La déesse aux pieds nus
D’elle, on se rappelle un fourreau sombre, un déhanchement, un gant noir. Elle, c’est Gilda. La séduction incarnée. Hollywood dans toute sa splendeur de l’après-guerre. Ce miroir aux fantasmes où se fracassent les étoiles. Ainsi, Marylin. Ainsi Rita Hayworth, la Déesse de l’Amour. « Les hommes couchent avec Gilda mais ils se réveillent avec moi. » Les étoiles ne sont pas naturelles. Leur plastique est trop parfaite, le plus souvent artificielle. L’arme imposée par les magnats des studios : un sourire immaculé. Un seul mot d’ordre : l’éclat. Mais derrière ce mirage façonné par des agents et des publicitaires, que de petites filles meurtries. C’est ce que dévoile la romancière Stéphanie des Horts dans ce portrait en hommage à l’une des stars mythiques de l’Amérique.
Rita Hayworth est une redoutable création. Hollywood lui a donné un nom de scène, mais aussi une seconde peau, celle d’un sex-symbol, digne d’orner une bombe atomique et les vestiaires des GI. Née Margarita Carmen Cansino, l’adolescente brune et potelée deviendra mince, ses boucles auburn. On lui arrache les cheveux pour agrandir son front. Elle sait danser depuis toujours. Son père andalou lui a enseigné le flamenco, avec les coups, l’alcool et d’autres pulsions bien plus sombres. La petite figurante débute à quinze ans dans les studios de la Fox. Quelques années plus tard, Howard Hawks la lance dans « Seuls les anges ont des ailes« . Nous sommes en 1939, à l’aube d’une guerre mondiale. Rita ne cessera de danser, telle une funambule. Dans les films avec Fred Astaire, mais aussi dans la vie. Curieusement, elle ne chante pas, car sa voix n’apporte rien. On la double dans ses films musicaux. Pas dans sa vie.
En se glissant avec brio dans la peau de son personnage, la romancière restitue une voix intime, celle d’une femme passionnée, fragile, jalouse comme il se doit pour une gitane de Séville, qui rêve étrangement d’un amour bourgeois. Le destin le lui interdit. Elle épouse un génie, l’immense Orson Welles, le « rebelle d’Hollywood », créateur de « Citizen Kane« . Elle sait qu’il est l’homme de sa vie. Son inconstance la déchire. Elle le quitte, laissant en cadeau d’adieu le rôle d’Elsa Bannister dans « La Dame de Shanghai« . Une nouvelle fois, sur la pellicule comme dans la réalité, les miroirs se brisent.
Elle se réfugie dans les bras d’un prince oriental, play-boy séducteur, irrésistible. Ali Khan lui fait découvrir les palaces suisses, la Riviera, les grands couturiers. L’homme vaut son pesant d’or. Au propre comme au figuré. L’illusion de l’amour ne dure pas, à peine le temps de mettre au monde sa deuxième fille, après celle d’Orson. Rita sait choisir les pères de ses enfants. D’autres hommes passent dans sa vie, mais ceux-là ne comptent guère. Le bonheur persiste à la fuir. Seul reste le ronronnement des caméras.
Au fil de ces pages intuitives, impressionnistes, griffées par l’émotion sincère d’une romancière piquante qui ne résiste pas au charme de son héroïne, Rita Hayworth se révèle diablement attachante. C’est là le chic de Stéphanie des Horts, qui avait déjà retracé dans La Panthère le destin d’une femme méconnue, Jeanne Toussaint, la « joaillière des rois ». Si l’humour de ses romans qui s’attachent à des personnages fictifs se veut corrosif, ses portraits, toujours piquants, trahissent néanmoins une vraie sensibilité. Pour Rita viennent les heures sombres. Le rôle de « La Comtesse aux pieds nus » lui échappe. Ce sera Ava Gardner. Le flamboyant Ali Khan meurt dans un accident de voiture. Orson est loin, bien que toujours aimé. Rita se montre de plus en plus absente, angoissée. Incapable d’apprendre ses textes. On l’accuse d’être névrotique, de trop boire, comme sa mère. Hollywood ricane. Rien ne vaut la déchéance d’une étoile. La relève est assurée : Elizabeth Taylor, Marylin Monroe. La mémoire se fissure. Alzheimer, drôle de nom pour une maladie encore obscure.
Stéphanie des Horts
Le secret de Rita H.
275 pages
18,90 €
Albin Michel
4 Réponses pour La déesse aux pieds nus
Une image :
Superbe !
Je suis assez tentée de livre le roman de Stéphanie des Horts dont vous parlez bien. La seule chose qui me ferait hésiter, c’est d’avoir déjà lu le fantastique « Blond » de Joyce Carol Oates sur Marilyn Monroe. La comparaison pourrait s’avérer très difficile, voir décevante.
@Michèle Robach : Il est certain qu’on ne peut pas comparer Joyce Carol Oates à Stéphanie des Horts, vous avez parfaitement raison. Ce roman sur Rita Hayworth se veut simplement un charmant portrait où l’on découvre un personnage touchant.
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