de Pierre Assouline

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Le songe d’une nuit de théâtre

Le songe d’une nuit de théâtre

Une pièce, on y met ce qu’on veut. Qu’on la mette en scène, ou qu’on y assiste, il est permis de la bousculer, et même de lui faire violence, donc de la violer dès lors qu’on lui fait un bel enfant (merci Dumas !). Ce genre de réflexion est inévitable lorsqu’on assiste à un spectacle tel que Le Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream, écrit en 1594) monté par Muriel Mayette-Holtz depuis hier à la Comédie française. On peut tout faire subir à Shakespeare, il en sortira toujours vainqueur. Ce qui est rassurant. Tel est le privilège des génies : leurs chefs d’œuvre sont insubmersibles. Ils survivent tant aux outrages qu’aux hommages.

Quelle histoire raconte la pièce ?

« À Athènes, Thésée s’apprête à célébrer ses noces avec Hippolyta, la reine des Amazones. Dans la forêt avoisinante, Obéron, roi des fées, se dispute avec Titania, sa femme, au sujet de leurs nombreuses conquêtes passées et présentes. Ajoutons deux couples d’amoureux contrariés – Hermia, qui est amoureuse de Lysandre mais promise à Démétrius, lequel est aimé d’Héléna – et des artisans partis répéter une tragédie pour les noces de leur roi, sous la baguette du truculent Bottom. Tout ce petit monde finit par se retrouver dans la forêt, où les sortilèges d’Obéron, aidé par le lutin Puck, vont semer la confusion au cours d’une nuit dont personne ne saura vraiment si elle est un rêve, un jeu ou un fantasme. Un songe ? »

Mais, on le sait, une pièce, pas plus qu’un roman, ce n’est un sujet, et moins encore celui annoncé par son résumé. Celle-ci, telle qu’on peut la voir au Français jusqu’au 15 juin, est une machine à fantasmes, mais une machine fantastique dans la double acception du terme. Un spectacle conçu pour divertir dans la fantaisie la plus débridée. Le rêve y prend sans cesse le pas sur le désir. Ou plutôt sur « les » désirs puisque le désir sexuel s’y bat en duel avec le désir amoureux sans qu’ils aient à se fondre automatiquement.gp1314_songedunenuitdete

La mise en scène s’est voulue respectueuse des intentions de l’auteur, c’est à dire aussi irrévérencieuse que lui. Elle est très physique, dansante, virevoltante, attentive à la gestuelle, indifférente aux détails pour mieux servir les acteurs, le théâtre de Shakespeare autorisant toutes les libertés formelles (très loin des didascalies contraignantes d’un Beckett par exemple). Le plus réussi est la mise en abyme du théâtre dans le théâtre. Ce n’est certes pas nouveau, et de moins en moins original ; sauf que là cela prend naturellement, sans l’ombre d’un procédé. Shakespeare accorde toute liberté à celui qui voudra s’emparer de sa pièce ; reste voir et à savoir ce que celui-ci en fera.

Dès le début, les comédiens surgissent dans le théâtre allumé, s’installent aux premier rangs parmi les spectateurs, et reviennent à la fin pour le morceau de choix, afin d’assister à la représentation, tordante il est vrai, d’une troupe de théâtre amateur offerte à Thésée pour son mariage. Excellent prétexte pour s’interroger sur l’(in)utilité, la nécessité, la vanité du théâtre. Dès lors, il n’y a plus de salle et plus de plateau, plus de lustres et plus de planches. Les frontières se sont dissolues dans l’émeute de fantasmes à laquelle nous avons assisté deux heures durant (sans entracte) dans une fête féérique. Le fond uniformément blanc du décor, composé d’un grand drap tendu, donne sa couleur au rêve.

Le spectacle est rapide, vif, enchanté – et l’inventivité des costumes n’y est pas étrangère. C’est que la troupe y prend manifestement un plaisir fou tant Shakespeare en a habilement agencé les ressorts comiques en jonglant avec ses fées et ses spectres. Un délire parfaitement maîtrisé se déploie sous nos yeux avec ce qu’il faut d’hallucinations. On est toutefois moins chez Jérôme Bosch, comme le laisse croire le programme en reproduisant le Jardin des délices et la Tentation de Saint-Antoine, que chez James Ensor.

On rit souvent, mais du rire de Shakespeare qui n’est pas celui de Feydeau, encore que la mise en scène fasse aussi la part belle au comique de situation, quand les comédiens ne se délectent pas de l’humour du texte. Deux réserves toutefois, même si elles ne nous feront pas bouder notre plaisir : la musique, avec ses accents de comédie musicale du pauvre, qui semble être désormais la règle au théâtre, mais qui fait du tort au texte quand elle le couvre (mais il paraît qu’en 1965, pour la même pièce sous les mêmes lambris, c’était jazz et sirtaki !) ; et la traduction de François-Victor Hugo, classique et poussiéreuse ô combien, et libre de droits (1865), là où on aurait préféré les mots de Jean-Michel Déprats, André Markowicz et Françoise Morvan, Pascal Collin, Yves Bonnefoy ou d’autres encore à qui la commande aurait pu être faite par rapport à cette nouvelle mise en scène, quitte à privilégier la dimension poétique ou théâtrale. Ainsi entend-on Thésée répondant à Hippolyta :

“Au cours de mes périples, de grands savants ont voulu me saluer par des compliments prémédités ; alors, je les ai vus frissonner et pâlir, s’interrompre au milieu des phrases, laisser bâillonner par la crainte leur bouche exercée, et, pour conclusion, s’arrêter court sans m’avoir fait leur compliment. Croyez-moi, ma charmante, ce compliment, je l’ai recueilli de leur silence même. Et la modestie du zèle en déroute m’en dit tout autant que la langue bavarde d’une éloquence impudente et effrontée. Donc l’affection et la simplicité muettes sont celles qui, avec le moins de mots, parlent le plus à mon cœur.

