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La République des livres
N° 7 Paul Valéry prend le train onze

N° 7 Paul Valéry prend le train onze

Par Jacques Drillon

La fierté de ceux qui parlent des « arts circassiens », pour parler du cirque. Leur plaisir, leur délectation. Ils emploient un mot qui veut dire « de Circassie » (une région du Caucase), ou qui désigne une certaine étoffe de laine et coton, la circassienne. Mais cirque, circassien, ça commence de la même manière. Pourquoi ne pas en profiter ?

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Dans son livre sur la musique française de piano, Cortot consacre tout un chapitre à Igor Stravinsky.

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(Suite)
Le Concerto pour la main gauche de Ravel, que Cortot jouait à deux mains. Il répondait à Ravel ulcéré qu’un interprète avait le choix de ses doigtés.

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Rilke envoyant à Lou Andrea Salomé tous les volumes de Proust qu’il a trouvés chez son libraire.

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Le « bouillon d’onze heures » : breuvage empoisonné. Un des rares exemples d’élision avant onze, avec les « dames d’onze heures » (ces fleurs délicates qui ne consentent à s’ouvrir qu’au moment de l’ensoleillement maximum, et que l’Académie, pour se faire remarquer, écrit avec des traits d’union partout). On dit : « le dernier de onze candidats », « ils ne sont que onze », « la onzième heure »… On ne lie pas la consonne qui précède : « nous étions onze », et non étions-z-onze, « mes onze premières années », et non mes-z-onze. Littré explique ainsi cette exception, qui nous fait faire un odieux hiatus : « La prononciation de onze comme s’il était précédé d’une aspiration vient de la tendance du vieux français à faire précéder d’une h les mots monosyllabiques ou du moins les mots à une seule syllabe sonore, commençant par une voyelle : haut, huit, huile, huître, etc. »
Prendre le « train onze », en argot, signifie aller à pied, sur deux jambes. Et voir La dame d’onze heures, c’est assister à une projection du film de Jean Devaivre, avec Paul Meurisse (1948). Mais cela n’arrive pas tous les jours.

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Faire ses courses panier à la main, ce n’est pas faire ses courses panier à la main. Cela s’appelle :

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La mère de Resnais, qui lui demandait pourquoi il ne faisait pas des films comme les autres.
– Parce que les autres le font.

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La chemise toujours neuve des hommes politiques.

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« Allo ? Bonjour, je suis monsieur P***, votre nouveau conseiller financier, à la banque X. Je serais très heureux de vous rencontrer pour que nous fassions connaissance…
– Mais avec plaisir ! Voulez-vous jeudi à 11 heures ?
– C’est parfait. Jeudi à 11 heures.
– Vous avez bien mon adresse, n’est-ce pas ? Oui, forcément, suis-je bête. Vous verrez, c’est très facile à trouver. »
En général, ça les calme. Ils se décommandent la veille, remettent leur Codévi dans leur culotte, et vous fichent la paix jusqu’à leur mutation.

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Un couple divorce. Le conjoint qui a pris le nom de l’autre au moment du mariage (traditionnellement la femme, qui a pris le nom de son mari) peut choisir de reprendre son patronyme, ou de garder le nom marital. Dans ce cas, le mari doit donner son autorisation ; il peut aussi, s’il le désire, ou s’il le mérite, ou pense le mériter, vendre son nom à son ex conjointe.

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Ceux qui parlent en dormant. 46% des mots prononcés sont des exclamations du type : « oh », « ah », « eh », « hue », « hou », « tss », « oh la la », « ouh la la », « pft ». Un tiers des phrases prononcées lors du « sommeil lent » sont du type de celles-ci, à première vue assez grossières : « Putaaaain oh fait chier », « Non putain quelqu’un m’entend ? », « Aïe aïe aïe aïe putain, putain, putain, putain, oh putain ! », « Putain, qu’est-ce que c’est que ça », « Puuu-tain ! Putain, c’est quoi, ça ? », « Putain, j’entends plus rien ! », « J’ai mal, putain ! »

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Les vaporisateurs d’ADN. Branchés à des alarmes, ou déclenchés à volonté, ils envoient sur les individus une brume « inodore et inoffensive » d’eau et d’ADN synthétique, lié au lieu de l’action : banque, magasin, centre commercial, Champs-Élysées… Elle tient trois mois sur la peau, et quasi éternellement sur des vêtements. Si vous êtes suspecté d’être passé à cet endroit au moment où un délit a eu lieu, la police vous fait passer sous des UV, l’ADN est aussitôt visualisé : vous étiez bien sur les lieux du crime, hop au trou.

