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A brides abattues

A brides abattues

Par Dominique Bona

bonaLa passion du Moyen-Age vient au berceau : à moins d’une longue psychanalyse on serait bien en peine d’en donner les raisons. Cet univers enchanté, avec ses djinns, ses fées, ses chevaliers de la Table Ronde et ses princesses à hennin, suscite des engouements durables, une fidélité comparable à celle qu’éprouvent les aficionados – capables de se reconnaître d’un point à l’autre de la planète, sans qu’importent leurs nationalités, puisqu’ils partagent les mêmes codes et le même langage et appartiennent à la même famille ensorcelée.

Laurent Decaux, qui fait son entrée dans le monde romanesque avec Le Seigneur de Charny (418 pages, 19,90 euros, XO éditions) , est un de ces passionnés. Ce jeune auteur, pour son premier roman, dédaigne l’auto-fiction et s’en va, d’un pas assuré, vers ce qui fonde sans doute son imaginaire : notre passé le plus lointain, le plus étranger en apparence à nos usages – ce Moyen-Age, en son déclin (le XIVè siècle), l’un des siècles les plus terribles de l’Histoire de l’humanité, marqué au fer par la peste noire et les guerres civiles, les bûchers de sorcières et les schismes de la papauté. Son héros, le seigneur de Charny, revient dans son village champenois après six ans de croisade. Ayant dû vendre son armure et le caparaçon de son cheval, c’est auréolé de gloire mais parfaitement ruiné qu’il rentre au bercail : le château où l’attendent sa mère, sa soeur, et les souvenirs d’une enfance heureuse, désormais loin de lui.

Laurent Decaux regarde l’Histoire en romancier. Elle campe son décor et nourrit sa fiction. Il a à coeur d’être exact voire minutieux dans ses descriptions. Tout est vrai – nous le suivons en confiance, des écuries à la chambre à coucher en passant par la salle des gardes ou en nous attardant près des douves, dans l’odeur de poudre et d’herbes brûlées. Rien n’est laissé dans l’ombre : nous saurons tout sur la manière d’astiquer une armure, de rompre le pain, de faire sa barbe, tout sur les orfrois, les palefrois, les écus, les blasons, les houssures, les gantelets, les poulaines – je lance les mots au hasard. Ils sont la matière même du récit, le trésor du romancier médiéviste. Mais l’érudition n’alourdit pas la lecture, n’entrave pas son galop.

Car le roman se déroule à brides abattues. Les personnages sont bien campés, hommes et femmes, chevaliers, écuyers, manants, belles châtelaines (Jeanne ou Marie), servantes accortes telle Florentine, on s’attache à eux, à elles, oubliant notre époque pour revivre la leur, avec ses fastes et ses misères. Le Seigneur de Charny enchaîne des aventures que je ne déflorerai pas : l’action en est le mot clef. Moteur à chaque page, c’est tout juste si on peut reprendre souffle sous un ciel empli d’étoiles, la nuit, qui durait si longtemps au Moyen-Age. L’Orient et Venise, la Champagne et l’Ile de France : un décor de livre d’heures, avec des enluminures aux couleurs très vives réveillerait le plus nonchalant des lecteurs.

Le rythme est efficace. La narration, enthousiaste. On ressent le plaisir d’écrire de l’auteur : c’est le plus joli cadeau de ce roman, qui ne cherche pas l’effet de style, mais vise à entraîner, à la manière des troubadours, un public paresseux et qu’il faut convaincre. Voici un roman joyeux et dynamique. J’ai souvent pensé en le lisant à un best-seller d’autrefois, qui me laisse un beau souvenir : La Chambre des Dames. Avec la même exigence dans la documentation historique, la même honnêteté dans la reconstitution et le même goût pour la clarté, Laurent Decaux possède cette qualité rare : sa joie de conter est transmissible, il fait du bien à ses lecteurs.

DOMINIQUE BONA, de l’Académie française

 

 

 

 

 

 

 

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Littérature de langue française.

