de Pierre Assouline

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La République des livres
Hoc incipit liber

Hoc incipit liber

Où s’arrête le début d’un livre ? Après la première phrase, selon certains ; à l’issue du premier paragraphe, assurent d’autres ; soucieux de consensus, il en est qui plaident pour l’au-delà de la première page ; on en connait même pour qui le début d’un livre s’achève à sa dernière ligne ; on en sait même tel Mathias Enard dans Zone qui règlent la question en ne rédigeant qu’une seule phrase mais de 500 pages. On voit par là que la controverse est sans fin. Aussi est-ce avec un bonheur sans mélange que nous accueillons la parution ces jours-ci de L’histoire commence (traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, Arcades/ Gallimard). Le grand écrivain israélien Amos Oz y avait recueilli ses impressions de lecture parmi les classiques tout en donnant des exemples de débuts qui frappent par leur longueur ce qui est assez inquiétant sur sa conception de l’entame.

    Dans l’intitulé d’un prologue, dont la vastitude n’a rien pour rassurer les angoissés de la page blanche (« Mais qu’y avait-il ici avant le big bang ? »), il convient d’emblée : « Les commencements sont pénibles ». Ce qui n’avait pas échappé à toute main à plume de tous temps et sous toutes les latitudes. Heureusement il développe sa propre expérience de l’art de l’incipit, comme on nomme les premiers mots d’une œuvre d’après le latin incipio / « prendre en main, commencer », abrégé de la formule Hoc incipit liber/ « Ceci commence le livre » que l’on trouvait en tête des manuscrits au Moyen-Âge.

 Tous les incipit sont admis pourvu qu’ils nous accrochent d’une manière ou d’une autre, fut-ce indirectement, par la grâce du déclic provocateur et la technique de l’hameçonnage. C’est une question de pacte conclu entre l’auteur et de lecteur. De contrat introductif. Mais il faut se méfier car tous ne sont pas exempts de pièges, fausses pistes et chausse-trapes. C’est vicieux, un écrivain.

« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » (Aurélien)

Chapeau, Aragon ! Ca, c’est un lancement ! Il vaut bien l’inoubliable début de Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino :

« Tu vas commencer le nouveau roman d’Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur ».

En effet… Parfois au théâtre, il arrive que, à peine arrivé, on ait envie de fuir. Ce qui serait regrettable. Non prévenu du génie de Samuel Beckett, un spectateur de sa pièce Fin de partie cueilli à froid par son incipit « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » pourrait vouloir en finir tout de suite en quoi il aurait grand tort.

    Pour achever cette interminable chronique sur l’art et la manière de débuter un livre dont on ne voit pas la fin, on accordera la palme du meilleur incipit au Céline du Voyage au bout de la nuit : « Ca a débuté comme ça », formule des plus simples constitué de quatre mots dactylographiés sur le tapuscrit après que l’auteur eut griffé sur le manuscrit « Ca a commencé comme ça »– correction in fine avant l’envoi à l’éditeur, certainement lourde de sens s’agissant d’un auteur aussi sulfureux mais on ne va pas commencer ! Ce serait à y perdre son latin, sinon son hébreu aurait certainement ajouté Amos Oz, notre guide en la matière, car enfin où se trouve le début de la première phrase du Voyage dans sa traduction israélienne dès lors qu’on la lit de droite à gauche- et en allemand n’en parlons pas avec le verbe rejeté à la fin.

Ne pas oublier que c’est en hébreu qu’Amos Oz a lu la Storia de Morante, le Nez de Gogol, Un médecin de campagne de Kafka ou encore L’Automne du patriarche de Garcia Marquez, lui qui avait si parfaitement résumé autrefois le problème de la littérature israélienne : « C’est qu’elle utilise la langue des prophètes pour dire que le héros descend les poubelles ». Alors, la leçon de L’histoire commence ? Il faut s’offrir la lecture des livres au ralenti comme un luxe qui ne se refuse pas. Du tout début à la toute fin surtout s’ils ne font qu’un.

   Mes amis journalistes m’assurent que tout cela ne leur viendra pas d’un grand secours avant de se lancer dans leur prochain papier. Qu’ils méditent le caractère unique de cette chronique : en cette année du centenaire de la mort de qui-vous-savez, elle est la seule de toute la presse française à vous épargner l’incipit de la Recherche du temps perdu, martelé ad nauseam jusqu’à nous faire haïr les couche-tôt. En voilà un excipit ! Avec ça, on ne risque pas de crever de fin.

