Duras en son dur désir de durer
On n’a pas fini d’écouter Marguerite Duras, ses mots autant que ses silences. Il n’y pas que ses livres. Ses entretiens pourraient être inclus dans ses Œuvres complètes tant ils la prolongent. Sa voix la précédait et l’annonçait jusqu’à l’identifier puissamment, à l’écrit comme à l’oral. Nul besoin d’être l’un de ses nombreux captifs pour guetter un inédit. Celui-ci vaut le détour car il la ressuscite dans toutes ses dimensions. Il a une histoire qui ressemble déjà à du Duras.
En 1987, la journaliste italienne Leopoldina Pallotta della Torre rencontre l’écrivain chez elle à Paris pour le compte de La Stampa, à l’occasion de l’édition italienne des Yeux bleus, cheveux noirs. Quelque chose passa entre les deux femmes qui les encouragea à se retrouver à plusieurs reprises pour prolonger la conversation. Un livre d’entretiens, inspiré par les entretiens que Marguerite Yourcenar accorda à Matthieu Galey (Les yeux ouverts, 1980) naquit de cette rencontre ; il parut deux ans plus tard en italien sous le titre La Passione sospesa aux éditions de la Tartaruga. Duras le lut, l’apprécia, le cautionna. Quelques temps après, la maison d’édition disparut et la journaliste aussi, du moins ès-qualités ; malheureusement, les bandes magnétiques également. Cette triple absence explique probablement que ce livre n’ait jamais été publié en France. Il a fallu toute la curiosité et la pugnacité du traducteur, écrivain et éditeur René de Ceccatty pour parvenir à mettre la main sur cette rareté et pour retrouver la journaliste à l’issue d’une longue enquête.
C’est donc à lui que nous devons de lire en version française La Passion suspendue (188 pages, 17 euros, éditions du Seuil), malgré l’appréhension que l’on peut ressentir à lire des paroles de Duras par elle prononcées en français, traduites en italien puis retraduites en français, quand on sait à quel point le choix de chacun ses mots et la respiration de chacune de ses phrases portaient déjà son empreinte, dût-on en être parfois exaspéré ; Ceccatty s’est voulu fidèle à son ton si particulier, épuré jusqu’à l’os, et il y est parvenu en évitant afféterie et pastiche, ce qui est la seule façon de rendre justice à la créatrice d’un univers romanesque, théâtral, cinématographique – et donc d’une poétique sans pareil en son temps.
Il serait absurde de prétendre y découvrir ou y révéler une femme et un écrivain sur lesquels on a beaucoup écrit, à commencer par elle-même. On sait son admiration absolue pour Baudelaire, l’art du dialogue chez Hemingway et l’analyse amoureuse de Mme de La Fayette, ou sur la fonction de représentation de l’interdit qu’elle assignait à la littérature. Mais dites autrement, certaines vérités prennent une autre résonance. Sur l’enfance tout d’abord. Son attachement sauvage et animal à la vie. Sur l’écriture ensuite. Son impérieuse nécessité d’écrire dès l’âge de 12 ans pour « faire parler ce silence » sous lequel sa famille l’avait écrasée. Sur le plus voyou de ses frères, personnage cynique, autoritaire et amoral qu’elle identifia par la suite au Mitchum de La Nuit du chasseur et lui-même à tous les hommes. Sur sa mère bien sûr, ses talents de conteuse, sa folie qu’elle crut longtemps avoir reçu en héritage, son pessimisme radical, sa crainte des intellectuels : « Je ne me rappelle pas l’avoir vue une seule fois avec un livre à la main ». Cette mère qui lui a fait quitter l’Indochine. Pas de pathos, pas son genre. Une phrase suffit mais si forte qu’elle vaut tout un livre sur le sujet : « Est-ce qu’on ne fuit pas tous sa maison parce que la seule aventure possible est celle que notre mère a déjà prévue ? ». On l’attend au tournant sur la politique, l’ancienne secrétaire de section du Parti demeurée une communiste sans jamais plus se reconnaître dans le communisme, elle qui a fini par verbaliser sa haine du Parti dans un texte peu connu Abahn, Sabana, David (1970) ; elle ne biaise pas, revendique son attachement à 1917, à Salvador Allende et au Che, aux idéaux du printemps de Prague et ceux des débuts de l’expérience cubaine ; mais on n’en saura pas davantage ; ou plutôt si : on saura ce qui importe vraiment pour l’écrivain qu’elle est en toutes choses, à savoir que dans son œuvre, il ne faut chercher de politique que dans Un Barrage contre le Pacifique (les soliloques de la mère dénonçant l’exploitation et la corruption coloniales et leur responsabilité dans sa propre misère). Certaines pages sont d’une belle lucidité, notamment quand elle juge ses propres livres, les premiers toujours « trop pleins, où tout, trop est dit » rien ou si peu n’étant laissé à l’imagination du lecteur. Dégraisser, toujours dégraisser. On n’épure jamais assez. Rien à voir avec l’assèchement en fin de parcours, ou la panne. Voir les derniers textes de Beckett, émouvants à force d’être lapidaires.
Duras avait le génie de parler et d’écrire sans passer par le filtre de la connaissance, en allant droit au nerf, sans détours jusqu’à l’essentiel. Sur l’affaire Vuillemin et son « forcément sublime » qui ne passe pas, sur son identification à la femme de Moderato Cantabile et à celle de Hiroshima, mon amour, sur La Douleur dans lequel elle n’a pas menti car on ne peut pas mentir sur la substance même de la douleur, sur ses changements d’éditeur (« Je suis toujours contente quand on me paye davantage »), elle s’explique sans jamais chercher à se justifier car ce n’était pas son genre.
