de Pierre Assouline

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Pontalis dit « J-B » entre deux marées

Pontalis dit « J-B » entre deux marées

Il y a deux manières de trouver des histoires à raconter : les inventer ou les écouter. La première relevant de la vocation du romancier, J-B. Pontalis s’est fait une spécialité de la seconde. D’autant que, dans le civil, lorsqu’il n’est pas éditeur, il est psychanalyste. Sa vie se divise en fonction de cette double dilection : le matin derrière son bureau chez Gallimard, l’après-midi derrière son divan chez lui. A moins que ce ne fut l’inverse, ce qui importe peu. Outre ses ouvrages sur l’inconscient, les fantasmes ou l’après-freudisme, il prend un vif plaisir à écrire de brefs récits où s’épanouit son tempérament de dormeur éveillé. Pas des nouvelles mais ce qu’il faudra bien appeler un jour des Pontalis. De discrets bijoux lus par une poignée de fidèles qui n’aspirent pas à faire foule. Son petit dernier Marée basse Marée haute (136 pages, 13,50 euros, Gallimard) est de cette encre. Plein d’histoires qu’il a vécues ou qu’on lui a racontées. Des amours et désamour.

Le thème ? Les choses de la vie, pour reprendre le titre qu’Antoine Blondin souffla à l’oreille de Paul Guimard. Des vies comme neuves plutôt que des résurrections. Un pas de côté suffit à passer à côté de son destin, d’une fuite en avant l’autre, avant d’envisager plus tôt qu’on ne l’a cru les choses de la mort. Quelle vanité de croire qu’on peut échapper à la chaîne du temps ! Gardons-nous de n’y voir qu’un catalogue des douleurs et un inventaire des souffrances même si c’est plein de gens qui ne sont plus là ; quant à ceux qui y sont encore, ils s’apprêtent à mourir. Accident cardio-vasculaire & rupture d’anévrisme. Enterrement & solitude. Pas de pathos, ni de tristesse. On ne peut même pas dire, une fois découverts les personnages, qu’il fait sombre à l’intérieur d’eux. Question de style qui réussit à être au fond chaleureux par l’empathie qui l’anime, tout en demeurant sec à force de dépouillement. Un ton qui s’annonce à pas feutrés.

C’est truffé de rencontres gouvernées par des hasards et des coïncidences, mais allez savoir. Chacun sa petite histoire magnifiée par lui-même sans qu’il soit nécessaire de transfigurer ces banalités en littérature. C’est que l’auteur a la délicatesse de ne pas prendre les drames au tragique. Parfois l’allusion à un film s’impose et les Oiseaux d’Hitchcock se posent sur la page. Un livre passe par là et c’est La Mort d’Ivan Illitch, le vrai chef d’œuvre de Tolstoï, qui permet de comprendre pourquoi un vivant au seuil du trépas a besoin à son chevet d’un paysan qui lui dise la vérité dans son atroce simplicité. Ainsi la mémoire par associations convoque-t-elle aux derniers instants des œuvres qu’elle avait jusqu’alors enfouies.

A la fin, on croit entendre la voix de l’auteur, éraillée par le tabac, dire à l’instar de ce vétérinaire : « Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté tout cela. Ca n’a aucun intérêt ». Justement, c’est aussi pour cela qu’on y a pris tant de plaisir : parce que c’était raconté gratuitement, sans autre but avoué, et sans désir de convaincre. Pas le genre d’un homme qui avoue rêver encore d’Oreste, son cocker au regard mélancolique, un demi-siècle après sa mort. Il n’est pas seulement solidaire de tous ses âges mais de toutes ses humeurs ; nostalgique d’un temps où régnait l’antique théorie des humeurs (sang, phlegme, bile, atrabile), il revendique pour son propre compte les délices de se livrer à l’humeur vagabonde, naviguant entre les deux pôles desdits bipolaires ; mais le jour n’est peut-être pas lointain où les psychiatres américains réussiront à médicaliser jusqu’à l’humeur vagabonde pour mieux l’enfermer dans leur DSM-5 et permettre à un laboratoire de proposer l’antidote au nomadisme moral, tenu pour un prétendu poison de l’âme. Peut-être M. Pontalis va-t-il finir par s’évader de J-B pour rejoindre la famille de papier de Gonçalo M. Tavares en bairro, entre M. Plume et M. Teste.

Il me faut arriver à la fin de ma lecture et de ce billet pour m’apercevoir que j’ai parlé de celui que nous appelions tous « J-B », à sa demande, plutôt que Jean-Bertrand, mais que je l’ai fait au présent alors qu’il nous a quittés il y a au début de cette année le jour même de ses 89 ans. C’est dire sa présence. Ce texte est son signe ultime et sa dernière trace. A croire qu’en se retirant au plus bas la marée a emporté le corps, et qu’en remontant au plus haut elle en a ramené le livre.

(« La cavalière inconnue, Tanger, début du siècle », photo Passou)

Cette entrée a été publiée dans Littérature de langue française.

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commentaires

615 Réponses pour Pontalis dit « J-B » entre deux marées

renato dit: à

« Parole de rabattu de la 11e?… »

Wow ! que vous êtes intelligent ! et quel humour ! et votre maman, qu’est-ce qu’elle dit votre maman en admirant un si flamboyant esprit ?

