Cette fouine si proustienne
Jacques Perret refusait de tenir un Journal au motif qu’il y voyait avant tout « une discipline de flic et d’indicateur ». En quoi on ne saurait lui donner tout à fait tort. A la lecture de certaines notes à leurs dates, parfois la nausée nous envahit ; et même si c’est une nausée de qualité quand le diariste a du talent (songez aux frères Goncourt ou à Léautaud pour ne citer qu’eux), l’abjection n’est jamais loin. Pourtant nous serions les derniers à réclamer une quelconque censure, qu’elle soit le fait de l’auteur même ou de son éditeur. Un Journal est un bloc, c’est donc en bloc qu’il faut le publier. A une époque où le principe de précaution n’avait pas encore fait les ravages que l’on sait, la direction des établissements Grasset en décida autrement.
Publié en deux tomes en 1987 et 1989, le Journal de Matthieu Galey (1934-1986) fut attaqué à Apostrophes par sa sœur, la journaliste Geneviève Galey, qui reprochait aux gens de Grasset de l’avoir émondé. Lui qui siégea à son comité durant un quart de siècle, il aurait pu se douter du mauvais coup. Il faut savoir gré à Jean-Luc Barré, rééditeur et préfacier de ce Journal 1953-1986, (981 pages, 30 euros, Bouquins/ Robert Laffont), de lui avoir donné une seconde chance en le publiant enfin dans sa version non expurgée. Un récit de l’intérieur de la comédie littéraire autrement plus fiable et plus écrit que celui de Jacques Brenner.
Les passages censurés figurent en italiques. Pour l’essentiel l’inventaire de ses amants (un prénom se substitue désormais à une initiale), des récits de drague gay, les grenouillages d’Yves Berger, directeur littéraire de Grasset, afin d’influencer les jurés des prix d’automne dans un sens qui ne fut pas défavorable à sa maison, et ses grandes manœuvres pour faire siéger ses auteurs autour de la table du 1er étage chez Drouant. Des corrupteurs ou des corrompus, on ne sait trop lesquels sont à sauver de ce marigot. C’était donc ça et cette fois, tous les noms y sont. Tout ça pour ça ?
Il avait successivement posé sa plume aux Cahiers des saisons, à Arts, à Combat avant de faire profiter durablement les lecteurs de L’Express de ses dons éclatants. Matthieu Galey avait de l’esprit à revendre ; étant revenu de tout avant même d’être parti, cette fouine si proustienne promena son désenchantement de cocktails en dîners, et ses désillusions de salles de rédaction en comités de lecture.
Teinté d’amertume de bout en bout, mais de l’esprit à revendre, son épatant Journal n’en est pas moins aussi croustillant que coruscant. « Je suis obsédé par l’âge : je fais une vieillesse nerveuse » note-t-il. Il contient ce qu’il faut de traits cruels, de bons mots, de confidences à ne surtout pas répéter, de méchantes saillies, de manifestations d’affections, d’exercices d’autodérision et même d’indulgence pour une société qu’il méprise au fond, pour s’attacher la curiosité des lecteurs les moins complaisants. Certains récits d’obsèques, où la veuve reçoit en l’église au sens mondain du terme, sont des morceaux d’anthologie. On voit défiler sous son œil de gérontophile ironique les fantômes de Chardonne, Morand, Aragon, Jouhandeau, Cocteau, Bastide, Yourcenar, Sarraute et alli sans oublier les salonnardes, la Noailles, la Gould, la Rochefoucauld… Que d’épaves d’une Atlantide littéraire qui survivra tant qu’il y aura des bouquinistes ! L’index des noms cités est un bottin de la république des lettres aux allures d’obituaire. Il est leur empailleur mélancolique, mais même pas déçu car on n’imagine pas qu’un esprit aussi aigu se soit jamais bercé d’illusions sur l’humanité de ces personnages.
Le diariste ne dit pas la vérité : il dit ce qu’il voit, ce qu’il vit, ce qu’il pense, ce qui est bien plus intéressant. Mais les pages les plus vibrantes et les plus vraies, c’est avant tout à la maladie de la mort qu’il les consacre : la sienne (maladie de Charcot) et celle de ses amis les plus proches (ce qu’on commençait à peine à nommer sida). Alors qu’il était déjà diminué (On dit « mourir à petit feu ». « A l’étouffée » serait plus juste »), Matthieu Galey se vit proposer par son éditeur un contrat pour son Journal ; il se retint de lui demander plutôt une concession. Ses derniers mots à la veille de s’éteindre seront pour son Journal:
«Dernière vision. Il neige. Immaculée assomption ».
Il arrive que les meilleurs critiques littéraires soient des écrivains ratés. Le cas de Renaud Matignon jadis au Figaro comme de Matthieu Galey. Son Journal aura été sa grande œuvre souterraine. Ce sera sa trace dans notre dérisoire postérité littéraire. Elle s’offre désormais aux lecteurs dans son intégrité. C’est le moment où jamais d’en profiter, pleinement cette fois. A picorer mais sans modération.
(« Matthieu Galey » photo Louis Monier ; « Jean d’Ormesson en action » illustrations de Jean)
419 Réponses pour Cette fouine si proustienne
Le Danube évite Prague mais les Habsbourg y ont fait déborder leurs pays…
Sous le pont Charles, à Prague, c’est la Moldau.
Rendons à Smetana, le Tchèque, ce qui est à Smetana
Mais si ! C’est passeque la Moldau so blau so blau…
Rappelons que Smetana n’est pas un compositeur suisse.