C’est le moment où jamais de (re)lire la réflexion qu’inspira l’exercice de traduction des oeuvres de Shakespeare, désigné comme l’auteur qui se défend le mieux contre ses traducteurs, à un certain… Victor Hugo, justement.

(Photos Christophe Raynaud de Lage)

Cette entrée a été publiée dans Théâtre.

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commentaires

1 013 Réponses pour Le songe d’une nuit de théâtre

JC..... dit: à

Inutile de se fatiguer, gardons nos forces pour le futur billet…

renato dit: à

Je vois ça, il faudrait commencer pour vous cultiver un brin… au delà du banale apprendre par cœur… puis, éventuellement vous taffez à mon cas…

JC..... dit: à

Quelle source de joie de ne plus voir en tête de billet cette bagarre entre un sunnite et un chiite, indécents barbus tentant de convertir cette pauvre gamine aux joies explosives d’un priapisme religieusement modéré …!

Diagonal dit: à

le futur billet ? sur l’auteur des Champs d’honneur ?

JC..... dit: à

Christiane,
Arthur, c’est Mac

Duchamp dit: à

Un peu lu le fil des posts.. misère! et moi qui espérais entendre parler de Mayette et de son Songe. A défaut, du rapport que sa gestuelle passée, futur et à venir entretient, a entretenu ou entretiendra avec la danse, ou bêtement le sport comme son rapprochement insolite avec Holtz peut laisser l’espérer ?.. Au lieu de quoi, je me fade les tartines de tonton Chaloux, qu’au début je trouvais buvable, et qui maintenant se transforme en père fouettard casse couilles obsessionnel, tel Murphy-Peter O’Toole qui finit par non seulement nous emmerder mais s’auto-détruire, avec son attitude de petit kapo de base contre Bouguereau, « j’en ai pas encore fini avec toi » et tutti quanti. Menaçant, lourdingue et crypté, genre mec de la Stasi qui se repasse la bande en boucle!

Dites, c’est pas bientôt fini? Y a des hôtels pour ça.

Mme Michu dit: à

la nature d’un Etat fédéral se refuse à la compréhension…

À trop vouloir être plus roitelet que le roitelet on risque de finir par perdre en masse critique. Comme il paraît qu’inviter les envahisseurs chez soi pour compenser ça peut aussi être dangereux il serait peut-être temps aux fenêtres d’être ouvertes sur le monde plutôt que tenir absolument à se la jouer miroirs de salon..

Mme Michu dit: à

Si c’est pour puer le renfermé, autant s’y prendre au moins de cons à la fois possible..

renato dit: à

Mme Michu dit: 15 février 2014 à 17 h 47 min

Je répondais à ça :

« Frontières grandes ouvertes aux délinquants de toute sorte, à tous les trafics dont bien sûr la drogue et les armes, impôts, taxes et amendes de toutes sortes pour les nations qui ne se plient pas assez vite aux décisions communautaires plus tordues les unes que les autres, perte de contrôle totale des devises, contribution obligatoire au sauvetage du fiasco général, négation et dissolution des cultures, y compris agricoles, usines à gaz idéologiques, bras grands ouverts à la haute finance omnipotente et véreuse. »

Où l’écrivant semble ne pas comprendre que c’est justement l’absence d’un État fédéral qui produit les dégâts décrits.

des journées entières dans les arbres dit: à

« et moi qui espérais entendre parler de Mayette et de son Songe. A défaut, du rapport que sa gestuelle passée, futur et à venir entretient, a entretenu ou entretiendra avec la danse, ou bêtement le sport comme son rapprochement insolite avec Holtz peut laisser l’espérer ? »
Les draps tendus du lit des songes ?
Vous vouliez des petits potins sur Gérard ?
Alors disons qu’il n’a pas laissé- plus jeune-sa part aux lions. Au lit, je veux dire.
Il pose maintenant en peignoir, la mine fatiguée des petits matins , -vous savez bien, le soir des lions, le matin ?- dans des magazines, que l’on trouve dans la salle d’attente chez le dentiste.
C’est dur de rire, je vous le dis, la bouche fermée.

wim dit: à

il était autrichien

des journées entières dans les arbres dit: à

andré markowicz dit: 11 février 2014 à 16 h 47 min

M. Markowicz, (si vous repassez) quelle nuit !
Le grand Bill en est tout retourné.
http://www.youtube.com/watch?v=DtnvtFKSjUs

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