Les libraires ont-ils une conscience ?
Au fond, les libraires ont ceci de commun avec les éditeurs qu’eux aussi pourraient faire leurs la formule de Gaston Gallimard : « Nous ne sommes pas des commerçants comme les autres : nous avons passé un pacte avec l’esprit ». Sinon les livres seraient des produits comme les autres et ça en serait fini de cette fameuse exception culturelle que le monde entier (ou presque) nous envie. Les uns et les autres exercent une responsabilité. Pour être libraires, ils n’en sont pas moins humains, avec ce que cela suppose de dilemmes. Non pas : être ou ne pas être, mais dans une variante un peu moins existentielle : vendre ou ne pas vendre.
En ce moment, c’est de La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré) d’un certain Eric Zemmour qu’il s’agit. Il est des libraires un peu partout en France qui ne peuvent pas vendre « ça » ; c’est au-dessus de leurs forces ; leur conscience le leur interdit. Question de morale, de civisme ou parfois d’engagement politique. Le problème, c’est qu’ils n’en ont pas le droit. Le refus de vente est puni par la loi. Ce n’est certes plus un délit depuis 1986 mais ça n’en est pas moins condamné par le Code de la consommation. Rien n’oblige un libraire à l’exposer en vitrine ou sur un présentoir. On en connait qui le gardent dans leur réserve et ne l’en sorte qu’à la demande du client ; il en est d’autres qui louvoient en plaidant la rupture de stock, ce qui risque d’être lassant lorsque le livre en question se trouve être le plus demandé, et les place dans une situation paradoxale car cela fait le jeu d’Amazon dont ils sont souvent les premiers à dénoncer la domination et les pratiques.
Le débat est récurrent. Face aux menaces d’attentat et le danger qu’ils faisaient courir à leurs employés, la profession s’est divisée lors de la parution des Versets sataniques de Salman Rushdie. La question s’est à nouveau posée mais en d’autres termes lors de la parution de l’édition critique et historicisante de Mein Kampf et du projet de réédition des pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline. Dans un autre registre encore, on en a connu en 2014 qui affichaient en vitrine un mot libellé « Nous n’avons pas le livre de Valérie Trierweiler » car ils en avaient assez qu’on leur demande Merci pour ce moment que, justement, ils ne souhaitaient pas vendre nonobstant l’impact sur leur chiffre d’affaires.
Il est plus facile pour un libraire indépendant que pour la Fnac ou Cultura de ne pas commander de grosses quantités du livre de Zemmour. Mais il était aisé pour les trois au nom de principes moraux de s’approvisionner modérément en Rose-bonbon (2002), le roman de Nicolas Jones-Gorlin mettant en scène des pédophiles menacé en justice par des associations de protection de l’enfance. Encore une telle attitude doit-elle demeurer discrète ; certains libraires se flattent de leur refus de vendre les romans de Marc Lévy ou de Guillaume Musso ; or le boycott n’est pas sans danger, des clients peuvent se révéler procéduriers pour ne rien dire des éditeurs.
Certains résolvent le problème, au-delà des principes de tolérance et de liberté d’expression, en plaidant la cause de tous les livres ; car, on le sait par les enquêtes, plus de la moitié des personnes qui entrent dans une librairie ignorent ce qu’elles vont précisément emporter ; selon le principe de sérendipité, même celles qui cherchent un titre en découvriront peut-être un autre qu’elles achèteront, l’important étant d’y entrer fût-ce pour de « mauvaises » raisons ; cela dit, on imagine mal quelqu’un le faire avec la ferme intention de demander le dernier pamphlet de Zemmour pour en ressortir bras dessus bras dessous avec Marguerite Duras.
Aurélie Bouhours, gérante de la librairie Au Temps des Livres, à Sully-sur-Loire (Loiret), a toujours été opposée aux opinions du polémiste. Elle ne voulait pas vendre son livre mais sa fille l’ayant convaincu au nom du droit du public à l’information, elle s’y est résolue à sa manière : en reversant la totalité des profits du livre à l’association La maison d’Adam, qui recueille des jeunes migrants et les aide dans leur scolarité ou recherche d’emploi
Un livre peut être sanctionné à trois niveaux d’interdiction : sa lecture par les mineurs, son exposition au public et sa publicité. Mais que penser lorsque l’éditeur précède le libraire en imposant de lui-même une limite à la vente d’un des ses livres ? Le cas d’espèce vaut qu’on s’y arrête : les Cahiers de l’Herne publient un magnifique et passionnant recueil collectif consacré à Pascal Quignard. Quelle n’a pas été la surprise de Mireille Calle-Gruber, son maitre d’œuvre, en en recevant les premiers exemplaires : rien d’étonnant à ce qu’il soit enveloppé dans du cellophane afin de protéger tant la couverture que le papier, mais la bande rouge qui ceint le volume de l’avertissement en gros caractères « Interdit au moins de 18 ans » qui fleure bon la IVème république la stupéfia.
