Garçon, le « Journal » !
Je ne comprends pas le succès de ce gros pavé qu’est le Journal 1939-1945 (édition établie, présentée et annotée par Pascal Fouché et Pascale Froment, 700 pages et index, 35 euros, Les Belles Lettres) de Maurice Garçon par de seules raisons d’intérêt historique ou littéraire. Il n’en a pas et pas la prétention d’en avoir. Garçon n’imagina jamais une publication mais, puis-je dire « comme moi » ?, un exercice quotidien de mémoire. Non, ce qui touche, c’est la peinture de la confusion et des incertitudes d’une époque vue par un homme de raison, pas du tout un idéologue, un homme qui se contente d’observer et porte peu de jugement, à moins, qu’en avocat, les arguments l’inclinent à en porter.
Certes, il possède une opinion mais elle ne s’impose pas à priori, elle est forgée par de petits faits et observations, elle varie. Ses témoignages littéraires m’intéressent principalement. Croquis de Valéry, Claudel, Mauriac, Cocteau, et de tant d’autres moindres, Pierre Benoit, Claude Farrère, Guitry, etc, qu’il se ménage pour son élection à l’Académie -à laquelle il pense avec intérêt. Comme lui, je trouve l’Annonce faite à Marie amphigourique et ennuyeuse. Il n’est admirateur de personne de ces hommes de lettres. Quoique lié à Valéry, il en fait un portrait très réducteur :
« 20 juin 1943. Paul Valéry était là. Aussi simple que sa littérature est artificielle. Un brave homme préoccupé, parce que les temps sont durs, de savoir chez qui il passera ses vacances. Il a toujours vécu aisé, comme les artistes d’autrefois, plus ou moins entretenu par les uns et les autres. Pour le moment, il n’aime pas beaucoup le Maréchal qui lui a fendu l’oreille. » (p. 479).
Plus tard, lors d’une visite à Jérôme et Jean Tharaud, inquiétés à la Libération alors que leur conduite fut exemplaire, Garçon recueille de l’un ce témoignage :
« 14 septembre 1944. Ils me parlent des amis. Mauriac est devenu un grand homme. Il écrit des articles sans intérêt dans le Figaro. Jérôme me dit : -Songez donc, il vient d’apparaître après s’être caché pendant six mois pour échapper à des policiers allemands qui ne le cherchaient pas ! » (p. 611)
Un passage que je juge extraordinaire est la visite de Garçon dans les Pyrénées, proche de la frontière espagnole, au fort du Portalet transformé par Vichy en prison pour les hommes politiques, où il rencontre longuement Mandel.
« Comme j’avais quitté le fort et passé le petit pont jeté sur le torrent, j’ai entendu un appel. Au-dessus de moi, à mi- flanc du rocher, s’élevait le fort. A une fenêtre, Mandel me hélait pour me saluer de la main. Le bruit a dû attirer l’attention des autres. Plusieurs fenêtres s’ouvrirent et j’aperçus, se tenant aux grilles et me faisant des signes, outre Mandel, Daladier, Blum et Paul Reynaud. Quatre présidents du Conseil comme des singes au zoo ! » (p.332)
Il ne faut jamais désespérer, les situations les plus tragiques évoluent, parfois s’améliorent. Mandel et Paul Reynaud furent transférés en Allemagne et fort bien logés dans une maison forestière.
« En ce qui concerne Blum, la situation est encore plus extraordinaire. Il va se marier. Devant quel officier d’état civil ? Il épouse Mme Reichenbach, nièce de Charles Humbert, qui fut successivement la femme d’Henry Torrès et de Reichenbach, directeur des Prix Unics. Elle était à Vichy. Un attaché d’ambassade a pris, bien qu’elle fut juive, la peine d’aller la chercher en voiture et elle a vu, à Paris, mettre à sa disposition un wagon-lit pour rejoindre son fiancé en Allemagne. » (p.472)
Ainsi, le gouvernement de Vichy avait-il aussi ses « bons juifs », cette dame, Emmanuel Berl, quelques autres ? (Hors de ces propos, je recommande la lecture du délicieux livre de Philippe Jullian : Les Mauvais pauvres).
