Pour saluer Raoul Girardet
« Vu de droite, cela vous va comme titre ? – Non, cela ne me va pas. Trop réducteur ». Et il tint bon des semaines durant face à la demande courtoise mais insistante de l’éditeur François-Xavier de Vivie, alors le patron de Perrin. Et Raoul Girardet, qui vient de disparaître à 95 ans, co-auteur en 1990 d’un livre d’entretiens conduits par votre serviteur, obtint gain de cause. Le titre lui convenait d’autant plus qu’il l’avait trouvé : Singulièrement libre. Ce qu’il était. Autrement dit marginal, non-conformiste, peu complaisant, ennemi des tabous, mais résolument à droite et fier de l’être, ne reniant rien des valeurs qui l’avaient fait : honneur, fidélité, tradition. « Vous êtes sûr, M. Girardet ? En renonçant à « Vu de droite », vous vendrez deux fois moins… – Ah, et alors ? »
Cet homme de convictions, qui n’avait pas son drapeau tricolore dans sa poche, était de la classe d’un Raymond Aron. D’où vient qu’il fut bien moins connu et moins célébré ? D’une certaine paresse qu’il était le premier à reconnaître non sans coquetterie. La France était sa spécialité. Son œuvre est mince (une dizaine de livres) et, à son image, discrète ; mais dense, puissante, influente. Elle eut un large rayon d’action. Sa bibliographie, constituée principalement d’essais historiques sur la société militaire, le nationalisme et l’idée coloniale français, était sans commune mesure avec son aura. Rarement un professeur aura été autant respecté, adulé, à SciencesPo qui était « sa » maison, mais aussi en Sorbonne, à l’Ena, à l’X, à l’Ecole de guerre où il avait également enseigné quarante années durant. Il faut dire que son charme était par bien des côtés irrésistible.
Ironique et précis, ce styliste s’incarnait dans son style en toutes choses. Polémiste et bretteur à ses heures, il ne perdait jamais son calme, le sourire aux lèvres. Son franc-parler n’en était pas moins ravageur à l’occasion. Avec un sens de la litote dont il était coutumier, et un souci de la langue aussi affirmé à l’écrit qu’à l’oral, d’une intelligence érudite zébrée d’intuitions lumineuses, préoccupé de clarté dans l’expression, de concision en toutes circonstances, d’esprit de synthèse, de netteté de la pensée, il se présentait comme « un universitaire accepté par ses pairs et non récusé par ses étudiants ». Lorsque je fus convaincu que le grand historien du sentiment national préférait décidément se promener, discuter avec les étudiant(e)s et lire plutôt que de s’atteler à l’épreuve des « Mémoires » que tant d’éditeurs lui réclamaient depuis tant d’années, je le poussai à les parler à défaut de les écrire. Ce qui m’était arrivé à une autre occasion dans les mêmes circonstances et pour les mêmes motifs, avec Antoine Blondin. Pour qu’une trace biographique reste de leur passage ici-bas, dans le fol espoir d’éclairer un peu plus leur œuvre, car cela seul compte, et non pour livrer y un misérable tas de secrets.
On parla donc : ses origines, sa famille, sa jeunesse entre les deux guerres à l’Action française et les Camelots du roi, la défiance vis à vis de la pénétration de certaines valeurs dans les esprits européens qu’il conceptualisera plus tard comme une « imprégnation fasciste », la clandestinité et la Résistance sous l’Occupation, Fresnes dans les derniers temps, l’hostilité au résistantialisme, le combat pour l’Algérie française, l’OAS, la prison à nouveau (jamais il ne perdit une occasion de dénoncer publiquement la faute et le crime du général de Gaulle lorsque celui-ci lâcha les Harkis qui avaient servi la France), les amitiés indéfectibles sur la durée du romancier Jacques Laurent et de l’historien Philippe Ariès, l’admiration inentamée et reconnaissante pour son maître Pierre Renouvin, l’admiration critique pour Maurras, le souvenir d’étudiants prometteurs qui ont fait leur chemin (Jacques Attali, Jean-Pierre Chevènement, Laurent Fabius, Zeev Sternhell et tant d’autres)… Il était tout sauf sectaire.
« Qui aime –et je cite au hasard- les jardins, les chiens et les collines de l’Ombrie, Giraudoux et les fresques de Santa Maria Novella, la Marianne de Marivaux et le lent glissement des nuages sur le ciel, se situera toujours, en tout cas pour moi,, sur un plan plus réel de compréhension et d’intimité que bien des partisans, anciens ou moins anciens de mon bord »
Il se voulait le témoin, mais un témoin certes engagé, du passage de la France d’un monde à l’autre : la France de la messe en latin et des instituteurs aux cols durs cravatés de noir, la France de la victoire glorieuse et épuisée, marquant de ses taches roses la carte du monde, un pays dont les femmes ressemblaient encore aux dessins de Benjamin Rabier (mais qui se souvient encore de Benjamin Rabier ?), cette France qui fut la sienne et qu’il n’évoquait pas sans nostalgie, passant le relais à une nouvelle France « où je me retrouve sujet d’une toute autre patrie, citoyen d’un tout autre pays ».
