A propos, pourquoi le rouge et pourquoi le noir ?
On dira que la réponse va de soi : le rouge républicain et le noir ecclésiastique. Ce qui saute aux yeux à tout lecteur de Le Rouge et le noir. J’y repensais en sautant et gambadant dans le savoureux Dictionnaire amoureux de Stendhal (816 pages, 25 euros, Plon). Dominique Fernandez y est parfaitement à son affaire en raison de sa connaissance intime tant de l’écrivain et de son œuvre que de l’Italie. Curieusement on n’y trouve pas d’avant-propos condensant son propre stendhalisme – ni même, allons-y gaiement, sa stendhalité comme diraient les cuistres. C’est que tout le recueil en est la quintessence. Comme si d’avoir si longtemps vécu en stendhalie lui avait donné les clés de son ars poetica.
D’ailleurs, il désarme toute critique de ce côté-là dès la première entrée « Absolu » : partant du principe que tout écrivain a donné un raccourci de son génie dans un texte bref, il cite par exemple La Femme abandonnée pour Balzac, Douce pour Dostoïevski, Billy Budd pour Melville, Tonio Krüger pour Mann, et pour Stendhal l’une de ses Chroniques italiennes intitulée « S. Francesco a Ripa », du nom d’une église romaine qui abrite une admirable statue de Bernini, héroïne de ce texte. Choix contestable, ce qui est bien le moins dans ce type de dictionnaire qui se veut aussi subjectif qu’arbitraire. Mais tout sauf doctrinaire, ce qui est le plus important. Comme toujours lorsqu’on avance en terrain connu, on espère la surprise, l’inattendu à défaut de l’inédit. Ils sont au rendez-vous.
Le développement sur le « Plagiaire » est instructif ; on y (re)découvre que, notamment dans ses écrits sur la musique et la peinture, Stendhal se livrait allègrement à la contrefaçon, comme diraient les tribunaux en pareil cas ; sauf qu’il réécrivait en traduisant, tout de même ; et dans ses romans, il n’hésitait pas à recopier et à s’approprier des articles entiers de gazettes ; bref révèlerait-on qu’il a plagié le grand Goethe qu’aussitôt se lèveraient comme un seul hommes les stendhalistes (ah, ceux-là…) pour assurer que Goethe lui-même, n’est-ce pas… Bref, on n’invente jamais rien alors pourquoi se gêner quand un autre avant vous a déjà si bien exprimé votre pensée. Fernandez nous offre également un bel aperçu sur la récurrence du « Peut-être » sous la plume du grand écrivain. Il réussit même, mais qui s’en étonnera, à remplir six pages à l’entrée « Homosexualité », ce qui est une prouesse s’agissant d’un auteur dont il dit lui-même, avec l’ombre d’un regret dans la voix, qu’il était « si manifestement hétérosexuel » ; était-donc si indispensable d’aller chercher dans une lettre une parenthèse au sein de laquelle Stendhal évoque un tableau de Ganymède « à jamais sacré pour moi » ?
Il est plus convaincant dans l’exposé des petits mystères stendhaliens qu’il se propose de résoudre, à la suite des experts Henri Martineau, Pierre-Georges Castex et Victor Del Litto : l’abandon de l’écriture de Lucien Leuwen alors que le manuscrit était pratiquement au point. Ou l’inachèvement de Lamiel. Ou encore à propos de la Bible l’allusion à un « c… d. M…. » dont on apprendra un jour qu’il n’a rien de scabreux car c’est ainsi qu’il abrégeait les Contes des mille et une nuits. Mais alors, pourquoi le rouge et pourquoi le noir ?
