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L’odieuse confession de Victor Renard

L’odieuse confession de Victor Renard

Par Jean-Jacques Beineix

mediaEn cette abondante rentrée littéraire, l’Embaumeur (528 pages, 20,90 euros, La Martinière), obsidienne noire, aux brillantes facettes, est un livre aussi fascinant qu’envoûtant. Sous la plume exigeante et acerbe d’Isabelle Duquesnoy qui nous avait déjà offert une très belle constance Mozart, nous découvrons Victor Renard, singulier personnage, qui nous emporte dans sa lugubre industrie pour notre plus grand plaisir.

Victor Renard, pour échapper à une mère abusive autant qu’intrusive, La Pascaline, après le décès de son père, se réfugie dans le monde des morts pour apprendre à vivre et à aimer. Curieuse manière d’être, étrange parcours que celui de cet homme mal aimé qui apprend à recoudre, auprès de Maître Joulia, l’embaumeur, les cadavres pour leur rendre une dignité que la vie ne leur a pas toujours donnée jusqu’à en faire un art. Mais qui Victor Renard recoud-il vraiment dans son antre ? Quel indicible crime a-t-il commis pour se perdre ainsi au royaume des morts et, irrésistiblement, nous entrainer à sa suite ? Que cherche-t-il vraiment ? Est-ce ce père musicien, joueur de serpent, éventré par un soc de charrue qui le poursuit. Ce « vagin de voyage » découvert au grenier, révélateur d’une trouble sexualité paternelle ? Ou encore, échapper à la culpabilité, plus ancienne, d’un meurtre originel autrement plus traumatisant et que sa mère lui reproche en jetant sur chacun de ses pas des fèves noires ?

Victor est un homme cerné, en fuite, mais non sans devoir, ni morale et que des circonstances inattendues et un talent inné portent vers les sommets de l’art et la célébrité. Victor Renard pourrait n’être qu’un être brisé, mais inspiré par une force vitale hors du commun, une résilience chevillée au corps, Victor survit et nous livre son récit. Au fil de cette confession, sinon odieuse, du moins hors du commun, souvent hilarante et truculente, nous voyons venir à nous une galerie de portraits admirablement campés, surprenants, savoureux, odieux, inquiétants, toujours fouillés, et nous découvrons, sans y croire, un à un, et jusqu’à la résolution stupéfiante, les indicibles secrets de Victor Renard.17351951841

Car Victor Renard ne voyage pas sans bréviaire, en dépit de la garde sans faille de Pâqueline, sa mère, si odieuse qu’on finit par s’y attacher ; il a dérobé le journal intime oublié de son père, confession dans la confession. Victor le rumine, page après page, jour après jour, comme on rumine le crime d’un autre et que l’on fait sien. Victor se cherche des pères de substitution, et les trouve, des mentors, maîtres ou compagnons interlopes, et des femmes, mères ou putains, tantôt enjôleuses, tantôt prédatrices qui se métamorphosent. Angélique, la catin séductrice devient aimante et consolante, Judith, l’épouse, éprise se mue en gorgone.

Et si cela ne suffisait pas, Isabelle Duquesnoy, nous dépeint à l’eau-forte, en arrière-plan, un envoutant Paris des pauvres et des gueux sous la période de la Révolution. Victor Renard est un looser génial, hanté par le remord et la culpabilité, il cherche la rédemption. Dans ce qu’il conviendrait d’appeler un quasi polar, aux relents de roman historique, nous nous retrouvons plongés dans sa quête et titubons avec lui, allant de surprise en surprise, de frisson d’horreur jusqu’à l’envolée poétique.

Sur un ton qui mélange le picaresque, l’érudit et le romanesque, on se surprend à rire d’une tonitruante réplique, pour frémir à la description d’un cadavre putréfié et qui se transforme sous la main de Victor en un cadavre exquis. Comment un tel mélange peut-il devenir si suave et nous maintenir ainsi totalement subjugués ? Cela relève de l’alchimie parfaitement maîtrisée de l’écriture d’Isabelle Duquesnoy.

D’un trompe l’œil à l’autre, d’une mise en abime à la suivante, nous sommes pris comme par un puissant filtre fait d’onguents, de cœurs broyés et de poudres aux secrets ancestraux, irrésistiblement entraînés par une envie d’en savoir davantage. Ce roman mélange jusqu’à l’ivresse, les cœurs de rois, la peinture, la musique et les prouesses d’un embaumeur de génie, tissant ses intrigues et ses romances, d’argent et de quête métaphysique. Et quand, sous la plume aiguisée comme le scalpel de Victor, nous pensons avoir atteint le comble de l’incongru et de l’indicible, Isabelle Duquesnoy nous dessine un nouveau pan de son univers chaotique pour une fin en apothéose.

La confession de Victor Renard est un roman inattendu et à double-fond et qui souvent s’inverse qui entraine le lecteur comme dans la spirale d’un vortex à l’attraction fatale et jouissive. L’odieuse confession de Victor Renard est une divine surprise, un récit haletant, qui nous entraine dans un Paris de noirceur et d’encre d’après la Révolution, et d’un personnage si attachant qu’on en oublie qu’il est laid et de guingois pour s’y attacher jusqu’à en faire un héros dont on s’éprend. Victor est un sacré Renard, et Isabelle Duquesnoy nous force à dire à la fin que l’on nous y reprendra bien.

JEAN-JACQUES BEINEX

(« La cour des miracles à Paris » photo D.R.)

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Littérature de langue française.

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commentaire

Une Réponse pour L’odieuse confession de Victor Renard

christiane dit: à

Le roman a de brillantes facettes, le billet aussi !

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