(Photo Lord)

Cette entrée a été publiée dans vie littéraire.

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commentaires

831 Réponses pour Hoc incipit liber

Jazzi dit: à

Mon avis n’a aucun intérêt, closer, mais je ne partage pas l’enthousiasme des critiques cinématographiques du Monde…

renato dit: à

Rappel de fin d’année : selon le Vaurien qui squatte le Kremlin l’Occident a menti sur la paix — il semble oublier que c’est lui qui a agressé l’Ukraine.

Jacques dit: à

« Nous, quand nous rentrons chez nous le soir, chacun rentre dans sa chacunière ».
Antonine Maillet (Pélagie-La-Charette).

Rosanette dit: à

@Bloom @soleil vert
Et j’ajouterais la speculation immobiliere avec la Curée; la naissance de la bourse avec ses aigrefins qui manigancent autour des obligations pourries: L’Argent ; avec La terre il affiche une vision prémonitoire de ce que va apporter de problemes pendant deux siècles une politique agricole protectionniste
Balzac avait decrit une société off shore déconnectée de son environnement economique ;Zola a decrit les effets de la revolution industrielle et de ses sous-produits sur la société de son temps

Jazzi dit: à

Ces papes qui meurent dans un luxe inouï au nom de ce mendiant céleste de Jésus-Christ !
Il y a comme une contradiction avec l’esprit du christianisme ?

Jazzi dit: à

Et Zola a été probablement assassiné pour ses idées…

closer dit: à

Sur quels films en particulier, JB?

Paul Edel dit: à

Jazzi, le plus drôle pour le pape émérite qui vient de mourir , ce sont les hommes politiques qui saluent tous le « très grand théologien » alors qu’aucun deux n’a jamais lu une ligne du théologien Benoit XVI.. Quelle mascarade..

rose dit: à

La Fortune des Rougon/Préface

La Fortune des Rougon (1871)

PRÉFACE

Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus, qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j’aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l’œuvre, comme acteur d’une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l’ensemble.

Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d’une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices. Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses classes en marche à travers le corps social, et ils racontent ainsi le second empire, à l’aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d’État à la trahison de Sedan.

Depuis trois années, je rassemblais les documents de ce grand ouvrage, et le présent volume était même écrit, lorsque la chute des Bonaparte, dont j’avais besoin comme artiste, et que toujours je trouvais fatalement au bout du drame, sans oser l’espérer si prochaine, est venue me donner le dénouement terrible et nécessaire de mon œuvre. Celle-ci est, dès aujourd’hui, complète ; elle s’agite dans un cercle fini ; elle devient le tableau d’un règne mort, d’une étrange époque de folie et de honte.

Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma pensée, l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire. Et le premier épisode : la Fortune des Rougon, doit s’appeler de son titre scientifique : les Origines.

Émile Zola.

Paris, le 1er juillet 1871.

inWikisource

rose dit: à

Incipit
« La terre, que l’on gorgeait de cadavres depuis plus d’un siècle, suait la mort, et l’on avait dû ouvrir un nouveau champ de sépultures à l’autre bout de la ville. Abandonné, l’ancien cimetière s’était épuré à chaque printemps, en se couvrant d’une végétation noire et drue. Ce sol gras, dans lequel les fossoyeurs ne pouvaient plus donner un coup de bêche sans arracher quelque lambeau humain, eut une fertilité formidable. »

rose dit: à

Non, précédemment suite de l’incipit.
Le début
« Lorsqu’on sort de Plassans par la porte de Rome, située au sud de la ville, on trouve, à droite de la route de Nice, après avoir dépassé les premières maisons du faubourg, un terrain vague désigné dans le pays sous le nom d’aire Saint-Mittre.[…] »

Samuel dit: à

Pourquoi la critique littéraire n’est-elle pas considérée comme un genre littéraire ?

rose dit: à

Dans la salle à manger de ma grand-mère il y avait un petit meuble vitré et derrière la vitre un fragment de peau. Ce dernier n’était pas bien grand, mais d’un cuir épais et couvert de touffes de poils roux. Une punaise rouillée le fixait à une carte postale. Sur cette carte figuraient aussi quelques lignes d’une encre décolorée, mais j’étais alors trop jeune pour lire.
« Qu’est-ce que c’est, maman ?
– Un morceau de brontosaure. »

Incipit.

