de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 57 Les architectes mangent du homard

N° 57 Les architectes mangent du homard

Par Jacques Drillon

Le ministère de la santé, vu comme un ministère de la maladie. (Le ministère du travail comme celui du chômage, etc.)

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Même Jouvet fut un nouveau-né :

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Jean-Luc Godard : « … Mais vous les journalistes, vous voulez – j’ai même fait un film là-dessus – vous voulez toujours avoir le dernier mot.
Olivia Gesbert : (rires)
Godard : On dit quelque chose, pof vous dites : Ah bon, ça veut dire que. Moi je dis non, pas du tout.
Gesbert : Vous voulez plus que je parle…
Godard : Ce serait l’idéal. Mais que l’émission existe quand même.
Gesbert : Comment faire pour la faire exister ? Prenez le pouvoir, alors…
Elle a eu le dernier mot.

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(Suite)
Godard, le seul homme qui puisse continuer de parler tout en reprenant sa respiration.

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« Leur pronostic vital est engagé. »

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Bach jeune transcrivant pour clavecin seul des concertos de Vivaldi, Marcello, et d’autres petits maîtres (Ernst von Sachsen Weimar !), pour apprendre le style italien avec des œuvres faciles, comme on apprend à traduire du latin dans le De viris, et non dans Tacite. Il retire, ajoute, transforme à son gré, il s’amuse, il jongle. Par la suite, le seul compositeur dont il transcrira les œuvres sera… Bach.

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Les cinéastes qui montrent dans un film policier des scènes qu’aucun personnage n’a pu vivre, ni voir : « Voici comment ça s’est passé, en fait », semblent-ils dire. Personne dans le film n’était présent. Seul le scénariste est au courant.

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Les petits dessins roses ou vert tendre imprimés sur le papier toilette. Même le PQ doit être joyeux, souriant, convivial.

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Yves Nat, qui a été le professeur de piano de : Yuri Boukoff, Reine Gianoli, Claude Kahn, Jean Neveu, Robert Veyron-Lacroix, Jean Martin, Jörg Demus, Geneviève Joy, Gérard Frémy, Odette Gartenlaub, Lucette Descaves, Hélène Liamine, Jean-Bernard Pommier, Santos Ojeda, Marie-Claire Alain, Jacqueline Eymar, Pierre Sancan, Nadia Tagrine, Gisèle Millet, Chantal Aubert, Martine Jost, Jean Ullern, Guy Lasson, Françoise Chéron, Évelyne Dubourg, Adrienne Clostre, Marie-Madeleine Petit, Marcelle Brousse, Geneviève Dinand, Jacques Loussier, Juan Padrosa, Lina Bossati, Olivier Bernard, Mayette Constantin, Claude Rolland, Sylvie Baley…

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La modernisation du Louvre, qui a coûté 6 milliards de francs, la TGB 8 milliards, l’Opéra Bastille 3 milliards, la Cité de la musique 1,3 milliard, la Grande Arche 3,7 milliards. Les architectes, qui touchent 10% du coût total des travaux.

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La confiance qu’ils avaient en leurs acteurs, les cinéastes d’autrefois, et en le spectateur. Un monologue dans Pagnol, dans Guitry ? Plan fixe. Pas de plan de coupe, pas de contre-champ.

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Le « Jour de dépassement » : « Date de l’année à partir de laquelle l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an » (Wikipédia). Ce jour ne cesse d’avancer, dit-on, et l’on vit « à crédit » à partir de cette date de l’année ; seulement l’ardoise est effacée au 31 décembre, et l’on peut donc recommencer tranquillement à s’endetter, d’autant plus qu’on sait qu’on n’aura jamais à rembourser.

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(Suite)
Il existe une horloge censée effrayer le monde sur l’Apocalypse approchant. Selon les événements, elle avance ou recule. Elle était à minuit moins sept à la fin de la guerre de 39-45, a été reculée à minuit moins dix-sept à la fin de la Guerre froide, et avancée à minuit moins deux en 2019. Car c’est une horloge qui ne fait pas tic-tac : elle est en panne de manière permanente. Qu’est-ce qu’une horloge qui n’avance pas ?

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(Fin)
L’enquête de « l’Intran » en 1922 : « Et si le monde allait finir, que feriez-vous ? » Réponse de Proust :
« Je crois que la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse, si nous étions menacés de mourir comme vous le dites. Songez, en effet, combien de projets, de voyages, d’amours, d’études, elle – notre vie – tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l’avenir, les ajourne sans cesse. Mais que tout cela risque d’être à jamais impossible, comme cela redeviendrait beau ! Ah ! si seulement le cataclysme n’a pas lieu cette fois, nous ne manquerions pas de visiter les nouvelles salles du Louvre, de nous jeter aux pieds de Mlle X…, de visiter les Indes. Le cataclysme n’a pas lieu, nous ne faisons rien de tout cela, car nous nous trouvons replacés au sein de la vie normale, où la négligence émousse le désir. Et pourtant nous n’aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd’hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort. »
Bon, il s’est pas foulé.

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William Hood, qui écrivait en 1654 à propos des homards de la Nouvelle Angleterre : « Leur surabondance en fait une denrée peu estimée et peu digne d’intérêt, sauf pour les Indiens qui se servent du homard comme engrais, comme appât ou au pire comme repas s’ils n’arrivent pas à attraper de bar. »
Au XVIIIe siècle, dans le Massachusetts, les domestiques demandent par contrat de ne plus manger de homard à tous les repas, mais au maximum trois fois par semaine.

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(Dernière minute)

ALERTE CORONAVIRUS

Un message diffusé le soir, dans des villages chinois, par haut-parleurs :
« Que chacun prenne garde à respecter l’isolement durant la nuit ! Mari et femme ne sont pas autorisés à s’enlacer, ni à s’embrasser, et encore moins à s’adonner à certaines activités. Que les hommes maîtrisent leurs ardeurs et les femmes fassent preuve de retenue.  »

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollésPapiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).« 

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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