Lorsque parut Singulièrement libre, Jacques Laurent m’écrivit une longue lettre formulant un reproche : trop de politique ! La vie, ce n’est pas cela. Sans se concerter avec son ami, Girardet me fit la même remarque tant la politique lui apparaissait comme la pire tare de la vie intellectuelle française. Trop d’idéologie ! Non qu’il reniât quoi que ce soit d’un passé qu’il considérait avec fierté. Mais il regrettait qu’on lui ait accordé tant de place au détriment de ce qui avait véritablement fait sa sensibilité : Giraudoux « qui n’est plus lu car il s’exprimait dans un français si beau qu’il en est devenu aujourd’hui illisible », Péguy dont une phrase (« Celui qui rend une place ne sera jamais qu’un salaud, quand même il serait marguillier de sa paroisse”) découverte dans L’Argent avait engagé et gouverné sa propre vie tout au long du XXème siècle, la détestation de Sartre et de Malraux, la fascination pour l’essai de Claude Digeon sur la Crise allemande de la pensée française (PUF, 1959), quelques tableaux inoubliables, des films d’Eric Rohmer incarnant à ses yeux l’élégance française… Toutes choses bien plus profondes et plus marquantes que la politique.
Raoul Girardet creusa toute sa vie le même sillon jusqu’à ce que, il y a une dizaine d’années, le destin l’enveloppe progressivement dans les brumes d’Alzheimer. L’homme intime et privé, tout autant que l’historien des idées politiques, demeura fidèle à une certaine idée de la France. Pour qu’il n’ait pas œuvré en vain, espérons qu’il ne l’a pas emportée avec lui.
812 Réponses pour Pour saluer Raoul Girardet
« Abdel n’a pas tort pour une fois, si Finkie n’était pas jouif il aurait été viré depuis longtemps. Aucun chrétien ne pourrait se permettre en France, dans son propre pays, de tenir de tels propos sans représailles féroces »
« Jouif », Seigneur…
Dites Juif, c’est beaucoup mieux.
Pour qu’on puisse vérifier que ce que vous dites n’est pas seulement « jouissif » (pour vous), il faudrait d’abord soigneusement citer les propos en question.
C’est vrai aussi pour Abdelkader, qui parle sur le ton de l’évidence, des « propos racistes » de Finkelkraut.
(La notion de « racisme/ antiracisme » ne vaut, en elle-même, pas un clou, mais c’est un autre débat, il faut bien se servir des mots publics)
One note? O sur 100, sans hésiter.
« Marwan Mohammed, chargé de recherche au CNRS (EHESS-ENS-CNRS) & Abellali Hajjat, sociologue, Maître de Conférence en sociologie et sciences politiques à l’Université Paris-Ouest/ Nanterre . »
Une question Bloom: sont-ils mondialement reconnus et étudiés dans les universités nord-américaines? Sinon, ils perdent beaucoup en crédibilité.
Comme tu peux l’imaginer Bloom, j’adore les chercheurs en sciences sociales, surtout ceux de Nanterre et du CNRS. Je suis abasourdi par l’immensité des découvertes qu’ils ont réalisées au cours des dernières décennies et par les solutions pertinentes qu’ils ont apportées à tous nos problèmes de société.
Une remarque: il manque le mot « construction » dans le titre de leur « travail ». Serait-il désormais remmplacé par « fabrication »? Voilà qui serait une formidable avancée conceptuelle qui mériterait d’être mondialement reconnue et étudiée dans les universités US.
L’insoutenable lourdeur du non-être…
Il y a de la gogolophobie dans l’air, ou je ne m’y connais pas.
En tout cas que des histoires pour payer des universitaires inutiles car le vivre ensemble s’apprend au quotidien, mais si cela sert à contenir le chômage…
Dans une petite ville du sud du Piémont un barbier m’a un jour dit : « Le fiancé de ma fille est un bon garçon, il vient du sud [de l’Italie], mais il est un bon garçon »…
Sacré barbier, le même que celui qu’a mis le Piémont dans le plat dit un jour: « moi, ma fille, jé la mé zau régime et l’innamorato jé té lé mé zau giorno! »
Ca, c’est de la filozofie!
L’intégration passe par tous les segments de la population, et elle ne s’impose pas — bon, les fachos et les verts bien à part. Cela dit, on laisse glousser les crétins…
je glousse donc je suis
c’est plombant à la fin
http://www.youtube.com/watch?v=7ymeuOz0hZU
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