour Hugo, c’est plus complexe. Le Génie est appelé pour combler un vide historique. En d’autres termes, il s’inscrit dans l’Histoire, dans un rapport de tension avec Dieu, qui à la fois les « sacre » et les « suit » (Les Mages I,1 etI,5) Situés en dehors des Religions, ils « élargissent Dieu » en meme temps qu’ils le révèlent à l’Homme par leurs œuvres (id, VI,2,3;Je ne suis pas sur que Dieu soit pour grand chose dans leur surgissement.Il le constate , simplement (IX,4).La triple équivalence de VII,2, comme quoi Nuit, Mort, Dieu sont le meme mot est symétrique de X, décrivant un Cosmos animé par le seul Ouragan dans lequel un Dieu « désigne » ses « gladiateurs »,mais ne les envoie pas.
Qui plus est, le génie hugolien intègre la Science,ne se cantonnant pas aux seuls arts;
« Près de la Science l’Art flotte
Tout ceci sur fond de Prométhéisme et de dilatation de soi. Retenons un Génie-Pretre, mais sans religion, un Dieu élargi, mais qui constate la floraison et ne la provoque pas,meme s’il daigne parfois désigner. Enfin, dans un monde absurde ou l’on n’exclut pas que cette floraison meme soit aléatoire le role tutélaire de Figures prométhéennes censées combler une béance et révéler à l’Homme une dimension supérieure, voire un accès à Dieu avec David et Moise. Il y a là une espèce de métaphysique du Génie que l’on peut en effet mettre en parallèle avec celle de Malraux.
Bien à vous
MCourt
Puisque vous parlez de Hugo et du XVIIe siècle, ce que vous dites sur la dimension métaphysique du génie chez Hugo me fait penser à un rapprochement possible avec le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet, malgré l’éreintement de ce dernier que vous signalez. Il faut néanmoins garder à l’esprit que Bossuet préférait sans doute Jésus à Prométhée. Par ailleurs, pourquoi dites-vous que le tir hugolien sur le XVIIe siècle est curieux ? Le Racine et Shakespeare de Stendhal démontre que le XVIIe siècle constitue, au début du XIXe siècle, le contrepoint au romantisme (l’un des premiers textes de Sainte-Beuve porte non pas sur le XVIIe mais sur le XVIe siècle), sur fond d’opposition entre le théâtre classique et le drame romantique à naître. Il y a, malgré que Hugo en ait, une parenté entre le progressisme des philosophes du XVIIIe siècle (malgré Le Siècle de Louis XIV de Voltaire) et l’importance accordée aux sciences (Buffon, Diderot, Madame du Châtelet) et ceux de Hugo (surtout le Hugo de la République, après sa première période légitimiste). Sur cette question de la science et du génie chez Hugo, je me dis que Renan (L’Avenir de la science écrit en 1848 et publié en 1892) n’est pas loin. Une dernière remarque : il y a peut-être, dans le fait que Hugo fasse une exception pour Voltaire, une proximité dans l’exil, une fraternité dans le malheur et le courage (contre la monarchie au XVIIIe et contre le Second Empire).
Pour la Fraternité avec Voltaire, l’exil peut en effet jouer. Aussi la tentation de l’apothéose, selon un poème posthume
« Tu rentreras comme Voltaire,
Chargé d’ans en ton grand Paris… »
Pour le tir Hugolien, il y a cet aspect excessif anti-Racinien, qui indispose meme Vacquerie . On peut certes le mettre en rapport avec la pièce de Musset sur le parc de Versailles, la différence étant qu’Hugo garde dans la durée ses phobies de 1830 quand Musset évolue…L’autre point étant que cette phobie racinienne présentée comme constante n’a pas toujours existé. Un métier Racino-Voltairien passe dans Athélie ou les Scandinaves, et on ne voit pas très bien ce qui a pu causer par la suite une telle répulsion . Il y aurait aussi à dire sur cette lecture du Dix-Septième siècle qui sauve le Corneille oublié de Don Sanche, Des souvenirs de celui-ci passant dans Hernani, pour mieux accabler le successeur. En comparaison, Stendhal est un modéré! Dans le cas de Bossuet, c’est plus étrange car il existe un reve Hugolien dument consigné ou Hugo se reve en Bossuet prechant entre deux infinis (« L’univers au dessus et au dessous de moi », je cite de mémoire). Le texte n’est pas daté mais peut remonter à l’exil. Il y a donc une attraction-répulsion d’autant plus forte que l’identification n’est pas avouée. En ce sens oui, le tir est curieux .
