de Pierre Assouline

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La République des livres

N° 93 Poor Jude !

Par Jacques Drillon

Présence réelle dans l’hostie.
C’était une fausse publicité dans « Hara-Kiri » : un saucisson coupé en rondelles, « pur Dieu ».

*

(Fausse pub, suite)
Il y en avait une autre, qui vantait une association anti-avortement nommée « Laissez-les vivre ». (Peut-être existe-t-elle toujours, on ne sait pas.) Le slogan était : « Ne jetez plus les génies, collectionnez-les ! » Et au-dessous, une collection de capotes, accrochées au mur après usage comme des papillons, et dûment étiquetées. Au premier rang : « Beethoven », « Mozart », « Einstein ». Dessous, il y en avait une, très pleine : « Victor Hugo », une autre, très, très longue : « Charles De Gaulle », et une dernière, minuscule et presque vide : « Marcel Dassault. »

*

« Les ouvriers, faut toujours être derrière. »

*

Les titres qu’affectionnent les journaux : « Rentrée difficile pour Emmanuel Macron », « Covid-19 : les régions qui inquiètent l’exécutif »… Ces « difficultés », ces « inquiétudes », ne sont-elles pas d’abord, avant tout, et même uniquement, celles de la population, du « peuple » ? Qui risque d’attraper le covid, l’État, ou nous ? « Le Monde » du 14 janvier, titre sur cinq colonne à la une : « Covid : L’exécutif face aux risques des variants. » Sous le titre, cinq « accroches », dont voici quatre débuts : « Plus que l’impact des fêtes de fin d’année, l’exécutif redoute… » ; « Matignon privilégie… » ; « M. Delfraissy prévient que… » ; « Olivier Véran a répondu… » Sur nous, rien.

*

Les producteurs qui avaient d’abord pensé à James Stewart pour le rôle de James Bond. Ç’aurait été atroce, accent wise.

*

Le dernier sens à s’éteindre dans le sommeil, le premier à s’éveiller le matin : l’audition. La dernière zone cérébrale à résister à la maladie d’Alzheimer : la mémoire musicale.

*

Les types qui veulent violer une femme et qui tombent en panne.

*

Pascal Dusapin, qui compose avec des notes, et non des machines.

*

« Il nous enterrera tous, Dieu ! »

*

CULTE

(Hommage à Jude Stéfan et ses Litanies du scribe,
elles-mêmes hommage au
Ruban au cou d’Olympia, de Michel Leiris)


