
Pas de côté
Il doit sa réussite à sa capacité à amuser et à faire le show, sa réussite médiatique est la clef de son succès, sa rhétorique est celle d’un télé-évangéliste, on ne compte plus ses outrances et ses approximations, il n’a de cesse de faire appel au bons sens de ses auditeurs, son charisme de tribun est indéniable, il a ce quelque chose de tapageur auquel on se plaît à s’identifier, il n’y a pas meilleur vendeur, son culte de la personnalité n’effraie même plus, il fait de l’audience, il faudrait être aveugle pour ne pas déceler dans ses discours les recettes éprouvées du populisme avec tout ce que cela suppose de démagogie, on le voit pérorer aux tribunes ivre de son succès et ça plait, il adopte l’allure vestimentaire d’un homme du peuple, sa dénonciation permanente du système est si habile qu’il réussit même à faire oublier qu’il est un salarié de la politique depuis des années, nul ne sait comme lui être l’acteur de sa propre légende, les organisations internationales reçoivent ses flèches les plus acérées, on n’en revient pas qu’un peuple dans sa maturité politique puisse abdiquer toute intelligence critique pour se laisser conquérir par un tel personnage, bref,
« c’était l’un de ces imposteurs magnifiques capables de s’engloutir eux-mêmes dans leur propre sincérité »
Vous l’aviez deviné, il s’agit de… mais non, pas lui… ni lui… ni elle… qu’alliez-vous imaginer, faut-il avoir l’esprit tordu et vissé à l’actualité. Mais non, c’est de Lonesome Rhodes qu’il s’agit, un animateur de radio dans le Wyoming passé du divertissement à la politique, ce qui, désormais, revient à rester dans le même univers puisque les mêmes ressorts y sont actionnés pour conquérir le public.
Avec une manière très américaine de prendre le lecteur à témoin en l’embarquant dans la narration, le scénariste et romancier américain Budd Shulberg a raconté son ascension dans Un Homme dans la foule (Your Arkansas Traveler, traduit de l’anglais par Christophe Mercier, 92 pages, 9 euros, éditions des Equateurs) en 1953. Quatre ans après, Elia Kazan a porté cette nouvelle à l’écran sous le titre A Face in the Crowd. Le livre vient d’être réédité opportunément ; les chaines de télévision qui jouent ce soir la contre-programmation (merci Arte pour La Porte du paradis du grand Cimino) auraient été bien inspirées de rediffuser le film. Car ces temps-ci en France, il n’est pas interdit de reconnaître cette personne dans la foule des prétendants. Tout ressemblance ne serait pas pure coïncidence.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’actualité de la librairie a fait tomber en même temps dans ma boite une autre réédition toute aussi salutaire, celle de La désobéissance civile (Civil Disobedience, traduit de l’anglais par Jacques Maillot, 38 pages, 3 euros, Gallmeister). Le fameux bréviaire de Henry David Thoreau inspira naguère des activistes aussi éminents que Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela. On y réapprend que la politique est l’affaire de tous et pas seulement celle des gouvernants, qu’il y a des lois injustes et à considérer comme telles en en tirant les conclusions, qu’on peut décider en son âme et conscience de dissoudre sa propre union avec l’Etat en refusant de payer un impôt. Ce qu’avait fait l’auteur, révolté tant par l’esclavagisme que par la guerre au Mexique.
C’était dans l’Amérique de 1846. On l’envoya en prison. Il n’y passa qu’une nuit mais elle fut féconde pour sa réflexion. Trois ans après, il publiait ce court essai qui n’a jamais perdu de son ardente actualité tant sont envisageables sous toutes les latitudes les cas où le citoyen ne veut plus faire allégeance à un Etat dans lequel il ne se reconnait plus tant il ne le reconnait pas. Juste se désister et prendre ses distances de manière très concrète. Une certaine manière de dire qu’on ne peut plus aimer son pays dès lors qu’il a cessé d’être aimable.
(Photo D.R.)