de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 16 La cuisse de poulet suisse

N° 16 La cuisse de poulet suisse

Par Jacques Drillon

La métaphore filée
Encore meilleure quand il n’y a pas de « métaphore primaire », qui aurait dû donner naissance à la « métaphore dérivée ». Par exemple, au lieu de dire que la philosophie de Zola est une merde, formule qui sentait fort la facilité, Léon Bloy écrit qu’elle « trouverait aisément à s’ombrager sous trois poils du cul ».

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Les gens qui tendent leur télécommande au maximum, à bout de bras, vers la télévision, pour que la bête entende mieux le message.

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– Vous avez très mauvaise mine, et pourtant vous riez.
– Je sors de l’hôpital. On m’a fait une coloscopie. L’anesthésie m’a laissé un peu groggy.
– C’est douloureux ? Pourquoi riez-vous ?
– Non, pas douloureux. La préparation est pénible. Il faut laver le côlon, voyez-vous. Le laver très bien ! Pour qu’ils y voient quelque chose. On vous demande donc de boire, dans l’après-midi de la veille, deux litres d’une boisson infâme, et en une heure. Deux litres en une heure ! Et de recommencer le soir après dîner… On passe la nuit à rejeter tout ça. Pas drôle. C’est à vous dégoûter pour la vie de boire une goutte de quelque liquide que ce soit.
– Alors pourquoi riez-vous ?
– Parce que je repense à ce que j’ai lu sur la notice du médicament qu’on dissout dans l’eau, dans toute cette eau qui vous gonfle le ventre.
– Et qu’avez-vous lu, qui vous fait rire ?
– Dans la liste des effets indésirables du médicament, il y en a un qu’on n’attend pas.
– Et qui est ?
– La soif. Oui, monsieur, la soif.

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L’entretien filmé avec le frère de Bergman, Dag. Quand il l’a vu, Ingmar est devenu comme fou. Il a interdit à la télévision suédoise de le diffuser, menaçant de cesser toute relation avec elle. On comprend pourquoi. Dag y prétend qu’Ingmar a inversé les rôles avec lui, dans tout ce qu’il a filmé, écrit, raconté : c’est Dag qui était battu, c’est Dag que son père pasteur haïssait, c’est Dag qui était malheureux ; Ingmar était le préféré du père, passait beaucoup de temps avec lui, et avait compris qu’il suffisait de lui poser quelques « questions gentilles » sur Dieu et les anges pour en recevoir des biscuits et du chocolat chaud.

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Les cuisses de poulet (ou plutôt les pilons) : les deux muscles à manger, le tibia, la fine aiguille osseuse qui ne sert à rien, le tendon, qu’il ne faut pas oublier de couper, et le cartilage final, qui tombe quand c’est trop cuit. Toujours pareilles, toujours pareilles, depuis l’enfance, depuis des siècles.

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La Suisse, pays ni masculin ni féminin, mais neutre.

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(Suite)
Oui et non. La participation des femmes à la vie politique fédérale n’a été acquise dans ce pays qu’en 1971. À une majorité pas du tout écrasante (rien n’est écrasant en Suisse, si ce n’est la montagne) de 65,7%.

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Personne ne sait
Ce que faisait exactement la mère de Henri Calet, qui était fourchetteuse.

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(Suite)
Cette brave femme était aussi étagère de profession. Elle avait à supporter les livres de son rejeton, faut-il croire…

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(Solutions)
Un Américain vivant à Bangkok et possédant à fond la langue wallonne nous écrit qu’une fourchetteuse, en Belgique, fabrique des petites pièces (des fourchettes) qu’on coud entre les doigts des gants. Étagère n’est pas un mot wallon, mais désigne une employée de cuisine, dans les restaurants.

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La manière admirablement semblable et agile dont les femmes rapprochent leurs épaules vers l’avant pour faire tomber les bretelles de leur soutien-gorge.

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La serveuse qui pose votre café sur la table :
– Hop !
L’infirmière qui vous enfonce la seringue dans le bras :
– Hop !
La postière qui vous tend votre paquet :
– Hop !
Etc.

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Les obsolètes : La ceinture de cuir qui serrait la soutane.

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L’anaptyxe, qui bien fait d’avoir un synonyme : l’épenthèse. On a eu chaud.

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« Faites des mots croisés » (Lacan). Pour les nostalgiques, lacaniens ou non, une grille inédite (en addendum qui n’a rien à voir, comme disait l’ami Delfeil du temps que nous étions voisins de page)  :

Grille vierge et définitions (version imprimable) en cliquant ici.

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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