Le superhéros français est avant tout littéraire !
D’Artagnan, Cyrano, Gavroche, Astérix…l’imaginaire collectif des XIXème et XXème siècles – qui exacerbe la sensibilité individuelle et pose la primauté de l’âme – est bien à l’origine de ces supermen à la française, véritables incarnations du héros populaire, hardi et tout-puissant. Ces quatre personnages constituent bien des individualités : ils sont dotés de pouvoirs tels qu’on ne peut les confondre avec l’homme ordinaire, et deviennent, de fait, extra-ordinaires.
De surcroît, à défaut d’être des justiciers, ces quatre « superhéros littéraires » sont des redresseurs de torts au sens chevaleresque du terme. De l’amour de Cyrano de Bergerac pour Roxane à la dévotion républicaine de Gavroche, en passant par la volonté d’Astérix de protéger son village et le souci de D’Artagnan de sauver l’honneur de la reine de France Anne d’Autriche, ils ont tous en commun une vertu qui contribue à affirmer leur unicité : le sens du sacrifice.
L’ « âme du superhéros » littéraire est un souffle de vie intérieure, un élan dichotomique à la fois hédoniste et oblatif ; elle est une disposition naturelle à la bravoure et à l’aventure, qui conduit à vivre intensément : cependant, l’envergure des risques que le « superhéros littéraire » est disposé à prendre, ainsi que l’exceptionnelle frénésie vitale qui l’anime, lui confèrent quelque chose d’étrangement surnaturel, qui fascine les lecteurs. La poussée de vie du « superhéros littéraire » français renvoie l’image d’un individu frivole, mais fier et audacieux, à la fois fin et provocateur : dans Les Trois Mousquetaires, D’Artagnan paraît simultanément féru d’opulence et de cuisine :
« D’Artagnan se trouva donc assez humilié de n’avoir eu qu’un repas et demi, — car le déjeuner chez le prêtre ne pouvait compter que pour un demi-repas, — à offrir à ses compagnons, en échange des festins que s’étaient procurés Athos, Porthos et Aramis. »,
et fougueux, désireux d’en découdre :
« — Eh ! monsieur, s’écria-t-il, monsieur, qui vous cachez derrière ce volet ; oui, vous ! dites-moi donc un peu de quoi vous riez, et nous rirons ensemble. »
D’Artagnan a de l’esprit dans sa façon de provoquer en duel l’adversaire ; cette dualité entre élégance belliqueuse et volonté de faire bonne chère est également manifeste chez le héros gaulois Astérix, qui semble, dans La Grande Traversée, résumer une certaine forme de ce que l’on pourrait précisément appeler l’esprit français :
« Nous sommes courageux… Nous n’avons peur que d’une chose, c’est que le ciel nous tombe sur la tête… (…) Nous aimons bien manger et bien boire… (…) Nous sommes indisciplinés et bagarreurs… (…) Bref… Nous sommes des Gaulois ! »
S’ils ne se caractérisent pas par un lien avéré avec la nourriture abondante, Cyrano de Bergerac et Gavroche n’en déploient pas moins une fureur de vivre teintée d’humour et d’inventivité verbale. Pauvre et abandonné, Gavroche est un enfant des rues parisien « joyeux », qui « (…) connaît des voleurs, parle argot, chante des chansons obscènes, et n’a rien de mauvais dans le cœur. » (Les Misérables). Il est héroïque dans sa manière de défier l’ordre moral établi par l’autorité du roi Louis-Philippe d’Orléans, non seulement par la pratique d’un jargon argotique et obscène qui le situe d’entrée de jeu en dehors de la polis, mais aussi et surtout par sa gouaille, qui le conduit à railler les gardes nationaux en chantant le Mandement des vicaires généraux de Paris de Béranger, alors même qu’il sort de la barricade sous les tirs des soldats, pour récupérer les cartouches des morts.
Ainsi, loin de se précipiter au combat physique, le « superhéros littéraire » français prend le temps de savourer la moquerie qu’il commence par infliger à son adversaire : le tourner en dérision c’est déjà l’affaiblir, et ce n’est pas la célèbre tirade du nez – d’ailleurs parodiée par Astérix dans Le Cadeau de César – qui viendra invalider cette idée de l’importance de la verve pour déstabiliser l’ennemi, avant d’en venir à l’épée. Le cas de Cyrano de Bergerac semble suggérer que le « superhéros littéraire » français est en net contraste avec l’individu ordinaire, hâtif et transi d’inquiétude face à l’adversité : c’est paradoxalement lorsqu’il est face à son ennemi que Cyrano déploie l’étendue de sa sérénité et de la maîtrise de ses qualités intellectuelles. En ce sens, il est un maître du temps : à aucun moment il n’est rattrapé par la crainte du duel ; c’est lui qui décide du moment où la ridiculisation verbale s’arrêtera pour céder la place aux armes, et donc, au combat régi par la force physique.