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commentaires

10 Réponses pour A brides abattues

Janssen J-J dit: à

C’est dommage que ce texte n’ait suscité aucun commentaire. Sans doute que personne ne comprend pourquoi une parfaite inconnue fait ici de la pub à un parfait inconnu, avec la complicité de la rdl, pour le compte d’une maison d’édition des plus suspectes. Forcément, tout ça fait un brin tiré par les bretelles de larrons en foire.

christiane dit: à

Mais, JJJ, aucun commentaire ne signifie pas qu’on ne l’ait pas apprécié ! La langue est chatoyante, impression de traverser le musée de Cluny ou de rencontrer les chevaliers de la table ronde. Me demande ce que cette dame écrit…
Elle est immortelle lit-on sur Wik. cela fait rêver… A-telle vécu au moyen-âge ?
Ah, ça, c’est très bien :
« J’appartiens à la génération de celles et ceux qui ont toujours connu la mixité dans cette Académie. Et je suis frappé de constater combien il paraît désormais absolument naturel que les femmes y soient présentes. Il est presque inconcevable d’imaginer qu’on ait pu débattre ici d’une telle question et surtout qu’on y ait si longtemps répondu par la négative. Que de grands écrivains aient pu être si longtemps empêchés de nous rejoindre parce qu’il s’agissait de femmes, semble aujourd’hui incompréhensible… Grâce à chaque nouvelle femme, la Compagnie s’éloigne un peu plus de ces sociétés d’hommes entre eux (armées d’autrefois, monastères ou clubs anglais) pour lesquelles, en ce qui me concerne, je n’ai jamais montré aucune attirance. », a déclaré Jean-Christophe Rufin, chargé d’accueillir la nouvelle immortelle.
Des biographies : R.Gary, Hérédia, Gala, S.Zweig, B.Morisot, A.Maurois, C.et P.Claudel, C.Malraux,les sœurs Rouart, un P.Valéry amoureux… et cinq romans que je n’ai pas lus. J’aimerais commencer par un écrit d’elle…

Petit Rappel dit: à

Parfait inconnu, pas tout à fait! On soupçonne au nom un petit-fils de… L’ensemble de cette critique pourrait s’appeler Sup Decaux. Quant au talent de Dominique Bona, pas de quoi rever…
Bien à vous.
MC

christiane dit: à

Ah…

Janssen J-J dit: à

Ouh là, g bien fait de lancer un hameçon car, Ch. vous avez mordu, je rêvais d’être démenti dans ces eaux eutrophisées. Donc, Mme Bona va être adoubée par M. Rufin à l’AF.
Je comprends donc mieux l’urgence pour elle de poster qq chose sous les auspices de la rdl, avec une magnifique mise en avant de son beau titre (déjà acuqis ?) surligné en gras. Heureusement que MC s’est mobilisé, il n’a pas l’air tendre avec le fils d’Alain Decaux dont notre future académicienne se fait l’apologète, sans que l’on comprenne toujours au nom de quoi. Mais on le saura un jour. L’important, c que « MC » fait même des jeux de maux spiritualisés ! Et moi aussi, Ch. ça m’en bouche un peu l’âme-son. Depuis longtemps, du reste, j’aimerais savoir si vous tenez un blog littéraire, outre vos fonctions universitaires, monsieur Court, car moi, voyez, j’en serais bien incapable en dépit de mes nombreuses lectures (enfin tout est relatif). J’ai remarqué que vous êtes souvent vilipendé à la rdl à cause que vous avez la dent dure face à l’ignorance assez crasse de la plupart des affidés de PA, mais comment vérifier que votre réputation d’incorruptible de la chose littéraire soit bien justifiée, (ce dont je ne douterais pas a priori), voilà ce qui me tracasse parfois. inutile de vous forcer à répondre bien sûr, je vous souhaite néanmoins bien des choses positives. A bientôt, qui sait ?

Janssen J-J dit: à

Ah zut, je viens de me rendre compte avec sa fiche wiki que tout cela était déjà du passé bien dépassé (2013). Ch, convainquez-nous d’un bon roman personnel de cette Immortelle (randonneuse ?),comme aurait dit Jean-Christophe dans son discours d’investiture.

