de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 121 Des pets de couleur vive

N° 121 Des pets de couleur vive

Par Jacques Drillon

Les obsolètes : avoir « beaucoup connu » quelqu’un.

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Qui prend du poids s’en veut, voudrait se donner des gifles pour se punir. Bourrelet de remords.

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Érik Satie provoquant en duel le directeur de l’Opéra. Comme arme, il choisit l’orthographe.

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La prédilection des femmes de ménage pour un objet particulier ou un lieu de la maison, différent pour chacune : un tapis qu’il faut sortir et battre avec la plus extrême délicatesse, une sculpture fragile dont l’époussetage est difficultueux mais indispensable, tel bureau dont le cuir prend la poussière plus facilement que les autres mais qui brille si bien quand il est net, ou bien les boutons de porte en cuivre, ou les miroirs, ou la cheminée… D’où cela vient-il, que toutes aient leur perroquet (comme Félicité) ?

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L’emploi sublime que la langue française fait du futur antérieur : « Il n’est pas venu : il aura oublié. »

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Les joujoux en plastique qu’on offre aux bébés, toujours de couleur ignoble : vert criard, rouge violent, bleu acide… Sous prétexte qu’ils « aiment les couleurs vives ». Qu’en savons-nous ?

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Ceux qui toussent pour camoufler le bruit de leur pet.

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(Suite)
Jacques Février, grand pianiste et grand professeur, avait prévu de tousser un jour de concours pour cacher une faute que son élève, qui concourait, allait à coup sûr commettre dans un trait difficile : il n’était jamais parvenu à ne pas la faire, même la veille, à la demi-finale. Mais l’élève avait travaillé toute la nuit précédant la finale, et réussit parfaitement son trait. Hélas, Février a toussé, et personne ne s’est rendu compte que le trait avait été joué sans faute.

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À côté des milliers de morts et de malades, dans les régions de Tchernobyl, de Fukushima, toutes les victimes à venir, pas encore nées.

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Les obsolètes : « Elle ne se prenait pas pour la queue d’une poire. »

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Le Dom Juan de Molière créé au Portugal en 1986 (par Jean-Marie Villégier). Pièce interdite jusqu’alors.

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Les gens très intelligents, jamais tout à fait laids, même disgracieux, obèses, contrefaits.

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Les obsolètes : le ballon de foute en cuir, fait de bandes parallèles cousues entre elles.

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Le papillon de nuit, pour lequel le monde extérieur se limite au cri de la chauve-souris, son prédateur ; et qui ne perçoit rien d’autre.

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Prendre une leçon de littérature avec Édouard Louis (Combats et métamorphoses d’une femme, 2021)

Premièrement, le génie des métaphores : « J’aiguise chacune de mes phrases comme on aiguiserait la lame d’un couteau. » Fabuleux. Et notez l’emploi du conditionnel, dans « aiguiserait » : Édouard Louis aiguise ses phrases, c’est certain (indicatif) ; tandis qu’un couteau, vraiment, il ne viendrait à l’idée de personne de l’aiguiser (conditionnel). C’est à ce genre de détail qu’on reconnaît le génie pur.
Deuxièmement, la règle des trois adjectifs : « Sa mère était une personne discrète, timide, effacée. » Il est extrêmement difficile de trouver trois adjectifs ordinaires dont le rapprochement atteigne à une telle intensité. Même Marcel Proust, un auteur belge dont on m’a parlé, et qui a sûrement beaucoup lu Édouard Louis, n’est pas parvenu à cette puissance d’expression.
Troisièmement, ce qu’on pourrait appeler l’« incorrection créatrice » : « J’avais tellement l’habitude de la voir malheureuse à la maison, le bonheur sur son visage m’apparaissait comme un scandale, une duperie, un mensonge qu’il fallait démasquer le plus vite possible. » Toute la phrase confine au génie : omettre le « que », dans « j’avais tellement l’habitude que le bonheur », est d’une audace presque effrayante ; quant à « un mensonge qu’il fallait démasquer », qui aurait osé pareil tour ? Démasquer un mensonge ! Mystère de l’inspiration, que rien ne peut expliquer. Tout l’arsenal de la rhétorique moderne n’y suffirait pas.
Cette phrase immortelle qui renvoie à leurs études les meilleurs auteurs, d’Elena Ceaucescu à Valéry Giscard d’Estaing, de Valérie Trierweiler à Martin Heideguère, est si bouleversante qu’elle a jeté l’auteur au sol, comme la foudre saint Paul (ou saint Georges,  je ne sais plus, il faudra regarder dans Wikipédia). Cet auteur héroïque s’est relevé avec peine, et, rassemblant ses dernières forces, l’a recopiée (sans faute !), et reproduite entièrement, bien centrée, sur une nouvelle page. Pour qu’on ne la rate pas. Un temple graphique, pas moins, un nouveau Parthénon. C’est ce qu’elle exigeait.

Et voilà pourquoi Édouard Louis est traduit en trente langues, et pas vous – ni moi.

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Dernière minute

On a retrouvé des milliers de pages de Céline. Le reste de Casse-pipe, un roman entier… Tout le monde le sait, depuis quelques jours. Tant pis : redisons-le, pour le plaisir: le reste de Casse-pipe, un roman entier… (Imaginez qu’on retrouve un jour un roman inédit d’Édouard Louis… Le bide!)

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Le Muray de la semaine

« Nouveau prospectus culturel dans ma boîte aux lettres :
 C’est l’été ! Les Rencontres de Seine-Maritime organisent, du 16 au 18 juillet, un colloque sur ‘l’Irreprésentable dans le paysage poétique’.  Plusieurs groupes de travail confronteront leurs recherches sur ce sujet autour de quatre axes majeurs : 1° Paysage et appartenance ; 2° Paysage et/ou passage ; 3° Paysage : passe ou démarcation ? 4° Texte du paysage ou paysage du texte. ” »

(Ultima necat, T. IV)

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#balancetonBachparTediPapavrami

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 6h 30)

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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

7

commentaires

7 Réponses pour N° 121 Des pets de couleur vive

Merville dit: à

Le petit papier sur Édouard Louis est à mourir de rire.Merci.

Anne Mooser dit: à

Enfin quelqu’un qui ose dire la vérité sur Edouard Louis, merci !

Lamensch dit: à

Il a néanmoins de légers relents de mépris de classe…

Gabriel Fouquet dit: à

Le mépris de classe serait de reprocher à la mère d’Edouard Louis de parler un mauvais français. Edouard Louis est normalien, il a reçu l’instruction suffisante pour écrire un français correct. Le talent, c’est une autre histoire.

Gillis dit: à

Un couteau, il ne viendrait pas à l’idée de l’aiguiser. Ahhh c’est dur ça comme critique.
Parce que du coup la comparaison s’affaisse. Moche.
S’il lit ça il va faire attention maintenant.

Gillis dit: à

Info concernant mon adresse

cavalcanti 2 dit: à

 » La vérité » sur Edouard louis a déjà été assénée.

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