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  L’archéologie de la haine

  L’archéologie de la haine

Par Nathalie Hirschsprung 

Romancier, essayiste et collaborateur régulier du Monde et de Tablet (NYC), Marc Weitzmann nous revient avec un titre qui en dit long : Un temps pour haïr (512 pages, 22 euros, Grasset). Dans nos sociétés, et la France n’y échappe pas, loin s’en faut, « l’honnête citoyen » est confronté à la désinformation, aux fake news, au politiquement correct et au prêt à penser.  Son essai/enquêteconstitue une magnifique antithèse aux logorrhées que nous subissons au quotidien et cette occasion qui nous est donnée d’échapper au manichéisme ambiant fournit une véritable et bénéfique bouffée d’oxygène. Une rencontre avec ses lecteurs, organisée par Vice Versa, la librairie francophone de Jérusalem, en a récemment témoigné. L’épigraphe du livre, qui donne le ton :

« Les faits sont toujours des faits effrayants et nous n’avons pas le droit de les recouvrir de l’angoisse qu’ils nous donnent, (…) nous n’avons pas le droit de falsifier ainsi toute l’histoire, de transmettre toute cette histoire comme une histoire toujours falsifiée par nous parce qu’on a l’habitude de falsifier l’histoire et de la transmettre sous la forme d’une histoire falsifiée, tout en sachant que l’histoire entière n’est qu’une histoire falsifiée qui n’a jamais été transmise que sous la forme d’une histoire falsifiée. Thomas Bernhard, L’origine.

Marc Weitzmann relève et dissèque, méticuleusement, sans animosité et sans extraire les propos de leur contexte (qualité rare de nos jours), un florilège d’allégations, de certitudes et d’écrits tous plus nauséabonds les uns que les autres. Mais pas que… Le point de départ du livre : de bien sombres constatations. La France a été le premier pays occidental à mettre un leader populiste aux portes du pouvoir. Dans les années 2010, elle est devenue le premier pays à envoyer des djihadistes vers l’Irak et la Syrie. Depuis 2015, avec près de 300 morts, elle occupe la première place dans le triste palmarès du nombre de victimes d’attentats majeurs. Trois « distinctions » dont on se passerait bien… Sans compter les agressions antisémites qui ne faiblissent pas.

Marc Weitzmann raconte que quand les attentats ont commencé, il s’est senti incapable d’écrire quoi que ce soit. Il a lu une prose florissante à l’époque, a trouvé certains écrits intéressants, mais a ressenti une forte insatisfaction face à des tentatives d’explications qui s’inspiraient toutes d’une seule et même grille de lecture, théorique et réductrice. C’est ainsi que lui est venue l’impérieuse nécessité de prendre de la hauteur et d’introduire dans le débat la complexité qu’il mérite ainsi qu’une pluralité de regards et de voix. Et le résultat est véritablement passionnant. Il est le fruit d’un travail minutieux de quatre ans, mais loin de constituer un point de vue « de plus » d’un auteur sur la question, il s’attache bien au contraire à « décortiquer » le sujet. Ecoutes des services secrets, comptes rendus de procès terroristes, rencontres avec des familles de djihadistes, rôle du numérique (des réseaux sociaux, des jeux vidéo dans tout le processus) certes, mais aussi et surtout des gros plans sur la manière dont les gens s’approprient et « disent » la haine. Il nous livre ainsi une remise en perspective de toute l’histoire de la haine des débuts à aujourd’hui, assortie d’un panorama très complet des différents facteurs d’explication.

La construction du livre rend sa lecture passionnante, haletante. La pluralité des voix, celles d’adolescents radicalisés, de familles de djihadistes, de djihadistes eux-mêmes, en alternance avec les voix d’écrivains, de journalistes, « d’humoristes », tout ceci croisant une analyse très fine de l’histoire qui a conduit la France là où elle en est aujourd’hui (histoire d’Ismaël Urbain, fonctionnaire de l’empire, le bourbier algérien, la position française face au dédale post-impérial…) fait de ce livre une exception dans ce qui se publie aujourd’hui. Il nous propose sans coup faillir une analyse brillante et implacable du « pourquoi » la France en est arrivée là. Des formulations très fortes, qui interrogent à juste titre : « Le paysage social et mental complètement ravagé qui sert de matière à ce livre a tant changé qu’il est devenu méconnaissable. » Ou encore : « Notre siècle est l’immense décharge à ciel ouvert de celui qui précède ».

Toujours au centre du propos, dans cette société qui va mal, une sorte de volonté de « transformation » qui caractérise la « quête » de nombreuses personnes évoquées dans le livre, qui cherchent à « devenir l’autre », ou « un autre », en tout cas à fuir à tout prix ce qu’elles sont, si tant est qu’elles soient capables d’être pleinement conscientes de qui elles sont. On ressent en permanence l’incapacité des personnes dépeintes à faire la différence entre le réel et le vrai, entre le bien et le mal. Y compris de « brillants intellectuels » qui auraient pu (dû ?) être nos guides dans l’étendue de ce marasme.

Nathalie Hirschsprung

(« Cathédrale de Chartres ces jours-ci », photo Passou)

Cette entrée a été publiée dans documents, LE COIN DU CRITIQUE SDF.

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commentaires

13 Réponses pour   L’archéologie de la haine

et alii dit: à

je crois volontiers que c’est aussi passionnant que c’était nécessaire;merci de nous le signaler;

Marie Sasseur dit: à

Apres le billet Gary, la douche froide.

« Et le résultat est véritablement passionnant. »

Le résultat de quoi?
De la montée du fn artificiellement favorisée et stigmatisée, par les mêmes qui en ont besoin?

