de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 65 Pomme, poire et Bellucci

N° 65 Pomme, poire et Bellucci

Par Jacques Drillon

Aragon trouvant que dans Tristan et Iseult la plus « grande chose » est l’épée qui sépare les deux amants. Ajoutant : « Ça, c’est une trouvaille. On n’a pas recommencé, d’ailleurs. Tout le monde par la suite a craint de se blesser. »

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« Toi, toi, toi ! répéta-t-il quatre fois de suite » (San-Antonio).

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Désapprouver le féminisme maccarthyste fait de vous un machiste ou une esclave, selon votre sexe. C’est automatique, il n’y a pas à discuter. Voilà le point où nous en sommes, comme dirait Mandiargues.

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La difficulté presque insurmontable qu’a le torero à enfiler sa foutue taleguilla (sa culotte), beaucoup trop ajustée pour un être humain normalement constitué.

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La pauvreté d’imagination des industriels de la mode vestimentaire, qu’atteste l’usage systématique qu’ils font de l’inversion et/ou de la surenchère :
Boutonnage devant -> boutonnage derrière
Coutures cachées -> coutures visibles
Encolure devant -> encolure derrière
Marque cachée -> marque ostensible
Pantalon trop large -> pantalon trop serré
Entrejambe trop haut -> entrejambe trop bas
Pantalon trop long -> pantalon trop court.

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Personne ne sait
La différence entre un orchestre symphonique et un orchestre philharmonique. Il n’y en a pas, suppose-t-on.

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Trop de nus pour Napoléon dans L’enlèvement des Sabines, de David. Il renonce à l’acquérir.

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Personne ne sait
Comment il faut prononcer Watteau.

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Monica Bellucci, qui semble immobiliser son visage dans une beauté permanente. Parler, jouer son rôle, exprimer une émotion, sont des actions qui perturbent cette beauté de faïence, la craquèlent. (« Je hais le mouvement qui déplace les lignes. »)

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La parution en 2000 de L’autre face, de Pierre Bourgeade et Marie L*. Un guide de Paris, un guide érotique. Vingt très courts chapitres, un par arrondissement, précédés chacun d’un exergue (nom masculin, une fois pour toutes), dont liste suit :
Ier arrondissement : « Dans une foule compacte, si une main mystérieuse vient vous tâter le cul, écartez franchement les cuisses pour donner des facilités » (Pierre Louÿs).
IIe arrondissement : « J’ai six cents litres de lait dans mes nichons de truie… Du jambon… Du gras-double… » (Pablo Picasso).
IIIe arrondissement : « Nous vivons des cataclysmes » (Alfred Jarry).
IVe arrondissement : « Les gens tout de même ! » (J.-P. Toussaint).
Ve arrondissement : « Saleté, reine des empires » (Comte de Lautréamont).
VIe arrondissement : « Érotisme : cérémonie fastueuse dans un souterrain » (Dictionnaire abrégé du surréalisme).
VIIe arrondissement : « Si elle avait eu le tuyau moins sec et moins large, ça m’aurait donné une plus belle idée de l’Amour » (Samuel Beckett).
VIIIe arrondissement : « Je me suis retrouvée tout enfermée, comme en un cercle auquel j’échappe par un autre qui m’y ramène » (Laure)
IXe arrondissement : « Ils feront comme leurs pères, comme leurs mères, répondit Durtal ; ils s’empliront les tripes et ils se vidangeront l’âme par le bas-ventre » (Joris-Karl Huysmans).
Xe arrondissement :
« Mademoiselle mon cœur
mise nue dans la dentelle
à la bouche parfumée
le pipi coule de ses jambes
l’odeur maquillée de la fente
est laissée au vent du ciel » (Georges Bataille).
XIe arrondissement :
« Encore de sortie ? » (Ma concierge).
« Ah ! les pauvres amours banales, animales, normales ! » (Paul Verlaine)
XIIe arrondissement : « Je trouve plus aisé de porter une cuirasse toute sa vie qu’un pucelage » (Michel de Montaigne)
XIIIe arrondissement : « Je vais employer (c’est déjà fait) des mots sales. Il le faut. Il faut que je vous tire de votre hypocrisie, que je vous explique comment ça se passe » (André Hardelet).
XIVe arrondissement : « Affreuse chose que l’amour ! » (Paul Léautaud).
XVe arrondissement : « … et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant » (Blaise Pascal).
XVIe arrondissement : « Compère, voici qui est à toi si tu veux fretin-fretailler un bon coup » (François Rabelais).
XVIIe arrondissement : « Tu vois, sifflait la voix, les femmes ont un trou entre les cuisses pour que les hommes y enfilent leur queue. C’est fait spécialement à cet usage. La nature y a veillé. Ce trou est toujours humide, pour que ça glisse bien. Et elles ont aussi, les femmes, une bouche pour sucer. Et un autre trou dans le cul, quand il y a un invité. Et des mains… au cas où… où… ils seraient plusieurs… il faut savoir se mettre en quatre quand on veut… quand on veut s’arranger… s’arranger avec les réalités… les réalités de la vie » (Esparbec).
XVIIIe arrondissement : « Je veux me salir l’âme » (Louis Calaferte).
XIXe arrondissement : « Se trouver dans un état d’extrême secousse, avec, dans un coin de soi-même, des morceaux du monde réel »(Antonin Artaud).
XXe arrondissement : « La chemise de cette cliente surtout, tout mousseline, lui avait produit un effet incroyable » (Louis-Ferdinand Céline).
Bois de Boulogne : « Je veux bien lutter encore un peu, me dit Gilberte » (Marcel Proust).
Bois de Vincennes : « … Je te donnerai mon corps de temps en temps mais tu devras quand même me donner de l’argent,
toi aussi, quoi que tu fasses tu seras et resteras à jamais un client,
je ne pourrais jamais t’aimer, tu me dégoûtes profondément,
je ne supporte rien de toi, tes mains sur moi me font frémir non pas de plaisir
mais de hargne et de rage et, si parfois je jouis,
c’est juste pour te faire croire à un quelconque sentiment, je n’en ai pas fini avec toi…
je te méprise du plus profond de mon être… » (Danièle Burel).
Ville d’Avray : « C’était une très chaude nuit de juin. Une odeur de femme venait de la banlieue » (Pierre Mac Orlan).