Bonne fin d’année 2022 à tous,

rose dit: à

Soleil vert

Pck il y a quatre genres littéraires le roman la poésie le théâtre et la littérature d’idées (argumentatif).
L’épistolaire est une branche du roman, et la critique littéraire pourrait se ranger dans la littérature d’idées.
Bonsoir,

Soleil vert dit: à

rose dit: à
Soleil vert

C’est Samuel

et alii dit: à

Incipit N° 23
Lautréamont – Les chants de maldoror

Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu
momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se
désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les
marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison;
car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique
rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa
défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont
son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le
monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls
savoureront ce fruit amer sans danger.

D. dit: à

Je viens de finur mes merguez aux ebduves.

Jazzi dit: à

« du guet-apens du coup d’État à la trahison de Sedan. »

Un peu court et injuste pour Napoléon III…

rose dit: à

Dslée Samuel

Marie Sasseur dit: à

@ce sont les hommes politiques qui saluent tous le « très grand théologien » alors qu’aucun deux n’a jamais lu une ligne du théologien Benoit XVI..

« RV- Dimanche 17 septembre 2006) Texte intégral des « souvenirs et réflexions » partagés par Benoît XVI dans son discours à l’Université de Ratisbonne, face aux représentants de la science : (Source La Croix) »

https://cahors.catholique.fr/IMG/html/Texte_integral_du_discours_de_Benoit_XVI_a_Ratisbonne.html

Janssen J-J dit: à

@ Mon avis n’a aucun intérêt, jzmn, mais je ne partage pas toujours votre enthousiasme. Parmi les 17 films que j’ai eu la chance de voir dans une salle de cinéma cette année 2022…
Tromperie (Despléchin) ; La panthère des neiges (Amiguet-Munier) ; Un autre monde (Brizé) ; Contes du hasard et autres fantaisies (Hamagushi) ; Coupez ! (Hazanavicius) ; Elvis (Luhrmann) ; Peter von Kant (Ozon) ; As Bestas (Sorogoyen) ; Ennio (Tornatore) ; Les volets verts (Beker) ; Revoir Paris (Winocur) ; Avec amour et acharnement (Denis) ; Sans filtre (Ostlund) ; Un beau matin (Hansen-Love) ; L’ombre de Goya (Lopez-Linares) ; Les amandiers (Bruni-Tedeschi) ; Avatar, la voie de l’eau (Cameron)…
… je vous dirais simplement deux choses : mon plus aimé fut « As Bestas », mon plus détesté, « les Volets Verts ». Bonne chance pour le cru 2023 ! Bàv,

Jazzi dit: à

Ma liste des films vus en 2022 est ici, JJJ (et les autres).
Selon l’ordre de sortie en salle, en vrac et sans note ni classement (on n’est pas à l’école)…
2022 est mort, vive 2023 !

rose dit: à

Sur As bestas, d’accord avec vous.

rose dit: à

Belle critique pour Les huit montagnes, Jazzi.

Janssen J-J dit: à

@ jzmn, on n’est certes pas à l’école mais le cahier de vos films répertoriés est néanmoins sérieusement soigné… J’en ai ainsi décompté 140 pour 2022, que vous auriez vus et analysés… Si l’on estime qu’1 sur 2 n’est en outre pas répertorié vu qu’il ne le méritait pas, vous auriez sans doute vu presque un film par jour en salle ou, du moins, 1 film et demi tous les 2 jours.
C’est extraordinaire, je suis très impressionné.
A supposer ma meilleure volonté de parisien cinéphile à la retraite, je n’aurais jamais pu égaler pareil score.
J’espère que vous n’avez pas eu trop mal au crâne ou aux yeux avec l’Avatar du peuple de l’eau, ce qui serait bien compréhensible…
Donc, continuez à vous/nous faire plaisir, mais prenez soin de vous et ménagez vos yeux quand même… Excellente nouvelle année.

Jazzi dit: à

Pas encore vu Avatar, JJJ.
J’hésite encore…
Il me faut ma dose d’imaginaire cinématographique, d’environ 2 heures quotidienne.
Précédée et suivie d’une ballade dans des quartiers, parcs et jardins et cinémas différents de la Capitale.
Je prends sur mes heures de lecture…

Jazzi dit: à

« mais prenez soin de vous et ménagez vos yeux quand même… »

Au cinéma, JJJ, ce ne sont pas tant les yeux mais les oreilles qui en prennent un coup !
Demandez à Charoulet…

Janssen J-J dit: à

@ Charoulet, qu’en pensez-vous ?
dans la liste de vos détestations, je n’avais pas noté la qualité du son au cinéma. Si c’est bien le cas, j’espère qu’il sera réduit drastiquement dans toutes nos salles, en 2023. Bàv,

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