de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 109 Notre père Désiré

N° 109 Notre père Désiré

Par Jacques Drillon

Une liste à faire : les rares acteurs qui savent fumer une cigarette, qui l’utilisent pour leur rôle (Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle, Georges Sanders dans All about Eve, Yves Montand dans Sanctuaire, et puis Audrey Hepburn, et puis Jeanne Moreau, et puis Lauren Bacall / Humphrey Bogart…). Leur maître à tous : Jules Berry. Dans L’homme de Londres, de Decoin, pas un mauvais film, mais pas bon non plus, il a une manière positivement ignoble d’avancer un peu la langue avant de tirer une bouffée de son mégot permanent et suçoté, qui dit toute la misère du personnage. Dans Le crime de Monsieur Lange, il garde sa cigarette à la main, tout au long du film, ou presque ; il ne la porte pas à la bouche : elle est son sceptre de fripouille magnifique, de suborneur éhonté, et c’est de la main qu’il trompe le monde, de sa main déployée, toujours en mouvement, pouce en érection, cigarette coincée dans ses longs doigts tordus de flambeur…

 

         

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Être Jules Berry ou rien.

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Saint Louis, qui fit brûler le Talmud.

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Bossuet, administrant l’extrême-onction à La Rochefoucauld.

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Personne ne sait
Ce que deviendra le Notre Père, quand le père aura été rendu complètement inutile par la PMA généralisée.

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(Suite)
Sollers, qui réécrit le Notre Père, au temps des « filles conçues artificiellement par amour » :
« Je te salue, Mère n° 1, et toi aussi, Mère n° 2 ! Vous êtes restées pures de tout contact physique avec le violeur millénaire ! Que vos ovocytes soient sanctifiés ! Que le temps des Mères sans Nom s’accomplisse ! Au nom des Mères, des Filles et du Corps Médical, Amen ! »

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Cette féministe enragée : « Elle avait une de ces bouches à lèvres serrées, construites pour dire du mal, comme la pince pour en faire » (Hugo).

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Les obsolètes : un problème, remplacé par une problématique. Avoir une problématique de toilettes bouchées. Thème remplacé par thématique. Les forts en thématique.

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La marque de la canine sur le tuyau de la pipe.

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Après une longue période de sécheresse, la pluie sale, qui semble avoir fait provision de poussière.

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Le déchiffrage, en musique, qui permet de jouer ce qu’on ne connaît pas, à première lecture. Comme tout ce qui est nouveau, un morceau inconnu exige avant tout de la mémoire : déchiffrer consiste à reconnaître ce qui est déjà connu et mémorisé par le cerveau et la main (un accord, une gamme, un rythme), et à diviser ce qui est inconnu en parties suffisamment petites pour être réduites à des éléments connus. Vieux principe cartésien. Si l’on a beaucoup mémorisé, ces éléments peuvent être assez développés, et l’on déchiffrera aisément ; si l’on a peu mémorisé, on identifie chaque note l’une après l’autre, on ânonne.
La mémoire intervient une seconde fois dans le déchiffrage. Pour n’être pas surpris par ce qui arrive, il convient de lire en avance, et de retenir ce qui a été lu. Plus on a de mémoire, plus grande est l’avance. Un bon praticien jouant une musique écrite dans un langage connu peut lire et mémoriser une ligne entière. Cette mémoire s’exerce par des exercices : une tierce personne pose un cache sur ce qui est joué pour forcer l’œil à anticiper, et décale de plus en plus le cache, pour forcer l’œil à anticiper de plus en plus.

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(Suite)
C’est ainsi qu’en vieillissant, on prend l’habitude de prévoir. Et cela automatiquement, et paradoxalement, au fur et à mesure que l’avenir  rétrécit…

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Désirés :

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(Guitry, suite)
Cette phrase de lui, dans le fonds de la BN. Elle porte sur son arrestation, au matin du 23 août 1944. Il l’a écrite pour Quatre ans d’occupations, où elle ne figure pas (remplacée par : « Je le répète, on n’aurait pas fait mieux pour Al Capone. »). La voici : « Cinq hommes pour m’arrêter ! Que redoutaient-ils donc ? Ma résistance peut-être. »

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Dernière minute

Dans la presse : « Mon client conteste les faits et il n’est pas établi dans la procédure que l’auteur des tirs était au courant de la qualité de policier de la victime », a réagi l’avocat auprès de l’Agence France-Presse (AFP) en contestant la qualification retenue par les juges d’instruction chargés du dossier.  »
Cette défense à double entrée rappelle furieusement l’histoire du chaudron dont parle Freud. Il s’agit des arguments avancés par un homme accusé par son voisin de lui avoir troué son chaudron : « Premièrement je n’ai absolument pas emprunté de chaudron à B ; deuxièmement le chaudron avait déjà un trou lorsque je l’ai reçu de B ; troisièmement je lui ai rendu le chaudron intact. »

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VIENNENT DE PARAÎTRE

Les problèmes parus entre 2011 et 2017 dans le Nouvel Observateur. Les Belles Lettres, 480 pages, 17,90 €

 

On ne saurait se faire une juste idée de l’homme Gide si l’on méconnaît sa passion pour la crapette, jeu de cartes immortel, jeu de cartes nobélisable mais cruel, qu’il a pratiqué toute sa vie, et dont son amie, la Petite Dame, fut une régulière victime consentante.
De même, il a paru indispensable de colliger toutes les allusions que dans son Journal il fait au jeune adolescent nommé Victor. L’auteur de Corydon l’a rencontré en Tunisie pendant la guerre. Il focalise sur lui toute son attention, montre sa perspicacité, sa finesse, et laisse apparaître dans le même temps sa partialité, son dépit, sa petitesse de grand homme.

Du Lérot, 72 pages, 15 €, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

j.drillon@orange.fr
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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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