Je me demande si cette parenté avec Bossuet dont vous parlez ne vient pas tout simplement de la fréquentation de De Maistre,adapté mais jamais renié. Il faudrait creuser. On peut se demander si l’idée d’hommes de chatiment n’a pas été reprise et doublée d’une autre allant dans un sens positif,celle des Hommes de Génie, en gardant la césure Révolutionnaire dont Hugo opère une autre lecture…
Qu’il y ait un héritage du XVIIIeme siècle dans cette intégration de la science, je l’accepte. Je me demande toutefois si cette intégration ne va pas de soi pour un jeune homme qui a eu, on l’oublie souvent, une formation mathématique. Ce qui est inprogrammable, c’est l’intrusion de la poésie via la vision hugolienne. Promontorium Somnii part d’une situation d’observation scientifique, Hugo à l’Observatoire, et débouche via la vision poétique sur une théorie du reve à valeur de mise en garde, si personnelle qu’elle restera inédite longtemps:
« Il faut que le songeur soit plus fort que le songe ».Et nous sommes déjà avant l’exil…
Pour l’Avenir de la Science, oui, et on peut voir une concordance entre une tentation hugolienne du pessimisme, jamais totalement exorcisée, et un pessimisme fondateur renanien, dans la peinture du contexte du génie et du devenir de la planète…
Bien à vous.
MCourt
Je suis en désaccord avec vous sur deux points. D’abord, vous dites que le traitement que Hugo réserve à Racine est beaucoup plus sévère que celui de Stendhal. Je ne le crois pas du tout. Il faudrait lire tous les textes épars que Stendhal consacre à Racine, outre le Racine et Shakespeare. Quant à Joseph de Maistre, les deux seuls vrais héritiers que je lui vois au XIXe siècle, ce sont Barbey et Baudelaire (et peut-être Bloy). Il ne faut jamais oublier que ce qui est central chez de Maistre, c’est la question du péché originel appliquée à la politique et à la Révolution française. D’où sa farouche opposition à Rousseau et aux philosophes du XVIIIe siècle. Il suffit de lire les Entretiens de Saint-Pétersbourg ou les Considérations sur la France. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que sa conception du châtiment soit la même que celle qui est exprimée par Hugo dans Les Châtiments. L’intégration de la science dans la littérature ne va pas du tout de soi pour tous les écrivains qui ont eu une formation scientifique. Prenez le cas de Stendhal. Il est polytechnicien. Est-ce que cela se sent, de façon ostentatoire, dans La Chartreuse de Parme ou dans Le Rouge et le Noir ? Non. Attention à ce que vous dites sur le pessimisme renanien ! Où le voyez-vous dans L’Avenir de la science ? (N’oubliez pas que ce texte est écrit en 1848). Au contraire, sa vision est progressiste voire scientiste. Le seul pessimisme, que je lui vois, se trouve dans ses textes politiques ou historiques réunis dans La Réforme intellectuelle et morale. Il se rallie à la troisième République, après sa consolidation (le 16 mai 1875), du bout des lèvres, étant fondamentalement un partisan de la monarchie constitutionnelle, même si la République le fêtera à Tréguier avec l’inauguration de sa statue en 1903 par Combes. Vous connaissez les lettres terribles de Brunetière sur Renan, à cette occasion.
Je rajoute sur Renan que Pierre Lasserre (Renan et nous, 1923) et Thibaudet (Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, 1936) réhabiliteront Renan, après les Huit jours chez Monsieur Renan de Barrès qui sont assez ironiques sur sa gloire.
Vous pouvez, vous devez meme, etre en désaccord avec moi. Pour Stendhal, je n’ai pas à l’esprit les textes autres que le « Racine et Shakespeare » que vous citez.
Je n’ai pas dit que les Châtiments doivent quelque chose à De Maistre.Je dis qu’il réapparait peut etre profondément modifié dans l’exil autour de la période Contemplations-Fin de Satan; età mon sens pas celui des Soirées, mais celui des Considérations sur la France. C’est un point considéré comme acquis par Jean Gaudon in sa préface de La Fin de Satan. Sur la considération témoignée à De Maistre par des esprits qui ne sont pas de sa chapelle, il y a la phrase de Comte subordonnant l’estime qu’il a pour une personne au respect de celle-ci pour la pensée de De Maistre…
Touchant la science, je n’ai pas dit que son inclusion chez un écrivain de l’époque allait de soi, en fonction de ses études. mais je ne vois pas Hugo en héritier de ces philosophes du XVIIIeme siècle s’ébattant entre littérature et science.Les textes montrent qu’il ignore la philosophie quand il en parle;il vaut mieux oublier le passage sur Kant, par exemple. on peut contester cette explication par la formation académique, et j’avais pris soin de l’introduire comme une hypothèse. L’important est que la science, intégrée ou lue dans les médias de l’époque? se soit trouvée « visionnée » de manière beaucoup plus convaincante que chez Dellile ou Lemercier, par exemple. Encore que pour Plein Ciel, on puisse mettre un bémol! il y aurait ici à examiner cette Poétique, notamment dans les Mages, et en quoi elle tranche sur d’autres tentatives contemporaines, dont Vigny, Brizeux ETC
Sur Renan, je suis peut etre influencé par Bréhier et les Œuvres de la fin. Reste qu’un passage de L’ads comme « il se peut que la terre manque à sa destinée », joint en effet à quelques pages de la REFORME iNTELLECTUELLE ET MORALE, et plus encore au théatre post 1870, ne témoigne pas d’un grand optimisme;
Non, je ne connais pas les lettres de Brunetière,mais je peux les imaginer…la période, dans les deux camps, n’était pas glorieuse…
Bien à vous.