Vérification faite, la présence de sept dessins érotiques, inédits et de toute beauté, de l’écrivain en toute fin de volume, dans un chapitre intitulé Regressus ad uterum et regressio ad fascinum, a conduit les avocats de l’éditeur à lui rappeler le principe de précaution- et celui-ci s’y est conformé. Les jeunes concernés, qui ont à leur disposition sur leur téléphone portable tout ce qu’internet peut offrir de plus violent, de plus glauque, de plus sordide dans le registre de la pornographie, en rient déjà. Le sexe et l’effroi, album abondamment illustré du même Pascal Quignard, était d’un accès plus libre. Mais c’était il y a des siècles, en 1994…
1 014 Réponses pour Les libraires ont-ils une conscience ?
je retiens aussi du jugement de Deguy le mot-et l’avis-il fausrat arrêter les ENFANTILLAGES
excuses et merci
il faudrait
le Droit comme les maths et la Physique, des disciplines exemplaires du raisonnement.
C’est vrai, ce qui ne signifie pas que intentionnalité serait absente du comportement de ceux qui sont dotés d’une intelligence abstraite , en dehors de leur travaux de recherche ou de leur activité professionnelle. Il nous faudrait une stat, dans quelles parties de la population mesurées en terme de QI retrouve t on le plus de délinquants, toutes delinquances confondues, sexuelles, financières, escroqueries, crimes de sang, abus de pouvoir, harcèlements, viols, pédophilie, détournement de biens publics, traffics divers etc etc. Le Diable s’habille en Prada.
Heureusement, il nous reste encore le temps de lire, sur Internet, l’article fondamental que Ju Shi’er, Liu Wen et Chen Zhixi consacrent à « L’argumentation sur la titulature impériale dans la dynastie Ming au prisme de la « Théorie généralisée de l’argumentation ». »
Bloom
Ben non.
Vais faire du plâtre. Pour ma part et réparer un chambranle de porte branlant.
Vaut mieux lui que moi, comme me dit ma mère lorsque je lui ai annoncé la mort de Bernard Tapie.
@ r. sur Pierre LOTI
cf. un échange de correspondance hier avec mon copain D., un bon connaisseur, à la suite de la découverte de Rôz…
(moij : Bonjour D, – J’espère que ton job sur Loti avance bien…
Que vaut la biographie de Lesley Blanch ?…. Oublié de te dire avoir été ému cet été d’apprendre que Loti fut l’un des premiers défenseurs de la cause animale souffrante… Étant moi-même de sensibilité de plus en plus « animaliste », j’ai alors pris bien du plaisir à lire une anthologie parue chez Actes Sud de quelques-unes de ses chroniques rassemblées par un certain Quella-Villégier (Le marabout, la perruche et le singe, Un tour du monde animalier), et notamment son combat contre la barbarie tauromachique…
Connais-tu cet opus, et ses choix t’ont ils paru pertinents ?…
A ma plus grande honte, je n’avais lu de Loti que Pêcheur d’Islande, il y a bien longtemps… Si tu pouvais me conseiller un ou deux romans à ne pas manquer, je serais preneur de ton conseil. Bien amicalement, J-J
(lui, ce matin : « Hello J-J, Le livre de Lesley Blanch ne vaut pas grand chose. Je te conseille plutôt celui d’Alain Quella-Villéger (il me semble qu’il en a fait au moins deux : prendre bien sûr la dernière édition car augmentée d’ajouts) ; il est natif de Rochefort, professeur d’histoire à Poitiers et membre de l’Académie de Saintonge. C’est lui qui m’a communiqué le virus Loti lorsque je l’ai rencontré à Rochefort au musée de la marine pour une exposition sur les photos de Loti (…) dans les années (…) ! Et depuis, nous ne nous sommes plus quittés ! étonnant, non ? Loti aimait beaucoup les animaux et je crois que le dernier livre d’Alain Quella-Villéger compile tous les textes que Loti leur a consacré. Je ne l’ai pas lu encore. Pour te conseiller des textes, il y a « le désert » (ça fait penser un peu à Le Clézio) mais aussi tous ses récits de voyages qui sont formidables. Il y a une édition Bouquins qui regroupe (c’est un beau pavé) tous ces récits (…). La bise du D.
