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De la poétique avant toute chose…

De la poétique avant toute chose…

Par Revue "Critique"

88241Toujours l’exception française ? Tandis que les études littéraires, un peu partout dans le monde, succombent aux sirènes des cultural studies, la «poétique», chez nous, fait de la résistance. Certes, elle a ses détracteurs qui pointent du doigt dérives dogmatiques ou dommages pédagogiques. Ce qui frappe, cependant, c’est sa vitalité. L’un de ses pères fondateurs, Gérard Genette, nous a quittés au printemps dernier; mais l’«aventure poétique1» continue, comme l’atteste, en cette année 2018, une belle salve de publications. Critique n’a cessé d’accompagner l’œuvre de Gérard Genette2 et Marc Cerisuelo le fait encore une fois, dans ce numéro, évoquant Postcript – l’ultime codicille. En présentant l’état le plus actuel d’un champ d’études qui lui doit tant, nous croyons lui rendre un hommage tel qu’il l’eût souhaité.

Dans Composition, Michel Charles, directeur de la revue Poétique, boucle une entreprise théorique d’une rare cohérence, commencée il y a plus de quarante ans avec Rhétorique de la lecture: Andrei Minzetanu en rend compte et Michel Charles, dans un entretien, revient sur son parcours intellectuel. Fictions à la chaîne de Matthieu Letourneux et Logique du genre dramatique de Jean de Guardia se situent aux pôles opposés du spectre littéraire. Matthieu Letourneux en explore les marges: la littérature sérielle des xixe et xxe siècles ; Jean de Guardia vise son centre tou- jours incandescent: le trio Corneille-Racine-Molière. Marie-Ève Thérenty et Jean-Louis Jeannelle nous présentent leurs ouvrages qui revendiquent et renouvellent tout à la fois la démarche poéticienne. Et si Michel Murat se réclame, quant à lui, de l’histoire littéraire, c’est pour en bousculer énergiquement l’épistémologie, y puisant de nouvelles ressources for- melles, comme le souligne Christophe Pradeau.

Les formes sont le point vif de notre intelligence des textes. Un sens «pur», indépendant de ce qui nous permet de l’appréhender (organisation, effets de répétition ou de variation, scansions, etc.), voilà précisément ce qui n’existe pas. La leçon de cet ensemble, conçu par Jean-Louis Jeannelle, est tonique : la poétique n’a pas dit son dernier mot. Et nous devrions non pas nous inquiéter, mais nous féliciter de cette exception française.

CRITIQUE 

(revue Critique, n° 858, novembre 2018 : « De la poétique avant toute chose… », Minuit)

1. Voir G. Genette, «Quarante ans de Poétique» (entretien), dans F. Pennanech (dir.), «L’aventure poétique», Fabula-LHT, décembre 2012.

2. Voir notamment G. Genette, « Le mot qui fait le pont, c’est la désinvolture » (entretien), Critique, n° 778, mars 2012; M. Cerisuelo, «Devant la recrudescence des vols de bardadracs…», Critique, n° 809, octobre 2014.

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Poésie.

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