Le 2 février 1943, Garçon, à qui l’antisémitisme répugne profondément, aborde cette question :
« Au surplus, le problème juif est insoluble. Il est incontestable que par rapport aux aryens, comme on dit aujourd’hui, les juifs constituent une race dominante. Les croisements ne diminuent pas le caractère ethnique du juif. A la cinquième génération, il reparaît physiquement et moralement. Mais, d’autre part, cette race n’est point une nation. (…) Leur dispersion et faite pour l’éternité. (…) Leur isolement les fait s’assembler et se soutenir. Leur indéniable intelligence les fait parvenir aux premières places et, lorsqu’ils les tiennent, ils servent leurs coreligionnaires. Par là, ils se créent d’irréductibles ennemis. (…) Le vrai est que le péril juif vient seulement de la veulerie aryenne. (…) Cela dit, je n’aime pas particulièrement les juifs. Ils sont pour moi des étrangers mais ils restent des hommes. (…) et je ne puis admettre les abominables persécutions dont ils font actuellement l’objet. » (p.437)
Garçon juge impossible un « état juif ». Au milieu de l’année suivante, alors que la situation s’éclaircit, Maurice Garçon observe les retournements d’attitudes, révélatrices de ce qui attend la société :
« 29 juin 44. Je ne suis pas antisémite, surtout depuis qu’on persécute ces misérables. Mais, tout de même, je crains, si l’on n’y prend garde, qu’ils reviennent avec les dents bien longues, un appétit féroce et des exigences intolérables »
Garçon donne l’exemple d’une femme qu’il connût apeurée et craintive et retrouve flambante, préoccupée de ses robes. Lorsqu’il lui parle de l’assassinat d’Henriot, elle réplique : « Petit début » et notre mémorialiste conclut : « La vengeance de ces gens- là sera terrible et cruelle. Ne serons-nous pas obligés de devenir antisémites ? » (p.576). De Gaulle n’échappe pas au scalpel sans illusion de ce grand ténor du Barreau :
« 7 juin 44. De Gaulle a fait un discours qui ne signifie rien. Le pauvre homme a une voix déplorable. Il scande les mots en appuyant toujours la syllabe faible. Tout chante faux dans son affaire. Il est ridicule de prétention et de suffisance. » (p.564)
Fort nombreux sont les passages qui ne correspondent pas du tout à nos opinions d’aujourd’hui, lissées par la bonne conscience imposée par les médias et la nécessité simplificatrice de l’éducation en ce qui concerne l’enseignement de l’Histoire. La vérité est faite d’une infinité de nuances et de contradictions et il faut, pour l’admettre, maîtriser connaissances et hauteur de vue. Alors, je me repose la question de ce qui fait le succès de ce gros livre ? Je ne puis vraiment pas en créditer son style, il s’y trouve même des tournures et des mots incorrects –soulignés parfois par un « sic » de l’éditeur. Non, c’est l’expression brute de la vie qui emporte notre lecture. Nous n’avons plus rien à faire du « roman » ou des élucubrations nombrilistes des « auto-fictionnistes » ? Nous sommes avides d’expression de la vérité, d’œuvres comme celle-ci, qui ne furent pas édifiées en tant que telles. D’où mon goût pour les rapports de police, les correspondances, les journaux intimes et autres documents que le hasard met sous mes yeux.
Et puis, cette lecture active la nécessité intellectuelle du doute, surtout au sujet de ceux dont on fait des héros –comme si le culte des héros pouvait nous apporter quelques satisfaction ou certitude ! Tous les arguments qui contrarient les certitudes sont des bénéfices pour l’esprit. Ces gens momifiés dans leurs certitudes de détenir LA vérité, comme ces journalistes politiques type Mme Fourest, provoquent chez moi un rejet de principe.
