Avec Aragon, une question de distance
Ces trente dernières années, l’éditeur Antoine Gallimard n’a eu de cesse de trouver un biographe qui veuille bien s’attaquer au monument Aragon. A ses débuts dans le métier, il avait bien connu l’écrivain dont il considère que l’œuvre est de celles qui dominent la littérature française du XXème siècle. Il essuya maints refus avant de convaincre le romancier Philippe Forest, à l’instigation du directeur de la collection Biographies/Nrf Ran Halevi. C’est que le personnage ne suscite guère l’empathie, alors même que son œuvre ne semble pas près de sortir du purgatoire trente trois ans après sa mort.
La somme que vient donc de lui consacrer Philippe Forest sous le simple titre Aragon ( (896 pages, 29 euros, Gallimard), un vrai livre d’écrivain malgré la rigueur des notes et sources, s’impose déjà comme la biographie de référence. Elle renvoie d’emblée au rayon des témoignages les deux précédentes, tant celle de Pierre Daix que celle de Pierre Juquin. Ceux-ci avaient pour eux d’avoir bien connu leur héros, et contre eux d’avoir bien connu leur héros. De plus, ils avaient tous deux été des apparatchiks, l’un culturel, l’autre politique. Ce qui n’est pas le cas de Philippe Forest. C’est dire à quel point le cas d’Aragon est, pour un biographe, emblématique. Sa réussite est une question de distance. Ni trop près ni trop loin. Il se tient à mi-chemin de l’ancienne et de la nouvelle génération, n’ayant été ni pro ni anticommuniste (il est né en 1962).
De son propre aveu, il n’a pas la tête très politique et reconnaît entretenir un rapport plutôt sentimental avec Aragon. Forest se tient également à distance de l’illusion biographique, ce confort dans lequel le présent juge rétrospectivement le passé. Il a fait sienne la réflexion de Milan Kundera selon laquelle la cécité dénoncée de ceux qui marchaient autrefois dans le brouillard est moins grave que la cécité de ceux qui ne tiennent pas compte aujourd’hui du brouillard de ce temps-là. Les fameuses circonstances. Pour réduire l’énigme Aragon, un homme qui s’était appliqué à se rendre incompréhensible, l’auteur a privilégié l’enquête par rapport au respect complaisant, tout en déléguant à un doctorant en histoire les recherches aux archives de la police. Il s’est laissé guider par l’admiration critique à seule fin de faire entendre la note juste.
Si toute cette vie se déroula sur le territoire de l’ambiguïté, c’est surtout aux tournants les plus politiques que son biographe est attendu : le stalinisme (en tenant compte de l’évolution de la résonance de l’adjectif « stalinien » au cours du siècle), le pacte germano-soviétique (et son fameux « Vive la paix »), son rôle au Comité national des écrivains, son attitude durant l’épuration, le silence sur le goulag etc Pas facile avec un écrivain qui plaide pour le mentir-vrai sans jamais sacrifier son souci du réel. D’ailleurs, si l’empathie du biographe va tout de même au styliste en Aragon, ce n’est pas pour sa technique mais pour sa vision du réel comme vertige face au vide, « ce grand vide où se défait toute conscience d’être soi ».
Forest souligne ce que le personnage peut avoir de « tordu », cynique et calculateur, joueur fasciné par le pari, accumulant des contradictions qui ajoutent à sa complexité. Lors d’une récente journée d’études à l’ENS, au cours de laquelle des aragoniens passèrent au crible le travail de Philippe Forest en sa présence, il fut souligné qu’il n’avait pas été un opportuniste pour autant et qu’il méritait que ne fussent pas confondus « sa conviction communiste et le parti communiste ». Peut-être ne faut-il pas avoir, comme son biographe, un mais des points de vue puisqu’il n’y a pas un mais des Aragons. Pas sûr que cette biographie, si réussie soit-elle dans la mise à nu du mouvement d’horlogerie qui les animait, ait pour autant réussi à les faire mieux aimer.
Daniel Bougnoux, l’un de ses éditeurs dans la Pléiade, parle même d’une « haine d’Aragon » : dépréciation et soupçon du côté des élites de gauche, exécration et mépris du côté de celles de droite. Cela a été vrai mais ce ne l’est même plus. Les enjeux liés au communisme ayant été emportés avec l’effondrement du mur de Berlin, Aragon et son œuvre souffrent désormais de l’indifférence, ce qui est pire.
L’Aragon de Forest a reçu un accueil critique abondant et laudateur. Deux rares journaux ont exprimé des réserves plus ou moins acides : l’Humanité et les Lettres françaises. Ils lui ont reproché son absence d’empathie politique. Un compliment, au fond.
