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Philippe Adam et la pudeur des « Impudiques »

Philippe Adam et la pudeur des « Impudiques »

Cet Adam-là est le bon. Non que l’autre soit médiocre ou insignifiant, mais le fait est que, des deux, celui qui parle le mieux de l’époque est justement celui qui n’en a pas le mot plein la bouche, qui ne se prend pas la tête et la nôtre avec en prétendant affronter les dures réalités de la vie. Car il y a chez Philippe Adam, professeur de philosophie au lycée né en 1970, une douce ironie, une désinvolture naturelle, qui lui permettent de l’empoigner avec l’air de ne pas y toucher. Son nouveau livre Les Impudiques (202 pages, 18,50 euros, Verticales), en témoigne, après une douzaine d’autres dont De beaux restes, France Audioguide, Jours de chance, des titres qui reflètent déjà la météo intérieure de ses livres pleins de gagnants du Loto, de buralistes un peu escrocs, d’oncles graveleux, de décalés, de chtarbés, d’esseulés.

Parmi eux La Société des amis de Clémence Picot (2003), du nom d’une héroïne de Régis Jauffret qui l’avait fasciné, lui vaut aujourd’hui d’être systématiquement rapproché de cet écrivain, ce qui n’est pas indigne mais réducteur. Ils ont en commun le goût du fragment et du bref, le genre rapide et percutant, mais Les Impudiques doit cette dilection autant à l’esprit des Microfictions qu’au Félix Fénéon des Nouvelles en trois lignes mais en plus sec, en plus dense encore, et tout aussi sombre derrière le sourire, sombre car tout se résume à une quête de l’inaccessible légèreté. « Bientôt nous n’aurons plus rien à manger, pas d’inquiétude, de toute façon digérer rend morose » écrivait-il dans Les Légumes verts” (2010)

Il est venu à la littérature par Robert Desnos tout autant que par l’amour des chansons, celles de Baschung et d’Alain Souchon. Il est de la famille d’esprit des écrivains de Minuit, Tanguy Viel, Eric Chevillard, Christian Gailly et Laurent Mauvignier, à tel point qu’on se demande comment il a fait pour échapper à la couverture blanche à liseré bleu.Philippe Adam

C’est plus fort que lui : à peine a-t-il créé une histoire que la chute lui vient. Une intuition plutôt qu’un sujet.L’écriture prime, la narration suit naturellement, sensible au détail ou au fait divers qui dit tout, dans un grand souci de l’élégance, du raffinement de la phrase, quitte à ce qu’elle évoque des horreurs, ou des obscénités puisque le sexe est le fil rouge des Impudiques. Des personnages se confessent dans un univers où l’indiscrétion sexuelle est la règle. La forme déconcerte de prime abord, puis enchante, trouble enfin. Dans le dossier très fourni que lui consacre le mensuel Le Matricule des anges (janvier 2015,  6 euros), il explique, avec le sens consommé de la litote qui le caractérise, que cette tendance au raccourci lui vient de son « esprit de synthèse ».

Ce qui l’intéresse, c’est de décrire les variations de « possibilités mentales à partir d’une situation donnée » pour parvenir à offrir au lecteur une version bouffonne d’une forme très particulière de sociologie, proche de celle des dessins de Sempé où de minuscules personnages évoluent dans un cadre disproportionné, de manière à mettre en valeur leur part d’ombre. On se dit alors qu’un tel écrivain doit avoir un don d’observation particulièrement aigu : « Dans la rue, j’ai un œil qui fait radar, l’autre qui fait scanner ». Vous lisez un morceau au hasard, comme on dit qu’on écouterait un morceau au hasard en allumant la radio, et vous reconnaissez immédiatement son humour noir derrière sa cadence. Quelque chose comme ça, intitulé « Conflit de génération » :

« Elle aurait préféré qu’il aille vite, il aurait préféré le faire lentement, ils n’allaient pas au même rythme, elle aurait voulu qu’il se déshabille à peine entré dans la chambre, lui y mettait mille préliminaires accompagnés de flûtes de champagne, de Concertos de Brahms et de Schumann, mais il faut dire qu’il avait vingt-deux ans et qu’elle filait sur ses soixante-treize, elle avait peur de mourir avant, il avait peur de mourir pendant, chacun ses problèmes ».

S’il venait à manquer d’idées, il lui suffirait de se reporter à la page d’accueil de Google au nom de « Philippe Adam ». On y trouve des articles sur le corps de Philippe Adam repêché des eaux de la rivière Saint-François à Drummondville, un peu avant 10 heures l’autre matin, après une chute de motomarine dont il faisait l’essai la veille en compagnie d’un ami. Un autre sur Philippe Adam candidat du Front National à la mairie de Salon-de-Provence. Et Philippe Adam en colonel de gendarmerie, en vendeur de Darty, en radiologue. Quel diable d’homme, comme ses innombrables masques en témoignent en médaillon ! Il y a même quelque chose sur un écrivain de ce nom-là, un vrai, auteur pudique des impudiques de la vie comme elle va.

(Photos Passou et Maurice Rougemont)

Cette entrée a été publiée dans Littérature de langue française.

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commentaires

202 Réponses pour Philippe Adam et la pudeur des « Impudiques »

Sergio dit: à

Marcel dit: 26 janvier 2015 à 23 h 03 min
Le post en dessous, c’est un deux cents.

Y a du tirant d’eau ! Je me demande si ça ne viendrait pas de l’ours en question, peut-être pas si étincelant… Et si c’était lui qui rendait moroses, et Passou, et nousses ?

renato dit: à

Le chic chez les petits fours c’est d’être colorés et variés, pourquoi donc se fixer sur Brahms et Schumann pour accompagner la flute de champagne?

Cela dit, il me semble que le grand âge n’empêche rien…

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