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La République des livres
En fuyant la montée du fascisme

En fuyant la montée du fascisme

Par Philippe Godoy

godoyDans Tanta Vita ! (traduit de l’italien par Renaud Temperini, 228 pages, 17 euros, Belfond), Paolo di Paolo évoque la brève existence de Piero Gobetti (1901-1926). Turinois, fils d’épiciers, très jeune, il parvient à créer, avec peu de moyens, une revue et une maison d’éditions. Parmi les poètes publiés, un jeune inconnu, Eugenio Montale qui sera une grande figure de la littérature italienne. Sur  les problèmes liés à des débuts difficiles, va se greffer la montée du fascisme et la prise du pouvoir par Mussolini. Alors,  la revue surtout consacrée à la littérature, devient une tribune virulente contre les atteintes à la liberté d’expression et les violences commises par les milices fascistes. Piero Gobetti en est rapidement victime. Mais  malgré une nature chétive et l’absence d’appuis, il ne baisse pas les bras. Son appartement est perquisitionné, il est incarcéré avec son père. Il est obligé de fuir à Paris, laissant sa femme et un enfant de trois semaines. A cet exil douloureux, s’ajoute des problèmes de santé qu’il veut, courageusement, ignoré.

Paolo di Paolo ne se contente d’évoquer une figure héroïque de la lutte contre l’instauration du pouvoir du ‘Duce’ Mussolini. Il évoque cet intellectuel idéaliste et courageux à travers le témoignage de Moraldo, un compagnon d’université de Piero. Ils ne connaissent pas pendant leurs études. Moraldo le voit de loin dans les amphis et connait ses activités. Il ne le trouve pas sympathique. Il est le négatif  de celui qu’il envie : incapable d’agir, de séduire une femme, de construire ni de créer. Il écrit deux fois à Piero, ses lettres sont si maladroites qu’il ne recevra pas de réponse. Il n’arrive pas à l’aborder, il se replie sur lui-même : il rumine ses échecs tout en suivant minutieusement le parcours de celui qu’il admire sans oser se l’avouer.

L’essentiel de l’action du roman et de cette confrontation indirecte est décrite, principalement entre le 2 février 1926 et le 16 février de la même année. L’auteur laisse, de temps à autre, la parole aux protagonistes de ces deux destins opposés. Le 2 février, c’est le jour du départ en exil de Piero pour Paris, épuisé et le cœur déchiré de laisser sa nouvelle famille et ses activités. Il réside dans un hôtel lugubre de la rue des Ecoles : il tousse de plus en plus mais il croit encore à ses projets. Ses amis parviennent à le faire entrer dans une clinique. Il en sort parfois pour s’asseoir sur un banc du bois de Boulogne, proche de la clinique. Il a des quintes de toux de plus en plus fortes et il essaie de manger  une orange. A coté de lui, un jeune lui dit ‘Bonjour’, en français. Il lui répond ‘oui’ dans la même langue. Le dialogue tantas’arrête là. Or son interlocuteur est Montaldo qui l’a reconnu : il imagine mentalement tout ce qu’il va lui dire ; pas une parole ne sort de sa bouche, bloqué par son attitude d’échec. Il est venu à Paris retrouver une jeune photographe qui ‘le plaquera’ Le lecteur découvrira que le destin va intervenir  de façon tragique : il va  foudroyer un poète inspiré et laisser à ses doutes un torturé sans rémission.

Ce roman ne se limite pas à cette confrontation ‘en abîme’. C’est la description de l’univers affectif, intellectuel et culturel de deux jeunes turinois, avec leurs lectures, les auteurs qui les stimulent et les touchent. Ces choix sont sans aucun doute ceux de l’auteur. Il sait  faire vibrer les enthousiasmes de ces personnages qui annoncent ceux de toute une génération d’écrivains, entre les deux guerres : Pavese, Moravia, Malaparte, Levi, eux aussi victimes du régime mussolinien. C’est aussi l’évocation plus ample du climat de suspicion, de délation et de violences que faisaient régner, dès cette époque, les milices fascistes, pas seulement à Turin mais dans toute l’Italie.