(« Aragon, place de la Sorbonne, 9 mai 1968 » photo Claude Raimond-Dityvon ; « Aragon au milieu des années 20 » photo Man Ray)
1 014 Réponses pour Avec Aragon, une question de distance
@ Chaloux : « « Dans cinquante ans, les historiens seront unanimes, ils écriront que « personne ne voyait ». » Si ce n’est pas un amalgame entre 1939 et 2015, quésako ? » »
Delpla, votre façon de lire me stupéfie : vous ne semblez pas avoir la capacité de discriminer entre un « amalgame » et une analogie. D’autre part, je ne fais nullement allusion à l’arrivée massive des migrants qui seront mis à la porte dans cinq ans comme ils ont été « accueillis » l’an dernier. Mais à la forme de libéralisme qui est en train de se mettre en place par la volonté des partis « démocrates » et de la gauche socialiste, dont je maintiens qu’il s’agit d’un totalitarisme dont les historiens de votre trempe affirmeront dans cinquante que personne « ne le voyait » venir.
Je n’ai rien dit d’autre et je le maintiens.
D’ailleurs, s’agissant du pacte germano-soviétique, vous continuez à ne pas répondre. Soit vous êtes incompétent en la matière, ce que je veux bien croire, soit vous avez d’autres raisons, ce que je veux bien croire également.
affirmeront dans cinquante ANS
moi, ne pas répondre ? dans ce cas j’aurais trouvé mon maître !
Non, Delpla, vous ne répondez pas. Mais je prends toute la faute sur moi. C’est une bien sotte chose que de débattre avec vous.
et quelle serait la question ?
si le pacte g-s c’est bien ou mal ?
si des gens l’ont désapprouvé à l’époque ?
Je ne suis pas votre enfonceur de portes ouvertes,
et je traite le sujet, moi monsieur !
Il s’agit d’une bio d’Aragon et d’une phrase de Passou :
« c’est surtout aux tournants les plus politiques que son biographe est attendu : le stalinisme (en tenant compte de l’évolution de la résonance de l’adjectif « stalinien » au cours du siècle), le pacte germano-soviétique (et son fameux « Vive la paix »),… »
Je me contente de montrer que « Vive la paix » procède d’un aveuglement sur la détermination de Hitler à faire la guerre qui est alors partagé par une foule de gens, tandis que sa capacité à la gagner, à un Churchill près, de coup de théâtre en coup de théâtre, en juin suivant, fait l’objet d’une ignorance universelle.
Face à un agresseur aussi déroutant, rien ne sert de réviser ses classiques sinon pour y puiser un jeu de mots : il est Plutarque que tu ne penses.
Le jeu de mots, c’est cadeau-Bonux ? Je n’ai pas parlé de bien ou de mal, j’ai parlé de résistance. Vous raconteriez n’importe quoi pour éviter le sujet. Delpied dans l’plat, vous n’êtes pas un historien crédible.
« Vous raconteriez n’importe quoi pour éviter le sujet. »
FD racontez vos vacances ou vos pauses café, ça ne fera pas tache…
il ne s’agit pas de ce dont vous avez parlé mais d’une question que vous auriez posée en relation avec la bio, et à laquelle je n’aurais pas répondu.
Merci de la formuler enfin.
Mais je prends toute la faute sur moi.
–
c’est déjà fait, Chaloux. Il fallait vous réveiller plus tôt mon vieux.
M. Delpla,- je ne peux vous donner du F.r.a.n.ç.o.i.s, à cause d’une routine informatique- à la réflexion, il me revient une question, suite à vieux débat internautique.
Elle concerne Aragon.
Que dit cette bio que vous lisez à propos de ce poème » la rose et le réséda » ? s’il est évoqué.
« Que dit cette bio que vous lisez à propos de ce poème » la rose et le réséda » ? s’il est évoqué. »
Il l’est en toute brièveté, p. 516, et après la postérieure « Affiche rouge » : juste pour énumérer les poèmes qui exaltent des « martyrs » de toutes origines.
Peu sur le fond, donc, et rien sur la forme.
un homme qui s’était appliqué à se rendre incompréhensible,
Le dernier projet de Pierre Boulez à la veille de sa mort
Une marionnette de bois remisée depuis longtemps dans le placard de l’oubli, ficelles qui pendent, le marionnettiste est définitivement mort. Il ne restera de lui que quelques belles pages, noyées dans une flaque d’urine et de bouse légère …
Qui peut être intéressé par un tel papillon sinon un homme s’intéressant à l’archaïque, au passé mort, à peu de chose pour finir.
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