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Les Japonais, si vifs, si rapides, et dont le cinéma est si lent. Jusqu’à leur pornographie, interminablement préliminaire.

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Après « Pourquoi écrivez-vous ? » (revue « Littérature », 1920), il y a eu « Pour qui écrivez-vous ? », enquête inspirée par Gorki et lancée par Aragon en 1934 dans « Commune », en réponse « communiste » à la précédente. Mille et cent questions furent ainsi posées aux écrivains, depuis qu’il y a des écrivains et des questions. À « Que souhaitez-vous le plus ? », Valéry avait répondu : « Me réveiller. »

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L’ordre alphabétique : classement de fainéant. Dubillard imagine un squelette humain dont les os seraient disposés par ordre alphabétique, en partant du bas. Cela donnerait : acromion, axis, atlas, calcaneum, carpe, clavicule,  coccyx, côtes, crâne, crête iliaque, cubitus…

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j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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commentaires

7 Réponses pour N° 7 Paul Valéry prend le train onze

Guy Millé dit: à

Bonjour Jacques
Le vendredi est devenu un jour un peu particulier avec ce bonheur matinal de vous lire dans cet exercice des Petits Papiers. Je n’aime pas le mot exercice, mais je n’en ai pas trouvé d’autre. En tout cas, que ces papiers soient recollés, découpés ou « petits », ils continuent d’étonner, et de provoquer une une grande variété de sentiments. J’ai voulu vous écrire après la lecture de Face à face, plus encore après celle de Cadence, et je n’ai rien fait de tout cela. Peut-être aurai-je un jour le plaisir de le faire de vive voix ? Amitié
Guy Millé

Brigitte T dit: à

Le Codevi se prononce Livret de développement durable depuis 2007. Prenez rendez-vous au plus vite avec votre conseiller bancaire pour une mise à jour 🙂

Jean-Michel Verneiges dit: à

Cher Jacques,
Ce « Pourquoi écrivez-vous ? » rappelle la réponse de Proust pour la revue en question, après le Goncourt:  » Pourquoi j’écris…mais pour qu’on parle de M.Dorgelès. »
(Cité par Thierry Laget dans son Proust, prix Goncourt, Gallimard, 2019, p.196).
Peut-on être plus cruel, méchant et drôle en moins de mots ?
Amitiés.
Jean-Michel Verneiges

Jacques Drillon dit: à

Livret de développement durable. Comme disait Paulhan, la vie est pleine de choses redoutables.
J. Dr.

RomainT dit: à

Bonsoir, quelle est votre source pour Cortot qui jouait le Concerto pour la main gauche à deux mains ?
J’avais lu que Ravel lui-même avait pu le jouer à deux mains en privé (pour montrer la musique), étant le pianiste modeste que l’on sait. Mais Cortot, je suis étonné.
Merci à vous !

Jacques Drillon dit: à

A RomainT
C’est une histoire fort connue. Je crois que Ravel voulait même lui intenter un procès… Voyez la conférence que donna Cortot le 10.2.38 à l’Université des Annales, dans laquelle il résume leur différend. Citée dans l’Intégrale Ravel (Le Passeur, 2018), p. 1339. Cortot y cite Ravel, qui souhaitait précisément que cela sonne comme un concerto « pour les deux mains ». Oui, mais joué par une seule. De là leurs deux positions esthétiques, irréconciliables. Une thèse est en cours sur la transcription de Cortot (par Vincent Bridet, Université de Lorraine), laquelle, sauf erreur de ma part, est visible à la Médiathèque Gustav Mahler.

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