« 8 juillet 1944. Jean Zay a été assassiné. Ce n’était pas une grande figure. Petit avocat quelconque d’Orléans, il s’est hissé par les loges et le suffrage universel jusqu’à la députation. Puis il fut ministre de l’Instruction publique. Un salaud qui avait écrit un article mille fois reproduit où il traitait le drapeau français de saloperie. Son élévation est un défi à l’honnêteté et au patriotisme. N’empêche qu’on en fait un martyr pour la patrie, ce qui est un comble ! » (p.582)
Quel jugement porterait Garçon sur l’initiative de mettre ce prétendu héros au Panthéon ? A cette occasion, ayant un peu connu Mme De Gaulle Anthonioz que je plaçais entre la pétillante Sœur Emmanuele et une grenouille de bénitier dont elle avait le physique, j’avais éprouvé quelques soupçons. Je voulais Joséphine Baker ! Aucune initiative de notre Président ne me paraît bonne : c’est un esprit faux. Ses déclarations au sujet de la Syrie, après les exploits occidentaux en Irak et Libye, pour moi qui connaît assez bien ce pays où j’ai vécu si heureusement à six reprises sous les dictatures du père et du fils, partageant la vie des Syriens dans diverses couches sociales, des paysans à la bourgeoisie citadine, je ne puis admettre ce bourrage de crâne.
L’oubli est inclus dans ce doute : « L’oubli est l’une des plus précieuses qualités de notre esprit. Sans lui, nous ne vivrions que dans le deuil et la fureur. » (p.602) réflexion digne de Sénèque. Et il s’en trouve de nombreuses qui sont autant de leçons de sagesse. Lorsqu’on lit les débordements passionnels des Français durant ces périodes –encore alors éduqués, et solidaires par leur histoire-, on est en droit de redouter les événements dramatiques que nos politiciens nous préparent alors que nos sociétés médiatisées sont devenues incohérentes et ignorantes.
JEAN CLAUSEL
(« Jean Clausel » photo Passou ; « Maurice Garçon » photo Edouard Boubat)
9 Réponses pour Garçon, le « Journal » !
« Non, c’est l’expression brute de la vie qui emporte notre lecture. Nous n’avons plus rien à faire du « roman » ou des élucubrations nombrilistes des « auto-fictionnistes » ? Nous sommes avides d’expression de la vérité, d’œuvres comme celle-ci, qui ne furent pas édifiées en tant que telles. D’où mon goût pour les rapports de police, les correspondances, les journaux intimes et autres documents que le hasard met sous mes yeux. »
Le fait de tenir son journal au jour le jour sans esprit de publication entraîne évidemment une certaine franchise et fait l’intérêt de cet ouvrage, mais jusqu’à quel point est-on totalement franc avec soi-même ? En écrivant l’auteur doit bien penser que quelqu’un, ne serait-ce que sa famille, lira son journal après sa disparition ? Alors….. ?
Ce qui est sans doute remarquable dans ce « Journal », c’est que Maurice Garçon, qui connaissait bien du beau monde : écrivains, artistes, hommes politiques, hommes d’affaires… nous transmet là un « reportage » de première main, écrit en toute liberté et subjectivité : le contraire de la « littérature » journalistique, inodore et sans saveur habituelle ?
« Je ne suis pas antisémite… Mais, tout de même »
pour moi qui connaît assez bien ce pays où j’ai vécu si heureusement à six reprises sous les dictatures du père et du fils
Ah ben quand on fait partie du camp desdits dictateurs, pas difficile d’y vivre « si heureusement ».
Sent pas bon, cet autre JC…
» ce prétendu héros » : de plus en plus classe, cet obscur JC.
Que Garçon rabaisse Zay au rang de médiocre avocat, passe, il est de son milieu, anti-sémite et anti-franc’mac. Mais qu’un homme d’aujourd’hui l’imite dans le mépris…
Si WGG passe par là, savachier !
» Pendant ses quarante-quatre mois au gouvernement de front populaire, Jean Zay a institué, au titre de l’Éducation nationale : les trois degrés d’enseignement, l’unification des programmes, le prolongation de l’obligation scolaire à quatorze ans, les classes d’orientation, les activités dirigées, les enseignements interdisciplinaires, la reconnaissance de l’apprentissage, le sport à l’école, les œuvres universitaires3 ; et au titre des Beaux-Arts : le CNRS, le musée national des arts et traditions populaires, le musée d’Art moderne, la Réunion des théâtres lyriques nationaux, le festival de Cannes. »
Des prétendus héros comme ça, on en manque !
