de Pierre Assouline

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La République des livres

Non à des traductions sans âme !

Par En Chair et en os, collectif pour une traduction humaine


Plusieurs modèles génératifs de langage et d’image ont fait récemment leur apparition dans l’espace public et privé ; ils se développent à une vitesse fulgurante, rendus accessibles à quiconque pour la moindre tâche rédactionnelle et créative. Ces modèles façonnent un monde où la création se passe peu à peu de l’humain, et précipitent l’automatisation de nombreux métiers intellectuels, autrefois réputés inaccessibles à toute mécanisation.

Comme tout le secteur de la culture et de la création, la traduction littéraire et audiovisuelle est touchée de plein fouet. Plusieurs organisations professionnelles ont publié des tribunes très claires pour dénoncer l’impact de ces technologies sur notre travail, sur nos œuvres et sur nos vies : l’AVTE (Audiovisual Translators Europe) en 2021, le STAA (Syndicat des Travailleur·euses Artistes-Auteur·ices) en 2022, ATLAS (Association pour la promotion de la traduction littéraire) et l’ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France) en mars 2023.

Depuis, ces outils ont continué d’évoluer et de se répandre au détriment des conditions de travail des artistes, créateurs et créatrices, au prix d’un appauvrissement de la pensée et d’une mise en péril de la qualité des textes et des images produits. L’opacité de ces pratiques contribue à leur banalisation silencieuse et insidieuse.

Nous, traductrices et traducteurs, créatrices et créateurs dans les domaines de la littérature, de l’audiovisuel, du jeu vidéo et de la presse, alertons sur l’usage de ces programmes de transcodage linguistique dans nos métiers et, plus largement, dans la génération d’objets dits culturels et intellectuels. Nos actes de traduction sont fondamentalement humains. Ils impliquent une expérience, une réflexion, un ressenti, un parti pris stylistique qui ne sauraient être le produit d’une reproduction automatisée établie sur une base statistique. C’est pourquoi il paraît aberrant et vain d’imaginer pouvoir les sous-traiter à des machines pour des considérations financières ou de gain de temps, réel ou supposé.

L’usage de ces programmes nuit à la culture dans son ensemble, en l’uniformisant, en y propageant de nombreux biais, notamment racistes et sexistes, introduits par les contenus d’entraînement des IA, en amplifiant les voix et les langues déjà majoritaires en ligne, aux dépens de celles moins bien servies par l’informatique. Cet usage enferme celles et ceux qui créent dans une logique de rendement néfaste (délais toujours plus courts, tâches annexes toujours plus nombreuses), qui dégrade encore davantage nos existences et les conditions d’exercice de nos métiers respectifs.

Ces programmes génératifs sont alimentés par des œuvres humaines existantes, « minées » comme de simples données de masse, sans que leurs auteurs et autrices aient pu donner leur consentement. Par ailleurs, le traitement des données reste dépendant d’un travail humain colossal et invisibilisé, souvent exercé dans des conditions déplorables, sous-payé, déshumanisant, voire traumatisant (quand il s’agit de modération de contenus). Enfin, le stockage des données nécessaires au fonctionnement et à l’entraînement des algorithmes produit une empreinte écologique catastrophique en termes de bilan carbone et de consommation d’énergie.

Ce qui peut apparaître comme un progrès engendre, en réalité, des pertes immenses en savoir-faire, compétences cognitives, capacités intellectuelles, à l’échelle de toutes les sociétés humaines et prépare un avenir sans âme, sans cœur, sans tripes, saturé de contenus uniformisés, produits instantanément en quantité quasi illimitée. Nous sommes au seuil d’un point de non-retour que nous ne nous pardonnerons pas d’avoir laissé advenir.

Nous ne voulons pas que l’IA devienne une alternative envisageable à la création humaine. Par conséquent, nous demandons expressément :

– que les maisons d’édition, prestataires techniques de sous-titrage, de doublage et de voice-over, sociétés de production et de distribution audiovisuelles, studios de jeux vidéo et organes de presse refusent le recours à l’IA comme outil de prétendue traduction et de création d’œuvres d’art et de textes ;

– que les diffuseurs soient dans l’obligation de signaler au consommateur tout produit culturel ayant été soumis à l’IA, à quelque endroit que ce soit de la chaîne de production ;

– qu’aucune aide publique ne soit attribuée à des œuvres conçues entièrement ou en partie par des IA.

Nous appelons l’ensemble des créatrices et créateurs d’œuvres de l’esprit ainsi que l’ensemble des diffuseurs à organiser activement le refus de toute utilisation de l’IA dans la culture.

Nous appelons aussi l’ensemble du public, qui lit des livres, regarde des films, joue à des jeux vidéo, et apprécie les œuvres que nous créons, à répondre à notre appel et à soutenir notre action (on peut signer ici https://enchairetenos.org), pour pouvoir continuer à bénéficier d’une culture humaine, produite par des personnes humaines vivant dignement de leurs métiers respectifs.

EN CHAIR ET EN OS, COLLECTIF POUR UNE TRADUCTION HUMAINE

(« Sur le tournage du Parrain » no comment, photo D.R.)

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1

commentaire

Une Réponse pour Non à des traductions sans âme !

Daniel LEFORT dit: à

tout à fait d’accord avec ce texte

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