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 Le long pull en angora rouge de Nastassja Kinsky, dans Paris Texas, et son dos nu en V.

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Cette dame qui mettait de côté un louis d’or à chaque fois que son mari couchait avec une autre. À la fin, restée veuve, elle s’est acheté une villa au bord d’un joli lac.

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André Chouraqui, traducteur de la Bible, et qui nomme Adam « le glébeux ». « IHVH-Adonaï Elohîms prend le glébeux et le pose au jardin d’ ’Édèn, pour le servir et pour le garder. IHVH-Adonaï Elohîms ordonne au glébeux pour dire : “ De tout arbre du jardin, tu mangeras, tu mangeras, mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras.” »
Les bonnes raisons qu’il doit avoir pour justifier toutes ces bizarreries.

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Les Williams, qui sont aux poires ce que les Granny Smith sont aux pommes.

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(Suite)
Les Granny Smith, rares pommes à être vert pomme.
Les Granny Smith de cent jours ne sont plus vert pomme, mais jaunes à reflets rouges. Traîtres.

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(Dernière minute)
La prudente suppression de l’épisode 23 de la deuxième saison de The golden girls, par le site américain de diffusion en ligne Hulu. La direction a craint qu’il ne soit attaqué pour « black face » (maquillage en noir, dénoncé couramment comme raciste). En effet, si l’on peut dire, dans cet épisode, deux femmes blanches s’appliquaient sur le visage un masque de beauté noir. « C’est de la boue sur nos visages, nous ne sommes pas vraiment noires » , disait l’une des deux femmes. C’était inadmissible. (Par-dessus le marché, le personnage est malencontreusement nommé Rose, laquelle est malencontreusement jouée par Betty White, et s’adressait à son amie malencontreusement nommée Blanche. Que de maladresses !)

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(Dernière minute)
C’était notre ministre de la Culture :

Et voici notre nouvelle ministre de la Culture :

Décidément, on nous gâte.

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(Dernière minute)

Alerte coronavirus

Cet été, les sauveteurs n’auront pas le droit de pratiquer le bouche à bouche.

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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