Bonne journée, courageux anonyme, et amusez-vous bien…

Aperçu biographique dit: à

La vraie vocation de la Mauvaise Langue,c’était moniteur de centre aéré. Il a raté l’examen, il est devenu prof de collège.

John Brown dit: à

(Vous avouerez que c’est quand mieux qu’une fiche wikipédia, hein ! Tas d’ingrats) (rédigé par LML)

Sans méconnaître l’exceptionnel intérêt de la fiche pédagogique de LML, on signalera, disponibles sur internet en un clic, une bonne dizaine d’exposés détaillés sur le thème « Ville et littérature » (en PDF généralement).

John Brown dit: à

« La vraie vocation de la Mauvaise Langue,c’était moniteur de centre aéré. Il a raté l’examen, il est devenu prof de collège. » (rédigé par aperçu biographique)

Les exposés pédagogiques de LML me rappellent la belle époque où les responsables de mon club de tennis, convaincus que sport sans culture n’est que ruine de l’âme, nous avaient recrutés, un copain et moi, après avoir appris avec la sidération qu’on imagine que nous avions atteint au moins le niveau bac + 3, pour assumer la tâche de prononcer une série de conférences culturelles devant un parterre de minots. Tandis que je leur causais de Sophocle et de Verhaeren, le copain leur expliquait comment on foudroyait (c’était, paraît-il, le mot technique) les étais d’une galerie de mine. Le tout moyennant une inscription d’un an gratos au club. Les Onfray de l’époque, c’était nous !

u. dit: à

Nous avons manqué de bons sens, et ce faisant nous avons fait souffrir inutilement un homme que nous estimons.

Qui peut croire que les chiens appartiennent à la cavalière qui s’éloigne?
Et pourtant, ils ne sont pas là tout seuls.

CE SONT LES CHIENS DU PHOTOGRAPHE.

Bon, « corniaud » était un terme d’affection, M. Assouline.
Vous avez là deux chiots adorables.
Taquins, marrants, et qui semblent en bonne entente malgré leur différence.

Nous n’aurons pas l’inélégance de vous demander l’identité de la cavalière inconnue, c’est-à-dire inconnue jusqu’aux présentations le soir au bar de l’hôtel.
Mais ces deux bêtes si touchantes resteront probablement les deux chiens les plus commentés de l’histoire de la Rdl.

Ce serait quand même sympa de savoir leurs noms.

u. dit: à

Tandis que je leur causais de Sophocle et de Verhaeren,

Ça fait rêver, les raquettes Verhaeren et Sophokles, ça c’était de l’artisanat, autre chose que les Babolat ou les Dunlop sans âmes.
On devinait encore la bête derrière le boyau de chat.

John Brown dit: à

 » les Dunlop sans âmes.  » (rédigé par u.)

Je suis de la grande époque Slazenger, moi, msieu.

Le club d’ousque dont je parle étant un club omnisport, les brillants rejetons de la classe petite-bourgeoise que nous étions, mon copain et moi, contribuions à élever le niveau culturel des mômes des masses popu, enfants de cheminots ou d’ouvriers de l’usine Renault voisine. C’était l’époque bénie où, même dans les villes d’importance moyenne, existait un vrai tissu industriel comme on dit.

John Brown dit: à

« Ce serait quand même sympa de savoir leurs noms. » (rédigé par u.)

Il le dira jamais. En dépit de la nouvelle loi sur le mariage pour tous, la zoophilie reste légalement prohibée.

TKT dit: à

Langue Moisie a-t’il encore des plombs à faire péter ?

ambre dit: à

Marina Tsvetaeva écrivait en 1926 à Rainer Maria Rilke :

« Un poète peut écrire en français ; il ne peut pas être un poète français, c’est ridicule.
Je ne suis pas un poète russe, c’est toujours un étonnement pour moi d’être considérée comme tel. On devient poète, si tant est qu’on puisse le devenir, non pour être français, russe, etc., mais pour être tout. Ou encore, on est poète parce qu’on est pas français ! »

Alors si l’on est poète – justement – parce qu’on est pas français, j’écris moi aussi pour tenter humblement d’être ce tout. Et c’est sans doute bien mieux possible, ici à Tanger, où l’on parle quatre langues dans la même heure, où l’on a l’illusion d’oublier qu’on est russe, français ou que ce soit d’autre, où la littérature, la poésie deviennent plus facilement musique, et en n’importe quelle langue. Ce tout ne se contente pas d’une seule case.

Si je suis français – on en doutera pas – j’écris et je vis au Maroc. Dois-je donc me contenter de cette dénomination, avec tout ce que l’adjectif « français » peut revêtir de caricatural et de négatif, dans un pays où le Français est considéré à la fois comme un ancien « protecteur » et un néo-colon, et comme le représentant d’une civilisation et d’une philosophie que l’on veut bien dire généreuses ?

Jacques Barozzi dit: à

ambre, c’était donc vous sur le cheval !

ambre dit: à

Jacques Barozzi dit:
ce n’était qu’au croisement des regards à l’horizon !

L'absence de cerveau conduit à la mort lente....... dit: à

« C’était l’époque bénie où, même dans les villes d’importance moyenne, existait un vrai tissu industriel comme on dit. »

En général, accompagné d’un tissu de conneries…

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