Paolo di Paolo, né à Rome en 1983, a été découvert par Antonio Tabucchi. Il a été  le lauréat de plusieurs prix littéraires et finaliste en 2013 du prix Strega (le Goncourt italien). Il  écrit pour la télévision, le théâtre et d’importants quotidiens italiens. Tanta Vita ! est son premier roman publié en français ; il sera suivi de la traduction Dove cravate tutti ? (Où étiez vous tous ?.  Le souffle émotionnel de son écriture a été rendu avec fluidité par la traduction de Renaud Temperini, ce qui n’était pas évident.

Dans le domaine de ‘l’histoire des livres’, rappelons que ce roman évoque la figure d’un jeune poète inconnu Eugenio Montale (1896-1981) : il est publié, en prenant des risques, par Piero Gobetti avec  Ossi di sépia en 1925 ; il s’en montre peu satisfait et se plaint de la mauvaise qualité du papier.  Contrairement à son jeune et courageux éditeur, Eugenio Montale survivra au fascisme et aux aux tempêtes de l’Histoire : dans les années 50, il est une gloire de la vie littéraire italienne, il reçoit le prix Nobel de littérature en 1975. Il fonde un prix littéraire et récompense un poète baroque sicilien, Lucio Piccolo en 1954 ; celui-ci vient recevoir son prix en compagnie d’un cousin : c’est Giuseppe Tomasi di Lampedusa ; il salue, silencieux, Montale  qui ne le remarque pas; il n’a pas encore écrit Le Guépard publié à titre posthume (1958) mais le célèbre poète lui rendra hommage…La littérature italienne, en marge des grands textes, réserve, elle aussi, bien des surprises !

PHILIPPE GODOY

(« Philippe Godoy et Paolo di Paolo », photos D.R.)

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Littérature étrangères.

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commentaires

7 Réponses pour En fuyant la montée du fascisme

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…et, dire, tous ces partis-pris,!…promesses d »argent, d’égalité, d’opportunité,…pour les uns-abrutis,!…
…et, toujours pour les mêmes,…dessine moi un mouton de l’Optimum à Pareto,!…

…une certaine noblesse d’officiers  » crève-coeur « ,…14-18,…40-45,…du dégrossissage du peuple,!…
…le  » Règno d’Italia « , après l’assassina d’Umberto I,!…tient voilà du boudin,!…
…le Règno d’Italia,…avec l’Optimum du marquis Alfredo Pareto,…la science infuse de la pomme populaire à la pomme d’élite,!…

…la tenaille en bataille,!…en continue envoyer des troupes fraiches en éclaireurs,…dans des embuscades de connivences à l’ennemi,!…

…dans la première, aucun acquis territorial , par l’alliance en 14-18,…
…dans la seconde, payez les frais aux alliés,!…Oh,!…la misère,!…les immigrés, des pasteurs, des agriculteurs aux mines,!…
…vive, les deux guerres,!…à l’Optimum à Pareto,!…de Sade,!…quelle horreur nos  » intello’s « ,…encore une couche aux €uro’s des loobiyng’s,!…etc,!…

…t’a vu Honfleur, j’ai revu ta soeur,!…

…l’Italie forcée pour les riches-crétins,!…aux divers  » Sacra coronna armata  » des corporations de Mon-cul en l’air,!…

…plus ridicule tu meurs,!…Stop ou encore,!…tous les mêmes à se vendre & à baver pour les histoire d’argent,!…
…au fond,!… » Dallas « ,…pouvait être tourner à  » Rome « ,!…même combat de  » con-d’élite « , notoire,!…& succinct,!…
…Ah,!Ah,!…Bip,!Bip,!…Go,!…etc,!…
…envoyez,!…

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…t’a trouver çà tout seul,!…Oui,!…

…personne pour me souffler,!…fait comme ci,!…fait comme çà,!…etc,!…

luc nemeth dit: à

faccia tosta ! tu manques pas d’air, Giovanni Sant’Angelo, de brandir le nom de la Sacra corona (avec un seul « n », NdA) armata là où il est question de… Gobetti, celui à propos de qui Mussolini eut un mot resté célèbre : dans un télégramme au préfet de Turin il demandait de lui RENDRE LA VIE IMPOSSIBLE.