On parle volontiers de force surhumaine pour désigner les aptitudes physiques naturelles d’Astérix (et, au demeurant, des autres habitants du village d’irréductibles Gaulois), surnaturellement décuplées par la potion magique du druide Panoramix. L’invincibilité qui fait du « superhéros littéraire » français un surhomme va au-delà de l’excellence des ressources physiques : l’adresse guerrière se mêle à l’astuce et à la vitesse pour créer un potentiel surnaturel qui donne l’illusion de pouvoir braver la mort. D’Artagnan et Cyrano sont des héros de cape et d’épée, Cyrano impressionne d’autant plus qu’il peut se battre contre cent hommes ; il suffit d’une baffe à Astérix pour terrasser un légionnaire romain ; Gavroche semble, quant à lui, devenir une cible inatteignable pour les gardes nationaux. La mort vient pourtant rappeler que, comme tout être humain, ces surhommes sont voués à la finitude. Victime d’une embuscade, Cyrano de Bergerac est mortellement blessé et meurt auprès de Roxane ; une balle « (…) mieux ajustée ou plus traître que les autres (…) » finit par avoir raison de Gavroche. Enfin, que deviendrait l’héroïsme d’Astérix sans la potion magique de Panoramix ?
Le plus grand des superhéros reste sublimé par son humanité, et c’est bien pour cela que le moment de sa mort nous touche profondément.
ROMEO FRATTI
5 Réponses pour Le superhéros français est avant tout littéraire !
est ce qu’ils sont laïx?
Les français se damneraient pour un bon mot.
Cyrano et D’ Artagnan.
Abel Gance les a réunis le temps d’un film, peut-être extrait de Paul Féval fils.
Cyrano et la Mangeaille : il y a le quatrième acte, l’épreuve de la faim, close par l’arrivée du Carrosse de Roxane. Mais il est vrai qu’entre temps, le héros l’aura dominée et plus important fait dominer aux autres par
Le couplet sur la Gascogne
Ah ça, mais vous ne pensez donc qu’à manger?
Approche, Bertrandou, le fifre, ancien berger
Des vieux airs du pays etc
J »aime que leur souffrance ait changé de viscère
Et que ce soient leus cœurs maintenant qui se serre. »
Gavroche est qualifié de « Pauvre petite grande ame » par son créateur. Ce n’est pas le meme registre et la thématique des Misérables exclut cette faim là. Pas un hasard si Hugo fait voyager Jean Valjean dans L’Intestion de Léviathan, les égouts de Paris;
En fait, je crois que la recobstruction du héros gaulois doit beaucoup au Dix-Neuvième siècle, qui, réhabilitant Rabelais, rend du meme coup accessible des textes assez rares. Ce n’est pas un hasard s’il existe vers 1840 une Bibliothèque Gauloise, le mythe du héros mangeur se recréant à cette époque là, autour notamment du Bibliophile Jacob auteur d’une vie de Rabelais aussi trompeuse qu’inexacte. Et dans cette bibliothèque de l’éditeur Delahays plus tard reprise par l’elzévirienne, ressortent le Francion de Sorel, les oeuvres de Du Fail, le Faeneste de d’ Aubigné, toute une généalogie mythique du héros grotesque, fort en gueule, porté sur les plaisirs de la bouche, avec un courage parfois matamoresque parfois réel. Ce sont les ancêtres valorisants ou déformant que la grande Bourgeoisie de l’époque se donne. Force est de constater qu’ils n’ont pas grand chose à voir avec ceux, mythiques, de la Monarchie. Le Romantisme, les Lettres sur l’Histoire de France d’Augustin Thierry, la Révolution et les betises de la Restauration ont passées par là.
MC
Il existe par ailleurs une fixation sur la bouche: je parle ou je mange, voilà qui est fort français. La pulsion orale que l’on retrouve hélas dans les tribunaux (quand même l’avocat est chez nous une sorte de demi dieu sorti de l’ancien régime et sublimé par la révolution – la révolution combien d’avocats?) commence avec la hâblerie et finit en un bon repas. Tout cela est un peu infantile et fatigant. D’un sens l’autre, je mange je parle; définir l’Histoire de France et sa géographie en une pulsion bien infantile… voilà qui est touchant !
Bertrandou et « tire à ce tas de goinfres et de pitres d’un de tes fifres ces bons airs du pays au doux rythme obsesseur dont chaque note est comme une petite sœur » (à peu près le texte!)… il y a à boire et à manger là dedans le fifre est un instrument oral, ben tiens évidemment!! Ah la bouche quand tu nous prends et Cyrano est pur langage de théâtre, hors la bouche donc on y parle de bouffe, dans la bouche. C’est Gargantua qu’on assassine !
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