de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 39 Le baiser dans le cou

N° 39 Le baiser dans le cou

Par Jacques Drillon

(Selfies, suite)
Les visiteurs du Belvedere, à Vienne, vont droit au Baiser de Klimt, et se prennent en selfie devant. La salle étant sombre, ils ont besoin d’un flash, dont la lumière abîme le tableau. Émue, la direction du musée a placé un panneau près du tableau : SVP, pour les selfies, suivez la flèche, une salle en bas vous accueille avec un Baiser factice grandeur nature et en pleine lumière. 

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Personne ne sait
D’où vient le « de » dans « pauvres de nous ! »

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La Poste lance sa « néobanque », et l’a baptisée « Ma french bank ». Une telle cohérence est really épatante.

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Louise de Vilmorin, à qui l’on demandait ce qu’elle pensait du célibat des prêtres : « Qu’est-ce que ça peut faire ? S’ils s’aiment… »

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Des nouvelles de la vie urbaine
Il y avait les soirées. Voici venir les « joirées », soirées de jour.

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Le plus joli cou du cinéma, celui de Janine Darcey, ici dans Entrée des artistes :
 

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(Entrée des artistes, suite)
La diction de Jouvet entre pour une bonne part dans la jubilation qu’on éprouve aux mots d’auteur de Jeanson. Sa manière de terminer une phrase monocorde par un petit crochet – vers le haut quand la phrase est dite en bas, vers le bas quand elle est dite en haut – la laisse résonner dans la conscience le temps du plaisir.
Comme par hasard, le trait d’esprit est toujours à la fin de la phrase. Cela tombe bien.

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Pas de personnage de journaliste professionnel dans À la recherche du temps perdu.

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La cigarette d’après le petit déjeuner, la cigarette d’après le concert (le théâtre, le film), la cigarette d’après l’amour, la cigarette d’après le bain de mer (la piscine), d’après l’effort, d’après les larmes, d’après la dispute, d’après le déchiffrage fervent, fanatique, hirsute, du prélude et fugue en ut mineur pour orgue BWV 546 de Johann Sebastian Bach dans la transcription de Franz Xaver Gleichauf pour piano à quatre mains (éd. Peters), la cigarette d’après les nymphéas, sur le trottoir de la rue de Rivoli, celle qu’on fume en sortant du cimetière ou de chez le médecin, ou quand on a fini son travail et que l’imprimante crache les pages, la dernière cigarette avant de s’arrêter de fumer (et l’autre, qu’on achète dix euros à un clochard, la symétrique, la première, quand on rechute), la cigarette de l’attente, de la satisfaction, de l’excitation, la cigarette tout seul dehors pendant que les autres en sont à l’Agnus Dei, la cigarette sur l’aire d’autoroute, la cigarette sur le télésiège, là-haut, la neige passant silencieusement dessous, celle qu’on allume en pensant qu’elle va vous réchauffer sur le quai de gare venteux (illusion), ou qu’on fume quand on a fini un paragraphe de Proust et que la phrase achève de se poser à terre (…d’invisibles et persistants lilas), la cigarette devant le feu de cheminée, la cigarette avant de remonter dans la chambre d’hôpital où meurt son père, la cigarette qui aide à réfléchir ou à ne pas réfléchir, la cigarette sur le balcon, la cigarette pendant la lettre de rupture, la cigarette avec le café, la cigarette à l’entracte, la cigarette qui calme ou excite, selon le besoin, la cigarette avant de monter dans le taxi, à l’aéroport, la cigarette de trop, qui rend nauséeux ou migraineux, la cigarette d’après la séance chez l’analyste, d’après la rencontre qui va changer sa vie, d’après l’entretien difficile, d’après l’épreuve de littérature française (la soutenance de thèse, le grand oral de Science Po), celle qu’on fume quand on n’arrive pas à commencer et que l’idée fuit devant soi comme l’horizon de la mer, la cigarette au bec en tournant la polenta (la fondue savoyarde, l’aïoli), ou en soudant le neutre sur sa borne, la cigarette d’après le sandwich tout en haut du mont d’Arbois, la cigarette à la porte de la chambre du petit, ou avant d’entrer chez le dentiste, la cigarette de l’insomnie, la cigarette qu’on tape à la baby sitteur, la cigarette qu’on fume après avoir signé un contrat, ou qu’on offre à la fille qu’on drague (on la lui allume avec son briquet et elle met ses mains autour de la flamme, et on touche sa peau), la cigarette en sortant de scène, quand la salle est encore en train d’applaudir, la cigarette qu’on tire avec soulagement de son paquet quand on voit son hôte en allumer une, celle qu’on se roule en voiture, volant coincé sous un genou, celle qu’on fume en attendant que l’autre con ait fini sa tirade imbécile, la cigarette fumée dans les cinq mètres carrés autorisés, en compagnie de sept ou huit types aussi honteux, la cigarette d’après la petite faim de minuit, à la cuisine, avec saucisson et vin rouge,

Et puis les non fumeurs. Dont le sang est pur et l’aorte lisse.