Merci R., pour tous vos nouvelles, chaque matin. J’espère ne pas vous avoir déçu… Vous m’avez permis de recontacter ce vieux copain d’école, et de constater qu’il était toujours là, dans les parages, réactif et passionné… Belle journée à vous deux et bon courage pour les travaux du G. Un dimanche matin, le jour du saigneur ????
Criminalité pour intentionnalité. Je serais d’avis que les moins intelligents sont en prison, comme ceux privés d’appuis , de diplômes, de reseau d’influence. Les autres disposent des outils à ne pas se faire prendre la plupart du temps et en dehors de l’action de contre-pouvoir soit médiatique, soit qu’un privé ne digere pas le préjudice subi et finit par se faire entendre.
Ma mère me dit
« Je ne vois pas le mal.
D’un côté c’est bien que je ne le vois pas parce que ça me protège. »
En gros, je vous résume, ma mère elle a l’innocence de son enfance.
Chapeau bas.
bloom, je crois que vous n’avez pas donné le lien.
innocence de l’enfance…
c’est comme la mienne qui ne se souvient que de son papa Pierre et de sa maman Aline… « Pourquoi ils viennent pas me voir ? » balbutie-t-elle, dans un rare fragment de lucidité… Mais elle n’attend pas de réponse, ni ne l’entend quand il y a. Elle est déjà repartie avec eux, peut-être…
dont Schiffrin percevra les droits d’auteur à partir de 1937.
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Exact, dear Phil. De à 1937 à quand, déjà?
Concernant la postérité familale, faudra revoir vos fiches, car Lalo, musicien de grand talent, n’est pas le fils mais un cousin éloigné d’André, originaire d’Argentine (et ancien élève d de Baremboim père). André, le fils de Jacques, dirigea une fameuse maison d’édition américaine.
« Always a slight catch in the fascist mind », comme le faisait remarquer je ne sais plus qui, à Hollywood.
BareNboim…
De à 1937 à quand, déjà ?
Merci pour la rectification des cousinades. Musique de ce Schiffrin pour un documentaire sur les insectes des années septante qui connut un succès prémonitoire.
40 ou 42 et ensuite plus rien, selon les informations officielles reprises par cette biographie que vous mentionnez. La suite dans les comptes pas publiés. Connaissant le soutien de Gide jusqu’à sa mort, dont Schriffrin était la créature de son édition de luxe, il faut en douter sans risque de verser dans le médiatique « fascist mind » d’aujourd’hui.
Cette boutade, dear Bloom, que vous aimez resservir en mauvaise vinaigrette me semble être de Preminger qui joua très bien l’officier nazi dans « Stalag 17 »
Bien vu bloom.
Des droits d’auteur, jusqu’à quand.
Les délinquants verbeux qui réécrivent l’histoire ont vite faut de raconter des conneries, comme zemmour. Et ça mélange les dates et la famille.
Je retiens que Passou n’a pas eu accès aux archives.
Sur un air de la castafiore
Commmmeeeeent, vous n’avez pas eu accès aux aaaarchiiiiives, mais c’est terrrrrriblement embeeeeeeetant, ça monsieeeeeeur.
Et que le petit-fils de Gaston non plus, alors.
Le biographe de Gaston Gaston Gallimard s’est en donc trouvé réduit à pointer le portrait à charge que dresse Amos Reichman dans un livre qu’il « consacre à Jacques Schiffrin. Un éditeur en exil (Seuil) »
le fils de Jacques Schiffrin, qui a sans doute hérité de » la valise » me paraît le plus pertinent à trancher…
J’avais entendu causer de cette histoire, l’autre jour, à la radio, quand le journaliste signalant la parution dans la collection la Pleiade d’un ouvrage collectif
« L’Espèce humaine et autres écrits des camps », a regretté que l’éditeur n’ait pas cru bon de faire à cette occasion, un petit signe de reconnaissance au fondateur historique de la Pleiade, Jacques Schiffrin, licencié en 1941, pour les raisons que vous savez.
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