de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 68 Balzac, la muse et le presse-purée

N° 68 Balzac, la muse et le presse-purée

Par Jacques Drillon

Les choses que fait l’autre et qu’on brûle de faire à sa place, parce qu’on se croit meilleur, plus rapide : chercher dans un gros dictionnaire, faire un créneau, souder un condensateur. Surtout chercher dans un gros dictionnaire. Pour paraphraser Giono : Est-ce que je me trompe si je me crois plus grand quand j’agis à sa place ?

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Personne ne sait
Si un (petit) branleur branle ou se branle.

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(Suite)
« Les muses ne rient bien que branlées » (Céline).

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La soirée qui s’éternise, les invités qui ne s’en vont pas. « Vous demeurerez bien, malgré l’heure tardive ? » (Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville).

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Le pire : Que la police soit de moins en moins mal faite, la technique suppléant l’intelligence.

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L’impossibilité dans laquelle on se trouve de « préférer », par exemple, les Nocturnes de Chopin tels qu’ils furent joués par Samson François ou par Claudio Arrau, d’en « choisir une version » au détriment de l’autre. Entre la masculinité du premier et la féminité du second, portées chacune à leur plus haut période de flamboyance par deux talents aussi opposés, et aussi prodigieux, comment se décider ? En musique on emporte une infinité d’œuvres dans une infinité d’îles désertes.

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(Suite)
Le musicien moyen, hermaphrodite. À quoi tout et tous le poussent.

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Les rangements, le tri, jeter les vieux papiers, les vêtements pas portés depuis dix ans, les chaussures éculées, la cuiller de bois au tiers cassée. Et puis l’ivresse qui vient, on jette, on jette. Tout paraît inutile, les sacs à poubelle s’entassent. Et deux mois plus tard, il faut racheter le presse-purée, irremplaçable.

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Le pouce de Claudio Arrau :
 
 
On comprend qu’il ait pu démouler sans problème les trilles en octaves du premier concerto de Brahms…

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(Suite)
Glenn Gould et Rosalyn Tureck
Gustav Leonhardt et Wanda Landowska
Claudio Arrau et Teresa Carreño.
Les trois plus grands claviéristes du XXe siècle ont eu une mère musicale.

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Balzac, qui prétend que l’alcool, l’eau-de-vie, « datent des dernières années du règne de Louis XIV, et furent inventées pour réchauffer les glaces de sa vieillesse ». C’est sa vente libre « au peuple » qui se généralisa sous son règne. Auparavant, l’eau-de-vie était médicinale.

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(Suite)
Balzac raconte dans son Traité des excitants modernes :
« Le gouvernement anglais a permis de disposer de la vie de trois condamnés à mort, auxquels on a donné l’option ou d’être pendus suivant la formule usitée dans ce pays, ou de vivre exclusivement l’un de thé, l’autre de café, l’autre de chocolat, sans y joindre aucun autre aliment de quelque nature que ce fût, ni de boire d’autres liquides. Les drôles ont accepté. Peut-être tout condamné en eût-il fait autant. Comme chaque aliment offrait plus ou moins de chances, ils ont tiré le choix au sort.
L’homme qui a vécu de chocolat est mort après huit mois.
L’homme qui a vécu de café a duré deux ans.
L’homme qui a vécu de thé n’a succombé qu’après trois ans.
Je soupçonne la Compagnie des Indes d’avoir sollicité l’expérience dans les intérêts de son commerce.
L’homme au chocolat est mort dans un effroyable état de pourriture, dévoré par les vers. Ses membres sont tombés un à un, comme ceux de la monarchie espagnole.
L’homme au café est mort brûlé, comme si le feu de Gomorrhe l’eût calciné. On aurait pu en faire de la chaux. On l’a proposé, mais l’expérience a paru contraire à l’immortalité de l’âme.
L’homme au thé est devenu maigre et quasi diaphane, il est mort de consomption, à l’état de lanterne : on voyait clair à travers son corps ; un philanthrope a pu lire le Times, une lumière ayant été placée derrière le corps. La décence anglaise n’a pas permis un essai plus original. »

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Personne ne sait
Comment on écrit « sexiste » en écriture inclusive.

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Les abeilles, qui s’agglutinent sur un frelon tueur, élèvent leur température et le cuisent vivant.

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Pour amuser ceux qui n’ont pas l’oreille dans leur poche, et ne ratent aucune marche :

Carte postale à Alain Cavalier n° 32

https://www.youtube.com/watch?v=U0RbcdaoNOk

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(Dernière minute)
« Ne pas avoir un mari, ça m’expose à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée », avait déclaré en 2018 Alice Coffin, délicate conseillère de Paris. Le choix du verbe « exposer » laisse rêveur. Présenter « ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée » comme un risque auquel on s’expose révèle un inconscient passablement agité. 

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(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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