Encore des jérémiades, et toujours des jérémiades.

Le vocabulaire, déjà, pensez à en changer, il a les mêmes couleurs que ceux que vous fustigez : haine, manichéisme, effrayant, sombre constatation, etc, etc.

Marre de cette propagande macroniste « mondaine ».

Hirschsprung dit: à

Merci pour ce retour positif. C’est effectivement un livre passionnant et enrichissant.

NATHALIE HIRSCHSPRUNG dit: à

Chère Marie, ce livre est tout sauf la propagande mondaine macroniste que vous fustigez. Lisez-le. Vous vous régalerez. Bien à vous.

Marie Sasseur dit: à

Photo Passou.
Dommage on eût préféré une photo de la librairie de Jerusalem, ou une photo du mur des lamentations.

Marie Sasseur dit: à

Merci Nathalie, mais non. Ne voyez dans ma colère, que celle à l’adresse de M. Weitzmann, dont on se demande, à lire votre chronique, -et sur la forme, il est de plus en plus rare d’etre conquis par une lecture, , parfois « futilités « – si quand il se lève le matin, c’est pour lui un jour de trop.
Je suis trop engagée sur le terrain, pour devenir une autre, hors-sol où n’y voir qu' »une décharge à ciel ouvert ». D’un populisme, l’autre, je ne choisis pas ce camp.

et alii dit: à

3 un temps pour tuer et un temps pour soigner les blessures, un temps pour démolir et un temps pour construire. 4 Il y a aussi un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser, 5 un temps pour jeter des pierres et un temps pour en ramasser, un temps pour embrasser et un temps pour s’en abstenir. 6 Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour conserver et un temps pour jeter, 7 un temps pour déchirer et un temps pour recoudre, un temps pour garder le silence et un temps pour parler, 8 un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps pour la guerre et un temps pour la paix. 9 Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de la peine qu’il se donne ?
qohelet

Janssen J-J dit: à

@ « On ressent en permanence l’incapacité des personnes dépeintes à faire la différence entre le réel et le vrai, entre le bien et le mal »

Pourquoi ne pas plutôt se concentrer sur celles et ceux qui savent encore faire la différence ? les gens de la vraie vie, juifs et non juifs, intellectuels ou manuels.

En quoi ce livre est-il plus passionnant et haletant qu’un autre, hormis la délectation masochiste et morbide de son auteur ?…
La vie n’est pas là où il semble vouloir la confiner, et la pulsion de vie reste plus forte que celle de la mort, si l’on en croit les stats de la démographie mondiale.

NATHALIE HIRSCHSPRUNG dit: à

Avez-vous lu le livre ? En connaissez-vous le propos ? Le point de départ du livre de Marc Weitzmann est la vague d’attentats qui a frappé la France. Un temps pour haïr est une vaste et passionnante enquête sociologique, politique, intellectuelle et intime. L’auteur a pris le parti du questionnement, du doute et d’une lucidité en quelque sorte impuissante. Il s’est attelé à la tâche de « montrer ce qui est ». Il y a beaucoup à raconter, beaucoup à voir, et le travail méticuleux d’enquête mené par l’auteur fait contrepoint à la vague de propos subjectifs et surtout non étayés qui ont été proférés autour de ces événements douloureux. Rien de masochiste ni de morbide dans tout cela, bien au contraire.

et alii dit: à

je découvre, à l’occasion d’une recherche sur la toile qu’il y a eu un film:
1958 : Le Temps d’aimer et le temps de mourir (A Time to Love and a Time to Die) de Douglas Sirk : Gestapo Lieutenant (article kinski)

et alii dit: à

L’identité juive en question : Irène Némirovsky, Patrick Modiano, Marc Weitzmann
par Elena Quaglia
s’agit en particulier d’interroger la mise en scène de la judéité au croisement entre discours autobiographique et discours social. Les oeuvres de Némirovsky, Modiano et Weitzmann sont notamment emblématiques d’une mise en question de l’identité juive, par une réappropriation, parfois ambiguë, parfois détournée, du discours antisémite.L’analyse des textes, parcourant presque un siècle, permet d’ouvrir une perspective spécifique sur la littérature française, jusqu’à ses développements les plus récents. Notamment, la question du terrorisme, liée à la situation au Moyen-Orient, le rapport avec Israël et, enfin, avec une mémoire des camps qui est de plus en plus une post-mémoire, sont au centre non seulement des écritures de la judéité, mais, plus en général, des tendances actuelles de la littérature française. Même au niveau esthétique, des formes textuelles codifiées et répandues dans la contemporanéité, comme l’autofiction, le récit de filiation ou le roman archéologique semblent très aptes à accueillir les interrogations autour d’une identité juive fuyante ou problématique.

MICHEL GUIDONI dit: à

la question qui me taraude concernant la montée de la haine est celle des kamikazes. par quel(s) processus peut on amener des jeunes gens à se sacrifier en immolant des victimes innocentes à un moment de leur propre existence, où précisément la pulsion de vie est si prégnante?
cela me semble aller bien au delà d’un sentiment de la haine « ordinaire ».
existe t’il un (des) ouvrages qui se sont plongés sur cette problématique?

guidoni michel dit: à

je ne partage pas le terme de « passionnant » utilisé Par NH. c’est un livre « interessant » qui fournit beaucoup d’informations .Mais son grand défaut est l’absence d »esprit de synthèse.On attend une opinion sur la question bien posée au début: quelle part attribuer à la religion islamique sensu stricto d’une part,et aux facteurs socio-culturels d’autre part,dans le terrorisme dit islamique. Il y a des éléments de réponse dans le livre, mais l’auteur se contente d’accumuler des faits sans vraiment in fine proposer une réponse à la question

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