On y vient. Dominique Fernandez rappelle que Stendhal raffolait des couleurs et des jeux de mots qu’elles favorisaient. Des vêtements rouges sur fond noir lui ont souvent été inspirés par des tableaux, notamment ceux de Raphaël et du Corrège. Lucien Leuwen a failli s’appeler « Le Rouge et le Blanc ». Et quand il conçu le projet de développer sa nouvelle Mina de Vanghel pour en faire un roman, le titre devait en être « Le Rose et le Vert ». C’est dire ! Mais Le Rouge et le Noir ? La glose en est pleine. On a tout lu. Pour le noir : les milieux ecclésiastiques, le sombre des congrégations. Pour le rouge : le républicanisme, la toge des magistrats, les rideaux cramoisis avec effet de taches de sang, la couleur de la guerre avec en douce un hommage à Napoléon. Sans oublier cette dichotomie quand, dans la rêverie de Julien, le noir de la soutane se transforme en pourpre cardinalice. Et sans compter que le rouge et le noir sont les deux couleurs de la roulette.
D’ailleurs, dans Le Goût du rouge (141 pages, 6,80 euros, Le Petit Mercure), Pascale Lismonde extraie fort à propos du roman de Stendhal la scène de l’église de Verrières où le soleil fait rougeoyer les rideaux cramoisis, lesquels, se reflétant dans le bénitier, donnent à croire que le sang y coule. Alors pourquoi Dominique Fernandez, tout à sa passion de Stendhal dont il devine qu’il se serait bien amusé de toutes les savantes exégèses suscitées par son oeuvre, ne s’autoriserait-il pas sa propre interprétation ? La voici :
« Julien est un héros « chevaleresque », et les chevaliers, lorsqu’ils se battaient en duel ou dans les tournois arboraient les couleurs de leur dame. Je vois dans rouge et noir les couleurs des deux maîtresses de Julien. Noir, c’est Mme de Rênal, femme mariée, sérieuse, engluée dans une province médiocre, vêtue de mantilles et de châles. Rouge, Mathilde de La Mole, jeune fille romanesque, étoile de la société parisienne, éclatante d’esprit et de grâce ; hantée, de surcroît, par le souvenir de la tête décapitée de Boniface de La Mole, son ancêtre ; au point de dérober la tête coupée de son amant, de l’emporter sur ses genoux, dans sa voiture drapée, et de l’ensevelir de ses propres mains ».
Voilà ce que l’on trouve à l’entrée « Couleurs » qui renvoie, il est bon de le préciser, à l’entrée « Mystifications ». L’hypothèse exposée par Fernandez est séduisante. Et puis quoi, nous a-t-on assez répété que tout lecteur était le co-auteur du roman qu’il aimait puisqu’il le réinterprétait par la seule vertu de sa lecture méditative ? Je dois avouer que, l’esprit d’escalier aidant, ce dictionnaire m’a amené à me replonger dans le dernier numéro de la Nrf D’après-Proust (sous la direction de Philippe Forest et Stéphane Audeguy, 320 pages, 19 euros, Gallimard) ; une contribution notamment m’a retenu : celle, particulièrement brillante, par laquelle Laure Murat exécute cruellement l’aristocratie française en l’enfonçant dans ce qu’elle peut avoir de plus grossier, trivial, vulgaire, égoïste afin de montrer que toute la Recherche est le tombeau de cette classe qui y est comiquement éreintée ; dans ce but, elle rappelle comment, dans une brève scène située à la fin du Côté de Guermantes, alors qu’ils s’apprêtent à monter en voiture pour se rendre à un dîner, le duc reproche à sa femme de porter des souliers et une robe dépareillés, ce qui serait d’une effet désastreux ; et, malgré l’avis contraire de Swann, il l’oblige à remonter dans ses appartements afin d’accorder ses couleurs. Une toilette rouge et des souliers noirs, vous n’y pensez pas. Cette scène, qui en dit tant, dit tout. Le rouge et le noir. Décidément, on n’en sort pas. Qu’il s’agisse du roman de Stendhal ou de celui de Proust, ils témoignent de ce que, comme disait Italo Calvino, un chef d’oeuvre, c’est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire.