Abélard dans sa bibliothèque, en compagnie de son élève Héloïse
Abert passant la collophane sur son archet
Adam de la Halle sollicitant les mécènes d’Arras
Adams et sa mémoire
Jehan Alain à la console de Maisons-Laffitte
Isaac Albéniz jouant du piano dans un bordel américain
Albinoni en riche dilettante
Alkan qui regardait passer les trains
Alphonse X à genoux dans sa chapelle royale
Aperghis au cigare
Arcadelt en fuite
Auber à la légion d’honneur
Auric et ses prébendes
Jean Sebastien Bach donnant sa bouillie à Wilhelm Friedemann
Carl Philip Emmanuel Bach mangeant des truffes
Balakirev en chef de gare
Balbastre en père Noël
Ballif au pot à tabac
Alain Bancquart en apparatchik
Barber en uniforme d’aviateur
Barraqué et les vingt-cinq heures de sa
Mort de Virgile
Bartók notant une mélodie roumaine
Bayle et son acousmonium
Beethoven serrant un diapason entre les dents
Bellini et ses fautes d’orthographe
Benjamin sur la photo avec Messiaen
Alban Berg piqué par un insecte
Berio en BMW
Berlioz dans les bureaux de la « Gazette musicale »
Bernstein chantant
Carmen sous les voûtes de Notre-Dame
Biber au violon désaccordé
Hildegard von Bingen écrivant au pape
Birtwistle passant la frontière
Bizet devant Sainte-Marie-Majeure
Bloch en prophète hébreu
Boccherini en quatuor
Boieldieu qui portait à gauche
Borodine entre deux cornues
Boucourechliev et ses gauloises filtre
Lili Boulanger sur un lit d’hôpital
Boulez en polo, lisant Mallarmé
Brahms et ses livres
Brassens fumant sa pipe chez Jeanne
Britten et Peter Pears
Brossard parlant théologie avec Bossuet
Max Bruch écrivant à Brahms
Bruckner et sa manie du dénombrement
Bull en magister
Busoni et son chien Giotto
Bussotti en éphèbe florentin
Buxtehude et les petits pains suédois
Byrd rentier
Cabezón tirant au jugé les registres de son orgue
John Cage aux amanites
Campra et les jésuites
Carter et ses devoirs corrigés par Nadia Boulanger
Casals et sa pipe
Castelnuovo-Tedesco croisant Chandler à Beverly Hills
Juan de Castro parlant théâtre avec Lope de Vega
Du Caurroy en chanoine
Cavalieri dans son arbre généalogique
Cererols en novice
Cesti en franciscain
Chabrier et ses Monet
Champion de Chambonnières mangeant une poire confite
Marc-Antoine Charpentier saluant Molière à la porte du Théâtre-Français
Chausson à bicyclette
Cherubini reçu par Haydn à Vienne
Michel Chion au cinéma
Chopin aux crachats douteux
Chostakovitch devant son auto sans essuie-glace
Cimarosa dans son fournil
Clérambault s’inquiétant de la santé du roi
Coltrane en mystique
Condé à la tasse de thé
Marius Constant orchestrant Ravel
Copland à Fontainebleau
Corelli dans le soleil romain
Corette lisant « le Mercure galant »
Cornelius traduisant les livres de Liszt
Costeley valet de chambre
François Couperin en chemise blanche
Louis Couperin et le ton de la chèvre
Crumb déclamant du Llorca
Cui tout en barbe sur son rocking chair
Czerny chapitré par Beethoven
Dallapiccola rédigeant à toute vitesse une critique de concert
Dao rue Madame
Dargomyjski en pleine crise de tachycardie
Debussy fumant des tabacs compliqués
Delalande plaçant des fanfares dans le parc de Versailles
Delibes récitant les prières au bas de l’autel
Denis Cohen en charmeur de serpents
Denisov et les verbes irréguliers français
Diabelli écrivant une valse en toute innocence
James Dillon serrant la main à Szersnovicz
Dittersdorf dictant ses Mémoires
Domenico Scarlatti devenu trop gros pour les croisements de mains
Donatoni plongé dans
Le festin nu
Dowland pleurant toutes les larmes de son corps
Du Mont à l’enterrement de sa femme
Dufay et son grand testament
Hugues Dufourt aux douleurs d’oreille
Paul Dukas à Bayreuth
Duparc brûlant
Roussalka
Duphly qui jouait du clavecin chez les Noailles
Dupré apprenant par cœur toute l’œuvre d’orgue de Bach
Durey en musicien progressiste
Dusapin à la chevelure
Dutilleux rêvassant avec gomme et crayon
Dvorak au nœud papillon
Eisler écoutant la pluie avec Charles Chaplin
Elgar et ses princesses
Maurice Emmanuel sur les bancs de la Sorbonne
Jean-Claude Eloy au sushi
Encina étudiant la grammaire
Enesco et le petit Menuhin
Eötvös et son agenda
Falla pensant à Debussy
Michel Fano au collier de bande magnétique
Fauré boursier
Morton Feldman que les bruits de New York apaisent
Ferneyhough au Rotring 0.3
Luc Ferrari et ses ciseaux
Jean-Baptiste Forqueray et les pièces de son père
Franck et ses favoris
Samson François aux Craven A
Frank Martin et son père pasteur
Frescobaldi perdu dans les rues de Bruxelles
Fux courant dans les champs de Styrie
Gabrieli inventant la stéréophonie
Peter Gast écrivant à Nietzsche
Geminiani jouant du violon avec Haendel
Gershwin et son frère
Gesualdo pleurant sa femme assassinée
Orlando Gibbons se gelant les miches à Westminster
Gigout traversant la place Stanislas
Gilles dans la garrigue
Glazounov en pelisse
Glinka en chemin de fer
Globokar s’asphyxiant dans son trombone
Gluck regardant Marie-Antoinette
Gorecki sur son prie-dieu
Gottschalk et son verre de rhum
Gould le cul sur sa chaise
Gounod aiguisant ses fusains
Granados se noyant dans les eaux glacées de la Manche
Grétry reluquant des vendangeuses
Grieg bâtissant sa maison
Grigny recopié par Bach
Grisey trop lent
Gubaïdulina en méditation
Haendel et sa cataracte
Reynaldo Hahn caressant Marcel Proust
Hallfter à l’O.N.U.
Joseph Haydn en docteur honoris causa
Henze travaillant un solo de timbales
Pierre Henry enregistrant un grincement de porte
Philippe Hersant, 116 avenue du Président-Kennedy
