de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 67 Le cerf, la vieille dame et l’imbécile

N° 67 Le cerf, la vieille dame et l’imbécile

Par Jacques Drillon

Personne ne sait
Ce qu’il faudrait dire à Maurizio Pollini pour qu’il soit un pianiste intéressant : il est parfait.

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Les incipits méconnus
Louis-René des Forêts, Le bavard : « Je me regarde souvent dans la glace. Mon plus grand désir a toujours été de me découvrir quelque chose de pathétique dans le regard. »

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Les pluriels pénibles
Fêter ses un an. Le pétrole est passé sous la barre des zéro dollar.

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Larbaud aphasique, ne pouvant plus prononcer qu’une phrase : « Bonsoir les choses d’ici-bas. »

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En tête d’un roman de San-Antonio :

PREMIÈRE ET DERNIÈRE PARTIE

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Personne ne sait
Pourquoi les bouteilles de champagne sont plus épaisses, plus lourdes que les autres.

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Les bébés qui bandent comme des cerfs.

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Jean Paulhan, qui, dans une lettre détruite, aurait inventé un nouveau signe de ponctuation : la parenthèse ouvrante non suivie de parenthèse fermante.
D’autres l’emploient, comment dire, spontanément.

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Françoise Fabian, qui raconte qu’à l’époque de Ma nuit chez Maud, personne ne savait où Rohmer habitait. De ses collaborateurs, ses acteurs, ses techniciens, personne.
– On va vous raccompagner…
– Non, non, laissez-moi au feu rouge.

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Pour les cheveux des vieilles dames : coloration blanc cendré.

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Le vieux Liszt, tué par ses médecins qui, pour préserver sa santé, lui ont interdit ses cigares et son cognac.

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Gustav Leonhardt présentant son passeport à l’aéroport de New York. Le douanier le lui rend :
– OK Gus !

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Ces gens qui, lorsque vous leur dites quelque chose, se demandent d’abord pourquoi vous le dites, et cela s’est passé, et quel âge vous aviez, et ce que vous portiez ce jour-là, et quel temps il faisait ;  et qui, seulement s’ils ont obtenu leurs réponses, entendent ce que vous leur avez dit : le flux de leur pensée est d’abord dévié, comme par un champ magnétique de curiosité. (Toujours l’histoire du doigt qui montre la lune, et de l’imbécile qui regarde le doigt, ou même seulement la tête de son propriétaire.)

*

(Suite)
Il peut exister un autre champ magnétique qui dévie leur pensée, avant qu’elle parvienne jusqu’à la phrase que vous avez prononcée : en effet, ce que vous avez dit pourrait contrevenir à l’un de leurs intangibles principes. Le cas échéant, il leur serait inutile d’aller plus loin dans l’examen de sa véracité. Si votre phrase contient le mot femme, par exemple, il leur faut aussitôt la classer d’un côté ou l’autre de la barrière du bien et du mal : la phrase est-elle féministe ou anti-féministe ? Si vous avez parlé du passé, votre phrase était-elle passéiste ou progressiste ? Non pas  juste ou fausse, ni intéressante ou banale, ni drôle ou assommante. Cela est secondaire, et ne peut être étudié qu’une fois réussie cette épreuve probatoire.

*

(Fin)
Lutter contre l’exaspération. Ne point s’énerver. Être indulgent, patient comme une araignée. Répondre poliment aux questions adventices.

***

(Dernière minute)
Aux États-Unis
Les 238 mots « insultants ou discriminatoires ayant trait au genre, à l’origine ethnique ou à l’orientation sexuelle » qui risquent fort d’être supprimés en septembre « de la liste des termes utilisés en compétition » de Scrabble.
Si l’on veut, par curiosité, connaître la liste des mots supprimés, on peut aller sur le site de la NASPA, l’association américaine des joueurs de Scrabble. Mais pour éviter de choquer le lecteur, on n’y a fait figurer les mots que sous forme d’anagrammes, dont les lettres sont classées par ordre alphabétique. Voici par exemple la liste de ceux qui concernent l’orientation sexuelle : « bdeikllu, bdeikllsu, bdeklluy, bdekllsuy, bbmouy, bbmosuy, cccekkorsu, cccekkorssu, deiky, dekyy, aefggir, aefggist, aefggiorst, afggorty, afggoty, afggy, els, belos, beloss, eelss, elz, eelszz, eeilzz, eeilszz, elyzz, acenn, acenns, aceinnr, aceinns, aceinnst, acnny, efioopr, efioopst, foops, afhoopt, afhoopst, efooprt, efooprst, foopy, eoopv, eoopsv. »

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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