Je vivais à l’écart de la place publique,
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique…
Refusant d’acquitter la rançon de la gloir’,
Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.
Les gens de bon conseil ont su me fair’ comprendre
Qu’à l’homme de la ru’ j’avais des compt’s à rendre
Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,
J’ devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.
Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées !
Manquant à la pudeur la plus élémentaire,
Dois-je, pour les besoins d’ la caus’ publicitaire,
Divulguer avec qui, et dans quell’ position
Je plonge dans le stupre et la fornication ?
Si je publi’ des noms, combien de Pénélopes
Passeront illico pour de fieffé’s salopes,
Combien de bons amis me r’gard’ront de travers,
Combien je recevrai de coups de revolver !
Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées !
A toute exhibition, ma nature est rétive,
Souffrant d’un’ modesti’ quasiment maladive,
Je ne fais voir mes organes procréateurs
A personne, excepté mes femm’s et mes docteurs.
Dois-je, pour défrayer la chroniqu’ des scandales,
Battre l’ tambour avec mes parti’s génitales,
Dois-je les arborer plus ostensiblement,
Comme un enfant de chour porte un saint sacrement ?
Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées !
Une femme du monde, et qui souvent me laisse
Fair’ mes quat’ voluptés dans ses quartiers d’ noblesse,
M’a sournois’ment passé, sur son divan de soi’,
Des parasit’s du plus bas étage qui soit…
Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,
Ai-j’ le droit de ternir l’honneur de cette dame
En criant sur les toits, et sur l’air des lampions :
» Madame la marquis’ m’a foutu des morpions ! » ?
Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées !
alors l’Albatroce ,que viens-tu me faire chier depuis quelques jours. Je suis quasiment moribond et mon ex-femme, je vais te dire un secret, c’était ILSE KOCH…pauvre nasebroque….
Prétendre que cet auteur n’est pas antisémite et citer de lui des extraits qui le sont profondément…
J’ignore qui est Jean Clausel, mais son papier est agaçant. Il semble apprécier le journal de Garçon et devoir le défendre, parfois avec talent, d’autres fois avec d’invraisemblables contradictions sur l’antisémitisme denié de l’avocat. Mais surtout, il semble ne pas supporter le « succès » actuel dudit Journal. Veut-il dire que ce gros pavé lu et apprécié par une masse de 1000 lecteurs anonymes serait immérité, au point même d’être possiblement en présence d’un succès artificiellement provoqué par des journalistes qui ne l’auraient même pas lu ?… M. Clausel ne pense jamais à devoir s’identifier à une masse de lecteurs et diaristes anonymes, capables de s’intéresser à la franchise et à la subjectivité intime de l’entreprise garçonnière, reconnaissant en lui leur propre balourdise de jugement face aux convulsions et contradictions du monde qui se déploie, telle la roue du destin qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un. Car, ce qui ressort du Journal de Garçon plaît à l’évidence à ses lecteurs silencieux et méditatifs. Ils sont indéniablement attirés par manque de lucidité et le conformisme bourgeois de son auteur, mais aussi et peut-être surtout… par une possible identification avec cet incoercible besoin de comprendre par nous-mêmes ce qui se passe au jour le jour, comme il essayait de penser par lui-même ce qui se passait entre 30 et 45, au delà de la propagande de la téhéssèf par la recherche maladive et frénétique d’informations fiables…
Pourquoi le besoin de se distinguer des autres lecteurs serait-elle toujours l’implicite d’une interrogation prétendument interloquée, au lieu de reconnaître chez les autres anonymes, des semblables ? Évidement, pour Jean Clausel, cela équivaudrait à ne plus se palire dans l’image du grand incompris singulier… Pourquoi dénier à une masse de lecteurs leur aptitude à s’identifier aux contradictions mentales de Maurice Garçon en son temps, un homme petit et grand à la fois, mesquin, intéressé et écœuré par la bassesse du monde de sa Justice et de son injustice…, bref, le lot commun d’une bonne part de mortels dont certains parviennent parfois à atteindre l’Immortalité académique.
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