Hindemith accordant son alto
Hoffmann et son chat Murr
Holliger tout rouge
Honegger à la bielle
Les Hotteterre tournant le buis
Hume en uniforme de colonel
Humperdinck aux ordres de Wagner
Ibert à l’Opéra
Vincent d’Indy montant la garde
Ives et sa compagnie d’assurance Ives & Myrick
Janacek apprenant la règle de trois à ses élèves
Janequin procureur des âmes
Jolas aux cheveux cendrés
Jolivet salle Molière
Jomelli dans les cintres de son théâtre
Josquin des Prés levant la tête vers le Dôme de Milan
Kagel et les tribuns
Kempff et ses éditions de l’
Iliade
Kodaly aux pattes d’oie
Kœchlin à Polytechnique
René Koering en colère
Korngold et sa musique en plastique
Kreisler vendant tous ses violons à l’exception de son Vuillaume
Krenek et son admiration pour Karl Kraus
Kurtag à Timisoara
La Barre et sa flûte de Hotteterre
Lachenman et le Koechel 622
Lalo et ses manteaux trop longs
Landowski chez Jacques Chirac
Lassus et ses forgeries
Jean-Marie Leclair et ses passements
Michel Legrand sous les sunlights
Le Jeune assiégé dans Paris
Leibowitz désavoué par Schoenberg
Leoncavallo lisant
Tristan et Isolde
Levinas lisant son père
Liapounov aux tierces
Ligeti sur le Prater
Liszt et ses maîtresses
Lortzing sur les routes
Lourié faisant le coup de feu du côté des Rouges
Lully roulant les r
Luther et ses dictionnaires
Lutoslawski résolvant une équation du troisième degré
Machaut et son roman d’amour
Mâche passant l’agrégation de lettres classiques
Maderna poussé sur scène à l’âge de sept ans par une Polignac
Magnard fauché dans l’Oise par une balle ennemie
Gustav Mahler converti
Malipiero et ses seize volumes de Monteverdi
Manoury devant la 4X
Marin Marais et l’arbre de Sainte-Colombe
Marcello et ses cavernes aux poumons
Markevitch qui montrait sa beauté dans un palace de Monte Carlo
Martini et les 17 000 volumes de sa bibliothèque
Martinu faisant des taches d’encre sur ses premières œuvres
Massenet en fille de Gounod
Peter Maxwell Davies pérorant
Mendelssohn suivant un cours de Hegel
Messager éclatant de rire
Messiaen au béret, magnétophone en bandoulière
Meyerbeer décoré pour
Le prophète
Migot et ses copains
Milhaud et ses 443 œuvres
Mompou et les cloches fondues
Monk silencieux
Marc Monnet et les édiles
Monteverdi aux bains de Spa
Cristobal de Morales et son mal du pays
Morley gravant un madrigal sur une plaque de cuivre
Moussorgski saoul comme un Polonais
Michel Mouton et ses pseudonymes
Mozart jouant au billard
Leopold Mozart en diligence
Murail écoutant Scelsi lui raconter ses vies antérieures
Nielsen frappant à la porte de Brahms
Nietzsche et le cygne de
Lohengrin
Nono et le Parti
Nunes tout en longues mains
Obrecht à la grande hâte
Ockeghem et Louis XI
Offenbach chantant à la synagogue
Ohana regardant une danseuse de flamenco
Onslow se promenant dans la campagne clermontoise
Orff et les gymnastes
Paganini vendant son âme au diable
Palestrina au col d’hermine
Pejacevic en transe
Penderecki signant un contrat avec Belwin-Mills
Pergolese boiteux
Pesson et sa papeterie des faubourgs de Tunis
Phil Glass et le shit
Philidor mettant Diderot échec et mat
Philippe Boesmans aux moules
Poulenc et son chauffeur
Prokofiev au samovar
Puccini improvisant à l’orgue sur des thèmes de
Rigoletto
Henry Purcell au futur interdit
Quantz corrigeant les épreuves de son livre
Rachmaninov chez le coiffeur
Radulescu et ses moule-bite
Rameau séchant sur un problème d’arithmétique
Ravel au volant de son camion
Reger, dans la plus petite pièce de sa maison, faisant subir les derniers outrages à une critique défavorable
Reibel parlant à la Radio
Steve Reich travaillant sa gamme d’ut majeur
Reverdy dans les alpages
Rimsky-Korsakov appuyé au bastingage
Rossini sous l’édredon
Rostropovitch touchant un chèque sans sourciller
Rousseau inventant un solfège dont nul ne voudra
Roussel dirigeant la manœuvre
Saint-Saëns dans la Casbah
Satie faisant dans son piano
Scelsi posant les mains sur les seins de sa visiteuse
Pierre Schaeffer brandissant le foudre du mépris
Samuel Scheidt et son secret
Florent Schmitt prenant le café à la terrasse du Café de Foy
Schnittke qui en impose à Gidon Kremer
Schoenberg le pinceau à la main
Schubert refusant l’extrême onction
Clara Schumann en chemise
Robert Schumann au doigt martyr
Schütz à Copenhague
Scriabine et ses flacons de parfum
Sibelius défaisant sa valise
Smetana faisant ses comptes
Antonio Soler prenant une leçon avec Scarlatti
Stockhausen né sous le signe du lion
Richard Strauss devant un bouquet de mauves
Stravinsky laissant à Craft le soin de diriger la suite du concert
Süssmayr taillant une bavette avec Constance Mozart
Sweelinck au canal traversé
Szymanowski lisant une mazurka de Chopin
Tanguy chez le coiffeur
Tausig transcrivant le tango d’Albéniz
Tchaïkovski lisant une lettre de Mme von Meck
Tailleferre faisant vrombir son triporteur
Telemann que sa femme abandonne
Tippett en Puck
Van Eyck expertisant les carillons d’Utrecht
Varèse au verre de chambertin
Vaughan Williams au concert tous les soirs, quoique sourd comme un pot
Verdi à l’orgue
Villa-Lobos demi-dieu
Vivaldi en prêtre à jeunes filles
Wagner qui flattait Louis II
Carl Maria von Weber accusé de corruption
Webern abattu par un soldat américain
Kurt Weill faisant la cour à Lotte Lenya
Hugo Wolf éreintant Brahms et Dvorak
Wolkenstein borgne
Xenakis dans le maquis
Zemlinsky dans son bureau directorial
Zimmermann et le pas de l’oie
Nicolas Zourabichvili corrigeant une traduction de Tolstoï