(« Gérard Philippe dans Le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara », « Jeremy Irons et Fanny Ardant dans Un amour de Swann de Volker Schlöndorff)
820 Réponses pour A propos, pourquoi le rouge et pourquoi le noir ?
débinez
La vulgaire présence du timide D. n’ excluant pas l’ arrivée narcissique et vulgaire de l’ autre…
Je vous ai répondu, si vous avez loupé le post ce n’est pas mon affaire. Je ne vais pas me fatiguer pour vous rendre service.
Cependant, si la nécessité de coucher quelque vulgarité sur le rouleau de la RdL est si impérieuse, vous pouvez le faire sans m’ennuyer avec vos questions.
Une relecture de Roland Barthes pourrait vous être utile… relecture… enfin… Calvino disait qu’on parle de relire quand on se mets, finalement, à lire un livre que tout le monde tient pour classique mais que presque personne n’a lu.
Oui, Céline a raison, un certain nombre d’adjectifs sont désémantisés et perdent leur valeur classifiante quand ils sont antéposés à leur nom et n’ont plus alors qu’une valeur d’intensif :
un grand homme/un homme grand
un brave type/un type brave
un vulgaire bistrot/un bistrot vulgaire
un sale type/un type sale
un pauvre homme/un homme pauvre
etc.
renato dit: 14 mars 2013 à 12 h 05 min
La formule « Monsieur et Madame Untel » est une vieillerie fasciste.
N’importe quoi !
Puisqu’un autre anachronique s’est collé à la locomotive, voyons ça.
Madame Marie Boîteàbonbon et Monsieur Jean Sucredorge se rencontrent, tombent amoureux, se marient.
Pour l’État Madame ne disparaît pas car il envoie la feuille d’impôts à Monsieur Jean Sucredorge et Madame Marie Boîteàbonbon — il faudrait respecter l’ordre alphabétique mais on ne va pas fignoler là-dessus…
Devant le Maire c’est plus délicat car Madame entre en Mairie Marie Boîteàbonbon et en sort Marie Sucredorge, et c’est tout un pan de son histoire qui disparaît avec la disparition du nom Boîteàbonbon.
Et la chose ne s’arrête pas là car en certains États européens (excusez du peu) elle devient Madame Jean Sucredorge, et là elle est spoliée de son individualité.
Je rappelle que l’action arbitraire est le fondement du fascisme.
Ce rappel fait, se demander quelle action est commise lorsqu’on transforme Madame Marie Boîteàbonbon en Madame Jean Sucredorge.
Elle finit où son histoire personnelle, celle, pour nous entendre, transmise par le Nom ?
Et la personnalité, construite autour du Prénom qu’est-ce qu’elle devient ?
Cela ce n’est qu’une spoliation, et si ce n’est pas une action arbitraire, c’est quoi ? Parce que il serait opportun de se demander aussi en nom de quoi cette spoliation est commise…
C’est l’effacement de l’identité que cette coutume perpétue, pas une dance en costume régional pour divertir les touristes.
On pourrait me dire que si on se réfère à la filiation, cette spoliation est justifiable, mais c’est court et ne justifie nullement le fait de spolier l’épouse de son histoire et de son identité car la filiation peut s’établir indépendamment du mariage. Ce n’est donc pas une action inspirée par une quelconque nécessité, mais une action arbitraire.
Je veux bien que certains Sans-Couilles aiment encore s’imaginer comme ayant un pouvoir ou ayant la possibilité d’exercer une autorité que hors de chez eux personne ne songe à leur reconnaître. Chacun est libre d’imaginer ce qu’il veut, certes, mais de la à admettre qu’une une autorité soit exercée sur une personne à laquelle on a nié le droit au Nom me semble fort de café, si lui est nié même le droit au prénom nous sommes carrément en barbarie. Et si c’est seulement pour rendre service à des Sans-Couilles c’est aussi con. Au moins que le fait que certains aiment lire sur les enveloppe « Monsieur et Madame Jean Sucredorge » prime sur toutes considérations de bon sens — ce qui n’est pas si absurde qu’il semble vu le degré de conscience qui court les rues… même celle fréquentée par les gens qui se veulent cultivés.