MCourt
Non, ne prenez pas mal mes remarques. Si les lettres de Brunetière (il s’agit de cinq lettres adressées au directeur d’un journal de l’Ouest de la France : j’ai oublié le nom de ce directeur de journal) vous intéressent, je crois qu’on peut les trouver sur le site Gallica. Je ne les ai qu’en version papier. Si je les avais en version électronique, je vous les aurai envoyé. C’est un tout petit texte dans lequel, sous prétexte de réagir contre l’inauguration de la statue de Renan à Tréguier par, entre autres, Combes et Anatole France, Brunetière s’en prend à l’ensemble de l’oeuvre de Renan (la seule chose qu’il lui accorde, c’est la séduction de son style). Oui,je peux comprendre la présence de de Maistre dans la période de La Fin de Satan. Mais le jugement de Comte me paraît un peu réducteur. Quant à Stendhal, il y a quelques textes épars (ce sont des textes qui ne sont pas intégrés à Racine et Shakespeare) sur le rire, le comique, le tragique (ils se rapportent presque tous au théâtre du XVIIe siècle). Malheureusement, je ne les ai, là aussi, qu’en version papier. C’est en faisant des recherches sur la question du rire chez Stendhal et Baudelaire que je les ai découverts. Merci pour vos brillants commentaires.
Merci .Prévenez-moi si vous publiez quelque chose sur le XIXeme siècle. Je crois que pour Malraux, c’est fait? Je vous lirai volontiers.
Bonne journée.
MCourt
Oui, j’ai déjà publié, en 2012, chez L’Harmattan, un texte sur la théâtralité chez Malraux. Mais attendez plutôt les deux prochains livres que je suis en train de préparer : un sur Gourmont et la Grande guerre et un autre sur Malraux et la poésie. Dès qu’ils paraîtront, je vous en informerai. C’est agréable de discuter avec vous. Si vous publiez quelque chose de votre côté, n’hésitez pas à m’en informer. Je ne sais pas si je vous ai déjà souhaité une bonne année. Si ce n’est pas le cas, j’en profite pour vous souhaiter paix, santé et bonheur pour 2014.
Je rectifie un point: il n’est pas exclu que Hugo ait fait une lecture politique de Corneille. Selon un passage des Confessions de Houssaye, daté de 1849, il aurait cité plusieurs auteurs de Shakespeare à Voltaire soutenant que le grand homme de Théatre n’a rien à redouter du Grand Monarque, et qu’il peut lui dire les choses en face. on lit ainsi:
« Louis XIV n’empeche pas Corneille d’etre Républicain ». J’avoue que ça laisse songeur à moins qu’il ne pense à Sertorius ou Othon..Meme si c’est un propos, il méritait d’etre signalé.
Bien à vous.
MCourt
PS
Il me souvient d’autre part qu’on refusait sous la Restauration de jouer Don Sanche d’Aragon , perçu comme « Un plaidoyer pour le prisonnier de Saint Hélène. » .Peut etre ne faut-il pas chercher plus loin. Corneille in carnant l’Empire , donc aussi la Révolution, contre Racine transformé en prototype de l’Ancien Régime. Ah ,les dualismes à la Française!
Je me demande si faire de Corneille l’incarnation de la Révolution, ce n’est pas aller un peu trop loin. Et puis Corneille est davantage un homme de la première partie du XVIIe siècle qu’un véritable auteur classique (je songe au règne de Louis XIV : 1660-1715). En ce qui concerne l’opposition à Louis XIV, je verrai plutôt Fénelon (Lettre à Louis XIV) et La Fontaine (à cause de sa proximité avec Fouquet) que Corneille.
Par ailleurs, cette question de l’Ancien régime et de la Révolution est complexe. Il suffit de lire L’Ancien régime et la Révolution de Tocqueville pour s’en convaincre.
Très intéressant dialogue.
Merci, Un intrus. J’ignore qui vous êtes mais je vous remercie pour votre commentaire. J’aurais aimé que vous soyez plus bavard. Mais tant pis.
Merci
La confrontation Malraux-Picasso
J’aurais aimé que M. Abdoulaye lise mon livre: Le Labyrinthe du Minotaure – Conte sur la révolution, et qu’il me dise ce qu’il pense du rapport avec Malraux, mentionné dans le chapitre État d’Art. Le livre numérique se trouve chez FNAC, le iBookstore, Kindle, Kobo etc etc.
Merci!
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