Ma polka préférée.
https://www.youtube.com/watch?v=tiiPb0h3CRs
superbe
Va pour la Moldau… Oui, c’est vrai Smetana, ah Smetana…
N’oublions pas Dvorak. Ici ses Valses opus 54, somptueusement -le mot n’est pas trop fort- jouées par le pianiste russe Yakov Flier. (Si vous n’en écoutez que deux, la 2e et la 5e).
Ça me rappelle un souvenir ancien. J’étais à la gare de Munich et je voulais prendre le train pour Prague. On m’avait indiqué un quai mais pas de train pour Prague sur le quai en question. Un monsieur propose de m’aider. Je lui explique que j’allais à Prague et que sur le quai indiqué, c’était un train pour Roscoff. « Non, Mademoiselle » me dit-il dans un bon français « c’est un train pour Rostock et il passe par Prague ». « Roscoff, c’est en Bretagne » ajouta-t-il d’un air moqueur « Rostock, c’est sur la mer Baltique ».
Wgg, il y a Don Giovanni de Mozart au Théâtre National de Marionnettes en ce moment. Ne ratez pas ça! En plus c’est un très beau théâtre ancien qui mérite la visite.
Il n’y a pas moins de sept synagogue dans la vieille ville ! Étonnant, dont une dite espagnole avec un intérieur mauresque, édifiée en 1868, Spanélska synagóga.
Le tchèque est une langue qui a pas mal palatalisé ses consonnes comme le polonais.
Oui, merci Lavande, je regarde où c’est sur le plan. Oui, en effet, faut pas rater ça. Une petite truite sur un lit de concombre après au palais palffy…
Rocksoff station (extrait des basement tapes); une contraction de Roscoff et de Rostock il semble
https://m.youtube.com/watch?v=p-sZFQTCtOs
Il y a aussi une galerie d’art pour les enfants. Je suis curieux de voir ça.
Le théâtre des marionettes est dans la vieille ville comme tout ce qui compte.
Une petite truite sur un lit de concombre
Il veut dire une andouillette frites rue André del Sarte.
Il y a encore des places pour le lundi 13. Je vais y aller.
Sergio dit: 6 février 2017 à 23 h 36 min
… et repique plein sud (au milieu des coteaux du Tokay !) sur Budapest.
Eh! bien dites donc, vous et la géographie, je me marre bien ce soir. Je vis peut-être sur une ile et ne sais pas qui est Zemour, mais le Danube, après avoir quitté les faubourgs est de la ville continue toujours vers l’est, passe en effet à proximité de Bratislava, traverse la splendide cité médiévale de Esztergom et sa magnifique basilique (Esztergom est un peu la Reims de la Hongrie), et c’est dans l’ancienne cité fortifiée de Vác que le Danube fait son fameux coude pour descendre plein sud vers Budapest. Depuis le bateau qui fait le trajet Budapest-Vác-Visegrád on aperçoit à l’entrée de Vác une très grande ancienne prison tout au bord du Danube. En face, à l’intérieur de la boucle, sur la rive droite donc, il y a la belle petite ville de Szentendre, où l’on peut voir un joli petit musée dédié au très beau travail de l’artiste-céramiste Kovács Margit (1902-1977)
Quant aux « coteaux du Tokay », ils se trouvent dans la région du bourg de Tállya, bien après Miskolc, donc tout à l’est, soit au mieux à 250 km du Danube.
On y fait un vin qui aurait fait tomber l’un de vos rois en pâmoison (Louis XIV? un autre Louis?). Celui-ci aurait dit, c’est en tout cas ce que disent les hongrois, que ce vin est digne d’un roi et le roi des vins. Oui, dans cette région, on y fait un vin doux (le aszù) classifié en nombre de puttonyos (je ne rentre pas dans les détails) d’une couleur or incroyable. Je prétend, mais je ne suis qu’un lambda, que certains puttonyos valent le château d’Yquem (blasphème?) J’ai dans ma cave un unique flacon de Tokay « harom puttonyos » (3 puttonyos) de 2005; ce sont des petites carafes de 0,5 L. Ici autour de chez moi je ne trouve personne pour apprécier un tel vin, et il me faudrait aussi un pâté de foie d’oies du Hortobagy, dans la région de Debrecen, et puisque je suis lancé, j’ajoute qu’à Debrecen il y a le musée Déri, à visiter absolument, en particulier pour les toiles du peintre Munkácsy; superbe!
Voilà, je retourne dans mon trou, j’ai fini, mais j’ai eu plaisir à bavarder avec Mr Sergio.
Claudio Bahia, merci pour cet excellent Magris de foie dans le canard hongrois qui rectifie le cours du blau donau, bleu seulement à Budapest. Misère de misère de ne plus trouver personne pour trinquer avec un tokay harom puttonyos, consolez-vous en vous promenant rue de Villiers, Paris 17, dans les volutes laissées par Munkácsy.
Roscoff-Rostock, parfum de Lavande qui prend le train dans la belle vieille Europe.
Chaloux dit: 7 février 2017 à 0 h 46 min
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c’est pas casher, Chaloux.
Má Vlást, de Smetana : une merveille accessible à tous, un excellent moyen de faire connaître et aimer le Classique aux enfants, pour peu qu’ils aient un minimum d’intelligence et de sensibilité ce qui n’est certes pas gagné de nos jours.
Je sais pas si j’ai mis les bons accents au bon endroor mais WGG me corrigera avec joie.
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