Je veux bien que selon certains chercheurs le matriarcat n’a pas été une fête pour les mâles. Mais est-ce qu’on peut dire que le patriarcat le soit pour les femelles ? laissons cela de côté, ce sera pour un autre jour.
Quoi de plus simple et pratique que de mettre sur l’enveloppe Monsieur et Madame Sucredorge ?
Mon monsieur et madame renati correspondait en fait à la double reconnaissance de renato et renata confondu en un amour fusionnel.
Que de blablabla pour justifier votre insulte, renato !
Pas étonnant que pour vous ce ne soit qu’un blabla…
La formule « Monsieur et Madame Untel » est une vieillerie fasciste.
Rien lu d’aussi bête depuis longtemps !
Jacques Barozzi dit: 14 mars 2013 à 10 h 58 min
reverrons-nous les lilas, les tulipes et les roses ?
Oui jacques d’ici peu reviendront ces floraisons étonnantes
A ce propos, rose, comment peut-on passer soudainement de un à quatre ?
>Un rêve érotique Jacques et même à cinq.
Wow comme c’était bon comme rêve ! Inouï comme un rêve peut faire du bien à la réalité. Gênant comme plus tard, le lapsus révélateur déguisé en quiproquo, rend le rêve public et vlam, dévoilée la meuf.
Heureusement, j’ai l’âge (comme disait ma mémé) (donc pardonnée illico avec quelque bonhommie). Elle est gâteuse la vieille et le tour est joué. Mais le rêve certain.
ueda dit: 14 mars 2013 à 12 h 07 min
Y a des bons grains.
Insérés dans les bonnes huitres ça donne des bonnes perles
Mais il y a aussi de l’ivraie.
Non, ds les perles c’est un nucleus : le grain c’est dans les sandales, croyé-je.
Abbé, mousse pas, pâme ! dit: 14 mars 2013 à 11 h 03 min
Je n’ai pas bien compris le 10 h 36 de John Brown.
C’est la neuvième du grand Ludwig avec un pâme supplémentaire en la bémolle : papam-papam.
« le pré-avachisssment programmé »
En cette ériode de « crise » il faut bien rappeler que les pauvres doivent rester pauvres pour que rien ne change , et quoi de mieux pour ce faire qu’un faux-jeton qui a copiné, pour « exorciser « »le marxisme », avec un régime ayant envoyé une trentaine de mlilliers de personnes à la mort
Que vous le vouliez ou non, il est dans la nature des pauvres de rester pauvres et des riches de rester riches a minima.
Exorciser le marxisme, fabrique de pauvres esclaves imbéciles, est une noble tâche, digne des meilleurs !
dont les 80 millions d’impulsions par seconde offrent un spectre de 100000 «couleurs différentes dans un minuscule domaine de l’infrarouge». Indulgent, le physicien simplifie, reconnaît que sa physique est «délicate à expliquer». Un euphémisme. Et sourit: «On appelle ça un peigne de fréquence.» Du coup, tout s’éclaire.
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/03/lkb-le-labo-des-nobels.html?xtor=rss-450
Dites, le « rouge répubicain » ne serait-il pas teinté (un peu) d’impérialisme napoléonien ?
un débat sur un blog américain que d’autres auront sui : le blogueur reveient sur les discussions de son billet Mary and the Zombies: Consciousness Revisited
http://opinionator.blogs.nytimes.com/2013/03/22/mary-and-the-zombies-consciousness-revisited/
Mais voici le plus grave : » Je m’amusais à tuer sur les murs les punaises qui marchaient et ça faisait sur ce mur blanchi de longues arabesques rouge-noir. » Devant cette notation, Louise Colet s’indigne : Flaubert
une réponse » naturellement »
jacques Roubaud :-Quelque chose noir, Gallimard, Paris, 1986
Merci
A propos, pourquoi le rouge et pourquoi le noir ?
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