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Un thriller antique

Un thriller antique

Par Léo Scheer

Le premier épisode de la série littéraire « M.O. Modus Operandi » a pour sous-titre La Secte du serpent (246 pages, 19,90 euros, Denoël). L’auteure commence par un plan de la ville de Rome au temps d’Auguste. Pour le moment, ce plan des quartiers de la capitale du monde antique n’occupe qu’une double page. Ainsi commence le livre de Nathalie Cohen. Elle invite notre imagination à déambuler du Forum au Capitole, de découvrir le Palatin, tous ces quartiers entourés, au bord du Tibre, par la muraille Servienne, par celles bâties sous Auguste, sans oublier les aqueducs, le temple d’Apollon ou la Maison de Livie. Nul doute que, bientôt, cette ville sera reconstituée en studio et que le générique défilera le long d’un traveling filmé depuis un drone, qui nous fera plonger au cœur de l’action, sur la première scène de crime.

Nos souvenirs des années 50, ceux relatifs à la ville de Rome, sont empreints de ce qu’on nous enseignait à l’école, il y a encore peu de temps. L’arrivée sur le trône de l’Empire de Néron en 54 à l’âge de 17 ans, après les folies de Caligula, l’ombre intrigante d’Agrippine, sa mère, sont chargés de l’âpreté des parfums des vers de Racine. Il ne s’agit pourtant pas ici de théâtre ni de tragédie, mais d’un thriller, moderne et palpitant. Nathalie Cohen, quand elle n’écrit pas, enseigne le grec et le latin, elle connaît à la perfection les usages, les coutumes, la mentalité des habitants de cette cité cosmopolite.

Nous sommes à Rome, en l’an 54, sous le règne de Néron. De riches pères de famille, atteints d’un mal étrange, trouvent la mort le soir chez eux dans divers quartiers de la ville. Toujours sous le même mode opératoire. Dans cette société écartelée entre les castes d’intouchables où l’on s’entretue pour le pouvoir et la fortune, où l’héritage n’est qu’un terrain de chasse et la masse des esclaves massacrés au moindre prétexte, les épisodes de crimes, d’empoisonnement, de trahisons et autres turpitudes sont la règle retenue depuis des siècles comme symbole de cette civilisation. Il fallait à l’auteure un guide qui puisse entraîner le lecteur au milieu de ces intrigues barbares, tout en gardant la tête froide, celle d’un commissaire de police. Maigret fumait la pipe, Alexander, qui va mener l’enquête, de son patronyme complet, Marcus Tiberius Alexander, vigile gradé des patrouilles dites « les yeux de Rome» chargées de circonscrire les incendies et la délinquance nocturne, pour sa part, bégaie. Ce léger handicap donne à ses interrogatoires des accents d’humble perspicacité propres à déstabiliser les suspects, à commencer par Lucius Cornelius Lupus, un jeune et ambitieux fils de sénateur, dévoré par la passion du jeu et protégé par son haut rang.

Analysant des meurtres successifs qui frappent de riches familles de la classe sénatoriale, Alexander est pris d’un doute. On voudrait, bien sûr, faire porter la responsabilité de ces assassinats en série aux serviteurs-esclaves. Peu de temps auparavant, un dieu avait été crucifié à Jérusalem, qui leurs promettait l’émancipation. Rome était-elle menacée par cette fronde populaire ? Alexander, dans sa lutte contre les forces du Mal, y voit plutôt, le profilage criminel d’une secte de nantis, assoiffés, jusqu’à l’excès, de puissance et de richesse, trahis par leur mode opératoire (Modus Operandi) celui de la Secte du Serpent. Il ne parviendra à faire absoudre les coupables tout désignés qu’avec l’aide providentielle de Sénèque, l’ancien précepteur de Néron et intime d’Agrippine, qui trouvera dans ce geste une occasion de mettre en pratique la sagesse qu’il enseignait.

Tous les ingrédients sont là pour offrir le plaisir d’accompagner l’intrigue d’un thriller en bonne et due forme, de la découverte de mille détails d’une civilisation dont nous ne sommes toujours pas sortis. Nathalie Cohen a su, par son érudition authentique, dépasser, comme le firent ses maîtres, les questions de base du roman policier : Qui ? Comment ? Pourquoi ? En nous offrant, par ces temps troublés, une méditation sur nos racines.

LEO SCHEER

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Littérature de langue française.

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commentaires

4 Réponses pour Un thriller antique

Marie Sasseur dit: à

Eh bien d’une Nathalie l’autre, je me demandais à quoi ressemblait Monsieur de miss choucroute. Pas déçue.

Marie Sasseur dit: à

« Nous sommes à Rome, en l’an 54, sous le règne de Néron. De riches pères de famille, atteints d’un mal étrange, trouvent la mort le soir chez eux dans divers quartiers de la ville »
Le saturnisme.

desesquelles isabel dit: à

Thriller historique, le genre est prisé par les lecteurs mais peu d’auteurs s’y aventurent. On lit d’une traite ce 1er épisode d’un Modus Operandi dont on attend déjà la suite. Érudition,sens du détail, on est à Rome hier et maintenant. A mesure de la lecture des révélations plus qu’inattendues rebattent les cartes, non sans humour. Avec en prime Sénèque et Néron à la manœuvre, on respire, quoi ? L’éternité.

Eric Cherrière dit: à

Une vraie réussite à l’image de son héros, Marcus Tiberius Alexander, immédiatement attachant et original. Entre classicisme et pointes de modernité, un thriller antique, oui, mais d’une portée étrangement plus contemporaine que bien des polars se déroulant à notre époque. Addictif, vivement la suite et longue vie à « Petit grec »!

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