Petit Rappel dit: à

Non, Janssen, je ne tiens pas de blog.
Dans mon souvenir et dans celui des Bouquinistes, du temps de la gloire pas toujours injustifiée de leurs pères, c’est Sophie Decaux et Didier Castelot qui produisaient en duo une Charlotte (Et Maximilien, et autres régalades historiques. C’est pourquoi je songe plutôt à un petit fils.
Dur de succèder à un monstre sacré…De là à mériter les compliments de Dominique Bona, il y a une marge. Je crois profondément qu’un roman doit posséder une voix personnelle qui s’impose au lecteur et ne le lache plus. Ramuz est un assez bon exemple, malgré des ratages, de ce que je veux dire. et je n’ai pas senti ce frémissement chez madame Bona, ou tout autre. Quant aux théoriciens de la mise à mort du roman, ils me paraissent avoir fait leur temps. Parce que le genre leur a survécu, parce qu’ils sont incapables de laisser un seul texte viable. Effroyable vieillissement d’un texte comme L’Arret de Mort, de ce point de vue. Aucune envie de passer mon temps avec ces punaises ternes et plates!
Cordialement.
MC

olga dit: à

« la passion du Moyen Age vient au berceau.. » excellent début,il faudrait donc supposer que le bébé confortablement installé dans le ventre de sa mère ou dans son moïse se laisse bercer par la voix de sa mère lui lisant quelques romans courtois ou quelques histoires de chevalerie. Très proustien tout ça …
je dois avouer que c’est A. Bensoussan qui m’a amenée à D.Bona, c’est lui qui m’intéressait. Mais Dominique Bona ne m’est pas inconnue et est loin d’être une inconnue, mis à part le fait qu’elle est la fille d’Arthur Conte. J’ai lu plusieurs biographies qu’elle a écrites,dont celle consacrée à Jean Voilier, qui était une femme,comme chacun sait, une vraie de vraie femme!! dont les fréquentations et les amours furent innombrables et célèbres- paul Valéry entre autres.Réussi, à mon avis, tant par la documentation que par le côté alerte du récit. Le sujet est un sujet de choix, il faut dire,et il est facile de se laisser prendre au charme des 2 dames… D.Bona n’écrit pas des bio romancées à l’excès, son travail est très sérieux.De là à être reçue àl’Académie…J.C.Ruffin y siège bien, donc why not?
Je ne lirai pas le livre dont elle parle ( j’ignore la généalogie de L Decaux, histoire ou abribus?) C’est le nom de l’éditeur XO qui me fait reculer,et puis le fait que je n’aime pas et n’ai pas le temps de lire ce genre d’ouvrage. Aucun mépris, comme certains ici; j’avoue avoir eu une passion pour Jean Marais et les films de cape et d’épée. Chacun trouve son bonheur où il veut.
Pour finir, je dirai que l’article de D.Bona n’est pas une pub, le coin du critique est souvent intéressant et m’a fait découvrir des livres ou des auteurs loin d’être mineurs.
Quant à A.Bensoussan, ce qu’il dit de la traduction ( sujet traité plusieurs fois ds cette rubrique) est clair, intéressant et ça « tient tout seul debout » ! donc pas besoin de mes commentaires …

Janssen J-J dit: à

merci 16.02. Cet été j’ai découvert avec beaucoup de plaisir des bouquins de claude Simon et notamment l’Acacia. Il m’a troublé et ravi. Et cela n’a en rien gêné mon plaisir de savoir qu’il appartiendrait désormais à un genre épuisé. Tout vieillissement n’est pas effroyable. Je retiens de votre intervention la nécessité d’aller visiter Ramuz que je ne connais pas encore. Mais quoi ? n’importe quoi de lui ? ou quelque chose en particulier ?… Je préférerais me fier à votre conseil d’un seul, s’il advenait ici, le Ramuz que vous auriez mis au dessus de votre pile, par exemple. Merci par avance.
J. J-J,

Petit Rappel dit: à

On n’a pas parlé de biographie romancée.
On ne voit pas très bien ce qu’apporte à nos lettres cette bio d’un écrivain de second ordre, si ce n’est l’obscure familiarité qui peut unir les seconds couteaux. On a la George Sand qu’on mérite.
Mais il parait qu’on à tort,d’après notre poétesse du Croisic, Madame Bona est une nouvelle Madame de Lafayette à qui il ne manque que d’avoir écrit la Princesse de Clèves…
Ces indulgences-là me font comprendre Luther!

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