C’est un entretien hors normes. Rien à voir avec certains de ses grands numéros, tel l’irrésistible duo avec François Mitterrand sur leur guerre (Le Bureau de poste de la rue Dupin, Folio). Face à cette italienne qu’elle connaît à peine, mais dont les questions sont si pertinentes qu’elles lui sont un aiguillon, elle ne provoque pas ; l’ancienne alcoolique à qui la Faculté promettait que le verre de trop lui serait fatal s’accroche à la vie et au « dur de désir de durer » cher à Eluard, durer pour elle et pour son oeuvre neuf ans avant sa mort. On dirait qu’elle ne joue plus. Elle devait être dans ses bons jours. Ceux où elle ne se prenait pas pour Duras. Alors seulement, elle pouvait reconnaître naturellement qu’une seule chose avait jamais compté pour elle : l’amour bien sûr, mais qu’alliez-vous croire ?
(« Marguerite Duras » photo Jacques Haillot ; « Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur » photo D.R.)
616 Réponses pour Duras en son dur désir de durer
un à deux degrés de plus que la température de la pièce
Si la pièce est à 22°, température honnête, il faut attendre le mercredi de l’année suivante. Ils ne sont pas encore cuits, mais ont déjà bien verdi, c’est un régal.
Entraider ? Faites ça avec Bloom, vous êtes coupés dans la même étoffe.
Vous êtes bien méchant ? Fait de la même étoffe ? Allons donc ! Bloom est un culturiste de la culture. Gonflette, anabolisant,l’artificiel et le factice…
Il a pas dit « fait » de la même étoffe, il a dit « coupé ».
Coupez !
Marguerite faisait son lit tous les matins.
Elle ne pouvait pas s’en empêcher.
Car sinon elle ne pouvait pas travailler.
Cette « ombre de vérité » définitive , elle se trouve sur le zinc d’un rosebud oublié.
En lisant Boeuf Placide, rappelant des talents disparus, des brèves de blogs comme d’autres ont le talent des brèves de comptoirs (s’cuze Marguerite, mais il est dit de toi « Doux souvenirs, mais quelle casse-pieds dans la vie quotidienne ! » dans ce livre du « nouvel âge de la conversation »)
Bref, que sont-ils devenus?
Hanna, Zorg, Dexter, Diagonal, Nancy, Bob, Laurence de sainte-lumière, Sandgirl, And So… ?
Y a-t-il un registre de condoléances ?
Ainsi, Monsieur le Baron, vous rêvassez!
Mais sandgirl ne figurait pas « dans ce livre du « nouvel âge de la conversation », vous l’avez mal lu.
Writer J.M. Coetzee Will Curate the 2013 Belgian Pavilion in Venice
http://galleristny.com/2013/01/writer-j-m-coetzee-will-curate-the-2013-belgian-pavilion-in-venice/
Merci, John Brown, pour vos discussions au sujet du « Ravissement ».Un très beau roman, en effet. A la sortie, perplexe, voilà le mot, je me sentais.
Sandgirl, impossible que vous ayez oublié » cette exquise Québécoise »,tabernacle !
Highlander est là aussi. Plaisir.
L' »exquise Québécoise », comme vous dites, ne s’appelait pas sandgirl alors; et « on » a bien pris la précaution, en cours de prépa des Brèves, de s’assurer de mes pseudos. Enfin, c’est vous qui insistez alors voici: l’hôte de ce blog a pourtant dit avoir TOUT lu les commentaires pour les écumer, donc euh… Et puis lors de la parution, j’ai exprimé ici ce que présumais au sujet de l’ouvrage, et j’ajouterai aujourd’hui que c’était là prérogative de l’auteur. M’enfin, ça a bien peu compté par devers moi puisque j’ai continué à fréquenter ce blog assez longtemps après. Jusqu’à… bref, personnellement, je suis passée à un autre appel, et je pense que nous en sommes tous fort aise. BàV.
Oui, « desjournées entières dans les arbres » (apparemment l’un du bon vieux temps…), je me souviens aussi de « zerbinette », je ne la vois plus depuis des années déjà. Et puis MàC nous manque.
Plaisir pour moi aussi.Bonne soirée.
Sandy, Cathy,
I guess You’re right. I know, You are.
Ecume, écume.
Il reste du sable.
Et Marguerite.
« Vous regarderez l’appareil comme vous regardiez la mer, comme vous regardiez la mer et les vitres et le chien et l’oiseau tragique dans le vent et les sables d’acier face aux vagues.
Bonne route, Sandgirl.
Pas que du sable.
Entre autres une Marguerite pas totalement effeuillée.
Elle, aura eu droit à un Yan Andréa sans masque. Sans biais.
La persona, une prison? Une défaite? Qu’en sais-je, dit-elle. Un brin. Un gros brin.
Ma route. Et tous ceux qui continuent à rôder autour, avec amitié ou pas, mais toujours masqués.
100%, vous n’avez pas suivi la filière d’excellence, vous, ça se voit. Promotion canapé ?!
La curiosité – scientifique- n’est pas un vilain défaut.
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1224594568_doc.pdf
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