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Emmanuel Berl participant à une expédition punitive des Surréalistes contre Roger Martin du Gard, qui avait révélé l’homosexualité d’Aragon.

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(Berl, suite)
Jacques Dutronc et Françoise Hardy, qui avaient pris pension chez lui.

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(Fin)
Son oncle, qui prépare l’agrégation de philosophie, et meurt de la tuberculose ; puis son cousin, qui prépare également l’agrégation de philosophie, et meurt aussi de la tuberculose. Le moment venu, Berl, qui avait une caverne au poumon, renonce à passer l’agrégation de philosophie.

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L’antisémitisme délirant de Luther. Il voulait brûler les synagogues, chasser les juifs des villes. Le film Le juif Süss s’inspire de ses textes, sans les citer. Il faut le rayer de la liste des célébrations nationales, et mettre en prison tous les protestants, comme les lecteurs-complices de Céline.

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(Suite)
Complices ignorants et/ou stupides, diraient Duraffour & Taguieff : « Ce qui a donné aux études céliniennes leur tonalité apologétique, à quelques notables exceptions près, c’est qu’elles ont été longtemps dominées par des admirateurs de l’écrivain dotés d’une culture littéraire non seulement limitée, seul Céline comptant à leurs yeux, mais aussi et surtout exclusive d’une culture historique et scientifique. […] Les outils intellectuels dont disposaient les célinologues encenseurs étaient plus qu’insuffisants : des souvenirs scolaires légèrement rafraîchis en guise de savoir historique sur les deux guerres mondiales, accompagnés de faibles et vagues connaissances en matière d’histoire de la biologie humaine, de la médecine, de l’anthropologie physique, de l’hygiénisme et de l’eugénisme. »

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(Mépris, suite)
« Il s’agit bien de penser par soi-même, non par Céline. Même les céliniens confirmés peuvent s’en montrer capables. [!] On ne saurait considérer que l’écrivain, parce qu’on lui reconnaît du génie, a toujours raison. [!!] Il n’a pas non plus tous les droits, à commencer par celui de mentir. [!!!] Le lecteur exigeant doit toujours avoir en tête l’écart entre la vérité historique et la “vérité selon Céline”, devenue vulgate littéraire et s’interroger sur le sens de cet écart en chaque contexte. »
Comme on le voit, Duraffour & Taguieff, pour spécialistes qu’ils soient de « l’histoire de la biologie humaine, de la médecine, de l’anthropologie physique, de l’hygiénisme et de l’eugénisme », ne sont pas spécialistes de littérature.

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(Dernière minute, si l’on peut dire)
Affaire Matzneff. Article publié par « le Monde » le 18 mars 1990 (apparemment non signé) :

« Ecoeurant spectacle l’autre soir chez Pivot. Vive polémique autour de la dernière livraison du journal intime de Gabriel Matzneff. Seule dissonance grave dans une émission consacrée à la fidélité, Matzneff reconnait en effet à cette période de son existence des allures casanovesques. Crime injustifiable surtout lorsque les « victimes » sont de très jeunes filles. Denise Bombardier, la redresseuse de torts de service, transforme l’émission en tribunal. Mais les sarcasmes des censeurs sont autrement plus obscènes que la témérité des sensibilités éclairées. Une fois de plus, on voudrait juger le « grand dérèglement de tous les sens » à l’aune des valeurs petites-bourgeoises. La condamnation au nom de l’ordre moral est le meilleur moyen de ne rien comprendre. Le courroux congestionné des bien-pensants trahit en fait l’ultime tentative pour se raccrocher aux valeurs du passé. Ouvrons les yeux ! L’amour aujourd’hui est orphelin, la passion sans garantie, plus de sécurité à en attendre. Nous sommes condamnés à assumer la nostalgie d’un sens perdu.
Matzneff affronte cette béance avec un courage de héros et une dignité de martyr. Au prix de son bonheur, l’écrivain paye de sa personne. La littérature, c’est le risque, elle se nourrit de l’innommable. Matzneff l’affronte avec gravité, en toute intégrité.
Ses Amours décomposés, c’est le miroir de notre propre décomposition. Dans l’impudeur de cette mise à nu, nous contemplons notre reflet, une image de nous-mêmes que nous ne sommes pas prêts à accepter. Au lieu donc de chercher à désamorcer notre angoisse par des mythologies surannées, remercions plutôt l’écrivain de nous tendre ces « fleurs vénéneuses ».
Alors, Gabriel, ange ou démon ? Qu’on ne s’y trompe pas, son inconstance apparente cache en fait une fidélité plus profonde à lui-même et à nous. »

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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