de Pierre Assouline

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La République des livres

N° 106 Le choco BN et la pure Parisienne

Par Jacques Drillon

Finkielkraut, qui, au bout de combien d’années, n’a toujours pas compris que la télévision interdit tout second degré, toute ironie, tout mot d’esprit. Toute subtilité, toute finesse. La télévision ne sait accueillir et transmettre que de gros cacas. Si possible plusieurs à la fois. Tout ce qui n’est pas gros caca est renvoyé directement au jugement des réseaux sociaux, sans explication, comme un mot de travers vous envoyait aux galères ou au goulag, selon les pays et les époques.

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Les obsolètes : les petites boîtes de jus de fruit qu’on ouvrait en perçant un trou de chaque côté du couvercle.

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La seule personne vivante, dans New York désert, à l’aube : Audrey Hepburn, mangeant un croissant devant la vitrine de chez Tiffany’s.

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(Suite)
Quand Peter O’ Toole lui demande une cigarette, dans How to Steal a Million, de Wyler, où elle joue le rôle d’une Parisienne, elle lui lance son paquet : des Disque Bleu.

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Les incises de narration de San-Antonio.
« – C’est ce qui en fait tout le prix, derniermote Pépère. »

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(San-A, suite)
« Une heure s’écoule. J’ai pris le parti le plus sage : celui de poser sur le carreau de la cuisine la partie de mon individu réservée à cet usage. Les mains enserrant mes genoux, le caillou contre le mur, tel un hibou je reste dans la pénombre, sans faire joujou, sans me casser le chou, comme un bon petit pou soucieux de compléter une règle grammaticale »(La vérité en salade, 1968).

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Les fiancés, qui vont se marier. Pas d’équivalent pour ceux qui vont divorcer.

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Tchaïkovsky, dont la musique laisse souvent penser à une introduction qui n’en finirait pas. Cela va sûrement commencer, pense-t-on. Et cela ne commence jamais. Lorsque, d’aventure, il se décide à commencer vraiment quelque chose, alors on attend que cela finisse.

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L’origine des mouvements de politesse (serrer  la main, se découvrir, s’effacer devant une porte), bien connue et bien étudiée. Mais que signifie le salut du violoniste qui ploie l’échine sous les applaudissements ? Que dit-il ? « Je vous en prie, c’est trop » ? « C’était nul, vous méritez mieux » ? « Vous êtes formidables, vous aussi » ? On ne sait trop.
Gustav Leonhardt, lui, ne se pliait pas en deux à la fin de ses récitals (comme fait Martha Argerich, par exemple). Il inclinait légèrement la tête, lunettes à la main. Son geste, pour être compris, doit être traduit en français de cour. Il signifie : « Serviteur. »

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Alain Cavalier, qui, dans chacun de ses films, tient à ce que figure au moins un « regard caméra ».

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L’écrivain, qui s’exclame en lisant la critique d’un de ses livres : « Il ne dit pas que, il n’a pas remarqué que, il oublie de dire que », etc. Le principal manque toujours. Le plus bel exemple de ce phénomène est celui de Perec, qui raconte en se tordant de rire que beaucoup de critiques n’avaient pas remarqué, dans sa Disparition, l’absence de la voyelle e.

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De l’évolution du BN prise comme un signe d’évolution. Avant 1992 :

 

 

Depuis 1992 :

Le biscuit rigole. Il n’y a pas de quoi rire.

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Olivier Messiaen, qui disait de Pierre Boulez, son ancien élève, que c’était le «meilleur musicien depuis Mozart ». Il précisait aussitôt en souriant : « Je n’ai pas dit artiste, j’ai dit musicien. »

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Dernière minute

Confinement, blocage du canal de Suez : l’Angleterre connaît une pénurie sans précédent de nains de jardin.

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Le Républicain texan qui veut cloner les cerfs pour pouvoir les chasser.

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Procès de Viry-Châtillon : des flics manifestent parce que des innocents n’ont pas été condamnés. Ils n’ont pas l’habitude.

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(Suite)
Pendant ce temps, l’Amérique se réjouit, s’émerveille, de ce qu’un flic coupable ait été condamné. Il y a en effet de quoi être étonné.

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VIENT DE PARAÎTRE

On ne saurait se faire une juste idée de l’homme Gide si l’on méconnaît sa passion pour la crapette, jeu de cartes immortel, jeu de cartes nobélisable mais cruel, qu’il a pratiqué toute sa vie, et dont son amie, la Petite Dame, fut une régulière victime consentante.
De même, il a paru indispensable de colliger toutes les allusions que dans son Journal il fait au jeune adolescent nommé Victor. L’auteur de Corydon l’a rencontré en Tunisie pendant la guerre. Il focalise sur lui toute son attention, montre sa perspicacité, sa finesse, et laisse apparaître dans le même temps sa partialité, son dépit, sa petitesse de grand homme.

Du Lérot, 72 pages, 15 €, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

j.drillon@orange.fr
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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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