PS. pour le reste on attendra bien entendu d’avoir lu le livre mais Philippe Godoy, même s’il n’est pas le premier à s’égarer sur ce point, y va quand même un peu fort quand il pose Moravia et surtout Malaparte en… victimes, du régime.

Paul Edel dit: à

malaparte en victime du régime mussolinien? non.. pas vraiment..

luc dit: à

oui bien sûr, Paul… Mais à toute fin utile je précise que je ne soupçonne et n’accuse Philippe Godoy, de rien d’autre. Il se sera probablement laissé égarer par une soi-disant biographie parue en France en 2011 et dans laquelle le diplomate Maurizio Serra présentait sans rire ce personnage (gavé de subventions) comme un « romantique », un « révolté », un « rebelle ». Ben voyons…

Passou dit: à

Pardonnez-moi de vous répondre si tardivement mais j’étais à Rome à explorer la période ‘noire’ des années 30-40. Vous avez, dans un certain sens tous raison: Moravia et Malaparte n’ont jamais été condamnés à être exilés au ‘Confino’ comme Levi (d’où son magnifique roman ‘Le Christ s’est arrêté à Eboli’).
MAIS Moravia a vu ses romans interdits, au début des années 40, sans doute à cause de ses origines juives. Ensuite, il a été obligé de fuir Rome, ce qui a inspiré son roman ‘La Ciociara’.
Quant à Malaparte, son cas fait encore polémique aujourd’hui, en Italie (comme Pavese). Il était très surveillé par la milice fasciste; il a pris peur et il a retourné sa veste, ce qui lui sera reproché, surtout à titre posthume. Il a même utilisé sa vie privée, sa liaison avec la mère de Giovanni Agnelli. Après la guerre, son engagement communiste, son exaltation des régimes totalitaires communistes (surtout la Chine) étaient des moyens de se disculper.
…Le régime de Mussolini espionnait tous les artistes et écrivains qui n’étaient inscrits au parti!
Merci à tous pour vos réactions stimulantes.
Philippe Godoy

luc dit: à

Bonjour.
L’affirmation ci-dessous selon laquelle Malaparte « aurait pris peur », n’aurait qu’ensuite « retourné sa veste », et selon laquelle le fait ne lui aurait été reproché que « à titre posthume » se situe dans la même veine que les allégations de Maurizio Serra -mais résiste mal à la confrontation avec la réalité. Aussi, et en laissant de côté ce qui est déjà connu (à savoir que l’intéressé adhéra au fascisme dès le début) j’espère qu’à son prochain passage à Rome Philippe Godoy consultera aux archives (en ACS, Minculpop, registri) le « livre de paye » du ministère alors chargé d’arroser les journalistes et les écrivains. En ce qui me concerne j’ai eu l’occasion de travailler sur l’année 1938 et j’ai été frappé, à la fois par le montant -notamment en décembre une somme alors considérable de 10000 Lires- mais aussi par la régularité -notamment des mensualités de 3000 Lires- des subventions versées à celui qui était alors porté à bout bras et avait le c… bordé de nouilles, grâce à ses hautes protections -notamment celle de Ciano qui lui permit d’échapper au confino auquel, contrairement à ce qui est indiqué ci-dessous, il avait été condamné mais… dans le cadre de rivalités inter-fascistes. Enfin si le terme « polémique » comporte une part subjective : je n’ai pas l’impression que son « cas » fasse même… polémique, aujourd’hui en Italie.
En ce qui concerne Moravia je ne visais pas les « lois raciales » -auquel cas il fut bien entendu victime- mais l’aspect politique, même si son cas n’est en rien comparable à celui de Malaparte. Ce cas est intéressant, toutefois. Au motif que Moravia a pu être classé parmi les afascistes (cad. ceux qui, tout en refusant de se rallier au régime, n’écrivaient rien contre celui-ci), des ânes bâtés universitaires ont tenté de monter ce cas en mayonnaise pour dire qu’aurait existé sous ce régime une « zone grise », sic. Mais, si ces renzos et ces pierrots commençaient par lire les articles de Moravia ils sauraient qu’il a lui-même infirmé ce point de vue et reconnu que cette position de principe atteignait très vite sa limite et les amenait à se comporter, de fait, conformément à ce que le régime attendait d’eux.

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