*

Les gens qui masquent leur mauvaise orthographe ou leur mauvaise grammaire sous des fautes énormes, ostensibles, et prétendument amusantes. Comme les écoliers d’autrefois, quand ils avaient fait une tache d’encre dans leur « Cahier du jour », et qu’ils l’agrandissaient en soleil ou en peuplier, pour paraître l’avoir dessiné volontairement.

*

La farine « semi complète »
(Comparable dans sa formulation fallacieuse et grotesque aux motions de la CGT, toujours « votées à l’unanimité », puis « moins 150 voix », ou « à l’unanimité moins 1500 voix »…)

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David Oïstrakh le magnifique, avec sa tête d’agent du KGB.

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Jude Stéfan dans un Ehpad !

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Pas assez d’ail. On ne met jamais assez d’ail.

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(Dernière minute)

L’Indonésie, qui a adopté  un ordre de priorité dans les vaccinations déterminé selon le nombre de followers et de likes qu’on a sur les réseaux sociaux. Les plus populaires sont servis les premiers.

*

Ceux qui portent deux masques l’un sur l’autre, par précaution.

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

Si vous n’avez pas reçu le lien sur lequel cliquer pour accéder à ces Petits Papiers, c’est que vous n’êtes pas abonné. Vous pouvez le faire en écrivant à j.drillon@orange.fr, en mentionnant « m’abonner » dans le champ « sujet » ou « objet » du message. Les adresses skynet.be et gmail.be ne fonctionnent pas.

*

La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande en librairie ou chez l’éditeur, http://www.dulerot.fr).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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